Parution | février 2000 |
Label | Dreamworks |
Genre | Folk-rock |
A écouter | It's a Motherfucker, Flyswatter, Grace Kelly Blues |
/10 | 7.50 |
Qualités | attachant, sensible |
Nous sommes en mai 1997 et Mark 'E' Everett apparaît au public britannique de Top Of The Pops en mode typiquement excentrique. A mi-parcours de la performance mimée de Eels pour Novocaine For The Soul, E et le batteur Butch abandonnent toute prétention de jouer de leurs instruments, préférant s’amuser à sautiller autour de la batterie miniature de Butch. La musique continue sans interruption. Les enfants sur le plancher du studio et les téléspectateurs de tout le pays se demandent ce qui se passe.
Après seulement quelques mois, cependant, l’infatiguable E confessait être ennuyé de son premier album, Beautiful Freak (1996). Par conséquent, l'année suivante voit la sortie de Electro-Shock Blues (1998), qui - tout en conservant les influences Dust Brothers - s'est avéré être un album plus sombre, moins accessible, surtout plus personnel que son premier jet. Il y regarde la mort en face - rien de surprenant, étant donné le décès de son père et de plusieurs amis, ainsi que le suicide de sa sœur pendant cette période.
Le disque traite la mort non pas comme une métaphore ou une abstraction, mais plutôt comme le point de terminaison factuel et inévitable de la vie, la némésis du corps, la dissolution de toute chair - Ashes to Ashes, de la poussière à la poussière. Il y a des exemples brefs d'esprit lyrique, mais l’humour noir qui l’envahit est de la plus noire espèce. Le seul moment de répit véritable est livré avec la dernière piste, PS You Rock My World, et son insistance à faire remarquer que, même si vous avez l’impression de tout perdre, vous avez toujours quelque chose à quoi vous raccrocher. C’est faire entendre une note incongrue, un défi par l’affirmative à la fin de la marche funéraire du disque, comme si E l'organiste d'église s’était soudainement métamorphosé en Monty Python au temps d’Always Look On The Bright Side Of Life. A la fin de l’expérience Electro-Shock Blues, qui s'apparente un peu à être enterré vivant, c’est l’impression de parvenir à ouvrir le cercueil au tout dernier moment.
Inspiré par la mort de sa mère emportée par le cancer, Daisies Of The Galaxy (que l’on peut surnommer affectueusement « Daisies ») est le troisième album de E - et donc de Eels. On aurait pu s'attendre à ce qu’il trace une trajectoire aussi morbide que son prédécesseur. Après tout, le sujet a déjà été abordé dans ces termes sur le titre Cancer For The Cure sur Electro-Shock Blues. Toutefois, la réalité est très différente : le bilan est moins sombre, le deuil de la mort est doublé d'un éloge à la vie, la naïveté éclot et la lucidité grandit, et la participation de Peter Buck, enfin, fait un peu penser à un Green version Everett.
La musique est le plus souvent délicate et discrète, l'influence de Michael Simpson des Dust Brothers et de l’associé et ami de Beck Mickey Petralia est presque imperceptible, et les paroles de E s’assument enfin au centre de l’action. Le remodelage des expériences autobiographiques dans la manière lyrique court le risque inévitable d'aliéner l'auditeur, jouant de l’honnêteté en érrigeant parfois en érigeant tantôt une barrière impénétrable ou bien en vous faisant sentir comme un leveur de rideau, le visage pressé contre la vitre dans la poursuite de la culpabilité d'autrui et de sensations fortes. Il y a aussi le risque pour l’artiste d’apparaître simplement comme auto-obsessionnel - ces fragilités sont encore présentes aujourd’hui sur End Times (2010). Daisies Of The Galaxy, malgré le caractère casse-gueule d'une grande partie de son sujet, parvient à éviter ces pièges potentiels.
Le sommet de l'album est situé à mi-parcours avec le titre ironico-comique It's A Motherfucker. Sur un doux refrain au piano embelli par une houle subtile de cordes, E exprime sans détours son sentiment de perte et la perturbation qui résulte de la mort de sa mère : “It’s a motherfucker / Getting through a Sunday / Talking to the walls / Just me again / But I won’t ever be the same”. Comme dans tant de grandes chansons, des mots simples prennent une résonance presque insupportable dans leur contexte musical. Peut-être révélateur, toutefois, la comparaison la plus apte n’est pas musicale du tout, mais poétique. Les poèmes des anglais Tony Harrison et Blake Morrison viennent à l'esprit, dans lequel ils décrivent la confrontation avec la perte d'un parent avec une égale mesure de chaleur rude et de tristesse poignante.
La compagne naturelle de It's A Motherfucker est le titre qui termine le disque, Selective Memory (Mr E's Beautiful Blues apparaît là presque comme après coup), qui est tout aussi squelettique, minimaliste dans sa structure. La voix de fausset tendre du couplet, où E revient sur son enfance et le besoin d'être protégé par sa mère, fait place à un chœur plaintif sur le refrain : « I wish I could remember / But my selective memory / Won’t let me”..
Sur Daisies of the Galaxy il y a des plaisirs à tout propos, et la plus grosse partie de l'album se caractérise par une remarquable légèreté de ton et d'esprit. E continue de ravir dans son rôle autoproclamé de poète urbain, ses talents dans ce domaine ayant été montrés d'abord sur Susan’s House, sur Beautiful Freak. Grace Kelly Blues, Wooden Nickels et The Sound Of Fear témoignent tous du respect et de l'intérêt qu’il porte aux détails de son quotidien banal, et de sa capacité à respirer l'humanité au cœur même du plus désolé des paysages. La métaphore du titre d'un morceau retient cet aspect parfaitement : A Daisy Through Concrete.
Inspiré de Pitchfork.
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