Le concert s'est ouvert sur une note étonnante, à défaut d'être immédiatement convaincante : un morceau intitulé Sainte Patronne de Rien Pantoute ! Sur scène, une jolie guitariste québécoise ; auteure interprète de morceaux étirés rendus possibles, par superposition, par l'utilisation d'une pédale d'overdub. Geneviève Castrée (Ô Paon) est dessinatrice de bande dessinée à ses heures, mais lui revient ici l'honneur d'ouvrir le concert pour Earth, qu'elle ne tardera pas à remercier. Sa fierté se fait peu à peu revancharde, sa bravoure va crescendo jusqu'à ce que son interprétation devienne magnétique, soutenue par une voix puissante, remplaçant de plus en plus le chant murmuré par des refrains presque hurlés. Avant le dernier morceau, elle lâche à un importun un 'Tu vas voir, je vais te donner la diarrhée' vaguement menaçant, ce qui déclenche l’hilarité générale. Les charmes de la langue autochtone, sans doute.
La musique manque encore de maîtrise mais les chansons, qui évoquent des déchirures dans un langage aussi poétique qu'incongru, sont attachantes. Viendra Mount Eerie, présenté par la québécoise comme le chauffeur du fourgon de tournée. Le rêveur Phil Eleverium, originaire de l'état de Washington, continue dans le thème progressif et romantique lancé par Ô Paon. Il a bien pris quelques rondeurs ces dernières années, et son projet n'a jamais été aussi pop, tout en gardant ce qui fait son originalité : le son comme un manteau neigeux qui s'abat soudainement sur un champ. Des chansons contemplatives au possible, enveloppées de 12 cordes atmosphérique et puissante, tellement chargées d'images de terre et de ciel qu'elles prennent une forme étrange, détachée des traditions rock. Un mec a traversé la salle avec un tee-shirt "'ceci n'est pas du rock'roll » à un moment donné, mais finalement, si on réfléchit, plus grand-chose n'en est aujourd'hui. Et de toute façon, venir voir Earth prédispose le public, dès Mount Eerie, à ne pas broncher ou presque, à fermer les yeux un peu idiotement, en imaginant que ce que ces musiciens ont concocté de si personnel puisse nous atteindre autrement que de façon superficielle. C'est cependant un spectacle intéressant à observer, ce sacre intime d'artistes entièrement voués à défendre les tréfonds de leur inspiration par le biais de ce qu'ils qualifient de 'projet' plutôt que de performance ou de groupe. Chacun d'entre eux, Ô Paon, Mount Eerie ou Dylan Carlson, dans les halos roses ou mauves dus au beau travail d'éclairage, ne font plus illusion (en faisant croire qu'il ne s'agirait pas d'eux mais de chose extérieures) une fois face à leur public, et c'est tant mieux. Castrée se reproche à elle-même de s'être prise trop au sérieux au détour d'une chanson : mais c'est sérieux. Ainsi, malgré un morceau enjoué, interprété avec humour, Earth épousera autrement, une heure et demie durant, le sérieux de la situation.
Carlson est un musicien estimable, pour ses prises de position pacifistes, sa recherche du bonheur essentiel acquis au prix d'incertitudes, et logiquement pour le blues élégant autant que sauvage qu'il dispense en longues plages grondantes au sein de Earth, accompagné de sa compagne Adrienne Davies à la batterie, de Lori Goldston au violoncelle et de Karl Brau à la basse. Carlson est aussi un homme fragile, un peu émacié sous ses impressionnants favoris. Sa première requête au public, dans un voix à l'accent traînant, sera de demander à se que personne n'utilise de flash. « I don't feel like having a breakdown tonight » justifie-t-il, car il est épileptique. L'éclairage est léger, pas d'images en accompagnement de la musique et c'est sans doute mieux. Dès les coups de cymbale de Davies - qui gardera tout au long du concert son équilibre entre force et furtivité – la musique devient le personnage central. Si Carlson se détache, ce n'est pas en tant que leader d'un groupe de rock, mais plutôt parce qu'il dirige l'attention vers le pouvoir de l'inspiration musicale elle-même : chose évanescente tout autant que physique, ce soir, avec Earth. Répétitive certes, lente diront les impatients, mais mouvante, gracieuse, et émouvante lorsqu'on sait tout ce que cette musique – ces accords de guitare ascendants, tournoyants, soutenus longtemps, ces stridences - représente pour Carlson. Leur set culmine sur la l'exhumation d'un morceau de The Bees Made Honey on the Lion's Skull (2008), mais les plus récents Father Midnight, The Rakehell ou The Coranesce Dog sont tous plus lancinants les uns que les autres. La musique respire et dégage de belles images. On songe à une assemblée autour d'un un tertre celte, et le quatuor tranquille communiquant, à travers leurs instruments, dans un langage naturel, avec un environnement idéalisé.
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