OOO
lucide, intimiste, soigné
Folk-rock
La vidéo pour Floodplain, une chanson issue de Loyalty (2014), s'attarde sur son visage, ce qu'on peut y lire exprimant des émotions voisine de la musique. Une retenue, oui, mais aussi une intensité troublante. Et celle-ci est à plein régime sur l'album éponyme. Sans titre, comme pour signifier un nouveau départ. Désormais dans la trentaine, Tamara Lindeman se sent lassée de certaines idées véhiculées par sa musique. Native de l'Ontario, au Canada, et habituée aux périples en voiture, elle a cette fois voyagé dans le monde entier pour défendre un album remarqué. Elle a gagné du respect sans trouver de repos.
Les voyages et les lieux explorés dans Loyalty étaient une chose. Elle veut désormais changer sa pratique de l’enregistrement, créer dans l'album studio à suivre des horizons nouveaux capables de redéfinir son avenir. Elle ressent une urgence. Décide de laisser un peu tomber sa politesse, comme en atteste le « fucking everything » dans le passage le plus énervé de Thirty (« trente ans ») cette chanson-témoin éclairant le chemin de l'album.
« Il y a ce paysage qui se dessine dans ma tête, et le souvenir de s'être trouvée quelque part. Quand je me mets à jouer de la guitare, et que des accords résonnent en moi, puis à chanter une mélodie, un souvenir me revient à l'esprit », explique t-elle pour le webzine Aquarium Drunkard. Dans l'amour et dans toutes les émotions de l'album réside un petit bout de l'histoire personnelle de Lindeman. You and I (On the Other Side Of The World), par exemple, qui décrit le contrat poétique unissant deux êtres libres, renvoie à l'Australie. Il ne reste presque rien de ces vers témoignant d'une tempête qu'elle y a observé. Ils ont été mis de côté au moment de choisir parmi tout ce qu'elle avait écrit. Ces vers de trop continuent pourtant de faire l'attrait de la chanson, telle qu'elle existe dans la tête de la chanteuse. Elle est capable, par sa capacité à se replonger dans ce souvenir précis, de ne nous en restituer les parties manquantes, son contexte.
“I tried to leave ya, I left only myself”... Kept It All To Myself est, comme Thirty, très dense et énergique. Dans l'emportement, il est facile de passer à côté de son talent pour la formule : « Untouch by doubt about my memory ». A travers l'histoire d'une relation égoïste, elle en est à moquer le plein contrôle qu'elle s'est promise, une fois passée derrière la caméra. Les chansons sont parfois ainsi, si bien écrites qu'elles ne renvoient pas seulement au sujet de leur narration, mais aussi à l'attitude de l'artiste vis-à-vis de son œuvre. Dans la vidéo pour Keep It All t Myself, Lindeman est placée face à un double passif d'elle-même, objet de cette vanité inhérente à vouloir produire un album « rock and roll » en ses termes, c'est à dire « qui n'a rien de vraiment rock and roll...»
Pourtant, l'album ne cède jamais à l'auto-critique. Il est plutôt l'occasion de reconstruire une liberté artistique, sans ses automatismes. « Je pense que j'ai tenté d'enregistrer l'album avec cette perspective de liberté que beaucoup de gens prennent pour argent comptant, mais que je ne m'étais jamais autorisée à ressentir. »
Power, au centre de l'album, en est la preuve éclatante. Elle démarre avec un peu de guitare, un shuffle entre caisse claire et hit-hat, et la voix si franche, même dans sa douceur, de la chanteuse. La prise de pouvoir de Lindeman sur sa musique, l'injonction qu'elle s'est donnée de « suivre son instinct », sans savoir ce dont il s'agissait, faute d'être trop cérébrale, s'y déploie à sa manière unique.
Si cette chanson se révèle le plus patiemment orchestrée, c'est pour soutenir un refrain où Lindeman ne veut plus s'arrêter de chanter. I Don't Know What to Say est aussi de cette sorte à exposer les émotions spécifiques dont la jeune chanteuse est maîtresse à chaque instant de ce disque. Une fois encore, les arrangements font en sorte de nous bouleverser.
Sur Loyalty, les conceptions de Daniel Romano, une rencontre décisive pour Lindeman, sont très présentes. Désormais, elle veut voir ce qui va se produire si elle devient la seule à décider. « C'était intéressant parce que je m'y suis prise naturellement. Certaines des mélodies, je les avais en tête dès l'écriture de la chanson. J'ai toujours pensé qu'il y aurait des cordes. Mais quand Mike [Smith, l'arrangeur] s'est penché sur mes idées, souvent il me disait : « Tu ne peux pas faire ça. Tu as ces notes qui se superposent les unes sur les autres ! » et «Est-ce que tu voulais plutôt ça ? » C'était intéressant car ce qui semblait si naturel pour moi, ma conception des mélodies et harmonies était en réalité si étrange. »
Même Impossible n'est pas un aveu de capitulation. Elle résume peut-être au contraire la volonté de l'album. “Oh I guess I got the hang of the impossible.” chante t-elle. En l’écrivant, elle pensait au réchauffement climatique, à la manière dont il hante notre vie quotidienne, pour peu qu'on soit sensible de la mauvaise façon. « Je me sentais vraiment triste et effrayée par le changement climatique, chaque jour. Ce n'est pas que je crois que ce soit une bonne chose, de s'y accoutumer. D'une certain manière, c'est mal. C'est mal que je ne courre pas le monde pour ne pas tenter de changer les gouvernements. Mais je me suis endurcie à vivre avec cette idée de changement en me levant le matin pour faire mon café, ou simplement aller faire un tour autour de chez moi et pouvoir me sentir bien, même avec cette menace sur nos têtes. C'est ce que je pensais en écrivant cette chanson, je suppose. »
Il y a la même résolution que dans le geste de prendre la main de ce garçon dont elle était amoureuse. « Quand je l'ai écrite, j'étais dans une disposition d'esprit forte. Je me sentais plus sage. Je ne sais pas comment, mais je m'étais habituée, même si à certains moments il m'avait semblé impossible que je puisse y arriver. C'est une façon de vivre dans l'obscurité, comme de vivre avec l'éventualité que votre petit ami puisse mourir demain. Il y a toutes ces choses auxquelles il faut vous faire."
La vidéo pour Floodplain, une chanson issue de Loyalty (2014), s'attarde sur son visage, ce qu'on peut y lire exprimant des émotions voisine de la musique. Une retenue, oui, mais aussi une intensité troublante. Et celle-ci est à plein régime sur l'album éponyme. Sans titre, comme pour signifier un nouveau départ. Désormais dans la trentaine, Tamara Lindeman se sent lassée de certaines idées véhiculées par sa musique. Native de l'Ontario, au Canada, et habituée aux périples en voiture, elle a cette fois voyagé dans le monde entier pour défendre un album remarqué. Elle a gagné du respect sans trouver de repos.
Les voyages et les lieux explorés dans Loyalty étaient une chose. Elle veut désormais changer sa pratique de l’enregistrement, créer dans l'album studio à suivre des horizons nouveaux capables de redéfinir son avenir. Elle ressent une urgence. Décide de laisser un peu tomber sa politesse, comme en atteste le « fucking everything » dans le passage le plus énervé de Thirty (« trente ans ») cette chanson-témoin éclairant le chemin de l'album.
« Il y a ce paysage qui se dessine dans ma tête, et le souvenir de s'être trouvée quelque part. Quand je me mets à jouer de la guitare, et que des accords résonnent en moi, puis à chanter une mélodie, un souvenir me revient à l'esprit », explique t-elle pour le webzine Aquarium Drunkard. Dans l'amour et dans toutes les émotions de l'album réside un petit bout de l'histoire personnelle de Lindeman. You and I (On the Other Side Of The World), par exemple, qui décrit le contrat poétique unissant deux êtres libres, renvoie à l'Australie. Il ne reste presque rien de ces vers témoignant d'une tempête qu'elle y a observé. Ils ont été mis de côté au moment de choisir parmi tout ce qu'elle avait écrit. Ces vers de trop continuent pourtant de faire l'attrait de la chanson, telle qu'elle existe dans la tête de la chanteuse. Elle est capable, par sa capacité à se replonger dans ce souvenir précis, de ne nous en restituer les parties manquantes, son contexte.
“I tried to leave ya, I left only myself”... Kept It All To Myself est, comme Thirty, très dense et énergique. Dans l'emportement, il est facile de passer à côté de son talent pour la formule : « Untouch by doubt about my memory ». A travers l'histoire d'une relation égoïste, elle en est à moquer le plein contrôle qu'elle s'est promise, une fois passée derrière la caméra. Les chansons sont parfois ainsi, si bien écrites qu'elles ne renvoient pas seulement au sujet de leur narration, mais aussi à l'attitude de l'artiste vis-à-vis de son œuvre. Dans la vidéo pour Keep It All t Myself, Lindeman est placée face à un double passif d'elle-même, objet de cette vanité inhérente à vouloir produire un album « rock and roll » en ses termes, c'est à dire « qui n'a rien de vraiment rock and roll...»
Pourtant, l'album ne cède jamais à l'auto-critique. Il est plutôt l'occasion de reconstruire une liberté artistique, sans ses automatismes. « Je pense que j'ai tenté d'enregistrer l'album avec cette perspective de liberté que beaucoup de gens prennent pour argent comptant, mais que je ne m'étais jamais autorisée à ressentir. »
Power, au centre de l'album, en est la preuve éclatante. Elle démarre avec un peu de guitare, un shuffle entre caisse claire et hit-hat, et la voix si franche, même dans sa douceur, de la chanteuse. La prise de pouvoir de Lindeman sur sa musique, l'injonction qu'elle s'est donnée de « suivre son instinct », sans savoir ce dont il s'agissait, faute d'être trop cérébrale, s'y déploie à sa manière unique.
Si cette chanson se révèle le plus patiemment orchestrée, c'est pour soutenir un refrain où Lindeman ne veut plus s'arrêter de chanter. I Don't Know What to Say est aussi de cette sorte à exposer les émotions spécifiques dont la jeune chanteuse est maîtresse à chaque instant de ce disque. Une fois encore, les arrangements font en sorte de nous bouleverser.
Sur Loyalty, les conceptions de Daniel Romano, une rencontre décisive pour Lindeman, sont très présentes. Désormais, elle veut voir ce qui va se produire si elle devient la seule à décider. « C'était intéressant parce que je m'y suis prise naturellement. Certaines des mélodies, je les avais en tête dès l'écriture de la chanson. J'ai toujours pensé qu'il y aurait des cordes. Mais quand Mike [Smith, l'arrangeur] s'est penché sur mes idées, souvent il me disait : « Tu ne peux pas faire ça. Tu as ces notes qui se superposent les unes sur les autres ! » et «Est-ce que tu voulais plutôt ça ? » C'était intéressant car ce qui semblait si naturel pour moi, ma conception des mélodies et harmonies était en réalité si étrange. »
Même Impossible n'est pas un aveu de capitulation. Elle résume peut-être au contraire la volonté de l'album. “Oh I guess I got the hang of the impossible.” chante t-elle. En l’écrivant, elle pensait au réchauffement climatique, à la manière dont il hante notre vie quotidienne, pour peu qu'on soit sensible de la mauvaise façon. « Je me sentais vraiment triste et effrayée par le changement climatique, chaque jour. Ce n'est pas que je crois que ce soit une bonne chose, de s'y accoutumer. D'une certain manière, c'est mal. C'est mal que je ne courre pas le monde pour ne pas tenter de changer les gouvernements. Mais je me suis endurcie à vivre avec cette idée de changement en me levant le matin pour faire mon café, ou simplement aller faire un tour autour de chez moi et pouvoir me sentir bien, même avec cette menace sur nos têtes. C'est ce que je pensais en écrivant cette chanson, je suppose. »
Il y a la même résolution que dans le geste de prendre la main de ce garçon dont elle était amoureuse. « Quand je l'ai écrite, j'étais dans une disposition d'esprit forte. Je me sentais plus sage. Je ne sais pas comment, mais je m'étais habituée, même si à certains moments il m'avait semblé impossible que je puisse y arriver. C'est une façon de vivre dans l'obscurité, comme de vivre avec l'éventualité que votre petit ami puisse mourir demain. Il y a toutes ces choses auxquelles il faut vous faire."
Cette chronique est une partie d'un article dans le magazine Islation, à paraître hiver 2018.
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