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lundi 29 avril 2013

VILLAGERS - Un article à propos de {Awayland} (avec Interview)

L’irlandais Conor J O’Brien s’assoit à son bureau avec une feuille papier blanc et une petite collection de chansons à demi écrites. Qu’est ce qui va lui passer par la tête, à partir de cet instant et jusqu’à ce qu’il ait terminé les onze chansons qui constituent le deuxième album de Villagers ? Cette question est restée en suspens pendant de longs mois en 2012, ne trouvant sa résolution que lorsque la musique a pris sa vraie dimension, jouée en groupe. Une fois sorti, l’album s’est hissé à la première place des charts en Irlande, et à la seizième en Angleterre.
Le processus d’écriture si singulier de O’Brien peut fasciner : avec sa façon d’interroger les instants et de se retrouver, au sortir d’une chanson, après avoir choisi les mots étrangement adaptés et la manière la plus percutante de les chanter, en zone dangereuse ; des personnages aux volontés propres ont surgi, des causes sont défendues, un monde elliptique est né, avec sa géographie particulière. 
Toutes ses influences auraient pu en dire autant, mais Conor O’Brien, évasif et souvent comme à peine sorti d’un rêve mouvementé, est particulièrement convaincant lorsqu’il remarque que ses chansons sont autant une surprise pour lui que pour les autres.
Histoire Humaniste
{Awayland} repose sur des chansons qui révèlent peu à peu leur franchise et leur désir de faire passer des messages. C’est une suite d’histoires, dont les meilleures sont des mises en abîme : Earthly Pleasures, Nothing Arrived, Passing a Message, qui vivent leur propre vie à travers les personnages qui les incarnent, semble les remuer de l’intérieur. Ils exacerbent leurs envies, donnant corps aux moments d’intimité que Conor O’Brien a passés à écrire, du temps qu’il avait cru perdu. C’est un jaillissement, qui démarre d’une seule voix, avec quelques harmonies, pour devenir de vastes et luxuriants voyages sonores. Ces sonorités nouvelles sont comme l’irruption d’éléments fantastiques dans une histoire dont on savait qu’elle nous réserverait déraillements. « Dans Earthly Pleasures, il y a cette figure d’ancienne divinité. Mais c’est un voyage intérieur : l’action se déroule dans la pièce que décrit la première ligne : 'Naked on the toilet and with a toothbrush in his mouth'. Tout le reste se passe dans la tête du personnage alors qu’il perd l’esprit, et il est affamé et frustré, il voyage dans le temps et se confronte à cette divinité, ce qui lui donne une épiphanie quant à sa place dans le monde, et le fait qu’il ne devrait pas placer ses espoirs dans autre chose que dans ses similarités avec les autres créatures de la terre. C’est une histoire humaniste. » Earthly Pleasures donne le ton pour le reste de l’album. O’Brien s’y glisse finalement avec le refrain : « Earthly pleasures, ring out/From the caverns of my soul. »
Plus loin, O’Brien a écrit à la première personne, s’est mis dans la peau d’une femme s’interrogeant compulsivement sur le sens que peut prendre son passé lointain, génétique, son ADN, dans son avenir proche. « I was carving my name/on a giant Sequoia Tree » donne l’impression d’un rituel, d’un geste primal, d’un besoin d’identité gravé dans le plus puissant, le plus ancien des arbres de la grande forêt. Puis nous sommes dans un hôtel, l’attention rivée sur un téléviseur. Passing a Message fascine, précipite l’auditeur, suggère aussi les longs voyages en avion, les premières tournées, alors que Villagers était projet plus solitaire. La chanson relie cette époque avec la nouvelle expérience du groupe survolant des continents entiers. On peut imaginer O’Brien en train d’observer l’histoire humaine à travers un hublot. Mais il suggère aussi dans son immensité la nature végétale et animale qui s’étend en bas, il est respectueux du temps qu’il a fallu à la vie pour se développer. « Il s’agit surtout de cette confrontation avec le paysage et la façon dont l’individu gère son rapport à la société et s’adapte aux contradictions. Il est souvent question de tenter de garder la vue la plus large possible. » Puis il accélère de nouveau, haletant bientôt, pour aller au rythme des villes, des concerts, pour répondre au désir de fuite de cinq musiciens désirant profiter intensément de leurs instruments.
Il a fallu un an à Conor O’Brien pour peaufiner les chansons d’{Awayland}. Mais malgré les ellipses, l’urgence est là, captivante, telle qu’on l’attendait pour celui dont l’ancien groupe, récoltant quelques succès déjà, s’appelait The Immediate. Elle est rendue idéalement impénétrable, filtrée à travers des personnages retranchés, dont on ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants. L’album est en suspens, sa vie liée au tempérament type du personnage des chansons : introverti mais prêt à exploser de frustration, à refaire le monde à partir d’une fragilité passagère, voire d’une innocence originelle. Et ce vide n’est pas perçu comme un échec mais comme le moment critique où la fragilité atteint un point de non-retour qui nécessite un épanouissement soudain, une jubilation des sens, une poussée de sentiment le ‘plus large possible’, emboitée dans les vastes paysages et les pays survolés ; de la déception à l’espoir, la conviction timide trouvant son écho dans la certitude impérieuse des éléments naturels.
Baby Faced
Les personnages des chansons de Conor O’Brien sont influencés par des forces étroitement liées à leurs origines, voire des principes instaurés à leur place avant leur naissance. Le second degré, l’humour est absent de la vie de ces personnages pétris d’angoisse et de nécessité. Ce n’est pas le cas de O’Brien, qui lui aussi s’est laissé dicter une certaine conduite des sens par un livre écrit à une date antérieure à sa naissance. Quarante ans ce sont écoulés entre l’écriture de Abattoir 5 ou la Croisade des Enfants par le satiriste New-Yorkais Kurt Vonnegut, quand il dynamitait les tiraillements et le dépit des années 1970 aux Etats Unis, et le jour où O’Brien laisse le livre influencer fortement son regard sur le monde. A chaque fois qu’une personne s’inspire de cette histoire surréaliste, c’est comme si se produisait un accouchement introspectif, avec la promesse d’une courte vie sous le signe de la tragi-comédie, de l’humour noir. Et le bébé qui résulte de cet accouchement devient autre chose, lorsque le livre de Vonnegut cesse de faire son effet sur celui qui s’en empare. La littérature de Vonnegut est comme une musique en autharcie, et, pour prouver sa sensibilité en la matière, lui-même déclara un jour que l'existence de Dieu était prouvée par la musique.
Dieu semble hors d'atteinte de ses personnages. Avec Billy Pilgrim, soldat désorienté et fataliste de la deuxième guerre mondiale, sauvé par le feu qui ravage Dresden parce qu’il a été enfermé dans un abattoir hors d’usage par les Allemands, Vonnegut crée semble-t-il l’un des personnages de science-fiction les plus étrangement inspirants de la littérature du 20ème siècle. C’est son style qui marque le plus les esprits, celui de O’Brien parmi d’autres. « Je crois que les chansons devenaient un peu lourdes à porter, et j’ai voulu utiliser sa façon d’utiliser des éléments de comédie – j’étais inspiré par la façon dont il utilise des moments tragi-comiques pour élever les choses hors de leur momentum tragique et les transformer en moments hilarants. Même si le texte est lourd de sens, il s’en moque presque en même temps, il est très doué pour ça. Ce personnage, Billy Pilgrim, qui est dans l’Abattoir 5, est complètement innocent dans la guerre, et je suis presque mis à m’identifier à ce personnage pour celui de l’album. Puis j’ai commencé à avoir l’idée d’écrire l’album comme s’il dérivait de la perspective de l’être le plus innocent possible, une sorte de nouveau-né, de bébé. » C’est un bébé dont la situation émotionnelle serait assimilable à celle d’une grande personne, et qui aurait lu Sartre.
Le chanteur de Villagers veut courir sur le fil qui va de l’innocence, de la fragilité, à la révélation à soi-même. Nous ne sommes plus les mêmes à vingt-cinq ans qu’à dix-sept, et si quatre ans s’écoulent encore, les réalités appellent toujours davantage de métaphores, de vigilance, de lucidité, d’indignation. L’usure de l’âge n'a pas d'emprise sur des personnages qui se superposent dans un flou exaltant, à la propre personnalité de O’Brien. N’a pas d’emprise sur lui non plus. En effet, le trait physique qui pèse le plus dans les descriptions de Conor O’Brien, c’est son visage, ‘baby faced’. A le voir, Conor pourrait avoir dix-huit ans plutôt que trente. Et il avoue utiliser, comme Dylan parfois, une guitare électro-acoustique 'de salon' [parlor size] parce qu’une guitare de plus grande taille le fait ressembler, sur scène, à un gamin de douze ans.
 « Quand j’écris j’ai un livre avec de paroles de Bob Dylan au coin de mon bureau. Ses chansons depuis 1964 jusqu’en 2000. J’y trouve certainement une inspiration, car son lyrisme est très inspirant." Bob Dylan a deux fois et demi l’âge de O’Brien, il semble avoir tout créé en termes de chansons, a beaucoup écrit sur lui-même, finalement. « Je pense que lorsque vous créez des personnages dans des chansons, commente O’Brien lorsqu’on l’interroge sur la propension de Dylan à le faire, vous leur insufflez inévitablement des aspects de votre propre personnalité, mais en utilisant une mise en scène pour en transformer les sentiments et les émotions. »

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