Parution : 22 juin 2000, réédité 2010
Label : Interscope
Producteur : Chris Goss, Josh Homme
Genre : Rock
A écouter : The Lost Art of Keeping a Secret, In The Fade, Better Living Through Chemistry
Note : 8.50/10
Qualités : fun, intense, psychédélique, groovy, hypnotique
Rated R a été qualifié de disque de « stoner rock », rock de drogués, à sa sortie en 2000, en partie à cause de Feel Good Hit of The Summer, dont les paroles sont sans équivoque : Nicotine, Valium, Vicodin, marijuana, ecstasy, and alcohol… c-c-c-c-c-cocaine ». Répété encore et encore. C’est le premier morceau du disque, une sorte de cri de ralliement. Mais l’autre raison, plus importante, est due aux origines du groupe, à leur penchant pour l’utilisation de riffs lancinants qui semblent vous tirer vers le bas comme un cercle vicieux de substances. Queens of the Stone Age auraient un sens presque obsessionnel de la ligne de guitare assomante et seraient enclins à explorer des états de conscience qui frisent l’épylepsie. Rated R est pourtant plus superficiel que ça, qu’on se rassure ; s’il est diablement séducteur, c’est parce qu’il s’agit d’une musique qui ne cherche pas à incarner un quelconque style, ni à illustrer un putain de mode de pensée. Alors, s’il y a bien un sens étudié de la répétition et de la précision sur Rated R, c’est en fond de plan ; les idées musicales sont portées à nu par la folie du bassiste-vocaliste Nick Oliveri et par le chant de crooner-capable-de-falsettos de Josh Homme. Les détours sont multiples ; In The Fade, par exemple, sur lequel Mark Lanegan envoûte. Pas étonnant que Homme ait toujours rejeté le terme de « stoner », à écouter ce disque iconoclaste et séducteur.
On ne s’ennuie pas une seconde, entre tubes délirants – The Lost Art of Keeping a Secret, Monsters in the Parasol – et morceaux de bravoure seulement à moitié faints – Quick and the Pointless, Tension Head. Il y a de la violence en la personne de Nick Oliveri sur cet album, mais aussi une nostalgie, une humanité qui fait de Rated R un disque équilibré et intelligent. Et un sens progressif et pop qui était absent de tout ce qu’avait fait Homme jusque là : Better Living Throught Chemistry ou Auto Pilot permettent au groupe d’élargir leur marge de manœuvre. C’est un disque inhabituel dans ses sonorités, qui pourtant a tout d’un grand classique ; aucune faiblesse et une équipe de musiciens visiblement très soudés, un belle somme d’amitié – vivre à l’orée du désert Califoirnien crée sûrement des liens. L’édition 2010 apporte encore plus de profondeur à l’ensemble, avec des inédits (Ode to Clarissa, une reprise des Kinks, Who'll Be the Next in Line…) et des titres live capturés au Reading Festival en 2000 qui permettent d’écouter certains des meilleurs titres issus des deux premiers albums du groupe, notamment Avon et If Only – débarrassés de leur production.
- Rated R réedité pour son 10 ème anniversaire, 2010
On ne peut pas parler de Queens of the Stone Age sans saluer le travail de Kyuss, son ancêtre en ligne directe qui fut l'auteur d'un disque branque intitulé Blues for the Red Sun (1992) par lequel il accéda à un statut de groupe culte, et sans doute aussi le travail de Chris Goss, le producteur et musicien derrière tous les albums des Queens et pas mal d'autres plutôt intenses.
Goss est entre parenthèses le leader d'un groupe appelé Masters of RealityPine/Cross Dover est sorti en 2009. Véritable précurseur lorsqu'il fonda son propre groupe en 1988, Goss est critique lorsqu'il regarde le chemin parcouru par ses poulains. Il faut reconnaître que ces derniers temps, il manque aux disques de QOTSA l'effervescence qui caractérisait Rated R et Songs For the Deaf (2002), deux énormes claques qui dispensaient un mélange de sexe, d'insanité, de mexicanité et de série B avec la malignité des plus grands. dont le dernier disque,
Le disque éponyme paru en 1998 reprennait une formule déjà chauffée à blanc par Kyuss et d'autres, sans cesse portée à ébullition par les jams de dératés qui servaient de méthodes de composition à Homme et à son groupe, emportés dans un tourbillon de folie dont tous ne sortiront pas indemnes. Aujourd'hui, après un disque moyen, Era Vulgaris (2007), Homme laisse planer un sentiment de tyrannie sur les Queens of the Stone Age. Plus que jamais, le groupe, c'est lui ; seul Nick Oliveri, encore présent sur Rated R, était de taille à lutter, mais des problèmes de violences l'on écarté du groupe. L'âme de Rated R, ce qui lui donne le cachet de disque ultime d'une scène nécessairement marginale, malgré tout le succès commercial que les Queens peuvent avoir, c'est le mélange, l'alchimie.
Littéralement, « a chest-beating energy, a confusing head trip, or a dissipating sadness » (Pitchfork) - Josh Homme préfère y évoquer des sentiments plutôt que des idées - ; musicalement, la rencontre de deux voix , celle de Homme et de Oliveri, et de quelques idées à tiroir trouvées à taper le boeuf avec plus de sérieux qu'on ne pourrait l'entendre. L'ambition de Rated R, à toutes les étapes, est palpable.
Les deux personnalités à l'oeuvre, Homme et Oliveri, sont en concurrence, et du coup non seulement le disque comporte son lot de titres énormes – Tension Head chanté par Oliveri... - mais l'ensemble est sinon cohérent, sinon régulier, d'une qualité constante – à l'an 2000 le rock prépare encore bien des chefs-d’œuvre… Côté ryhtmique, plusieurs batteurs se relaient aux fûts, avant que Dave Ghrol ne déboule pour le disque suivant. Mark Lanegan, l'épouvantail des Screaming Trees, fait une apparition... Chris Goss a produit pour lui Bubblegum (2004).
Les Queens réussissent à faire de la musique d'initiés pour les masses, par un dosage habile de hard-rock et de références au courant musical amené par Goss. On se sent rapidement euphorique, même si l'objectif avoué est carrément de menacer la santé mentale de l'auditeur comme des musiciens eux mêmes. Comment des challenges brumeux se transforment en réussite totale, c'est la force de Rated R qui à certains moments est vraiment pathos, (Quick and the Pointless...) à la fois consternant et jouissif (Monsters in the Parasol). Ils semblent se jeter sur tout un tas d'opportunités à la fois, rechercher les révélations.
Côté pochette, Feel Good Hit Of The Summer annonce : (AS) Adult Situations ; (C) Consumption ; (S) Illégal Substances ; pour Better Living Through Chemistry, c’est (V) Violence, (SE) Subversive Elements, (D) Disbelief, (R) Revenge. I Think I Lost My Headache provoque, à en croire un baratin inérent au discours volontairement abêtissant – et paradoxalement révélateur - des Queens of the Stone Age, des Paranoid Delusions ou une Blind Faith, foi aveugle. Les autres pièces sont à l’avenant. Bref, pour en revenir au début ou presque, on se sent en écoutant cette musique plus tolérant, indulgent et ouvert que tous les moites adorateurs de musiques hard dans les années 80 qui n’ont rien vu venir : cette vile transformation des mœurs, cette malsaine perversion d’Hollywood qui nous a conduit à David Lynch, à Johnny Depp et aux Queens of the Stone Age.
On dirait parfois que le groupe cherche à se saborder mais en réalité il grossit, ne cesse de déployer son arsenal sonore rugueux avec un groove monstrueux. Auto Pilot est le titre le moins inquiétant, quoique soit annoncé (A) Alcohol et (SD) Sleep Depravation. Après qu’une sirène de police de L.A. ait retentie, le morceau démarre dans un mid-tempo irrésistible. Un bon contrecoup aux tornades que sont Quick and the Pointless ou Tension Head – auquel se succède le doux Lightning Song. Leg of Lamb, Better Living… ou I Think i Lost my Headache jouent dans un registre moins violent mais peut être plus obsessionnel.