“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

mardi 5 décembre 2017

GRAYSON CAPPS - Scarlett Roses (2017)




  OO
efficace, sensible, rugueux
songwriter, americana


Après Hiss Golden Messenger, c'est au tour de Grayson Capps d'utiliser ce symbole de la rose. La rose que l'on peut brandir et celle que l'on peut admirer. Comme le symbole d'un renouveau, de ce que l'on peut se consacrer à chérir dans un pays ressemblant à un jardin terrassé et sans plus de poésie.

Grayson Capps et son groupe, Willy Sugarcaps, sont importants pour le sens de communion musicale qu'ils perpétuent à travers leur pratique de l'americana. On la ressentira par exemple sur l'album d'un canadien expatrié à leur rencontre, Scott Nolan, Silverhill (2016). Du nom de cette ville de l'Alabama ayant scellé le destin du groupe. Sur Scarlett Roses, seul Corky Hugues apporte sa présence, profil bas mais décisive, à l'album. Il y ajoute une dimension.

C'est révélateur de l'intelligence du jeu des deux musiciens que la personnalité de Hugues soit si bien intégrée, faisant de ces chansons des monolithes, déjà éprouvées en concert et ici dans leurs versions définitives. L'un donne la voie aux solos de l'autre, leurs guitares se relèvent sans que l'on sache très bien qui est qui. Ils se complètent à merveille.

Grayson Capps a beau porter la Louisiane en lui, il joue la décontraction jazzy (You Can't Turn Around), mêle le grand ouest à ses pérégrinations. « J'ai été dans des groupes depuis la fin des années 80. J'ai signé avec beaucoup de labels. J'ai parcouru énormément de kilomètres. Les expériences que j'ai accumulées ont été durement gagnées, et je me sens bien rodé, prêt pour ce qui doit advenir, plus que jamais», commente t-il en 2015. Un film avec Scarlett Johansson et John Travolta porte le nom d'une de ses chansons, A Love Song For Bobby Long. Le décor ? La Nouvelle-Orléans, bien sûr.

Ses chansons d'affirmation philosophique et émotionnelle gagnent en souffle dans ce brassage naturel de styles traditionnels. Si naturel que la manœuvre pourrait sembler facile, comme s'il était aisé de choisir un temps, un lieu pour capter la quintessence d'une écriture. L'important, il nous le rappelle, est de créer des conditions idéales afin que ses chansons puissent prétendre à cette limpidité hypnotique. Il a le bon goût de s'abandonner juste assez à la musique pour la faire prendre profondeur, lui donner un air de ce temps et de toujours. Sa précieuse humilité nous marque longtemps après la fin du disque.

Deux instants de grâce dominent l’album : Capps y joue la carte de la gratitude, puis de la rédemption, mais « pas dans un sens chrétien ». Sur New Again, il espère « laver [seul] ses péchés » pour provoquer le retour de son amour. « There’s the world of mysticism/i’am in the world of criticism for you » tente t-il pour prouver son sens des responsabilités. Capps refuse de rendre les chansons inutilement compliquées, il se contente ici d’un peu d’harmonica par dessus les guitares. Thankful est d’un style plus texan. « Ain’t you thankful for the moonshine/that takes away the pain » chante Capps dans une démonstration de « bon temps rouler ». 


s. Le swamp-rock halluciné de Taos transforme une virée en voiture en rencontre avec le diable au croisement. Par ailleurs,les sensations ne s'entrechoquent pas sur cet album avenant, mais cette chanson dramatique, coiffe l'album d'une belle aura de spontanéité, tandis que sa narration rutilante provoque des retombées sur tout le reste de l'album, l'ancre profondément dans la culture sudiste. L'aplomb est grand.

WATERMELON SLIM - Golden Boy (2017)




OO
communicatif, élégant, original
blues


Watermelon Slim a enregistré cet album comme une lettre d’amour au Canada. Invité en 2003 à jouer à Toronto, ce pays lui a beaucoup donné, dans la dernière partie de sa carrière. Lui aussi, comme Smoky Tiger, joue d’une ouverture sur le monde manifeste, comme un sport de combat. Si on y combine son feeling de vétéran de la guitare slide, et sa voix de basse dont il explore toutes les possibilités, évoquant un peu Captain Beefheart dans certaines intonations, c’est une vraie magie.

On débute avec le très rock n’ roll Pick Up My Guidon, et on finit par côtoyer les esprits en entonnant des chants rituels... Scott Nolan, figure de la scène folk de Winnipeg, a apporté une tranche de tendresse, Cabbagetown, et plein de bonnes vibrations à l’album. «Musiciens et vocalistes ( je n’en connaissais que quelques uns auparavant) m’ont fait participer à une expérience nouvelle pour moi de communauté musicale en studio. » témoigne Slim dans les notes de l’album.

Ce sentiment communautaire est aussi nourri par la participation de représentants de peuples natifs canadiens. La production est riche en tours de passe-passe, l’originalité étant cette décision de mettre en avant la voix, le révélant un personnage medium capable de canaliser la danse des nuits et des jours, le passé et le présent avec une sensibilité pour le travailleur, l’explorateur, le militant de la liberté des peuples. L’inventivité des arrangements ne fait pas oublier qu’ils sont au service d’un grand partage. Watermelon Slim apparaît, dans les photos accompagnant le disque, comme un parleur de rue, toujours micro en main. Une personnalité atypique, refusant de s’incliner dans le sillage des héros. Les mots puissants, les histoires vécues peuvent donner le change, et aussi Barrett’s Privateers, le chant viril Irlandais maintes fois repris depuis qu’il fut enregistré par Stan Rogers, entre autres par Smoky Tiger. Dark Genius, qui évoque les ombres totémiques de dirigeants politiques, culmine sur cette phrase : « He was a dark, dark genius/And i’ll probably just end like him some day ». Pas de fausse modestie, mais une majesté méritée pour un homme prenant le parti de la générosité et de la sincérité totale dans tous les aspects de cet album.

dimanche 26 novembre 2017

NATASHA AGRAMA - The Heart of Infinite Change (2017)




O
élégant, frais, soigné
Jazz, fusion


Parmi les moments de magie musicale sur The Heart of Infinite Change figurent l'apparition de Austin Peralta, dont ce fut les dernières sessions. Son âme seventies, sa révérence pour le piano Rhodes mâtine l'album, d'entrée, d'un halo saint. Il est retrouvé à l'âge de 22 ans, ayant succombé d'une pneumonie aggravée par l'alcool et les drogues. Les vétérans George Duke (Piano, claviers) et Stanley Clarke (le beau-père d'Agrama) à la basse rejoignent l'album dans un ballet suggérant le déroulé d'un concert, mieux, d'une célébration. Une certaine histoire de Los Angeles, à travers des lieux de passion qui ont servi de cadre pour l'album. A qui le confier, sinon à Gerry Brown, connu pour son travail avec Prince, Marvin Gaye, Wayne Shorter, Earth Wind & Fire...

Le lien entre Natasha Agrama et Austin Peralta, c'est Thundercat. Sa basse ondoie dans les deux premiers morceaux de l'album, donnant aux dehors plus frêles de la composition de Joe Henderson, Black Narcissus, un côté rutilant sur lequel a voix de Natasha Agrama vient apporter son contrepoint léger et virevoltant. C'est l'exercice de ce premier album étonnant et scotchant : convoquer certains des favoris du jazz du XXème siècle, Mingus, Ellington, ou l'incomparable saxophoniste Joe Henderson, et compléter leur musique par du chant. Parfois simple plaisir de lyrisme, le chant peut aussi évoquer les souvenirs de ces artistes hors normes et dessiner un certain sentiment du jazz. Raffiné, singulier, parfois ostracisé, et triomphant, finalement, du fait de son élégance.

Il y a aussi à fêter les 100 du premier morceau de jazz enregistré. L'humilité, la dévotion de cette musique spirituelle et connectée à la soul music et certaines choses des plus contemporaines. Agrama ne choisit pas entre le monde d'hier et celui d'aujourd'hui. Elle projette de son mieux une personnalité soulful, même si c'est pour son don du phrasé, les acrobaties de sa voix qu'on la trouve réellement vibrante.

Belle histoire que celle qui l'a conduite à cet album. Alors qu'elle se destinait aux arts visuels, elle se mit à écrire sans en informer personne, et développa son sentiment musical lors d'une expérience à Paris, avant de retrouver les États-Unis transformée par sa nouvelle vocation. Encore intimidée par les génies du jazz, elle a rejoint à Los Angeles les derniers tenants du titre, participant aux chœurs sur The Epic de Kamashi Washington, et le conviant à ses côtés pour sa propre musique. C'est de cette affirmation musicale qu'il est question dans l'album. Briser l'armure pour s'apprêter à donner et recevoir à travers la musique. Les musiciens l'entourant semblent presque trop bienveillants avec elle dans leur perfection.

Un autre participation très en phase avec l'univers de Natasha Agrama, c'est celle de Bilal, l'expérimentateur lyrique qui mêle les styles sur des albums à fleur de peau. All Matter, tiré de son album Air Tight's Revenge, met en valeur la délicatesse du texte qui explore le sentiment amoureux. Son propre arrangement était résolument soul et moderne, ici, on revient à un contexte plus dépouillé mais qui continue de nous récompenser après plusieurs écoutes, son texte sensuel dans la continuité d'autres choix de l'album, et du questionnement émotionnel d'Agrama.




DO MAKE SAY THINK - Persistent Stubborn Illusions (2017)




OO
heureux, onirique, puissant
Post rock, instrumental


Après avoir provoqué plutôt notre intellect, un certain thème traverse Stubborn Persistent Illusions, pour revenir à la fin de Return, Return Again et nous émouvoir. C'est à ce moment qu'on sait qu'il s'agit d'un vrai album instrumental, un de ceux qui savent nous égarer un peu pour mieux nous éblouir au bout du compte. Dans ces dernières secondes, on suspecte un orchestre, c'est à dire quelques effectifs supplémentaires par rapport à la formation habituelle de huit musiciens. Do Make Say Think est un collectif instrumental formé en 1995, et c'est seulement leur quatrième album. Voilà un premier indice qui indique à quel renouvellement, à quelle évolution ils se vouent entre chacun de leurs disques, et combien il reste dans Stubborn Persistent Illusions les seuls mouvements nécessaires, tandis que tout prolongation superflue a été gommée. Il en ressort que cet album d'une heure est articulé, et centré sur ses dynamiques chatoyantes comme un reflet dans l'eau pure. La production est d'une netteté étincelante.

Ce n'est pas ce qu'on remarque en premier, mais c'est la qualité de l'album qui perdure le mieux : son optimisme. Dans une ère où même Björk fait du post-Björk, de l'enchantement et de la connexion-entre-les-âmes en veux-tu en voilà, Stubborn Persistent Illusions vous invite à son tour à fermer les yeux pour ressentir l'utopie sereine. Il expose de mieux en mieux sa luminosité.

La détermination avec laquelle il avance peut être source d’appréhension au départ. Mais en quelques minutes, on saisit les immenses dynamiques se mouvant sous le jeu frénétique des musiciens. Et bientôt on ressent la portée que couvre le groupe, en termes de structures et d’amplitude sonore. Le son de votre artiste favori est souvent compressé à l'extrême pour être écouté sur votre portable. Ici, la comparaison avec le jazz, mais aussi la musique classique, est pertinente, vu que tout l'album est construit en quatre dimensions, où chaque composition en relaie une autre, en est l'expansion, à l'image du lien unissant les explosives Bound et And Boundless. Cette dimension supplémentaire signifie aussi que le groupe semble définir la musique pendant qu'il la joue. Et ainsi, quand des motifs émergent, des figures mélodiques se répètent, c'est merveilleusement gratifiant, parce qu'on croit en faire la découverte au fond de soi, à l'insu des musiciens eux-mêmes.

Il n'y a pas de main-mise, mais une forme de balance, d'équilibre fascinant pour l'oreille. C'est une musique qui en appelle à notre intelligence émotionnelle, prononce un remerciement absolu, exalte une joie nous étant aussi adressée, nous qui avons le mérite d'être présents, sensibles ou non. À la fin, c'est nous qui décidons ce que nous faisons de l'album.

C'est la légèreté d'un ensemble pourtant complexe, que l'on pourrait qualifier, à l'entendre, de meilleur que l'air. Un avis de tempête se déclare avec War on Torpor. Au cœur des plaines glacées, une histoire mêlant l'homme et la nature va nous être contée. Il y a dans le cœur des Canadiens la présence de la nature, et cela résulte d'un travail plus raffiné, plus sophistiqué, comme c'est le cas dans la précision des instruments conviés dans ce premier morceau en forme de grand réveil. Trois guitares carillonnent, formant des motifs qui s'entremêlent tandis que es autres instruments sont là pour introduire une sensation de liberté qui va s'étayer avec la suite. C'est une musique véloce, qui nous échappe tandis que l'on veut la définir. Elle est partout autour de nous, enlève le silence et l'immobilité mais sans écraser, sans ravager. Elle est soutenue, les cordes et les vents, et même la basse, se déployant vers le haut, dans un ciel ouaté.

Horripilation, c'est 10 minutes d'osmose et d'abandon. Sigur Rós nous avaient aussi bien subjugués avec seulement de la musique et leur acuité visuelle, nous intimant à inventer une dramaturgie sans personnages, nous imposant une force vitale globale indissociable de notre besoin de respirer. Le clavier en glockenspiel évoque une valse de petites fées, une musique russe, sur laquelle les violons et la saxophone baryton viennent ajouter leurs austères dynamiques, pour évoquer une épopée scandinave à la Peer Gynt. Les instruments vont et viennent à volonté, la batterie prenant soudain les devants pour donner une tournure plus rock au morceau. Des chants de baleine retranscrits à la six cordes se noient dans un nouveau tournoiement, avec une inventivité qui empêche de crier à la poésie surannée. Au fil du morceau, les instruments à vent se révèlent de plus en plus comme l'un des atouts majeurs du groupe. Ce vent, ils l'utilisent comme propos de leur musique, force expressive. Ils sont capables d'une décontraction introspective sur Her Eyes On The Horizon, indiquant le lieu le plus éloigné où le groupe s'est aventuré jusqu'à présent, sans perdre leur force d'évocation tétanisante.

Ils défissent une réalité en dehors des rapports humains, qui, mise en concurrence avec celle du music business, lui survivra, si les utopies devaient se concrétiser. En attendant, les décisions d'école empêchent beaucoup d'artistes d’atteindre une telle libération d'esprit.

mercredi 22 novembre 2017

MALCOLM HOLCOMBE - Pretty Little Troubles (2017)




OO

audacieux, rugueux, lucide
Blues, americana

Pretty Little Troubles mêle l'euphémisme et l'ironie, et le message nous cogne dès Crippled Point of View : Holcombe ne nous offre pas d'échappatoire que de contempler ses plaies. Ses maladies, ses combats, contre la société et la misanthropie, l'histoire objective d'un point de vue isolé. La cocasserie de Good Ole Days, avec le banjo d'époque du producteur Darrell Scott. Les 'bon vieux jours' sont ceux des travailleurs en Virginie, leur vie au rythme de la souffrance sociale. La seule raison de tout cet humour , c'est qu'ils sont désormais morts et enterrés et y trouvent plus d'honneur que jamais. La vivacité du morceau injecte une vraie nostalgie, comme si la grâce du souvenir transcendait la douleur des vies brisées par l'imposture. Bury England est dans la même veine, mais à ce stade de l'album, on s'est accoutumés à la proximité avec Holcombe, et à cette étroite famille de trimards au sein de laquelle il nous convie.

Malcolm Holcombe a joué dans certaines villes de Caroline du nord depuis quarante ans. A Boone, il salue le « Windmill », conçu dans les années 70 pour apporter l'électricité, et qui n'a jamais fonctionné. Le mot évoque le travail des champs plutôt que la technologie des énergies renouvelables, pourtant la traduction française est l'éolienne. Empreinte d'une ruralité qui grince, gronde, rutile. Authentique et proche de sa terre, Holcombe l'est sans forcer. Il est en toute humilité un symbole, bien au-delà de cette partie du Sud américain. 


Solitaire de tempérament, il a depuis des années brisé sa carapace, enregistrant des albums collaboratifs en compagnie de musiciens extraordinaires. Tony Joe White venait saluer sur Another Black Hole (2016), et la pléthore d'instruments à cordes joués par cet amoncellement de talents n'occulte jamais le jeu singulier de Holcombe, qui éreinte son instrument avec une sollicitude magique. C'est l'impression que donne, en tout cas, le mélange de précision et de rudesse de son jeu tendu. Rien d'un esthète à première vue, dans cette voix éraillée, et pourtant chaque mot est une teinte de sa palette de noirs, étalée au couteau. La chanson titre, par exemple montre une densité et une profondeur des mots frappante comme un coup de poing.

Il s'inscrit dans la lignée du texan Guy Clark, dont le collaborateur Verlon Thompson est de la partie. Parmi les bonnes surprises de cet album, la ballade Rocky Ground, illuminée de pedal steel et de la voix en backing de Thompson. Difficile de faire plus américain. « Watching you grow old and lonely/Hungry to be found » chante Holcombe, décrivant un état qui fut le sien avant d'être exhumé et de quitter l'alcool. We Struggle atteint le même niveau d'émotion, avec une économie de mots bouleversante. Damn Weeds, autre classique, poursuit dans cette véracité sur le vif. Les chansons ont d'ailleurs été écrites sur une période de deux semaines, d'où sans doute une certaine homogénéité thématique. Darrell Scott les pare d'une audace sincère, sans y réfléchir à deux fois. La cornemuse en est le gage. Le quatuor de cordes le pinacle.

samedi 11 novembre 2017

FLEET FOXES - Crack-Up (2017)



OOO
Lucide, audacieux, contemplatif
Folk-rock

Robin Pecknold se montre farouche, intérieur sur Crack-Up. Mais s'il paraît en retraite, c'est tout le contraire. Il a l'intime conviction que le moment de retrouver son public est venu. Les concerts pour défendre Crack Up sont les plus beaux de l'histoire des Fleet Foxes. Leur anachronisme, leur façade savante est gommée dans l'embrassement chaleureux de Pecknold, un homme qui ne ressemble à rien en une star du rock et qui, pourtant, y est pour beaucoup dans l'aura de son groupe, sa voix au bord du gouffre gageant du pouvoir de surimpression de la musique, sautant d'un continent à l'autre. En changeant d'échelle sans cesse, donnant aux circonvolutions la démarche d'un géant sensible capable de fouler les sociétés engoncées d'un continent à l'autre.

La profondeur et la distance sont des éléments fondateurs de leur musique. Ils n'ont jamais joué du folk isolé du reste du monde pour le plaisir d'être simplement différents, mais pour garder le bon recul et renvoyer un reflet le plus contrasté, cinglant, voire dangereux possible de la société occidentale en la mettant face à ses craintes. Il n'est pas question de s'échapper de cette société, puisque les Fleet Foxes n'en ont jamais fait partie. Cela fait brûler les étapes, pensez vous. Pas si sûr. Voilà peut-être la raison pour laquelle ils doivent patienter autant entre chaque disque. Pour ne pas se faire rattraper par l'esprit du temps, une chose sur-estimée basée sur des mots répétés de façon abrutissante pendant quelques années. Pour faire paraître Crack-Up, ils ont attendu que certains de ces mots superflus disparaissent. Leur vocabulaire, leur répertoire nécessitait de la place et Pecknold refusait d'assister à l'agonie de son talent, par manque de recul sur l'époque. Les nouveaux outils, les divertissements ont changé, les nouvelle façons de faire de l'argent ont dérivé, pure création humaine qui se croit à l'égal de la nature. Pecknold le fait remarquer : “Fire can’t doubt its heat/Water can’t doubt its power/You’re not a gift/You're not adrift/You’re not a flower” sur Cassius.-

Pecknold voudrait placer de son côté la constance, mais il est difficile de la connaître sans vivre dans un bonheur total et infini. Pour se sentir perdurer dans son élément, il peut s'attarder sur les images terribles et poétiques du monde humain en retirant l'intervention de l'homme de leur existence. Les fumées sur l'océan ou les feux du désert ne sont plus dus à des marées noires ou des rejets de pétrole. La même fumée pour masquer que la forêt n'a plus rien d'originel, et peut être la faire revivre sur la foi de ses cimes. La fumée c'est l'alliée dans l'illusion, pour brouiller ce que l'on sait de l'humain.

Les Fleet Foxes s'inscrivent dans une brume bienveillante, ils ne surjouent pas, par leur standards, et pourtant jouent davantage d'instruments que tout autre groupe de pop. Avec un réalisme un peu forcené, ils veulent rendre les visions exactes de qui se hisse sur les épaules de Darwin et se permet un rire inquiétant.

Les quatre éléments apparaissant sur la pochette. L'eau, l'océan, sont une nouvelle fois très présents. D'ailleurs les chansons contiennent des éléments de mise en scène, comme sur -Cassius, cette précision:[Under the Water] et [Above the Surface], pour décrire depuis quel lieu Pecknold les chante.

La vieille symbolique d'une nature vertueuse dont l'homme serait légataire est balayée, au profit d'images plus vivifiantes : le soleil, avec son lourd passif dans les chanson pop, est ici une boule enflammée, c'est la cruauté amusée de Bruegel l'ancien quand il dépeint la chute d'Icare.

Pas étonnant, dans ce monde où l'écume, le vent, ont un pouvoir létal, que Pecknold se montre aussi nécessiteux de stabilité, et parfois se montre perdant pied. Entre l'aube et le crépuscule qu'il nous décrit telles que la nature les perçoit, ils nous a conviés, une nouvelle fois, à tester l'émerveillement. Cette poésie culmine dans Third Of May/Odaigahara, avec ces paroles inscrites en capitales dans le livret de l'album : LIFE UNFOLDS IN POOLS OF GOLD/I AM ONLY OWED THIS SHAPE/IF I MAKE A LINE TO HOLD/TO BE HELD WITHIN ONE'S SHELF/IS DEATHLIKE ». Elle résume la pensée de l'album : la condition et le conditionnement. On peut vouloir une cohérence, sans pour autant se limiter à ce que l'on sait de nous.

Produire une musique naturelle, pour les Fleet Foxes, revient à chanter l'inconnu. Quelle meilleure manière que de l'inclure dans sa vie, que de le définir, en constante expansion, avec une musique à l'avenant ? Rappelons que Pecknold joue 18 différentes sortes de guitares, de synthétiseurs et percussions au cours de l'album, parfois plus de 2 ou 3 au cours du même morceau. Skyler Skelset, avec qui il a fondé le groupe, arrive deuxième. Les trois autres membres explorent d’autres pistes encore, instruments à vent notamment.

Pour être à la hauteur de la tâche, Pecknold les a toujours sentis trop jeunes. « Too young, too young » répète t-il sur Another Ocean, l'une des chansons les plus harmonieuses et totales de l'album, qui se dissout dans des notes de saxophone. Fool's Errand, lui succédant, offre un drôle de single à l'album, qui capitalise sur les sentiments jusqu'ici. Pecknold rassemble le passé et le présent. Réconcilier le passé pour les Fleet Foxes et leur habileté à jouer des focales, c'est s'y perdre, et c'est exactement ce que fait I Should See Memphis, d'une nostalgie à peine humaine.

Cela confirme que le chanteur, s'il les a intimés et les a éclatés, n'a pas fragilisé les Fleet Foxes, mais les a rendus plus pertinents que jamais avec Crack-Up. Ne plus entendre les Fleet Foxes, ne plus les commenter même, cela reviendrait à une inquiétante résignation.

dimanche 5 novembre 2017

SUSANNE SUNDFØR - Music for People in Trouble (2017)




OO
nocturne, sensible, pénétrant
Pop, folk 

Des artistes ont dit que certaines années qui ont mené à 2017 n'étaient « pas bonnes pour la musique folk ». Le folk n'est plus musique populaire depuis longtemps, il est devenu l'apanage de ceux qui souhaitent quitter la célébrité, ou ne jamais l'acquérir. En 2017, plus personne ne se plonge en soi pour y chercher un sens à l'existence. C'est que qu'affirmerait la norvégienne Susanne Sundfør, échappée d'une rêve de Léonard Cohen, par une provocation dont elle a le secret, pour intimer exactement l'inverse : l'urgence d'effectuer ce voyage en soi-même et de cesser d'agir par obéissance à une folie. Ten Love Songs, le précédent album de Sundfør, la voyait expérimenter avec des sons électroniques.

Elle signe avec Music for People in Trouble son désir de retraite de la vie publique – Ten Love Songs a fait d'elle une star en Norvège.

Le folk sied parfaitement à la partition gothique de Sundfør, une personne chez qui les présages funestes pour d'autres, les corbeaux par exemple, deviennent des mantras, des images pourvues d'assez de force pour s'élever. C'est ce qui se produit sur la première chanson de l'album, où la chanteuse se fait de toutes les dimensions pour s'ériger, avant de revenir à sa condition de poussière humaine. « I'm as empty as the earth/An insignificant birth/Stardust in a universe/That's all that I am worth ». Tout ce qui nous constitue est à la surface. Nous sommes des être de sensation, ou alors nous ne sommes rien. Ce sera ce un rapport conflictuel entre ce qu'on croit ancré dans son cœur, qui nous aide à vivre, et ce qui n'existe que de façon superficielle et qui nous fait vivre malgré nous. Sundfør change de perception constamment pour susciter notre réaction.

Les choses gagnent en intensité avec Reincarnation, où la compositrice lorgne habilement du côté de la ballade pop, cette fois, ses arpèges agencés comme un refuge. The Sound of War est une litanie longue et douloureuse, où l'artiste s'engage à révéler les blessures qu'a provoqué son passage dans le monde. Elle assied l'autorité dont elle fait preuve sur son œuvre. Trop imprévisible pour une chanteuse de pop, elle montre ce qui se produit lorsqu'une âme romantique est aussi dotée de talents de musicienne et de productrice afin d'offrir une vision totale.

Au deux tiers de la chanson, un Do dièse mineur apocalyptique s'émancipe dans un espace sidéral de Floydien. Sundfør nous surprend par une atmosphère composite, entre restitution de plages émotionnelles suspendues dans l'infini, et effort pour transmettre un message dans le présent, cela lié par la musique concrète. « We don't choose life, life does us » prononce une voix d'homme dans la chanson-titre, avant de déboucher sur un arpège de guitare solitaire, à laquelle vient gracieusement se joindre une flûte.

Le justesse de l'album dépend de la variété et des contrastes. En opposition aux ballades pop, la veine jazz est éclairée par la performance, au saxophone, d'André Roligheten sur Good Luck, Bad Luck.

« Don't trust the ones who love you/Cause if you live them back/they will always disapoint you/It's just a matter of fact." Une telle phrase, plutôt qu'inutilement défaitiste, se laisse entendre comme une provocation. Elle ne nous appelle pas à nous isoler, mais bien plus à renouer des relations sur de nouvelles bases plus solides, moins illusoires, plus spontanées. La même chose sur l'accrocheuse No One Believes in Love Anymore, dont le titre seul incite à la protestation. En creux, elle suggère que l'amour existe aussi au fond de nous, et pas seulement par commodité sexuelle, comme certains finiraient par le croire. Sundfør ne cesse de noue mettre face à nos images d'Epinal pour les briser. Elle ne cesse de s'interroger. What it is ? What it means ? Expose t-elle dans un moment galvaniseur à la fin de l'album. En romantique invétérée et désespérée, elle porte une accusation fatale contre ceux prétendant avoir sondé l'amour et drainé le monde de sa magie. « The almighty scientist/Says most of the universe is empty and gods don’t exist/Well maybe that’s where our love ends up/No holy grail, just an empty cup”.

Il y a le sens d'une patience, d'un temps si long qu'il amène Sundfør au bord de l'existence. Elle semble y rencontrer des poètes tels le britannique William Blake, qui se posa cette question. « What is the price of experience ? Do men buy it for a song ? » Sundfor est à sa place auprès du poète. Elle sait qu'il y a des prix à payer que l'on imagine pas, et que l'argent n'est parfois pas la solution.

Inspirée par Dolly Parton, Undercover est peut-être la chanson qui se bat avec le plus de sensualité contre le refroidissement des cœurs. La voix de Sundfør, brillante depuis le début, exprime une extase durement gagnée. Dans une éclaircie de country-pop, elle se détache d'une atmosphère plombée par la crainte, et place au premier plan l'envie d'indiscrétion, la témérité sentimentale. Il est présomptueux de faire croire que rien ne nous est caché. Là, elle manifeste l'envie de se cacher, juste un petit peu, puis de se montrer, comme par jeu érotique. Dans Bedtime Story elle évoque Marissa Nadler, plus que jamais. Elle a cette façon d'évoquer l'état du monde comme miroir d'un émoi profond. « All the birds are gone/ And all the oil’s been spilt/ And left us on this earth alone. » De Nadler, l'album conserve cette pedal steel porté à une langueur extrême, très éloignée de son utilisation dans la musique traditionnelle américaine. Elle sait donner, comme les meilleurs, un sens de familiarité et d'étrangeté à la fois, ne laissant que lentement deviner le monde étranger depuis lequel elle chante. L'un de ces univers qui peuvent brusquement figer votre existence, mais auquel Music for People in Trouble vous a préparé.

Et, toujours, dans chaque son patiemment fabriqué, souvent à partir d'instruments acoustiques, parfois non, il y a la recherche d'un objet concret auquel se raccrocher. C'est la différence avec le monde animal que Sundfør côtoie : eux n'ont pas besoin de constance, ni rien à quoi s'accrocher, ni la conscience de changements inéluctables. Surtout, ils n'ont pas peur de la solitude ni de l'ennui.

Le groupe américain The Mountain Goats ont sorti un très bon album sur ce la permanence des sentiments du gothique, d'hier à aujourd’hui. Leur esthétique, et comment il ont changé la musique, avec leurs émotions. Susanne Sundfør est de cette nature là. Une artiste à part, que l'on a envie, après un tel album, de défendre de l'oubli.

Enfin, la présence lointaine de John Grant, l'un des grands chanteurs pop masculins de ce continent, offre sa voix de bûcheron sensible dans un rôle où on l'imagine maquillé d'eye-liner et de fond de teint, sur les cinq minutes tétanisantes de Mountainers. Il n'est pas dans la nature de l'homme de faire le premier pas vers son avenir. Il préfère l'ignorer et c'est normal. Mountainers accueille l'inconnu, dans une onde presque chamanique. « Now I know, will never be what you need, no/What we are, what we want, it will never change/We will break through your walls, unstoppable /Wild wolves/Wild wolves/Wild wolves/Wild wolves » répéte t-elle dans cet instant de transcendance.

THE WEATHER STATION - S./T. (2017)




OOO
lucide, intimiste, soigné
Folk-rock

La vidéo pour Floodplain, une chanson issue de Loyalty (2014), s'attarde sur son visage, ce qu'on peut y lire exprimant des émotions voisine de la musique. Une retenue, oui, mais aussi une intensité troublante. Et celle-ci est à plein régime sur l'album éponyme. Sans titre, comme pour signifier un nouveau départ. Désormais dans la trentaine, Tamara Lindeman se sent lassée de certaines idées véhiculées par sa musique. Native de l'Ontario, au Canada, et habituée aux périples en voiture, elle a cette fois voyagé dans le monde entier pour défendre un album remarqué. Elle a gagné du respect sans trouver de repos.

Les voyages et les lieux explorés dans Loyalty étaient une chose. Elle veut désormais changer sa pratique de l’enregistrement, créer dans l'album studio à suivre des horizons nouveaux capables de redéfinir son avenir. Elle ressent une urgence. Décide de laisser un peu tomber sa politesse, comme en atteste le « fucking everything » dans le passage le plus énervé de Thirty (« trente ans ») cette chanson-témoin éclairant le chemin de l'album.

« Il y a ce paysage qui se dessine dans ma tête, et le souvenir de s'être trouvée quelque part. Quand je me mets à jouer de la guitare, et que des accords résonnent en moi, puis à chanter une mélodie, un souvenir me revient à l'esprit », explique t-elle pour le webzine Aquarium Drunkard. Dans l'amour et dans toutes les émotions de l'album réside un petit bout de l'histoire personnelle de Lindeman. You and I (On the Other Side Of The World), par exemple, qui décrit le contrat poétique unissant deux êtres libres, renvoie à l'Australie. Il ne reste presque rien de ces vers témoignant d'une tempête qu'elle y a observé. Ils ont été mis de côté au moment de choisir parmi tout ce qu'elle avait écrit. Ces vers de trop continuent pourtant de faire l'attrait de la chanson, telle qu'elle existe dans la tête de la chanteuse. Elle est capable, par sa capacité à se replonger dans ce souvenir précis, de ne nous en restituer les parties manquantes, son contexte.

“I tried to leave ya, I left only myself”... Kept It All To Myself est, comme Thirty, très dense et énergique. Dans l'emportement, il est facile de passer à côté de son talent pour la formule : « Untouch by doubt about my memory ». A travers l'histoire d'une relation égoïste, elle en est à moquer le plein contrôle qu'elle s'est promise, une fois passée derrière la caméra. Les chansons sont parfois ainsi, si bien écrites qu'elles ne renvoient pas seulement au sujet de leur narration, mais aussi à l'attitude de l'artiste vis-à-vis de son œuvre. Dans la vidéo pour Keep It All t Myself, Lindeman est placée face à un double passif d'elle-même, objet de cette vanité inhérente à vouloir produire un album « rock and roll » en ses termes, c'est à dire « qui n'a rien de vraiment rock and roll...»

Pourtant, l'album ne cède jamais à l'auto-critique. Il est plutôt l'occasion de reconstruire une liberté artistique, sans ses automatismes. « Je pense que j'ai tenté d'enregistrer l'album avec cette perspective de liberté que beaucoup de gens prennent pour argent comptant, mais que je ne m'étais jamais autorisée à ressentir. »

Power, au centre de l'album, en est la preuve éclatante. Elle démarre avec un peu de guitare, un shuffle entre caisse claire et hit-hat, et la voix si franche, même dans sa douceur, de la chanteuse. La prise de pouvoir de Lindeman sur sa musique, l'injonction qu'elle s'est donnée de « suivre son instinct », sans savoir ce dont il s'agissait, faute d'être trop cérébrale, s'y déploie à sa manière unique.

Si cette chanson se révèle le plus patiemment orchestrée, c'est pour soutenir un refrain où Lindeman ne veut plus s'arrêter de chanter. I Don't Know What to Say est aussi de cette sorte à exposer les émotions spécifiques dont la jeune chanteuse est maîtresse à chaque instant de ce disque. Une fois encore, les arrangements font en sorte de nous bouleverser.

Sur Loyalty, les conceptions de Daniel Romano, une rencontre décisive pour Lindeman, sont très présentes. Désormais, elle veut voir ce qui va se produire si elle devient la seule à décider. « C'était intéressant parce que je m'y suis prise naturellement. Certaines des mélodies, je les avais en tête dès l'écriture de la chanson. J'ai toujours pensé qu'il y aurait des cordes. Mais quand Mike [Smith, l'arrangeur] s'est penché sur mes idées, souvent il me disait : « Tu ne peux pas faire ça. Tu as ces notes qui se superposent les unes sur les autres ! » et «Est-ce que tu voulais plutôt ça ? » C'était intéressant car ce qui semblait si naturel pour moi, ma conception des mélodies et harmonies était en réalité si étrange. »

Même Impossible n'est pas un aveu de capitulation. Elle résume peut-être au contraire la volonté de l'album. “Oh I guess I got the hang of the impossible.” chante t-elle. En l’écrivant, elle pensait au réchauffement climatique, à la manière dont il hante notre vie quotidienne, pour peu qu'on soit sensible de la mauvaise façon. « Je me sentais vraiment triste et effrayée par le changement climatique, chaque jour. Ce n'est pas que je crois que ce soit une bonne chose, de s'y accoutumer. D'une certain manière, c'est mal. C'est mal que je ne courre pas le monde pour ne pas tenter de changer les gouvernements. Mais je me suis endurcie à vivre avec cette idée de changement en me levant le matin pour faire mon café, ou simplement aller faire un tour autour de chez moi et pouvoir me sentir bien, même avec cette menace sur nos têtes. C'est ce que je pensais en écrivant cette chanson, je suppose. »

Il y a la même résolution que dans le geste de prendre la main de ce garçon dont elle était amoureuse. « Quand je l'ai écrite, j'étais dans une disposition d'esprit forte. Je me sentais plus sage. Je ne sais pas comment, mais je m'étais habituée, même si à certains moments il m'avait semblé impossible que je puisse y arriver. C'est une façon de vivre dans l'obscurité, comme de vivre avec l'éventualité que votre petit ami puisse mourir demain. Il y a toutes ces choses auxquelles il faut vous faire."

Cette chronique est une partie d'un article dans le magazine Islation, à paraître hiver 2018.  

dimanche 29 octobre 2017

KING KRULE - The Ooz (2017)





OO
Envoûtant, expérimental, onirique
Beat making, rock alternatif

À l'exception de quelques sursauts inattendus et de moment de groove punk (Half Man Half Shark), cet album imprégné de paranoïa est traversé de tempos lents à en devenir envoûtant. En dehors de ces moments ou la basse de James Wilson bondit, où les percussions révèlent toute l'agressivité de textures indus, métalliques. C'est une amertume, une rancœur intranquille qu’exsude The Ooz, l’œuvre d'un jeune londonien de 24 ans déjà surpris par la solitude et séduit par le sentiment d'altérité.


C’est une amertume, une rancœur qu’exsude The Ooz, l’œuvre d’un jeune londonien de 24 ans déjà surpris par la solitude et séduit par le sentiment d’altérité. Il joue dans cet album à devenir autre.
On se détache de sa voix grave, si peu accordée à son physique. Le londonien des bas-fonds que tous ses amis ont abandonné pour aller vivre en périphérie, c’est un peu l’effet que fait King Krule, goule solitaire sur Slush Puppy.
Sur Lonely Blue, sa voix frémit, dégage une formidable énergie, en dépit d’une palette restreinte. Il s’efface pour nous laisser envelopper des explorations sonores. Il fabrique une galaxie, utilise l’espace pour se décentrer, utilise des voix étrangères et des chœurs.

Andy Marshall est dévoué à produire un disque personnel, reflet de son intégrité, et il ramène la musique à son univers poétique plus qu’il ne la joue, sa pulsation et sa fragilité un thème de l’album. En tout, une quinzaine de participants, musiciens et chanteurs de backing vocals, contribuent à restituer ce rêve de musique.

À première écoute un album monocorde, The Ooz laisse peu à peu échapper le travail acharné pour faire rimer les textures dans une chorale de sons, de sensations qui se télescopent de plus en plus aux alentours pluvieux de la chanson titre. Sa générosité, sa longueur à brûler est bienvenue pour émanciper l'artiste et l'auditeur du malaise de se faire face à face quand l'un exprime un désarroi auquel l'autre n'est pas préparé. Lonely Blue et The Ooz sont de ces ballades hypnotiques. 

Sur Czech One encore, les beats, les voix distordues, les échos déroulent une mélancolie très narrative et urbaine, à tel point que rapidement, on est convaincu de The Ooz raconte une histoire. Les claquements de doigts et le saxophone évoquent un David Lynch, un peu en désuétude. Cadet Limbo, dans son titre évoque In Limbo sur Kid A. Les effets de guitare sur Emergency Blimp renvoient sans plus de doute au kador des groupes anglais. Souvent, le swing de shuffles jazz vient parachever le sentiment urbain, architecture ouverte laissant l'album dans son jus expérimental, respirant. Dans cette veine, Midnight 01 (Deap Sea Diver) qui contient un sample de Temptation Sensation, composition pour série de Heinz Kiessling. La musique de film n'est pas étrangère au travail très illustratif d'Andy Marshall.

mardi 24 octobre 2017

BIG BIG TRAIN - Grimspound (2017)




OO
soigné, épique, vintage
Rock progressif


Big Big Train est un groupe au milieu du gué, selon les mots de Gregory Spawton, bassiste et fondateur du groupe. Contrairement à d'autres, à ce stade de leur carrière, ils n'ont jamais été meilleurs. Ils continuent de se consolider, reposant sur d'excellents descendants d'une lignée de musiciens aussi novateurs qu'intransigeants. Ils donnent vraiment l'impression que le rock progressif contient les meilleures possibilités musicales, dans sa combinaison de styles et sa structure attentive.

Il en existe, des capables de se vouer à l'excellence mélodique, mais Big Big Train reste à part. Leurs thèmes et mélodies renvoient à la matière légendaire de la culture britannique, née des campagnes, et leurs formats héroïques évoquent les destins intemporels de grandes figures de la nation. Big Big Train est en train d'obtenir une reconnaissance internationale, et même s'il leur est difficile d'être aussi importants que certains de leurs modèles reconvertis en stars de la pop, ils s'y emploient. C'est sur les traces de Peter Gabriel, de Genesis, qu'ils s'orientent en enregistrant aux studios Real World. Et c'est pour en dégager un travail considérable ! Deux (doubles) albums reposant sur des tournures communes, celui-ci et The Second Brightest Star.

Tout du long, ils maintiennent vivace ce style plein de tensions rock, rendu intemporel par Genesis. Ils s'alignent exactement sur cette époque révolue, dont ils rendent le charme et le chatoiement de nouveau parfaitement actuel.

La qualités musicales sont la première force d'attraction de Big Big Train. Leur précision, leur capacité à jouer serré, entrecroisé. La structure des morceaux est d'une rare finesse : tout groupe qui souhaite faire durer durer une chanson au-delà de six ou sept minutes doit réfléchir à la récurrence des éléments mélodiques, à la fréquence des refrains, etc. Les considérations semblent avoir été maîtrisées par Big Big Train grâce à l'arrivée de nouveaux musiciens, connaisseurs de l'histoire de cette musique typiquement anglaise.

Au cœur de leurs albums on ressent la musique diffuse capable de reprendre corps, brusquement étourdissante.

La tension dramatique est également servie par les refrains évoquant comme des plaidoiries, largement poétiques, pour un monde plus fantaisiste, plus responsable, plus vaillant.

La composition apporte des tournures souvent à la fois naturelles et réjouissantes. Brave Captain nous engage dans un voyage vers le passé, avec une tendance épique qui rappelle Iron Maiden et le renouveau du metal britannique dans les années 80. Les influences de Big Big Train ne s'arrêtent ainsi pas à Van der Graaf Generator ou Genesis. Elles suivent une logique qui puise certes plus dans le folk et la pop que dans le metal, au service d'une riche orchestration. Mais on trouve avec On The Racing Line un peu de jazz tellurique, à la manière de The Esbjörn Svensson Trio.

Leur voyage est brave et suppose une boussole réussissant les points cardinaux. Une musique si vaste nécessite un point d'ancrage, une place où se tenir. A aucun moment le groupe ne semble perdu dérouté, désaxé.

Sur Experimental Gentlemen ils fusionnent encore mieux le fond et la forme, explorant l'histoire. Synthétiseur vintage et violon créent des textures à la fois organiques et spatiales,garantissant l'immersion, tandis qu'une mélodie entêtante évoque Kraftwerk. Mais elle est ici proposée par un sursaut de violon, et se retrouve vite plongée dans les entrecroisement de piano, de guitare électrique, la combinaison d'un émerveillement littéral. La coda du morceau apporte une grande suavité, dans une fusion de jazz et de soul évanescentes, se dissipant dans un fondu terminé par un ultime balayage des claviers atmosphériques.

Poésie et mélodies sont portées à un état de grâce sur Meadowland. La délicatesse des guitares laissent présager d'une direction complètement romantique, mais la suite révèlera l'extraordinaire exigence d'un groupe qui ne s'en tient pas à une manière, mais innove sans cesse dans ses projections.

Grimspound érige un autre cordeau narratif et mélodique commun avec The Second Brightest Star. La chanson, éminemment romantique, a cette volonté de résumer la mythologie du groupe, telle qu'elle est perçue tout au long de deux heures de musique, car ce qui se trame dans cette chanson irrigue toute l’œuvre. Ainsi, le second album ne sera constitué seulement de reprises thématiques de celui ci : il y répondra et viendra enrichir la matière du groupe.

A Mead Hall In Winter, avec ses quinze minutes et sa partie très dynamique vers la fin, nous incite à cette écoute attentive et répétée, au risque de lasser. Ce n'est pas ainsi que Grimspound devrait être le mieux apprécié, mais écouté de bout en bout, avec The Second Brightest Star, inlassablement. Big Big Train ne cherche pas à valoriser une chanson plutôt qu'une autre. Il n'y a pas ici de pièce maîtresse, pas de grand œuvre central. Chaque morceau tend vers une autre, et l'écoute se fait sans frontières. On ne sait plus toujours où se termine une chanson et où démarre une autre.

La dimension littéraire et lyrique du groupe peu alors pleinement être appréciée. La dimension épique de A Mead Hall in Winter continue de donner l'impression que le point décisif d'une quête a été atteint, mais c'est une astuce narrative plutôt qu'une réalité. Grimspound joue des illusions de bien-être et d'achèvement pour décrire le travail d'une âme sans repos, d'une humeur volatile, d'une mémoire fragile que l'auditeur est mis dans la confidence pour préserver. C'est une histoire ancestrale qui se transmettrait oralement. Et la fonction des mélodies est de nous la rendre plus affective, de nous aider à nous identifier aux messages positifs qu'elle véhicule et, dans un second temps, de prendre conscience de sa teneur mélancolique. As the Crow Flies, encore puissamment métaphorique, nous appelle à garder à distance les puissances corruptrices, pour préserver la singularité de Big Big Train, sa geste héroïque telle qu'elle est entrée dans notre mémoire.

mercredi 18 octobre 2017

SMOKY TIGER - Great Western Gold (2017)


OO
audacieux, vintage, frais
Pop, blues


Si l'on écoute Great Western Gold dans le détail, il paraît un peu comme l’exploit d'un homme n'ayant jamais enregistré ses chansons auparavant. La simplicité didactique des paroles, le côté sensationnel des histoires racontées – celles de hors la loi et d'indiens ayant vécu « not so long ago » et d'occultisme climatique – viennent droit de Manitoba, canada. Ces histoires n'ont jamais été racontées, et elles le sont avec cette conviction. 


Pour éveiller ces histoires remontant parfois au XIXème siècle, le mystérieux Smoky Tiger emprunte au rockabilly des années 50. Son baryton évoque Johnny Cash, ce qui sied à merveille, puisque le pénitencier est le lieu où résident beaucoup de ces histoires. Vous ne les trouverez pas à la bibliothèque, où elles auraient trouvé le repos. Comme en témoigne Smoky Tiger, ce sont des légendes déambulant dans les couloirs et les allées, attendant qu'un médium les restitue.

La drôle de maturité de Great Western Gold en fait un album d'adultes, à l'image de ses personnalités licencieuses : des durs connus pour la façon dont ils ont persévéré, toute leur vie, à se rebeller, et dont le fantôme viendra s'assurer que vous n'ayez pas raté un épisode de leur pulp fiction. Jets Anthem, avec son break à l'orgue hammond, explore la modernité, de façon toujours mythologique : « Back in the seventies/We where the champs » On pense à We Will Rock You.

Smoky Tiger a trouvé sa vocation il y a une dizaine d'années, puisque un album existe déjà sous son nom en l'année 2009. Sa voix parfaitement maîtrisée montre bien qu'il sait exactement quoi en faire. Une voix de balladin ayant défié les éléments, et quand il rocke, sur Bloody Jack, on dirait Tom Rush en plein pastiche sur Who Do You Love ? Le pont, lugubre, assure que même la mort ne laisse pas ce héros tranquille. La mère du bandit s'en va trouver un sorcier vaudou pour le faire ressusciter. L'ambiance décrépite de se grand moment de narration, puis la fin déchaînée du morceau, est l'un des meilleurs moments de l'album.

Flying Bandit, une histoire de détrousseur de banques, est agrémentée de bossa nova. Tout ce qui pourrait paraître semi délirant, comme de mêler les sons de jeux d'arcade électroniques à ce backdrop exotique, plus des accords en power chord et des harmonies dans la tradition des vieux studios américains, tout cela est parfaitement vrai. Le mélange des genres donne des ailes à Terry Fox (un athlète unijambiste canadien), avant que la chanson ne se termine avec un message révérencieux, passé comme un relais à travers les âges « Stay strong ».

Puis démarre une deuxième moitié de l'album, peut -être plus incroyable encore. Deux chansons autour de sept minutes, la première, un blues hypnotique et brûlant où « Tommy Prince was a natural born killer. » Elle décrit un héros de guerre populaire canadien, avec saxophone énervé et guitares blues rock. Plus loin la voix de Tiger devient carrément celle de Tom Waits. L'évocation de Winnipeg, omniprésente dans l'album rappelle qu'il s'agit d'un disque de ce cartel terrible, Transistor 66. « I must sing this sad song/It's a story you should know/I've yourd heard of Big bear/He was a leader here » démarre Big Bear, moins austère que ses premièrs abords le suggèrent. L'histoire d'un chef indien désireux de défendre les droits des siens, et dont ces sept minutes de magnificence constituent l'éloge universel. 

Purple City Glow nous ouvre les portes d’un monde de secrets et d’excès. «The Pool of the Black Star n’est pas une référence à David Bowie, comme me l’expliquera Courtnage après avoir lu dans cette chronique une allusion dans ce sens . «J’ai été scotché qu’il fasse cette chanson, Black Star, bien après que la mienne ait été écrite. Il y a un hall mystérieux à Winnipeg appelé  the pool of the black star, dans notre building légilatif. » Des chœurs sépulcraux s’associent bientôt. 
Louis Riel revient, à travers le portrait d’un instigateur de révolte, au temps de la chasse au bison, déjà évoquée dans Warden of the Plains. C’est peut-être une histoire d’après guerre, cette fois, mais celle d’hommes toujours tributaires d’un immense passé, bâti de règlements de comptes et de procès expéditifs. Un monde où il valait mieux être artiste derrière des portes closes que de respirer trop intensément l’air de la piste sauvage, ou encore de chercher de intéressements dans la politique locale, au risque de finir pendu. 



Ecouter l'album : 
http://www.transistor66.com/smokytiger

dimanche 15 octobre 2017

SURPRISE PARTY - The Last Temptation of Chris (2017)


O
inquiétant, extravagant, groovy
Garage rock, hard rock, shoegaze

Chaperonnés par la maison de disques secrète Transistor 66, les quatre canadiens de Surprise Party la partagent avec le mirifique Scott Nolan, mais on les imagine mal faire avec lui ce que les américains appellent un split record, un album partagé. Leur rock psychédélique est à l'opposé des accents folk country réparateurs de Nolan. C'est une musique sombres, machiavélique même. Cette tendance intimidante est peut-être aussi l'un des courants dominants de Transistor 66.

C'est le son de l'affranchissement, un défi totalitaire à la société. Les guitares shoegaze à trémolos sont là, les synthétiseurs pour accentuer l'aspect caverneux, et la voix du chanteur (Danny ?) prolonge les syllabes d'un message incertain dans une texture déformée.

Gloom est un parfait exemple à la fois de la brutalité, de l'aspect sordide de la musique de Surprise Party. The Hunter enchaîne en mode clairement hard-rock à banshees. Toutes sortes de démons dansants traversent cet album, et j'ai écrit cela sans vraiment savoir qu'une chanson s'appelait Wrap Your Fears in Demons. Le disque se dresse là dans une forme de gloire chaotique.

Très abouti, The Last Temptation of Chris sonne comme l'album que Surprise Party veut enregistrer depuis ses débuts en studio en 2013. Ils y affrontent, avec des protections auditives, pêle-mêle, coïncidences inquiétantes, mauvais sorts jetés sur les personnes les plus innocentes, et expriment que le courage n'est qu'une affaire de possession, pas de volonté individuelle. Cet album dont vraiment rien n'est très clair – si ce n'est sa portée mentale, voire spirituelle. Psychedelic Girlfriend réussit l'exploit, malgré tout, de swinguer sexy. Les paroles expriment la jouissance de ne plus avoir de garde-fou, le masochisme de se faire violenter. Un bon résumé de l'album. « When you come inside me/i Wanna explode. » Le guitares tintent comme dans les années 60.

Puis retour à un son plus incommensurable et ébloui sur Svamvartasthayikalpa, légèrement plus pop. Et si vous n'êtes pas convaincus, reste le charme aérien dans les premières secondes de The Hell of no Respite. Et j'ai écrit « charm » sans voir qu'un la pièce de consistance garage de l'album s’appelait Hex. Cela fait de moi quelqu'un de possédé... The devil rules.

Ecouter l'album : 

https://surpriseparty420.bandcamp.com/album/the-last-temptation-of-chris

WIDOWSPEAK - Expect The Best (2017)



O
Nocturne, envoûtant, soigné
Shoegaze, rock alternatif


Qu'est-ce que le "meilleur" ? Est-ce mesurable ? Finalement le désormais duo britannique Widowspeak se serait dévoué à une musique entièrement personnelle, et font paraître leur meilleur album.

Molly Hamilton, dont le prénom seul évoque la retenue compassée, a puisé avec plus de vivacité et d'intelligence que jamais dans ses influences, descendant leur cours plutôt que de le remonter. Elle montre comment se sont divulguées en sous-main les inspirations du rock mélancolique, et de l'élégance excentrique. Les collaborations d'Anton Newcombe et de Tess Parks sont évoquées. Seule la rugosité manque.

Fly on The Wall arrive rapidement, et donne l'impression que tout est désormais suspendu à notre attention, notre souffle. Elle ploie lentement sous sa propre audace, dans une répétition qu'on aimerait beaucoup plus insistante. L'intensité de cet aboutissement, récurrent dans d'autres chansons comme Let Me, en dit long sur le ton de l'album, cette façon de retenir chaque émotion et de l'amplifier jusqu'à la toute fin.

Ces chansons, si elles démarrent avec de francs accords de guitare électro-acoustique, signature du groupe, ont bien plus d'inertie, de profondeur désormais. Quelques influences particulières ne nous quittent pas, comme celle de Hope Sandoval sur Warmer. Car la voix, fondue dans un sempiternel écho, est rejointe par des textures oniriques empruntant au jazz comme au rock, ce que Sandoval privilégie. Dans son timbre, Hamilton a ce mélange de conscience et d'innocence donnant, au fil des écoutes, la sensation d'une maîtrise totale.

Si le studio s'exprime aussi si bien, si l'espace s'entend dans sa dimension épique, terrible, et si limpide, c'est que Kevin MacMahon a travaillé à la fois avec Real Estate et Swans aussi, deux groupes dont les résultats en studio se détachent par leur précision.

Une chanson intitulée simplement Dog contient un refrain lumineux. « I wanna stay, i wanna stay, i wanna stay. » C'est une affirmation de présence physique, cette décision de vouloir influer plutôt que de quitter le monde. Au delà de cela, il y a des sons qui miroitent, chatoient, créent une harmonie mélancolique. Expect the Best fait l'évidence de la persévérance en musique : il faut du temps à certains groupes pour atteindre une apogée, en plus de s'entourer des bonnes personnes.

jeudi 12 octobre 2017

SCOTT MILLER - Ladies Auxilliary (2017)



O
vintage, apaisé, romantique
Folk-rock, country



Ladies Auxiliary s'ouvre avec Epic Love, une ballade folk-rock romantique où la voix de Scott Miller, plaintive et éloquente, évoque celle de Chuck Prophet. C'est un homme entre le sérieux et l’auto dérision. Il s'inscrit là dans la trace d'un songwriter comme Sam Houston, avec qui il partage la vallée de Shenandoah, dans l'ouest de la Virginie. Dans cette contrée, on est toujours un peu sauvages, clame Miller dans ce disque apaisé et encore jeune, celui d'un homme qui, après avoir connu le music business avec l'aide de Steve Earle, a refait sa vie comme éleveur de bétail, désormais lové entre ses collines et toujours partant pour un hommage à la rivière.

Le charme opère rapidement, et on s'attache à ce type d'album révélant ses différentes facettes, entre sonorités traditionnelles de Appalaches (banjo, violon...) arrangements jazzy vintage (la présence de contrebasse), et carrément rockabilly (Mother in Law). Jackie With an Eye swingue élégamment.

Son énergie rappelle le texan James Mc Murtry, surtout lorsqu’on arrive sur Middle Man et Lo Siento, Spanishburg, West Virginia. Dans la première, il raconte sans ambages son enfance, celle d'un fils de la campagne, un patelin où la vie sociale tournait autour de la chasse, finalement attiré par la littérature, puis la peinture et qui enfin appris trois accords à la guitare. La suite et connue, elle implique de la camaraderie, de la passion et quelques des vérités profondes.

Avec tendresse, il évoque sur la seconde Spanishburg, une ville vidée de ses habitants qui se repeuple lorsque ceux-ci atteignent la retraite, comme un troupeau rentré à l'étable. On sent qu'il recherche les mots justes, jamais très loin de raconter frontalement un drame, comme en s’adressant à une suicidée sur Someday / Sometime. Son sens de la métaphore laisse soupçonner des complexités cachées sous la simplicité de ses mots. C'est en toute humilité qu'il espère une reconnaissance méritée.

Miller est accompagné d'un groupe entièrement féminin, d'où la pochette humoristique qui voit leurs efforts comme une bravade féministe.

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