Ci dessus : le Village Underground, à Londres.
Un article sur l'album est à suivre.
Sur un coin de table à la
Maroquinerie, un Conor O’Brien endormi fait le debriefing de sa soirée de la
veille, à Londres : « C’était le meilleur concert de ma vie. »
Et commente à froid les paroles du deuxième album passionné de Villagers.
J’aime la façon dont tu écris. Tu dis que les chansons ne sont jamais
meilleures que lorsqu’elles viennent complètement formées, mais tu utilises des
mots qui sortent de l’ordinaire.
Co'B : J’avais l’impression de procéder
à l’envers. Le truc c’était plutôt d’écrire ce qui me passait par la tête, et
ensuite de nettoyer cette prose qui en résultait. C’est un travail laborieux.
Mais j’aime beaucoup ce processus qui consiste à titiller un texte.
Récemment, l’un de mes albums favoris a été Sugaring Season, de
l’anglaise Beth Orton. Sa musique m’a rappelé la tradition folk anglaise, elle
jetait le sort déjà lancé auparavant par Bert Jansch ou Nick Drake. Le folk
traditionnel t’a-t-il inspiré ?
J’aime les deux, Bert Jansch,
Nick Drake. Mais j’écoute des musiques très diverses [le choix de l’échantillonneur utilisé sur {Awayland} sera
influencé par l’écoute de Four Tet]. Radiohead… [Il réfléchit une bonne minute
en essayant de sortir des noms, mais finit simplement par s’excuser de sa
fatigue]. Et je pense que cela apparaît sur l’album, qui est en quelque sorte un
amalgame. Je ne sens pas que je fais partie d’une tradition ou d’une autre. Je
copie beaucoup de gens, je vole beaucoup. Finalement, plus vous multipliez les
sources et plus ce sera votre propre œuvre.
J’ai passé plusieurs mois à Londres, et j’essayais d’écrire des chansons.
J’avais acheté le livre qui réunissait toute les chansons de Bob Dylan et
j’essayais de m’inspirer de ça. T’es-tu déjà exercé pour écrire des
chansons ?
Quand j’écris j’ai un livre avec de paroles
de Bob Dylan au coin de mon bureau aussi ! Ses chansons depuis 1964
jusqu’en 2000. J’y trouve certainement une inspiration, car son lyrisme est
très inspirant.
Il ne parle pas tant de lui-même qu’il crée des personnages…
Je pense que lorsque vous créez des
personnages dans des chansons vous leur insufflez inévitablement des aspects de votre propre
personnalité, mais en utilisant une mise en scène pour en transformer les
sentiments et les émotions.
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La musique de Villagers semble beaucoup liée à des sensations, à une
atmosphère. Tu savais ce que tu voulais avec le premier album mais étendre le
son avec le groupe te permet de porter l’auditeur à un autre niveau.
Je pense que c’est la seule façon de
justifier l’écriture d’un nouvel album, si tu n’as pas une nouvelle donne,
différente de ce que tu as fait auparavant, cela n’a pas de sens de ressortir
un autre disque. Je me suis procuré un synthétiseur, je n’en avais jamais
possédé avant. C’était comme un nouveau jouet, et j’ai passé beaucoup de temps
entre l’échantillonneur et le synthétiseur, commençant à produire des…
sentiments, des textures, pour jouer avec les chansons, leur donner une
approche différente. Tout n’était pas écrit d’avance cette fois-ci. Pour
Becoming a Jackal, j’avais la plupart des paroles, les thèmes et tout le reste,
et avant même d’écrire l’album, j’avais déjà le titre, j’avais l’idée de
l’artwork avant d’avoir terminé la moitié des chansons. C’était plus
académique, plus l’histoire d’assortir des chansons à un thème déjà existant,
tandis que cette fois je n’avais rien d’autre que des sentiments que je voulais
mettre en scène.
Comment as-tu formé les chansons ? Les arrangements sont très
importants, comment avez-vous travaillé dessus avec le groupe ? Avez-vous
procédé chansons par chanson ?
J’ai
enregistré toutes les démos, sur lesquelles j’ai joué tous les
instruments. Certaines [Passing a Message, Judgement Call] ont beaucoup changé
par la suite, d’autres [The Waves] non. Les démos m’ont pris presque un
an ; nous avons ensuite joué les chansons ensemble, et les choses ont pris
un nouveau tour. Ca n’a pas drastiquement changé musicalement, mais les
sentiments, les grooves, la façon dont les chansons sont jouées ont un rendu beaucoup
plus efficace en groupe. Nous nous sommes occupés des arrangements avec Cormac
[Curran, le claviériste responsable en grande partie des arrangements de
l’album]. C’était une grosse partie de l’album, qui contient beaucoup
d’orchestrations. C’est une expérience plus collaborative qu’avant.
Je trouve particulièrement soignée la façon dont les morceaux commencent,
et se terminent. The Bell, par exemple, est très impressionnante au début, avec
le piano qui résonne, les cuivres, l’orgue…The Waves se distingue par son
explosion sonore finale…
Oui, pour The Bell nous voulions une grosse
instrumentation… Pour The Waves, je voulais parvenir à ce point culminant de
violence, à cause du sujet de la chanson, la menace de vagues géantes. Cette chanson
est née dans l’œil d’une tempête. J’ai vu les images du tsunami japonais à la
télévision, et elles sont restées dans ma tête plusieurs semaines alors que
j’écrivais la chanson. J’avais besoin que la musique évoque le pouvoir
implacable de la nature.
Et cette façon de hurler comme un loup dans Pieces, sur Becoming a
Jackal…
Ca m’a semblé cathartique, la musique n’est qu’un
moyen d’exprimer des choses…
Comment se passent les concerts avec les nouveaux morceaux ?
C’est très excitant. Nous sommes
meilleurs en tant que groupe…La nuit dernière [le 21 février 2013], c’était le
meilleur concert de ma vie. La salle s’appelle le Village Underground, à
Londres. Très belle salle, avec de hauts plafonds. Autrement, les nouvelles
chansons sont plus expansives, nous jouons beaucoup plus de nos instruments. Il
y avait beaucoup de moments dans les anciennes chansons où le groupe attendait
pendant que je jouais tout seul.
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J’ai lu que les thèmes de l’album étaient liés au corps, au fait de grandir, de changer…
Oui, il y a probablement ces aspects de bouleversements du corps, mais surtout cette confrontation avec le paysage et la façon dont l’individu gère son rapport à la société et s’adapte aux contradictions. Il est souvent question de tenter de garder la vue la plus large possible. Beaucoup de mes personnages sont amers ou bigots, comme c’est le cas lorsque les gens vieillissent. Une grande partie de l’album consiste à se défendre de la pensée raciste, sexiste, homophobe, parce qu’on finit tôt ou tard par rencontrer ce genre de personnes.
T’inspires –tu de l’Histoire ?
Le tsunami a été le gros évènement au moment où j’écrivais ces chansons. Dans Earthly Pleasures, il y a cette figure d’ancienne divinité. Mais c’est un voyage intérieur : l’action se déroule dans la pièce que décrit la première ligne : “Naked on the toilet and with a toothbrush in his mouth”. Tout le reste se passe dans la tête du personnage alors qu’il perd l’esprit, et il est affamé et frustré, il voyage dans le temps et se confronte à cette divinité, ce qui lui donne une épiphanie quant à sa place dans le monde, et le fait qu’il ne devrait pas placer ses espoirs dans autre chose que dans ses similarités avec les autres créatures de la terre. C’est un genre d’histoire humaniste.
As-tu pensé à des lieux en particulier ?
Des chansons sont inspirées de parties du Canada, mais surtout par des régions que nous survolions en tournée, comme Singapour ou l’océan indien.
Il est souvent question de sens dans tes chansons, d’un rituel auxquel
manquerait un sens, d’un message qui ne signifie rien pour toi…
Le message dans Passing a
Message, c’est en quelque sorte l’ADN. La chanson évoque une femme qui travaille
dans un nighclub du Burj Khalifa à Dubaï, le plus haut gratte-ciel du monde, et
elle n’est pas heureuse, elle commence à rêver à l’évolution des espèces et à
son propre sort, tentant d’élargir son esprit pour échapper à ce boulot
horrible. Au début elle est dans le nighclub, et elle regarde du base-ball à la
télévision, quelque chose qui ne signifie plus rien pour elle tandis que les
images d’un poisson spatule et d’une salamandre lui viennent en tête, des
animaux qui n’ont presque pas évolué depuis des millénaires, et elle se dit
qu’elle ne vaut pas mieux qu’eux. La démo de cette chanson devait faire dix
minutes… Et on avait commencé par y utiliser l’échantillon d’un discours de
Nixon ou moment du Watergate, mais on s’en est débarrassés avant d’avancer sur l’album.
Dans The Bell, il y a un ‘chien endormi’. Et dans Rythm Composer, un
‘chien ancien’. On croirait à des créatures mystiques qui marchent entre la
réalité et un monde de rêves.
Dans Rythm Composer, le chien
représente l’abysse, le point ou tout se perd. L’image du ‘chien noir’ est
vraiment ancienne. Winston Churchill l’avait utilisée. ‘Le chien noir dans ton
dos’, cela signifie la dépression. Le ‘chien endormi dans le dialogue’ se réfère
plutôt aux choses qu’on ne peut exprimer. C’est une métaphore.