Une affirmation récurrente dans les forums de musique américains : « C'est comme ça que le rock chrétien devrait sonner », pour peu que la musique en question ait une qualité spirituelle, ou que ses instigateurs semblent prendre à cœur le musique parce qu'ils y trouve une chance. La possibilité même de s'exprimer à travers leur art leur devient symbolique. Ils recherchent une certaine noblesse, un lignage, et sont en général dépourvus du moindre humour. C'est par des gestes et des paroles prompts à être interprétés de mille façons différentes qu'ils bâtissent leur art, et leur art autour de leur vie. La quête de sens n'est que secondaire ; il s'agit avant tout de voir comment ils seront accueillis par le public et comment on se souviendra d'eux. Ils s'inscrivent dans un présent déjà obsolète, gravent leur contribution comme une icône de foi, ou bien une silhouette forcément allégorique, à l'image de cette colombe sur la pochette de There Will Be No Peace. Il faut rester attentif pour détecter dans leur art la trace du palindrome, elle s'y trouve inévitablement. Seul le recommencement perpétuel apporte un sens et un courage à leur attitude. Inutile d'aller jusqu'à imaginer Sysiphe heureux : ce que leur fardeau leur rapporte, c'est une foi inquiète.
Le trio de Denton, Texas, s'inscrit dans l'héritage de Lift to Experience et Midlake, originaires du même coin des Etats-Unis. Ils voient la musique comme un cycle dirigé vers toutes les résolutions, y compris la réalisation que le labeur de leur vie ne les conduit pas à être sauvés, que la clairvoyance acquise en échange des expériences vécues ne leur permet pas de s'arracher à la mélancolie. It's a Hell of a Climb et The Other Side of The Mountain laissent penser que c'est réellement un album-concept autour de la figure de Sysiphe. Auparavant, There Will be No Peace a culminé dans An Interceding, As I Live and Breathe et A Man Alive, Alone. Il est vain de vouloir départager ces morceaux, tant les sentiments s'y confondent. L'accordage original des guitares se remarque. La mélancolie est la plus intense sur la chanson titre de huit minutes qui termine l'album, une belle litanie ou le trio basse/guitare/batterie consolide tout ce qui a été joué avant. Les sons sont magnifiés, les paroles prennent un écho intemporel. Dans le reste du disque la cadence des morceaux a été travaillée pour les écourter, car autrement The Angelus aurait naturellement tendance à offrir des ruminations plutôt que des chansons de rock.
Il en résulte une densité mettant en valeur leur dévotion mutuelle. Ils sonnent soudés, rapprochés par une motivation spirituelle parfaitement logique. Le tableau de Jean François Millet qui leur a donné l'idée du nom L'Angelus du Soir, convient à l'impression qu'ils donnent d'une procession statique, d'un recueillement. Plutôt que d'alterner la sensibilité et la rage, The Angelus opère avec une constance qui les démarque de beaucoup d'autres.
metal progressif, doom Le fait qu'il s'agit d'un groupe grec n'entre pas tout de suite en ligne de mire à l'écoute d'Hegaiamas : a song for Freedom. Le titre lui-même ressemble plus à un néologisme typique du métal progressif, genre prompt à encapsuler dans de tels mots de fabuleux concepts, comme ici la liberté. Leur précédent album, Orvam: A Song for Home, les avait amenés à tourner en Europe et aux États-Unis, avec Symphony X et Candlemass. En comparaison, le nouveau venu est bien plus optimiste, même s'il part d'un constat anxiogène.
Ce qu'on apprécie d'entrée de jeu, c'est l'extraordinaire travail abattu non du point de vue musical – cela viendra juste après – mais pour que les chansons soient extrêmement claires, articulées avec une précision redoutable par Jon V., qui a d'ailleurs une voix parfaite pour occuper le créneau à priori peu envié entre In Flames et Dream Theater. Hegaiamas est l'exemple de comment le message d'un groupe et la façon de le délivrer différencie un disque sans grand intérêt d'un album remarquable. Il ne suffit pas d'être intense, de susciter de l'émotion ou de savoir jouer à la perfection : il faut aussi que les chansons entrent en résonance avec l'époque.
La clarté du chant et du message n'empêche pas une certaine complexité d'entrer en compte. On comprend qu'il s'agit de décrier l'être humain capable de laisser des centaines de migrants à leur perte, ce n'est jamais très explicite mais plutôt exprimé comme une situation étant le produit de paradoxes. « We've been trying to live in peace/all beyond this loom horizon » chante Jon V. avec exaltation sur Rememory. La présence d'une chanteuse sur plusieurs morceaux est bien valorisée.
La colère et le désespoir sont limpides. A un message par ailleurs assez complexe est associée une musique parfaitement produite, où chaque tournant de chaque chanson, et ils sont nombreux quand la durée habituelle dépasse les six minutes, est parfaitement intégré et lisible après deux ou trois écoutes. C'est alors que l'on peu vraiment se fier à l'émotion que dégagent les phrases et les mots utilisés par Jon V. comme des détonateurs sous-marins. Puis, à un certain point, cette colère rentrée devient un chant transcendant de toute puissance et de paix qui n'est pas sans rappeler les meilleurs moments de Devin Townsend, par exemple au moment de Terria (2003). C'est une influence pourvoyeuse du metal progressif le plus contemporain, que Need a su réutiliser pour parvenir à leurs fins : produire une œuvre qui les accompagne vers un état de conscience supérieur, et combattre avec des sentiments positifs la culpabilité face à une situation dont ils ne sont que des rouages : forcés de regarder des enfant, des femmes et des hommes se noyer en mer.
En définitive, la volonté de Need de trouver leur propre voie en marge d'une société qui les piège en les obligeant à devenir complices de ses crimes, cette propension à partir à l'aventure à l'intérieur de leur propres sentiments comme s'ils exploraient la carte de l'univers, à s'insurger en laissant leur imagination jouer une partition sauvage, est très représentative du genre de metal progressif. Ils recherchent une échappatoire, ils se prennent à rêver de réalités parallèles, à portée de leur volonté artistique. S'ils ne peuvent effectivement se détacher de leur réalité quotidienne, ils y ont cru et cela se ressent sur cet album. Le concept de liberté est aussi sérieux que fragile, mais grâce à sa technicité, Need fait rapidement oublier l'ampleur de la tâche qu'il s'est fixée et nous en donne plus qu'on aurait pu l'espérer.
Alltribe augmente encore la technicité de Rememory, tandis que Terianthrope et Riverthane parviennent encore à dégager des mélodies gracieuses de leur lourdeur asphyxiante. Des chants de baleines ouvrent Tilikum qui incorpore une touche de doom metal et pousse la prise de conscience à son niveau ultime avant la section finale. La nature humaine est questionnée, notre dépendance les uns aux autres, et comment retourner à son avantage les forces qui nous oppressent. Le solo de guitare et le chant féminin renvoient à Devin Townsend et à sa complicité avec Anneke Van Giersbergen. A quarante minutes du début, ils délivrent alors leur pièce la plus massive, et à ce point de l'album, c'est comme si nous étions en pleine inception ; se rendant confusément aux impressions des chansons passées, comme à autant de strates de rêves, avant d’attaquer le plus révélateur et périlleux d'entre eux.
Par
les temps qui courent, on veut s'investir à réaffirmer l'importance
de l'art, et de la musique, et du rock. Plus que jamais on refuse de
stigmatiser, mettre des étiquettes, s'enfermer dans un genre
particulier ou faire des amalgames entre une musique et son public.
On essaie de passer outre le fait qu'en France, l'immense majorité
n'écoute qu'une quantité de musique insignifiante (la quantité et
la musique) et qu'elle n'a aucune influence sur sa vie, ou pire, si
elle en a une, c'est pour se fondre dans la masse fasciste prête à
exclure ceux écoutant différemment se permettant de prendre
les choses au sérieux. On veut juste parler de quelques albums de
rock indécents. Mais comment se mettre au niveau d'une population
trop droguée pour travailler, trop faible pour partager ?
Heureusement, ce n'est que celle qui a élu le nouveau président
américain.
On
ne peut pas chercher de la même façon en art qu'en politique à
cerner les intentions d'un homme et à s'assurer qu'il n'est pas
cynique. Parce qu'une musique peut être sérieuse sans prendre le
parti de l'honnêteté, de l'âme. Elle peut balancer de la
satisfaction, du dédain, de la moquerie. Mais le cynisme est son
ennemi : il évacue tout espoir de sérieux, de loyauté, de
sens, et chez le spectateur toute envie de s'intéresser et de tendre
l'oreille.
C'est
ce qui devrait se produire quel que soit le domaine :
malheureusement, c'est ce qui différencie la politique et la
musique. Quand gagner du fric prend la tournure d'un sacrifice, que
cela passe pour faire le bien d'autrui, il y a déjà longtemps qu'un
être humain équilibré aurait du détourner son attention. Dommage
que ça ne soit pas le cas.
Pour
faire un éloge de l'indécence, il vaut mieux mettre en avant le
talent de musiciens hors pair qui ont composé et joué l'œuvre,
avant de dissiper le message qu'on voulait faire passer en premier –
la pertinence de leur musique – par des digressions. Il vaut mieux
dire d'emblée qu'on va parler de très bons albums, même si on joue
de leur rapport à la vérité comme il l'ont fait en leur temps.
En
premier lieu, Willie Murphy et ses Bumblebees. Honey From The Bee,
très rare album de 1978. Ce groupe méritait-il de
partager la scène avec
Wilson Pickett, Muddy Waters, James Brown, WAR, John Lee Hooker,
Neville Brothers, Etta James, Eric Clapton, Joe Cocker, Dr. John et
tant d'autres ?
Après
avoir essuyé une éducation irlandaise et catholique dans le
Minnesota, dans le midwest, Murphy découvrira bien vite Little
Richard, Fats Domino, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, et Ray Charles.
Il courra les salles folk en compagnie de John Koerner, et on leur
doit Running, Jumping, Standing Still (1969). Un disque qui vous
convainc de son excellence selon ses propres termes : entre
country rock et ragtime survolté, dans de grandes chansons
parfaitement construites. En comparaison, Honey From The Bee, avec un
groupe réputé mais peu célèbre, The Bumblebees, semble plus
chaotique, et laisse planer un doute sur la vraie personnalité de
Murphy. Il ressemble, d'un côté, au cauchemar de la domination
masculine faite musique. Un combo de sept mecs aux dérives
capillaires très seventies, le genre gang de hillbillies tarés que
vous éviteriez si vous êtes une femme et que vous avez appris à
échapper à la mâle frustration.
Dès
les premiers accords de After my Hard On Is Gone, on sent qu'ils
veulent jouer sur la même scène que les Stones. Pourquoi n'ont t-il
pas repris Under My Thumb ? Cette chanson représentative du mec
envieux de prendre sa revanche et de retrouver la libido l'ayant
abandonné depuis qu'il a perdu son boulot. Le marimba est le détail
permettant de parachever la duplicité ludique de la chanson, mais
cet instrument tintinnabulant est aussi le fait d'une composition
finalement plus attentionnée que prévu. Il faut toujours un maximum
de sérieux, même dans le rock le plus décalé. J'ignore si les
Stones ont pris leur art suffisamment au sérieux pour entrecouper
leur concerts d'annonces telles que « Et maintenant, nous
allons vous jouer une autre de nos compositions », mais à ce
propos, comme pour le marimba, on y reviendra plus loin.
C'est
de ce groupe que devrait prendre l'apparence le rock chrétien en
2017. Plus personne ne se soucie de pratiquer une religion autrement
qu'avec le précepte œil pour œil, dent pour dent. Ou si c'est le
cas, de toute façon, ils n'écoutent pas de rock et en jouent encore
moins. On ne peut que le constater avec horreur, il y a une certaine
porosité entre les hordes désespérées attendant qu'on les fasse
bander de nouveau et un groupe chantant toutes les fois ou il a
pu/voudrait/fantasme de baiser. Grande différence, l'indécence de
Willie Murphy ne remet pas en question son respect de la gent
féminine, et ses chansons, en tant qu’œuvres d'art, doivent être
prises avec recul. Après tout, il a produit le premier album de
Bonnie Raitt en 1971, sur lequel la chanteuse décidait de partir à
armes égales avec n'importe quel homme. Il est hors de question de
voir dans ce qu'il fait autre chose que du rock ou plus
spécifiquement de funk, de soul, de rock, de blues, et de reggae. Et
pourtant, comme il s'agit d'une véritable œuvre d'art, on prend au
sérieux cet homme qui hulule souvent comme Screaming Jay Hawkins, et
on fait bien. Dans le cas contraire, on se mépriserait nous-mêmes.
Crazy With You, Baby évoque, dans le scandale de sa basse lubrique,
dans l'instance impudique de ses guitares, dans l’obscénité de
ses cuivres rutilants, Captain Beefheart.
Ce
qui nous amène à Lick My Decals Off Baby (1970), l'album de
celui-ci qui succéda directement à son œuvre la plus célèbre,
Trout Mask Replica (1969). Le titre le trahit déjà, mais Captain
Beefheart, qui a alors une décennie de création échevelée devant
lui, parachève déjà son sens du décalage. Ce nouvel album est
plus court et digeste. Sur un lit de guitares fracassées, de blues
abstrait, Beefheart « joue » du saxophone d'une
façon à la fois terrible et merveilleuse, provoquant des phrases
musicales obsédantes, comme certains obsédés par des passages de
la bible jusqu'à la perversion. Il joue divinement bien, disons donc
avec une ferveur biblique.
Le
reste du temps, il chante, et sa façon de la faire dénote d'un
mépris pour les écoles de tout ce qui représente une forme de
qualité quelconque pouvant être reconnue par des gens de bonne foi.
La grosse différence avec l'autre camp, celui des fascistes
détestant tout ce qui ressemble à de l' « élite »,
c'est que Beefheart n'avait pas de dédain pour lui même, et surtout
pas pour son art qu'il considérait à sa juste valeur. Il n'était
pas désespéré, et s'il avait des problèmes de libido ça
n'entrera pas en compte pour juger de Lick My Decals Off, Babe. C'est
lui qui annonçait ses chansons comme des « compositions »
en concert et passait pour pompeux à cause de cela. Il en rirait
désormais, vu les hostilités intégristes qui jouissent comme un
public des Stones. A croire qu'il faut être un peu snob pour vivre
sainement.
A
sa charge, certaines chansons de cet album pouvaient servir d'hymne
de campagne à l'élection américaine de 2016. La chanson titre :
« Rather
than I want to hold your hand
I
wanna swallow you whole
‘n
I wanna lick you everywhere it’s pink
‘n
everywhere you think »
Plus
loin, un signe d'indécence ne trompant pas : la présence
d'abeilles, déjà pleines de miel chez Willie Murphy :
« It’s
all about the birds ‘n the bees ».
Il
y a aussi ce titre : "I Wanna Find Me A Woman That'll Hold
My Big Toe Until I Have to Go."
La
poésie de Captain Beefheart est du plus haut niveau. Elle
s'entrechoque constamment avec la musique, volontairement erratique.
On ne réussit pas à s'en détourner facilement « Space-age
couple/Why don’t you flex your magic muscle/Space-age couple/Why
don’t you jus’ do that? » Ce « muscle magique »
qu'il nous demande d'exercer, c'est tout le secret de sa musique
élastique, tendue, malléable, ouverte sur le monde, sur le
changement. A nous d'être assez souples pour l’accueillir. Avis à
ceux qui avancent les fesses serrées et la queue molle.
Si
le génie c'est donner l'air de savoir exactement où l'on va sans
suivre aucun point de référence, alors les guitares en sont. Zoot
Horn Rollo sait exactement ce à quoi il veut parvenir. Il nous met
au défi de trouver là une nouvelle base de compréhension pour
apprécier la musique. La guitare n'est qu'une des nombreuses choses nous incitant vraiment à écouter, à nous investir, en dépit de
tout – le signe d'une œuvre d'art.
Ce
album est multi-dimensionnel, d'un art à peine humain. C'est là que
l'on abandonne définitivement les poursuites et que l'on cesse de
croire qu'il aurait pu inspirer des sentiments inférieurs. Il y
existe une dimension rythmique, pour commencer, entièrement
autonome ; on pourrait n'écouter que la batterie et l'apprécier
en elle-même.
Le
marimba apporte aussi une dimension à lui tout seul. Petrified
Forest serait une expérience glauque s'il n'y avait ces petites
notes joyeuses pour nous remonter le moral. Ce marimba se met à
faire des siennes et à ne plus tenir compte du reste de la musique
sur The Smithsonian Institute Blues. C'est bien le dernier instrument
à faire ainsi dans cet album. A la fin, Flash Gordon Ape, un moment
divinatoire, poétique et surréaliste comme seul le rock est à la
fois, semble adresser un message personnel au nouveau président
américain :
«It
makes me laugh to hear you say how far you've come
When you barely
know how to use your thumb
So
you know how t' count t' one" »
La
politique, ce n'est l'affaire que de deux ou trois doigts nerveux;
la musique de Captain Beefheart utilise huit mains à leur plein
potentiel d'expression.
Mount Renraw s'ouvre et se ferme avec
ses chansons les plus émotionnelles. Otis Gibbs les délivre de
façon éloquente, d'une voix sans âge, et sans affectation. Il
apparaît aussi peu influençable par les modes qu'un roc, et le
titre de l'album de réfère au surnom du quartier de Nashville où
il vit. Il l'a enregistré en grande partie chez lui, en compagnie
du producteur et guitariste Thomm Jutz, et cela s'entend, par la
simplicité formelle et la limpidité des chansons, ne se laissant
divertir ni par la fantaisie, ni par l'envie de plaire au plus grand
nombre, toutes aspirations qui finissent par arriver lorsque la
vision d'un artiste se trouve diluée par ceux croyant l'aider.
Autobiographique (Ed's Blues) ou historique (Bison), le message est
capté sans parasites.
Son album est comme une continuation au
podcast radiophonique Thanks for Giving a Dawn, à travers lequel il
persévère, 140 épisodes plus tard, à divertir sur les joies et
les peines de la country, du blues, de l'histoire, et surtout de
l'art qui ait un sens. « Il n'y a que deux personnes qui
importent dans l'art, affirmait t-il dans l'un de ces émissions.
«Celui qui crée et la personne faisant l'expérience du résultat. »
Là comme en chanson, il sait se montrer très clairvoyant mais aussi
poétique.
« To young to do better, to old
to change. » Du haut de ses 50 ans, son réalisme et sa
sincérité, dès la première minute, nous incite à rester
attentifs. On se retrouve irrésistiblement impliqués par des
rencontres mémorables « I saw the devil [...] he said these
are the ways of the past [...] and the bullets rained down. »
« 4 am and nowhere to go/Let's not pretend it will happen
again/it was so much easier then/sometimes at night on late night
drives/That's when i see/Katlheen. » Le diable ou cette jeune
femme prénommée Kathleen, confèrent à ses chansons l’originalité
qui leur manque du point de vue musical.
L'inflexiblité de Gibbs rappelle Steve
Earle, son minimalisme aussi, dont la guitare ne s'accompagne que
d'un violon rural. Comme lui, il y a du chemineau dans Gibbs (800
Miles Great American Roadside, Wide Awake...) Son côté volubile
sert bien ses chansons, d'autant plus quand raconte l'histoire d'une
star du catch de Memphis dans les années 50 et évoque la
ségrégation que le lutteur, blanc mais populaire auprès des
afro-américains, mit en évidence. « There was more to Memphis
than rock n' roll » prévient t-il une allusion, entre autres,
à Elvis Presley. Il en profite aussi pour offrir ce parallèle et
tacler la crédulité ambiante : « Il y a beaucoup de gens
qui pensent que le catch est pour de vrai ; comme de gens qui
pensent que le music business est la seule réalité de cet art. » On pense aussi à Grayson Capps pour le côté sudiste.
Sa concision pour traiter de ce genre
de problème à travers des personnages complexes comme Sputnik
Monroe l'honorent ; raconter les inspirations de telles chansons
est plus long que de les chanter. En résumé, Mount Renraw pourrait
n'être constitué que d'une seule chanson de trente-trois minutes
abordant cette multitude de thèmes, ininterrompue telle une émission
de radio.
Rock lo-fi, indie rock Un solitaire qui sait s'entourer, un illusionniste de la guitare qui semble préférer le défi des espaces confinés, le gallois Edwin Stevens a trouvé dans Irma Vep, son projet en solo, une façon de renvoyer au rock le plus expérimental, tout en faisant de chaque morceau une performance en soi, un moment unique. A Woman Work is Never Done provoque, dès l'émergence de la guitare, à travers un rideau de pluie, une tension qui ira crescendo durant 11 minutes.
Les légendes locales de Manchester DBH apportent entre autres un violon qui branche tout de suite Irma Vep sur des vibrations Velvet Underground, et cela ne fait que se confirmer tandis que les strates bruitistes se superposent. La voix, captée dans un appareillage étriqué, prendre des intonations évoquant Smog, le projet de Bill Callahan, dans la première moitié des années 1990. A Woman Work is Never Done dégage, dans une spirale de guitares ululant comme cent succubes, puis hurlant telles mille banshees, dans la répétition de la phrase qui lui donne son titre, une claustrophobie familière. La batterie, jouée également par Stevens, émet des sons métalliques, pour canaliser le timbre effrayant des grands pionniers du rock punitif.
Les chansons sont plutôt des tentatives, à l'image de la chanson titre, sorte d'ébauche n’existant que pour le plaisir d'un certain son, à la fois spectral, volatile et si intime, qui colle à la peau. La plus courte, Hey You, n'étant pas la moins fascinante, de par sa mélodie. Elle redimensionne ce qu'est une performance live : un grand moment de solitude dans un espace restreint. Le blues dont il est question renvoie à l'austérité de Scout Niblett, par exemple, dans les moments les plus directs, par exemple Armadillo Man. La guitare comme instrument de sidérurgie. Still Sorry est exploratoire dans les sons, glutineux dans sa production, avec juste assez de candeur pour rester suspendu, à la façon d'une chanson de Deerhunter. C'est un rock lo-fi intérieur, confiné.
OOO intemporel puissant, lyrique Rock, songwriter, soul
Le sort d'un album est lié à sa disponibilité dans le commerce. Tant qu'aucune maison de disques ne fait l'effort de le rappeler au souvenir d'une nouvelle génération d'auditeurs, l'œuvre et le message ne retrouvent pas leur public. Essra Mohawk a insisté sur le fait qu'elle avait avant tout un message crucial, et c'est ce qui lui a donné la témérité d'enregistrer, en s'entourant de musiciens capables d'épouser favorablement son style vocal libre et obsédant. Primordial Lovers MM rassemble Primordial Lovers, sa déclaration d'intention, son hymne au pouvoir libérateur de la nature et de l'émotion, et son album éponyme. Sur l'un elle ouvrait une voie, sur l'autre elle semblait émuler Leon Russel et une génération douée de songwriters. Jamais elle ne reproduira la quête menée à bien sur Primordial Lovers.
Elle aurait aimé une pochette plus lumineuse, avec des corps entremêlés courant sur le recto et le verso, sur-imprimés du soleil et de la terre. « L'horizon aurait été fait de la ligne de rencontre des corps ». Pour le reste, son message consistait à montrer une vérité absolue, sensuelle et entière. A incarner cette personne entière, capable de nous toucher tous, d'enter en relation avec chacun dans ce qu'il a de plus profond. « I am a woman/And i got to tell the truth » chante-elle dans Song to an Unborn Soul, avec une emphase à couper le souffle. Cela peut paraître banal, mais elle donne au rivage de la vérité une nouvelle dimension mouvante et charnelle. Très peu d'artistes privilégieront avec autant de liberté et de fougue leur message. Comme Laura Nyro, Essra Mohawk ne prenait rien plus au sérieux que son art. Elle voulait toucher les limites du sentiment humain, avec cette capacité à basculer dans la vulnérabilité et à se montrer péremptoire à la fois. « All life is two lovers/Spinning, spinning towards each other/Reaching, reaching to be one/Just like two primordial lovers/Once created our sun. » Sur Primordial Lovers, en comparaison avec son disque suivant de 1974, elle n'articule pas toujours suffisamment pour que l'on saisisse exactement ce qu'elle chante. Comme s'il s'agissait avant tout d'un flot de musique. Primordial Lovers se veut universel, voit Mohawk traverser de multiples phases, à la fois provocante, noble et mystique, comme si elle ne changeait pas seulement de voix, mais de corps. C'est une musique épidermique, qui fait frissonner.
Le premier chef d’œuvre de l'album arrive avec I Have Been Here Before. Le vibraphone et des cuivres rodent avant de s'élever, sur les mots « Now i'm here with you. ». Mohawk utilise le scat des chanteurs de jazz, et montre comment elle privilégie l'énergie live et la spontanéité, avant de retomber dans un chant mystérieux, dans un nouveau basculement. On comprendra ce qu'on pourra. I Have Been Here Before crée l'un de ces moments que seule une performance de concert peut habituellement ménager, un moment unique dans l'esprit de l'auditeur. En conséquence, on se fera attentif, lors des écoutes suivantes, pour tirer de ce moment décisif de nouvelles raisons de considérer Primordial Lovers dans toute sa radieuse originalité.
Une trentaine de musiciens ont rendu cet album possible, s'adaptant selon l'esprit des chansons. On retrouve notamment le guitariste Lee Underwood, qui a joué sur plusieurs albums de Tim Buckley ; Dallas Taylor le batteur original de Crosby Still & Nash, et Doug Hastings. Des connaissances du producteur Frazier Mohawk, le mari d'Essra Mohawk. Leur entente et leur confiance communes ont ouvert des possibilités musicales inédites, que ce soit soit dans le jazz puissant qui sert de moelle ou dans la façon d'Esrra Mohawk d'agir comme si elle s'épanouissait en direct sur l'album. L'une de ses techniques préférées est ce qu'elle appelle le 'vocal collage', pour rendre plus dense encore une œuvre déjà très développée. Le résultat est bouleversant sur le pont de I'll Will Give It To You Anyway.
Primordial Lovers n'est pas une œuvre isolée dans sa création, mais inspirante pour beaucoup d'artistes dès l'époque de sa conception. Ainsi, I Have Been here Before fascina David Crosby au point qu'il suppliait toujours Mohawk de jouer cette chanson plutôt qu'une autre lors de leurs rencontres, au point qu'elle finisse par influer sur le refrain de sa propre chanson Deja Vu. « Quand je l'ai entendue, c'était vraiment du 'déjà vu ' pour moi », se souvient Esrra Mohawk. Look Forward to the Dawn se déploie encore plus posément. Mohawk se dit inspirée pour le piano par Joni Mitchell, qui elle-même écrivit Woodstock en pensant à Mohawk. celle-ci avait raté le festival à cause d'un problème d'organisation de son management. L'une des raisons, selon elle, pour que ses albums continuent d'être si secrets aujourd’hui. Thunder in The Morning déploie encore une énergie communicative que l'on a envie de reproduire, de partager, de faire connaître, et deviendra l'une des favorites des admirateurs de Mohawk. Sa voix est celle de la plaidoirie, dans le sens de louange. Son attitude envers les éléments ne passe jamais la ligne de la supplication ; dans son abandon le plus sincère, c'est encore la force impérieuse qui garde le dessus. Une grâce irradie des guitares et des cuivres sur It's Up To me, avant de terminer avec une chanson soul, presque gospel où l'on s'entendrait à ce que Mohawk se décide à recréer Dieu pour parachever son expérience naturelle.
Sur l'album éponyme qui suivra, elle affirme encore son message. Accrocheur et entêtant, il est la meilleure façon d'écouter Essra Mohawk si vous préférez l'immédiateté à la recherche. Mais si vous voulez ressentir une émotion étrange et inédite, Primordial Lovers reste la clef qu'il suffit de tourner pour faire échapper l'art d'Esrra Mohawk à son bannissement perpétuel. 01. I Am the Breeze 02. Spiral 03. I'll Give it to You Anyway 04. I Have Been Here Before 05. Looking Forward to the Dawn 06. Thunder in the Morning 07. Lion On the Wing 08. It's Up to Me 09. It's Been a Beautiful Day
Sur la pochette, Spider John Koerner est la petite frappe énervée : il semble attendre l'occasion de mauvaises actions en plein désert. Tandis que Willie Murphy ressemble à l'un de ces docteurs charlatans dont les élixirs sont sensés vous soigner en un rien de temps. Un refourgueur de mauvaise gnôle. L'un affamé d'ambitions, l'autre déjà bien avancé dans un mode de vie légendaire qui lui vaut parfois quelques déboires dont il se tire par la ruse. Une mention au dos de la pochette prévient : Pour guérir toutes sortes de misères, écoutez ça ! C'est vrai que dès Red Palace, le programme de Running, Jumping, Standig Still et très clair : cet album veut changer votre vision de la musique folk rock, vous entraîner dans une danse ou louvoie grosse basse et batterie endiablée entre les notes de ragtime bastringue et celles de la guitare manouche. Avec une générosité anachronique, ils recyclent des rengaines XIXème, comme deux itinérants confiants dans le fait qu'ils vont changer les vies de leur trop rare public. Ils ne frelateront pas l'alcool ni de soutireront de bourses, mais se contenteront d'éprouver leur autonomie. On est du Minnesota, nous rappellent t-ils ; le blues de chez nous c'est comme ça, capiteux, né d'une rencontre unique.
Ce disque est fait de forces à la fois hétéroclites et extrêmement focalisées. Spider John Korner est un guitariste très typé avec une voix fluette parfaite pour le vaudeville country, sa présence spectaculaire, volontiers dramatique, même sans public à entraîner. Tandis que Willie Murphy joue essentiellement le piano et de sa voix écorchée, excellente pour le rythm and blues cramé (Sidestep). Ils sont accompagnés sans ostentation de quelques cuivres solistes, volontiers klezmer (Sometimes i Can't Help Myself) et d'une batterie de parade. Le producteur maison de Elektra records, Frazier Mohawk, s'est montré inspiré dans l'exercice d'enregistrer ces deux musiciens à l'imagination élastique. Koerner et Murphy ont condensé dix ans de scène folk et l'envie de la dynamiter, avec cavalcades, valses et boogies jetés pêle-mêle au cœur de mélodies décalées. C'est très efficace et rare étaient les fêtes locales où cette bande-son ne trouva sa place. « Don't let he bastards get you down » entonne le duo dans le refrain de Bill & Annie, qu'on imagine bien tout le monde reprendre. Avant même qu'Elektra ne se décide à le sortir, hésitant devant un résultat jugé bizarre, Jim Morrison l'écoutait sans arrêt et disait à qui voulait l'entendre que ça lui rappelait des 'hillbillies sous acide'. Une diatribe hors du commun se devait d'attirer l'attention du poète. The Doors étaient aussi signés par Elektra.
Au delà des temps, chacun avait trouvé là, dans l'autre, un génial complémentaire ; Koerner s'est reposé sur de solides bases rythmiques pour faire exploser ses jeux de mots ; Murphy a trouvé chez Koerner un allié capable de donner à des structures écrites méticuleusement une évanescence, spontanéité qui ravit l'auditeur dès les premières secondes, et jusqu'à l'accord de piano fracassant à la fin de Goodnight (on pense à celui qui termine A Day in The Life). Koerner surjoue le charme d'un songwriter dans le veine de Paul McCartney. Et remarquablement, ce charme n'est en rien dilué par la structure ambitieuse des morceaux, leur psychédélisme décadent – Old Brown Dog, Red Palace, ou la chanson titre. On ne s'attend tout simplement pas à une telle ambition dans un disque qui montre une façon de jouer si pittoresque, on se dit que les Beatles auraient pu en faire autant si seulement ils avaient décidé d'enregistrer un album avec un groupe de juifs ashkénazes, mais avec des chansons de huit minutes. Ce charme relie les première folies aux chansons plus modestes (Friends and Lovers) Les idées et la fougue de l'album sont une nouvelle fois balancées dans cette carte postale surréaliste intitulée Goodnight.
01 Red Palace 02 I Ain't Blue 03 Bill and Annie 04 Old Brown Dog 05 Running Jumping Standing Still 06 Side Step 07 Magazine Lady 08 Friends and Lovers 09 Sometimes I Can't Help Myself 10 Good Night 11 Some Sweet Nancy [bonus track]
Si écouter la musique de Michael Franks peut être comme respirer un peu d'air frais, découvrir son histoire l'est aussi. Pour commencer, il a composé plusieurs morceaux et joué guitare et banjo sur l'album Sonny & Brownie (1973), de Sonny Terry et Bobby McGhee, un sacré moment de fraîcheur lui-même, un disque country blues parfaitement produit avec son piano et son harmonica d'anthologie. Tiger in The Rain est produit par John Simon (Leonard Cohen, Janis Joplin, The Band...) Déjà, avant même de l'entendre, on peut commencer à se détendre. Si c'est l'hiver dans vos contrées, de préférence en compagnie d'une Piña Colada ou autre cocktail latino stéréotypé. Franks le mérite bien : ce qui démarque cet album, c'est sa conviction latine, dorée dans un hédonisme quasi licencieux. Underneath the Apple Tree, Jardin Botanico... De quoi rendre attractif un chanteur dont la voix est si douce qu'elle lui vaut d'être relégué avec le jazz un peu honteux. A mon sens, il s'agit d'un rock, extrêmement laid-back, avec du swing mais pas réellement du jazz, ni surtout dans la veine molle. Le tempo latin et les percussions les plus sensuelles, telles le vibraphone, n'empêchent pas le saxophone de marquer une chanson Hideaway par exemple, où l'on est en territoire jazz pour le coup. Cependant même après avoir entendu la chanson titre, tellement feutrée, on rechigne encore à le comparer à des combos jazz propres sur eux ! C'est comme qualifier les Walker Brothers de simple groupe de pop sixties... C'est peut être encore son introspection folk (Living on the Inside) qui séduit.
Tiger in The Rain dissimule. Il s'offre à qui s'attarde. Car Franks est le preux détenteur d'un doctorat en Littérature Américaine. Ce qui lui permet de jouer, en demi teinte, l'homme compassé : « All these books upon your shelves/Did they teach you how to kill yourself/Not even Sigmung Freud/Can save you from the love you destroyed. » (When it's Over) Il n'est pas en reste du point de vue musical, puisqu'il a collaboré avec Ron Carter, Flora Purim, Carla Bley, Michael Brecker, Dean Parks, Steve Gadd, Kenny Barron, Larry Carlton, Ernie Watts, Bucky Pizzarelli, et beaucoup d'autres musiciens à découvrir. Tiger in the Rain crée un monde parallèle pour une Amérique vivant parfois dans un paysage gris de montagnes (l'Utah?), sans parler de villes laides (Los Angeles?), sans loisirs, c'est le parfait moment de détente après une dure journée de travail, surtout au vu de la nature du travail en question. Il apporte une élégance, un sens esthétique entre les critères duquel ont peut tous trouver une bonne raison d'écouter. La voix de Franks, si inoffensive et si peu menaçante, pourrait bien en détourner certains de son objectif : vous leurrer ou vous inciter à examiner de plus près son oeuvre.
Ainsi, ' le pays de Sampaku', contrée imaginaire dont il est question au début apparaît au premier abord un lieu voluptueux. Un endroit sauvage d'où le narrateur est avisé d'échapper, une 'femme aux yeux bruns' le prévenant que 'cette vie empoisonnée sera ta perte'. C'est la fin d'un voyage de jeune homme, pour devenir la percée, par petites touches, d'un gandin plus mûr à sa façon. A la façon de M Craft dans son album Blood Moon, on l'imagine nous mettre en garde, à nous rendre plus attentifs à la nature environnante, même lorsqu'elle semble invisible.
Chez Franks, les secrets ne sont pas seulement cachés dans le paysage, mais dans la langage aussi. 'Sanpaku' est un terme du chinois ancien, que l'on peut traduire par 'trois blancs'. Il se réfère à l’œil et la pupille humaine, et comment, selon le dicton, si le blanc des yeux est visible sou la pupille il s'agit d'un 'œil de sanpaku' qui est souvent le propre des drogués. Justement, le narrateur de la chanson a l'air sur le point, non seulement de se trouver, mais de mettre fin à ses jours après avoir mâché une plante hallucinogène... Depuis la pochette du tableau iconique du douanier Rousseau, le compositeur nous incite à chercher quelque chose d'imprécis mais de réel, et c'est peut être ce qui fait que les fans sont unanimes : Michael Franks relaxe aussi bien le corps que l'âme.
01. Sanpaku.
02. When it’s over. 03. Living on the inside. 04. Hideaway. 05. Jardin botanico. 06. Underneath the apple tree. 07. Tiger in the rain. 08. Satisfaction guaranteed. 09. Lifeline.
post-folk Dans la langue ultime convoquée par David Kauffman et Eric Caboor, le titre de l'album ne se réfère après tout qu'à ce pont qui traverse de Los Angeles à Pasadena, et qui porte le surnom charmant de 'pont des suicides'. De quoi chasser notre malaise. S'il est question d'un suicide, il est plutôt du point de vue de la carrière musicale de ces deux artistes donnant apparemment avec ces 55 minutes leur chant du cygne. Qu'on se rassure, ils ont persévéré, un peu. Leur démarche, conjurer leurs idées les plus franches, les relie à des groupes des années 1990 comme Nirvana. La voix de David Kauffman, se prête, par sa lenteur, aux atmosphères hantées, et ressemble à celle de Michael Stipe, de REM, sans qu'aucune boite à rythme ne propulse ce murmure. Cet album a été oublié à cause de la cadence ralentie qu'il nous impose.
Ce qui les démarque de façon troublante, c'est leur austérité electro-acoustique, parsemée de basse et de piano certes, mais presque sans trahir sa date d'enregistrement, 1983. Les guitares sont superbes, leur variété d'un morceau à l'autre démontrant l'intérêt qu'ont porté les deux musiciens au son naturellement amplifié de leurs instruments ce qui n'était peut être pas si répandu dans cette décennie. Et les paroles, autobiographiques, entre ironie, amertume, réalisent peu à peu une forme d'extrémisme. Life and Times on the Beach évoque les souvenirs personnels du chanteur, qui ne cherche pas tant à les faire voguer qu'à les faire sombrer superbement, commençant par ses meilleurs souvenirs de baseball avant de se décrire viré du collège et tentant de refaire sa vie à Los Angeles. « Ce dont j'ai besoin pour en finir est à portée de main », assène t-il tandis que s’agrainent le son d'un banjo. Puis, ressort qu'on jurerait déjà entendu ailleurs, dans une chanson lointainement échouée, le piano reprend, douloureux, et la chanson que l'on croyait si abruptement terminée retrouve sa route. Ce morceau comme le suivant, dépasse les huit minutes, mais on ne le ressent pas ainsi.
Kauffman profite de ce supposé dernier round pour tacler la déchéance à l'oeuvre, moins en lui qu'autour de lui. C'est une constante dans cet album, dont le ton égal, renferme une colère froide, surtout dans le moments les plus mesurés. "The neighborhood begins to smell like death/Windows are fogging from a drunkard's breath/Junkies are shaking out of every tree/The dog next door don't wanna let them be" sur Neighboohood Blues, glaciale. Comme les meilleurs disques, Songs From Suicide Bridge vous incite à louvoyer dans le temps présent, une partie de vous complètement invisible, vouée à l'émotion intangible. La résolution de l'album n'a pas hâte d'arriver. C'est d'autant plus remarquable que le duo semble avoir tiré toutes les conclusions nécessaires avant d'enregistrer, et sait instaurer une forme de suspense à nous les divulguer à travers leurs trames de guitares nomades. Ils savent retrouver des sons d'au moins trente ans en arrière. Leur intensité à jouer souligne l'isolation et entre en résonance avec le sort de cet album oublié. Après la brève folie psychédélique de Where's is the Understanding ?, pas la meilleure conformation pour délivrer un message universel, Tinsel Town rive définitivement l'album à notre conscience, dans un son de guitare new wave évanescent qui porte l'empreinte non pas d'un sentiment, mais de sa disparition. Enfin, One More Day (You Will Fly Again) épilogue dans des tons proches de Nick Drake, et la candeur du duo est à rapprocher du jeune britannique. Lui ne s'est pas jeté d'un pont, mais c'est tout comme.
1. Kiss Another Day Goodbye 2. Neighborhood Blues 3. Life Without Love 4. Angel Of Mercy 5. Life And Times On The Beach 6. Backwoods 7. Midnight Willie 8. Where's The Understanding 9. Tinsel Town 10. One More Day (You'll Fly Again)
Des éléments de culture locale dans
un disque rock donnent dans le meilleur des cas l'impression d'une
envie indéfectible de s'adresser à tous les êtres humains, en
dépit de la frontière tracée par un régime militaire dictatorial.
C'est au Pérou en 1969. Traffic Sound n'est pas un groupe générique,
et ils ne tentent pas vainement d'appeler à un public le plus large
possible. Leur culture sonne comme de l'énergie pure, qui a abattu
les frontières dès l'origine, avec une intuition et une inspiration
qui semble en appeler à tous les pays opprimés par des régimes
d'enfermement de la culture. Ils sont l'appel de l'aventure, des
expériences psychiques. D'ailleurs Meskhalina offre, dans ce dernier
registre, un hymne inattendu à la nation Inca en proposant d'en
vanter le cactus hallucinogène.
Sur Virgin, propulsé par le plus
important label de musique péruvien, MAG, ils déploient leur propre
'révolution', avec une attitude unique, qui valorise bien plus que
certains de leurs pairs anglais la cohésion de groupe. Que ce soit
les sons latins ou simplement leur approche, ils recyclent les
meilleurs sentiments de communion de la world music au service d'un
son presque purement anglo-saxon, à la fois psychédélique et
focalisé. Les rythmes indolents portés par le saxophone de Jean
Pierre Magnet sont rendus à des rivages oniriques, et traversent
tout l'album. On ne sera pas étonné de découvrir que ce groupe
s'est fait la main dans un premier album, Bailar a GoGo, inspiré par
le blues rock des Doors, de Cream, de Iron Butterfly. Une suite de
neuf minutes, Yellow Sea Days, est l'occasion d'une fresque
rocambolesque vivifiante et enjouée ou le piano, les interjections,
les cris sauvages nous préparent à la véritable mue en maître
lézard du chanteur Manuel Sanguinetti dans le morceau suivant, un
blues enfiévré exactement dans la veine de Jim Morrison.
D'ailleurs, on croirait entendre deux groupes jouer simultanément,
et non un seul. C'est une constante dans cet album qui frappe par
l'impression qu'un vaste hangar bourré d'instruments a été alloué
à son enregistrement. Simple est empreinte d'un charme tout sixties.
C'est une musique évidemment faite pour porter loin, et pour
s'ancrer profond. Des chœurs tribaux, des solos abrasifs, et les
percussions se pavanant au premier plan sont le propre de Traffic
Sound.