“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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lundi 19 mars 2012

Screaming Trees - Invisible Lantern (1988)




Parution : 1988
Label : SST
Genre : Garage rock, Psychédélique,
A écouter : Ivy, Even If, Lines and Circles

°°
Qualités : spontané, grunge

Le chanteur Mark Lanegan est alcoolique au moment d'Invisible Lantern, sans quoi Ivy n'aurait pas été possible. La première chanson de ce disque incarne peut-être mieux les Screaming Trees que Nearly Lost You, les morceau qui continue toujours d'être cité comme leur chanson pour la postérité. Brutale, elle aborde les aléas de la possession et de l'obsession charnelle de façon assez originale. Mark Lanegan interprétera encore e morceau quinze ans plus tard, en concert : il peut ainsi être entendu dans le bootleg Live at Brighton Market enregistré en 2004. Ivy introduit aussi un peu plus la souplesse erratique des Stooges chez les Screaming Trees. Les trois accords du morceau semblent faire écho à I Wanna Be Your Dog, qui abordait le même sujet en reconnaissant la même soumission. Les choeurs des frères Conner ressemblent aux jappements d'Iggy Pop. Après Even if and Especially When, qui est souvent considéré comme le sommet de la première incarnation du groupe, les Screaming Trees n'avaient pas fait de remarquables progrès dans leurs compositions. Mais leur attitude semblait soudain plus extrême, comme s'ils avaient été poussé à bout. Jetant de ci-de là des morceaux roublards et précipités du type de She Knows n'empêche pas Lanegan d'écrire des paroles touchantes. « See her eye in the sky/Burn once more into my mind/Today she's gone away/To leave me hung up in her wake. »

Invisible Lantern transpirait la hargne et l'instinct de survie : les Screaming Trees avaient enfin trouvé la route maudite des salles de concert, et se dévidaient de leurs impressions sur le sujet. « Nous n'avons joué aucun concert jusqu'à ce que Clairvoyance [leur premier album, 1985] soit terminé. » Annulations et déconvenues retardèrent le temps pour le groupe de prendre la route, mais une fois qu'ils comprirent à leur tour ce que c'était que de jouer à travers tout le pays, ils se rendirent rapidement compte qu'il fallait soit se faire humilier, soit durcir le ton. « Nous avons joué à Savannah, en Georgie, et en plein milieu d'une chanson un type a dit dans le micro de la console : « guitariste, baisse le son de ta guitare ! », se souvient Lanegan. « Je ne comprenais pas ce qu'il disait, ajoute le guitariste Gary Lee Conner. Tout ce que j'entends c'est Lanegan qui me demande d'augmenter le volume de ma guitare, ce que je fis. Un peu plus tard, je suis allé au bar pour demander un verre d'eau et le barman m'a dit avec son accent sudiste, 'Si tu peux pas baisser le son de ta guitare, je peux pas te donner d'eau. »

Ainsi le groupe avait découvert le monde au-delà de la bourgade d'Ellensbourg, son unique disquaire et ses deux cinémas. Ils ressentirent une Amérique plutôt hostile, ou simplement indifférente, et cela façonna l'agressivité de ce nouvel album avant que de futures violences ne viennent épisodiquement saborder le groupe de l'intérieur. « Je pense que tous les membres du groupe l'on quitté et réintégré au moins un fois', témoigne Rod Doak, ami d'enfance de Lanegan et roadie du group entre 1987 et 1990, interrogé en 1996. « Je me souviens d'une demande qu'un gars d'une major leur avait faite, 'Bien, débarrassez-vous des deux gros et nous vous signerons. » Le fait que les frères Conner fassent 120 kilos chacun transformait selon certains le spectacle en exhibition plutôt que d'en faire le concert d'un des groupes les plus importants de la côte pacifique.

Si l'attention est facilement accaparée par les progrès de Lanegan en termes de déliquescence vocale, pour une question de fierté et d'honneur, Invisible Lantern se devait d'être l'album de Gary Lee Conner et de son frère. Les riffs de guitare glauques semblent sortis du livre des morts version rock garage, sur Lines and Circles par exemple ; et les soli sont exécutés avec une fluidité et une frénésie qui rappelle James Williamson.

Après Shadow Song, les morceaux deviennent un peu interchangeables, ne gardant pas la hargne du début. Even If, peut-être échappé des sessions pour Even of and Especially When (1987), ramène le psychédélisme des années 60 avec un succès inattendu. Les paroles y semblent s’intéresser aux possibilités d'évasion, par les airs, la mer. « And the waves meet the ship/that we are going to be on ». « On a flight from this day/to a place where we can stay. » Avec encore un album l'année suivante, Buzz Factory, les Screaming Trees prouvèrent qu'ils pouvaient continuer malgré la violence et la précarité de leur situation. Les choses ne changeraient qu'en 1991.

jeudi 2 juin 2011

{archive} Gil Scott-Heron - The Revolution Will Not be Televised (1974/1988)





Voir aussi la chronique de Winter in America (1974)
Voir les archives sur Gil Scott Heron

Parution : 1974/1988
Label : Bluebird
Genre : R&B, soul, spoken word
A écouter : Lady Day and John Coltrane, Home is Where the Hatred Is, Save the Children,

9.75/10
Qualités : poignant, sensible, engagé, vibrant


Cette compilation contient l’essence de ce qui fait Gil Scott Heron au début des années 1974, dans un époque où tout ce qu’il avait d’important à dire lui venait en même temps, ou il lançait des traits d’esprit à profusion,  créant un œuvre à la densité rare. C’est l’endroit idéal où commencer à l’écouter. Scott-Heron faisait alors preuve d’une conscience politique et sociale que peu d’artistes ont égalée. A mesure que son talent s’était révélé, il était devenu auteur de prose,  de vers, musicien (son instrument de prédilection restera le piano rhodes), et surtout orateur, inspiré par Martin Luther King et avec en tête, constamment, le discours que celui-ci avait prononcé devant le Lincoln Memorial en 1963. Scott-Heron avait ce besoin brûlant de partager des messages simples et très puissants, les communicant avec une ferveur inoubliable. Il était de ces artistes qui transforment votre façon de penser, qui exacerbent votre sensibilité. Un slogan aussi fort que The Revolution Will not be Televised a un peu vieilli, à l’heure où la révolution passe par les réseaux sociaux ; et cette chanson qui est devenue pour beaucoup l’épitaphe de Scott-Heron ne devrait pas cacher toutes les beautés humanistes que révèlent certaines de ces chansons, et la vivacité de son espoir, un sentiment indispensable pour faire face, aujourd’hui comme hier, à l’engrenage de la finance. Ecouter Gil Scott-Heron c’est consommer un peu de cette espérance – qui pourra être utilisée dans les jours, les mois, les années à venir pour toute action utile à soi et aux autres.

La version de 1974 de cette compilation rééditée en 1988, tout en étant plus courte, a plus d’impact. Les morceaux ajoutés en 1988 sont en réalité la seconde face de l’album Pieces of a Man (1971), dont sont aussi tirées certains des meilleures sélections ici. Allant de 1970 à 1972, les enregistrements présents nous permettent de profiter des meilleures chansons de Scott-Heron au début de sa carrière. Le style musical est très ouvert ;  poésie parlée, rythm & blues innovant qui contiennent des influences jazz, grooves qui préfigurent le hip-hop. L’abrasivité de certaines pièces – No Knock, The Revolution Will not Be Televised, Brother - confirment les assertions comme quoi Scott-Heron serait un parrain du rap. Ces séquences choc choisissent la confrontation directe et ne deviennent que jouissives, étant donné l’agilité de langue du parolier. Sa colère est contagieuse, notamment sur Whitey on the Moon : «  A rat done bit my sister Nell (with Whitey on the moon)/Her face and arms began to swell (and Whitey's on the moon)/I can't pay no doctor bill (but Whitey's on the moon). « Un rat a mordu ma sœur Nell/Son visage et ses bras commencent à enfler/Je ne peux pas payer de docteur/Pendant que le Blanc est sur la Lune ». Tout est une question de point de vue, et ce que fait Scott-Heron est nous ouvrir à une réalité complètement différente à celle à laquelle la plupart d’entre nous sommes habitués. L’époque ne change rien. Ses observations transcendent les temps et les lieux, car Scott-Heron est un véritable écrivain (il a d’ailleurs commencé par écrire un livre, The Vulture).


J’ai lu quelque part que l’empathie des gens les uns envers les autres devait sauver le monde. Pour la stimuler quelque peu, on peut prêter une oreille à ces Pieces of a Man (la chanson, un touchant portrait de famille où il dit avoir vu son père « se mettre en pièces »), ou Home is Where the Hatred Is, qui décrit les causes intimes de la violence, et comment cette violence commence d’abord par se manifester envers soi-même avant de nuire à autrui. « I left three days ago, but noone seems to know i’m gone » « Home is where the needle Marks/Try to heal my broken Heart ». Et surtout, Save the Children, la brillante complainte pour sauver l’avenir des nouvelles générations, entre les mains desquelles on place une responsabilité chaque jour plus grande. « We got to do something yeah to save the children/Soon it will be their test to try and save the world/Right now they seem to play such a small part of/The things that they soon be right at the heart of ». Au centre des chansons de Scott-Heron, il est toujours question de cœur ; l’empathie est sienne, il la travaille comme Klein son bleu si particulier. Ca et là, la légèreté, l’humour – assez noir, c’est le cas de le dire en ce qui concerne Brother – ou une instrumentation sensuelle allège l’atmosphère. Lady Day and John Coltrane, tiré de Pieces of a Man, est un classique R&B qui raconte comment la musique jazz peut adoucir les mœurs. Scott-Heron ne se fait pas seulement plaisir dans ces moments de brillance pop, il ouvre ses auditeurs, les met en confiance, les charme. Save the Children ou Home is Where the Hatred Is montrent aussi l’excellence de Scott Heron comme chanteur de soul.

mercredi 30 septembre 2009

{archive} Pixies - Surfer Rosa

Rien à ajouter à l'excellente chronique de Nicolas disponible à cette adresse :
http://www.albumrock.net/critiquesalbums/surfer-rosa-452.html

Et que je publie ici.

"On le sait, je le sais, vous le savez, les années 80 ont été pour le rock une période proprement calamiteuse. Lente agonie du punk, mort brutale de la coldwave, extermination du progressif, recul inexorable du hard rock au profit du metal (une bonne ou une mauvaise affaire selon les chapelles), cette décennie sinistrée n'a pas hésité à sacrifier un Ian Gillian (Deep Purple, ndt), un Roger Waters ou un Steven Tyler au profit d'une Madonna bitchy, d'un Prince fadasse ou d'un Michael "Aouhhhh !" Jackson. Pourtant, les eighties ont aussi engendré, envers et contre tout (et probablement de façon réactionnelle), quelques manifestes rock parmi les plus percutants de ces cinquante dernières années, et Surfer Rosa, premier coup de boutoir de ces allumés de Pixies, en fait incontestablement partie.

On se demande d'ailleurs bien par quel miracle un tel brûlot a-t-il pu éclore dans un contexte aussi désastreux. A y regarder de plus prêt, la solution semble uniquement tenir au hasard des rencontres, comme c'est souvent le cas lors de la genèse des groupes cultes. Si Charles Thompson (alias Black Francis) et Joey Santiago n'avaient pas été copains de chambrée à la fac (et accessoirement jammeurs du Dimanche), si Kim Deal n'avait pas été la seule personne à répondre à l'annonce des deux premiers pour jouer de la basse au sein d'un groupe de rock, si cette même Kim Deal n'avait pas sympathisé avec David Lovering, batteur et vieux pote de son mari, le jour même où elle convolait en justes noces, les Pixies n'auraient jamais vu le jour. C'est aussi simple que cela. Ce groupe n'est rien d'autre que la résultante d'une rencontre fortuite entre quatre très fortes personnalités que la fatalité a mises sur le même chemin. Comment imaginer sinon qu'un petit chauve énervé, un fils d'immigré Philippin taciturne, une laborantine susceptible et un électricien débonnaire aient pu s'associer pour engendrer l'une des formations les plus influentes de sa génération, sans laquelle Nirvana et les Smashing Pumpkins - entre autres - n'auraient été que l'ombre d'eux-même ? Comment expliquer sinon l'émergence de ce rock proprement unique, fusion improbable du punk hardcore de Hüsker Dü, de la pop des Beatles, du glam excentrique de David Bowie, du metal progressif de Rush ou de la folk de Peter, Paul and Mary ?

La folie des Pixies doit évidemment beaucoup à la personnalité pour le moins hors norme de Black Francis, à son goût pour les textes surréalistes, sa passion pour le catholicisme, sa fascination pour les déviances psychiques comme le voyeurisme, l'auto-mutilation ou l'inceste ; mais aussi et surtout à la façon qu'il a de donner vie à ses écrits, à son timbre de fausset sans cesse sur la corde raide, à ses soubresauts de voix imprévisibles et à ses hurlements féroces dignes du plus dangereux des aliénés. Mais réduire le combo au seul futur Frank Black serait une grossière erreur. Rares en effet sont les groupes à avoir su si bien capturer la singularité propre à chacun de leurs membres. Si Black explose le rythme des morceaux par sa diction chaotique et ses riffs cocaïnés, c'est bel et bien Kim Deal qui cimente la musique du groupe tant par ses lignes de basses alpaguant les mélodies que par ses chœurs d'une grande pureté, oasis de délicatesse dans ce royal bordel. Là-dessus, la puissance de feu de Lovering se révèle absolument nécessaire pour contenir les saillies détructurées de la guitare de Santiago, qui s'entortille sournoisement autour des autres instruments pour mieux s'en extirper sans crier gare en électrisant tout ce qu'elle frôle. Les lutins de Boston sont comme du lait sur le feu : brûlants et imprévisibles. Mais aussi - et surtout - fichtrement doués.

Avant de mettre en boîte ce premier album coup de poing, les Pixies pouvaient déjà se targuer de posséder une solide réputation dans le Massachusetts, principalement en raisons de lives échevelés dont ils s'étaient rendus coupables et qui leur avaient valu de décrocher la première partie de la tournée de leurs idoles, les Throwing Muse, en 1986. C'est lors de l'un de ces fameux concerts qu'un producteur du nom de Gary Smith les alpagua et se mit en tête les faire signer sur le champ chez 4AD Records, ayant immédiatement repéré leur énorme potentiel. Quelques semaines plus tard, dix huit titres furent mis sur bande aux studios Fort Apache en à peine trois jours d'enregistrement, réalisant la fameuse Purple Tape de laquelle furent extraits les huit morceaux de Come On Pilgrim, premier EP officiel du groupe. Si le boulot de Smith fut considéré comme satisfaisant par le quatuor, l'individu fut en revanche jugé trop regardant sur ses honoraires pour pouvoir être reconduit au poste de producteur sur le futur album. C'est alors que Ivo Watts-Russel, patron du label 4AD, se vit souffler l'idée d'embaucher à sa place un certain Steve Albini, obscur musicien hardcore à forte affinité indu, ex leader des vénéneux Big Black et accessoirement producteur à ses heures perdues. En matière de rock, les affaires sont parfois rondement menées, et de fait il n'a fallu qu'une seule soirée chez David Lovering, soirée aussi impromptue qu'alcoolisée, pour qu'Albini se lance dans l'aventure. Le lendemain, les Pixies étaient en studio, et Surfer Rosa vit le jour dix nuits et 10.000 dollars plus tard. Une paille.

Beaucoup de disques cultes se laissent apprivoiser sans effort, mais tel n'est pas le cas de l'album à l'andalouse dépoitraillée. Preuve de son jusqu'au boutisme sonore et de son atypie foutraque, Surfer Rosa choque, bouscule, dérange, et rejoint sur ce point le style extrémiste de Come On Pilgrim. En comparaison, Doolittle, son successeur, se révèle presque mainstream. La faute (si l'on peut dire) à une production made in Albini proprement radicale, misant tout sur un lo-fi incisif, ratissant les parties vocales pour les réduire au minimum vital, démultipliant le volume de la basse, acérant les giclées de guitares telles des lames de machettes mexicaines, et surtout plaçant la batterie au tout premier plan. De fait, la sonorité des caisses de Lovering sur cet album est tout bonnement herculéenne, il n'y a qu'à se passer l'introduction colossale de Bone Machine pour s'en rendre compte. Aussi lourde que brutale, aussi cinglante que massive, cette chappe de percussions fit rapidement la renommée de Steve Albini et fut l'argument décisif qui poussa Kurt Cobain à engager le bonhomme pour produire plus tard In Utero. De même pour Pure des Jesus Lizard, ou Rid Of Me de PJ Harvey. Mais le rendu technique de la galette n'explique pas à lui seul l'étrange ambivalence que l'on éprouve en l'écoutant, de cette ambivalence qui vous fait vous demander si, vous aussi, vous n'êtes pas en train de devenir complètement cinglé. Surfer Rosa a été conçu à l'instinct tant pour pulvériser les conventions que pour repousser les extrèmes. Ainsi en est-il de ces rythmiques punk complètement allumées, de ces chansons transpirant une démence aussi étrange qu'hilarante, mais aussi des éclats de voix hystériques de Black Francis et des grondements erratiques de la 6 cordes de Santiago. Il n'y a qu'à écouter les trésors de surréalisme déployés par des morceaux comme Something Against You, Broken Face, Oh My Golly! et Vamos (déjà présent sur Come On Pilgrim dans une version plus courte) pour prendre toute la mesure de ce disque hors norme. Le dernier titre, surtout, se pose en véritable manifeste pixiesien dans toute son excentricité, avec ses textes hispaniques sans queue ni tête, ses riffs dissonnants, sa batterie métronomique et son époustoufflant concert de hurlements copyright Black.

Puis, au fur et à mesure que les écoutes s'enchaînent, on se rend compte qu'il y a plus, bien plus qu'une folie incontrôlée chez les lutins de Boston. On y découvre des chansons, des vraies de vraies, avec des lignes mélodiques en béton armé, de petites rengaines rapidement expédiées (esprit punk oblige) mais qui n'ont pas leur pareil pour nous trotter dans la tête à toute heure de la journée. Et c'est à ce moment que l'on appréhende le mieux la place absolument primordiale qu'occupe Kim Deal dans la formation. Sur River Euphrates, par exemple, même si Black assure un show vocal assez délirant, les choeurs tendus et asphyxiants de la bassiste aimantent l'attention et tractent le titre vers des sommets insoupçonnés. Kim est également l'auteur (et la chanteuse) d'un petit bijou pop répondant au nom de Gigantic, jolie ritournelle sur fond de grosses guitares imposant d'emblée la marque de fabrique la plus fameuse des Pixies : couplets calmes et refrains puissants. Oui, ce schéma qui nous semble si galvaudé de nos jours, ce schéma ultérieurement vulgarisé par un certain Smells Like Teen Spirit, ce sont eux qui l'ont inventé. Quoi qu'il en soit, ce titre représente la seule contribution de Deal au groupe. Mais dans le genre mélodies imparables, Black Francis ne s'en sort pas trop mal non plus, merci pour lui. Que ce soit dans le pamphlet barge martelé avec toute la conviction d'un détraqué (Bone Machine), le brulôt alternatif au refrain incandescent (Break My Body), le gros délire d'adolescent cancanné avec passion (Tony's Theme) ou encore la ligne de guitare qui tue transportant un duo vocal en apnée (Brick Is Red), la fibre musicale du chauve fait déjà merveille. Et puis il y a Where Is My Mind, le tube le plus connu du quatuor (bien aidé en cela par son apparition dans la BO de Fight Club), superbe morceau inspiré à Black Francis alors qu'il faisait de la plongée sous-marine à Porto Rico et qu'il s'étonnait de l'absence de réaction belliqueuse des poissons dont il dérangeait l'habitat. Placé en plein milieu de l'album, tel une bouée de sauvetage lancée à l'auditeur en détresse, il offre un instant de répit et de contemplation dans tout ce foutoir sonore grâce à la limpidité de son hymne électrique et à ses choeurs évanescents.

A sa sortie, Surfer Rosa fût un flop commercial assez retentissant, et ne fut distribué dans un premier temps qu'en Angleterre avant que Rough Trade Records ne sorte l'album couplé à Come On Pilgrim aux Etats Unis - c'est d'ailleurs sous cette forme duale qu'on peut le trouver actuellement dans le commerce. Pourtant, le disque n'est pas longtemps passé inaperçu parmi les rockeurs, c'est le moins qu'on puisse dire. Il représente la meilleure carte de visite que pouvait se fabriquer Steve Albini pour démontrer l'étendue de son talent de producteur. Kurt Cobain lui-même affirma que la sonorité de l'album, sa dynamique novatrice et cette alliance entre gros son et mélodies pop avait eu un impact très fort sur la genèse de Nevermind. Quant à Billy Corgan, il a trouvé dans cette galette la motivation suffisante pour franchir le pas et lancer ses Smashing Pumpkins sur les rails. C'est dire si le premier album des Pixies a frappé fort là où ça faisait mal, réalisant une agression aussi barrée que joviale, aussi percuttante que jouissive. Un véritable sommet du rock alternatif, et la parfaite définition d'un abum culte, en quelque sorte. "
  • Parution : 21 mars 1988
  • Label : 4 AD
  • Producteur : Steve Albini
  • A écouter : Bone Machine, Where is My Mind, Gigantic, River Euphrates, Something Against You

mardi 21 juillet 2009

My Bloody Valentine - Isn't Anything (1988)




OOOO
ambigu/expérimental/efficace
Noise rock/Indie rock/pop

De l’autre côté de la manche  My Bloody Valentine sont des demi-dieux, déclenchant un épisodique tonnerre  avant lequel le public est prié d’enfoncer bien loin dans ses oreilles les bouchons qui lui sont offerts. Fuzz, feedback et larsens ont tôt fait de rendre sourds les récalcitrants.

Fondus comme nul autre dans la manne de la fin des années 80 et du début des 90’s, qui avait pour mission d’assassiner la pop (ou du moins d’y échapper) à l’instar de Sonic Youth, Nirvana les Pixies ou Jesus and Mary Chain, ces demi-dieux ne sont en réalité que quatre ados, et pas les mieux soignés. Une jeunesse fougueuse qui appelle les influences autant qu’elle les rejette. My Bloody Valentine, groupe irlandais qu’on a du mal, avant tout pour des raisons esthétiques concernant aussi bien ses musiciens (ados gras, sales, chaotiques), à imaginer passer à la radio ou à la télévision.
Sur la pochette, les membres du groupe apparaissent (transparaissent ?) plus gueules d’ange qu’a l’accoutumée, grâce au traitement phantasmatique qui leur est réservé. Ils ne se montrent qu’a travers une manne de lumière, un philtre ; impression que l’on retrouve dans la musique, puisque les voix ne sont les plus belles que posées au-dessus d’une trame filtrante de guitares et de sons générés. Impression que l’on retrouve aussi dans l’immédiateté, qui est comme un flash lumineux.

Parmi le quatre membres du groupe, Kevin Shields et Belinda Butcher sont les maîtres d’œuvre ; ils se partagent l’écriture des textes, et Shields s’occupe de la musique.

La production de Kevin Shields est parfaite. D'un talent, elle deviendra sur l'album suivant l'obsession d'une 'perfection' subjective, poursuivie sans relâche. Le son est saturé sans être confus, compact sans être crade. Les moyens sont grands pour donner aux guitares relief et puissance. Il s’agit en effet de toujours pousser plus loin le déréglage pour que jamais l’instrument ne sonne à la manière dont le voulaient ceux qui l’on conçu. L’instrument est sublimé en douleur. Pour créer l’urgence, la candeur, l’immédiateté, le déséquilibre. Et ensuite, d’encadrer cette matière électrique soigneusement découpée par une batterie très dynamique, privilégiant les rafales de caisse claire. L’audace de l’exercice n’est pas mesurable.

On s’attache au chant, unique. Entre sérénité crâneuse et vaporeuse, et les chœurs de Belinda Butcher qui se greffent comme une autre composante essentielle du son du groupe.
Les morceaux, comme taillés dans le brut, révèlent pourtant des mélodies souvent sentimentales, tèrs concises. L’album s’écoule, quelques chansons se démarquent, mais pas nécessairement. Les onze pistes passent comme un orage de milieu de journée.

Les textes sont sans équivoque et sans détour, mais pas sans imagerie juvénile parfaitement dans l’air du temps. C’est ce que je reprocherai au second album, Loveless (1991); les morceaux en veulent trop ; c’est, trois ans plus tard, la perte de l’innocence. Isn’t Anithing est un album ciselé et intelligent, instinctif.
C’est par expétrimentations que le groupe en est arrivé là, avec le maxi single You Made me Realise, sorti en juillet 1988. Approximations, désirs, jeunesse : Rock’n Roll ! Ensuite, Isn’t Anithing est né, pour l’enregistrement duquel, selon la légende, les musiciens ne dormaient qu’environ deux heures par nuit.



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