“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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jeudi 4 février 2016

NATALIE MERCHANT - Homeland (2001)




OOO
soigné, lyrique, lucide
Songwriter

Motherland est un point de départ idéal pour écouter Natalie Merchant. Sur son troisième album solo, elle chantait mieux que jamais. Ses chansons peaufinées semblaient capables de prendre une nouvelle signification au fur et à mesure des événements. This house is on Fire par exemple, qui prit une autre dimension après l'attaque des Twin Towers, et une autre encore si l'on considère les incendies qui ravagent aujourd'hui les Etats-Unis, incapables de préserver leur environnement. La pulsation reggae de cette chanson dramatique, combinée à une mélodie arabisante, provoque une sensation de surélévation presque mystique. On s'attend à un message universel. 

Le titre de l'album, Motherland, la 'terre mère', pouvait servir d'enseignement, comme presque tout ce que contiennent les chansons de Merchant. Des sensations avisées, des avertissements auquel on pense assister comme spectateur, avant de se sentir directement touchés. Par le tour que prenait ses histoires matinées de douce désillusion, mais pas de renoncement, sa musique prenait cette capacité à nous hanter longtemps après que cet album soit terminé. Elles transmettent une histoire et l'illustrent, donnant une perspective parfois vertigineuse à des thèmes enfouis en nous, parfois depuis l'enfance, et sondés dans ce qu'ils ont de profondément adulte. Il est question de maturité, de dissimulation, de pouvoir à se diriger soi-même das la vérité ou dans l'illusion. 

Merchant nous donnait le sentiment de participer à un mauvais jeu, mais jamais de miser contre notre intérêt. Une certaine froideur se détachait désormais de chansons comme I Put a Lawn on You, si parfaitement maîtrisée, avec orgue hammond et saxophone. L'aspect nourricier et spirituel dont elle pare discrètement chacune de ses œuvres est donné ici par l'apparition, sur deux chansons, de Mavis Staples, dont le honky tonk racé de Saint Judas.

lundi 13 juin 2011

Treme - 1ère partie

La tombe de Marie Laveau. 

 Un cottage créole dans le Treme.

John Boutté.

C’était une belle matinée pour un lundi, dans le courant de l’année 2000, quand John Boutté mit le nez hors de chez lui et entendit l’écho d’une grosse caisse investir les cottages créoles de sa rue. Un café à la main, il sortit pour trouver un groupe en action devant l’église proche – et c’est là qu’il eut l’idée. « Ils ne font ça nulle part ailleurs. Vous savez ce qu’ils disent à propos de l’arbre qui cache la forêt ? J’ai finalement vu l’arbre et la forêt tout à la fois ». Le contexte et les protagonistes, un tableau culturel et humain si souvent répété prenait une dimension suffisamment forte pour faire naître l’inspiration. Ce matin là, Boutté revint chez lui, s’assit à son piano et composa aussitôt une petite histoire évoquant ce qu’il avait vu : « Hanging in Treme/Watchin’ people sashay/past my steps/by my porch/In front of my door ». La simplicité des mots l’amuse aujourd’hui ; à l’aune de la carrière de Boutté, plus enclin à explorer les souvenirs poignants de ses racines créoles et néo-orléanaises, à se recueillir et à interroger le sens de la vie à travers la présence divine, The Treme Song était un pur moment de divertissement ; mais là encore il y chantait de tout son cœur, y insufflait une vie suffisante pour ressusciter les morts de Saint Louis cemetary et pour les faire parader sur la rue du même nom, dans les couleurs locales ; et pour éveiller l’affection jamais éteinte des vivants, population diverse et variée, envers leur chez-soi. La Nouvelle Orléans : cette ville nichée dans un repli du Golfe du Mexique, qui, par erreur disent certains, est américaine, alors qu’il s’agit probablement de l’île la plus au nord des caraïbes. 
Le cimetière de Saint Louis est peut être un endroit curieux pour commencer une visite, et pourtant il renferme quelques secrets qui font l’histoire de la Nouvelle-Orléans. Dans ses caveaux à la mode espagnole et française (des niveaux d’eau élevés empêchent d’enterrer les défunts) reposent un industriel du sucre et premier maire de la ville ; Benjamin Latrobe, le premier architecte professionnel des Etats Unis ; le premier maire Afro-Américain de la ville ; Paul Murphy, l’un des premiers champions mondiaux d’échecs ; et, depuis devenue une attraction touristique, la dernière demeure de Marie Laveau, la prêtresse vaudou qui attire encore l’espérance et les vœux. Sa magie mélangeait les saints catholiques et les esprits Africains. Coiffeuse à la ville, elle organisait des cérémonies au cours  desquelles elle appelait les esprits pour posséder ceux qu’elle invitait à participer, dansait nue autour de feux, disait  la bonne fortune, était supposée soigner les malades et sauver des hommes du gibet.
Un autre endroit inévitable est Congo Square, symbole de « libre échange » culturel. Il débuta au 19ème siècle comme l’endroit où les esclaves noirs se réunissaient le dimanche pour danser. De telles pratiques disparurent avec l’apparition des tensions avant la guerre civile. Des « brass bands » créoles donnaient des concerts et commençaient à adopter un style plus improvisé qui préfigurait  le jazz. De telles histoires peuvent paraître poussiéreuses dans la Nouvelle Orléans moderne, elles renferment une fierté non négligeable. Un de ces sentiments qui servent de ciment à la population des affranchis déportés d’Afrique, des créoles originaires d’haïti, des anciens européens ou autres acadiens, tous venus là avec leurs histoires, et, comme le chanteur soul/jazz John  Boutté, capables de les raconter.
Boutté est parfois présenté en ces termes : petit par la taille mais immense par le talent. Sa voix fragile et intense suscite souvent une comparaison avec Sam Cooke, dont il a repris le sublime A Change is Gonna Come (probablement l’une des plus belles chansons jamais enregistrées) en se montrant à la hauteur stratosphérique imposée en 1989 par Aaron Neville sur le plus gros succès des Neville Brothers, The Yellow Moon, où celui-ci l’avait reprise également. Boutté vit aujourd’hui dans une maison à deux pas de là où il a grandi, dans le quartier français, enfant d’ascendance créole. Il profitait alors de la rumeur musicale des mariages et des enterrements provenant de l’église devant laquelle il eut cette vision inspirant The Treme Song.  En passant dans la rue, on peut aujourd’hui l’entendre chanter une pièce de jazz ou une chanson coréenne – même à cette distance, avec tant d’élégance qu’on ne peut le prendre que pour un maître. L’élève Boutté jouait de la trompette dans les marching bands de son école ; et l’école lui donna aussi une chance de chanter, surtout a capella avec des groupes de rue. Dans cette ville, être musicien de rue est une chose qui est pour toujours respectée. L’école le soutenait aussi lors de compétitions de talent.
A l’époque Boutté débuta, étaient en odeur de sainteté Stevie Wonder et Marvin Gaye – son What’s Going On (1971) est inamovible, surtout après l’ouragan Katrina -, Roberta Flack et Donny Hathaway. La sœur de Boutté, Lilian, lui fait découvrir les légendes locales : Dr John, Allen Toussaint et James Booker. « I remember dancing in the kitchen with my lovely sisters » chante t-il sur l’une de ses plus belles réussites personnelles, Sisters. L’éducation catholique de John – avec un diplôme de finance à la clef - va aussi jouer un grand rôle dans sa personnalité artistique ; sa foi est transparente et son humilité immense. Son expérience à l’armée l’amena à intégrer et diriger des chorales, notamment en Corée. Puis il se trouvera un travail de bureau. Ce n’est que quand il rencontrera Stevie Wonder qu’il osera tenter une carrière artistique, la superstar lui disant qu’il avait définitivement sa chance comme chanteur. Le mot qu’il utilisa pour décrire la voix de John fut « incroyable ». Sa sœur Lilian l’invita ensuite à la rejoindre en tournée en Europe démissionna de son travail et ne le regretta pas. Sa sœur et deux de ses nièces ont tous également fait carrière dans la musique.
En 2000, John participe au projet Cubanismo ! S’ensuit l’acclamé Mardi Gras Mambo !, un disque qui explore les relations culturelles étroites entre La Havane et la Nouvelle Orléans. En 2001, il travaille en solo, et paraît At the Foot of Canal Street, album soigné sur lequel les reprises et les chansons traditionnelles réinterprétées avec une candeur unique côtoient deux chansons écrites avec son ami John Sanchez, qui fondera plus tard le label caritatif Treadhead Records. La chanson-titre est un classique dont tout le monde connaît les paroles à la Nouvelle Orléans : « Don’t waste your time/being angry… » « Avec ça, la voix de John est devenue officiellement ce qu’elle a toujours été pour moi, témoigne Sanchez. La voix de la Nouvelle Orléans, appelant les gens à rentrer au pays ». En 2004, environ 250 000 personnes, la moitié de la population locale, quittent la Nouvelle-Orléans pour une terre plus clémente, bien conscients de ce qu’ils laissent derrière eux. Beaucoup sont persuadés que la ville ne redeviendra jamais ce qu’elle était avant le désastre. Trop de dégâts, de pertes et de chagrin : il n’est de famille qui n’ait subit une perte. Pourtant, certaines des figures culturelles les plus emblématiques, telles Allen Toussaint et Dr John, resteront sur place ; et de nouveaux ambassadeurs furent trouvés, tels John Boutté.
Les concerts et les tournées américaines de celui-ci prendront une autre dimension après Katrina. « J’avais l’habitude de parler en l’air », raconte t-il. « Mais maintenant je réalisais que les gens me prenaient au sérieux. » Facile de s’attacher à cet homme fébrile et passionné. « Ce petit homme supportait tant de gens, quand lui-même était brisé », se souvient Sanchez. « Il avait l’habitude de reprendre des standards du jazz. Nous en avons parlé. Je lui ai dit, ‘en ce moment même de l’histoire de la Nouvelle Orléans, pour beaucoup de raisons, des milliers de gens se tournent vers toi. Si tu ne racontes pas l’histoire, qui va le faire ?’ » La fragilité de John lui fait créer une relation privilégiée avec son public. Il est capable de terrasser tout le monde d’un seul coup. C’est ce qui se passa lorsqu’il reprit en 2006 Louisiana 1927, une chanson composée par Randy Newman sur l’inondation de 1927 – l’une des plus fortes dans le contexte d’une reconstruction. « Louisiana/They’re trying to wash us away ». Il modifia la chanson pour en faire une complainte de près de huit minutes. « Le président Bush passe au dessus dans un avion/avec douze hommes gras, des martinis doubles dans leurs mains ».  La présidence de Bush a beau être un mauvais souvenir, la force de la prestation de Boutté ce soir-là restera durablement dans les mémoires.

At the Foot of Canal Street

Parution : février 2001
Label : Valley entertainment
Genre : jazz, soul
A écouter : At the Foot of Canal Street, A Change is Gonna Come, Black Orpheus

7.75/10
Qualités : romantique, heureux, attachant



mardi 5 avril 2011

Josh t Pearson - Last of the Country Gentlemen (2011)


L’expérience spirituelle construite de toutes pièces par Josh T. Pearson depuis une quinzaine d’années, n’a pas été loin d’être ultime, manquant probablement de peu de lui asséner le coup final derrière la tête, tandis que les vautours, perchés sur le toit de sa maison vétuste de Tehuacana, Texas, confiants en sa destinée – il a juré de les avoir observés en attente de sa mort prochaine – plongeraient enfin sur lui. Son nouvel album, Last of the Country Gentlemen, superbe, marque un tournant dans sa vie. Il en parle avec un humour noir qui remplace la défiance passée. Les forces égocentriques qui le dévoraient se dissipent ; sous la houlette du label Mute, il devient complètement fréquentable.
Pendant quelques années, le music business a été l’endroit où sa ferveur anachronique en Dieu s’est transformée en névrose obsessionnelle. Mais il a été un croyant toute sa vie, sans cesse persuadé que sa foi était testée.

Son père, un évangéliste, abandonna sa famille, persuadé que Dieu pourvoirait à leurs besoins. Sa mère enchaîna les petits boulots pour les entretenir, lui et sa soeur, aidée en cela par l’Eglise locale. Pearson grandit ainsi dans une intense fascination pour Dieu.
«J’ai grandi dans des ordres où l’esprit sain est une chose dont la congrégation fait l’expérience, ils peuvent le ressentir », assure t-il. « Je l’ai ressenti aussi, parfois, comme un fantôme dans la pièce, jusqu’à ce qu’il me laisse un jour. J’ai juste senti que, BAM ! Toute ma foi était basée sur ce sentiment, ‘il vit en moi’ et quand ça a cessé, j’ai pensé, je vais me tuer. Putain. Il n’y a pas de Dieu, et je ne sais pas comment m’y prendre avec l’existence ».
Isolé et apparemment dépourvu de relations sociales saines – entendre de petite amie - avant longtemps, Pearson est persuadé que Dieu a un projet pour chaque homme, et que le vide dans son existence signifie qu’il a été choisi pour un dessein particulier par le créateur. Il doit alors se montrer plus fort et plus dévoué que les autres pour s’en sortir. « C’est Dieu lui-même qui semble m’avoir mis des bâtons dans les roues », médite t-il ces jours-ci.

L’une de ses premières tentatives de montrer qu’il a compris le message divin est lorsqu’il aide un certain Jim Parker à repeindre les murs du Trinity Institute à deux pas de chez lui. Cet imposant manoir fit autrefois office de collège, dans lequel des Méthodistes enseignaient la Bible, avant qu’il ne soit abandonné et ne serve de décor à des films d’horreur tel Don’t Look in the Basement. Jim Parker est sympathique, le genre d’homme paisible au service de qui, si on ne fait rien pour s’en sortir, on peut bien passer toute son existence, dans une ignorance très américaine du monde extérieur. « Je traversais des temps difficiles, essayant de saisir le sens de la vie. » Dans un acte qui ressemble fort à celui des artisans du Moyen-âge, Pearson gravera son nom dans le bois de l’édifice, l’orthographiant « Pierson » pour effacer, un peu grossièrement, la trace de la lignée paternelle.

Le dernier disque 90’s

Quel autre moyen plus universel aurait pu trouver Pearson qu’un disque pour montrer qu’il pouvait prendre sa destinée en main, qu’il méritait bien quelque récompense divine. Toute oeuvre d’art aurait fait l’affaire, et c’est dans ce contexte que se produisent les albums les plus impressionnants ; quand ils sont interchangeables avec une forme picturale ou littéraire, voire une pièce de musique liturgique, quand ils rivalisent d’ambition avec les oeuvres les plus exigeantes et complexes.

Lift to Experience, le groupe de Pearson, se forma en 1996. Il était accompagné d’un ami rencontré à l’église, aussi appelé Josh, Josh Browning. A la batterie, ils ne trouvèrent Andy « the boy » Young, féru de jazz, qu’après être passés par cinq autres batteurs. Young allait jouer un rôle important dans la façon parfois très libre de la musique qu’ils enregistrèrent pour The Texas-Jerusalem Crossroads. Mais Pearson en composa au préalable chaque détail du double album, chaque mot et chaque feedback de guitare, inspiré par My Bloody Valentine, un groupe qu’il admirait. Avec Kevin Shields, le leader de ces derniers, il partage un talent perfectionniste presque maniaque (Loveless, en 1991, avait manqué de ruiner la maison de disques en sessions d’enregistrement). Pearson et ses pairs vont enregistrer une première mouture de The Texas-Jerusalem Crossroads en 1999, mais de celle-là ils ne garderont rien, le réenregistrant l’année suivante. Lorsque le disque verra finalement le jour en 2001, il passera inaperçu aux Etats-Unis où il ne sera même pas distribué. Le web 2.0 et les réseaux sociaux n’en étant qu’à leurs balbutiements, le groupe aura la sensation d’être totalement ignoré. C’est sans avoir idée de la réaction provoquée par son accueil européen ; critiques élogieuses, récupération par l’underground et bientôt album culte.

A l’écoute du disque, son importance est évidente ; double album-concept large et profond, il oscille constamment entre fracas apocalyptique et légèreté angélique à la Jeff Buckley. Ouvertement désiré comme l’expérience ultime de la décennie, il se donne les moyens de son ambition en offrant une exploration parfaitement contrôlée de la décadence de la foi. L’invention qui valide toutes les autres – excursions formelles, explosions de guitares, passages en apesanteur, plages étouffées -, c’est qu’au lieu de sonner seulement comme une condamnation des excès du monde pour lesquels celui-ci mérite bien une petite punition venue du ciel, The Texas-Jerusalem Crossroads a cette pirouette de transformer le Texas en inattendue terre promise. C’est le sursaut de vie qui abat tous les ternes clichés de cette région stigmatisée de l’Amérique. « We’re the best thing in the whole damned land/And Texas is the reason », assènent t-ils. Bien que sorti au début de la décennie suivante, l’album clôt à merveille dix ans parcourus de tentatives successives de barouds d’honneur, dix ans aussi victorieux que dramatiques et extrêmes pour la musique américaine en particulier.

A l’aune de l’énorme travail accompli, la déception de Pearson face à l’accueil du disque est d’autant plus titanesque. Il s’y croyait déjà: « Quand vous êtes un grand groupe et que vous êtes soudés les uns aux autres, c’est, fuck you, on va contrôler le monde. » « On va chanter ça à l’univers, on sait que l’univers va nous renvoyer un sourire. » Mégalomane? Sans doute. Mais comme rien n’est fait pour durer éternellement, ses sentiments de toute-puissance, comme les relations entre les membres du groupe, vont s’étioler. Suite à des drames familiaux et à des problèmes de drogue, Lift to Experience se dissout. Avec ironie, Pearson qualifiera plus tard le disque de «petite symphonie à Dieu», évoquant le sort tragique de Brian Wilson, devenu fou après les Beach Boys.

Last of the Country Gentlemen

Pearson a travaillé dans son coin à un second disque de Lift to Experience, prévu pour s’appeler The Post Apocalyptic Blues. «Trop sombre », de son propre point de vue, pour voir le jour. Il ne le finira pas, pas plus que quatre ou cinq autres projets laissés en suspens pendant les années 2000. Pour un autre album, il envisage une création en sept jours. Il joue quelques nouveaux morceaux lors d’une tournée en Europe en 2002. Il se retranche dans son village d’appartenance, Tehuacana, pendant plusieurs années, et ailleurs au Texas. Il va ensuite quitter le Texas et les Etats-Unis pour déménager à Berlin, puis à Paris. Dans l’une comme dans l’autre des deux capitales, il finit de prendre conscience qu’il n’est pas seul, mais entouré d’une vie artistique intense qui le fait sans doute considérer son cas avec plus de recul. Invité par un couple d’admirateurs parisiens à séjourner chez eux à titre gracieux, au-dessus d’une crêperie appelée West Country Girl, Pearson s’acquittera de son du en interprtant régulièrement des sets acoustiques dans la boutique, se contentant à merveille de ce rôle de troubadour venu d’ailleurs, et à qui l’on doit un disque culte dont la légende est évoquée partout à demi-mot.

Il doit maintenant non plus prouver aux autres, mais à lui-même, qu’il est capable de soutenir l’effort d’un album entier de chansons acoustiques. Sa vie amoureuse mouvementée inspire les titres qu’il écrit en tournée avec Dirty Three, le groupe instrumental du violoniste Warren Ellis, également homme de main de Nick Cave au sein des Bad Seeds et de Grinderman, et responsable des musiques de film de The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford ou La Route. Last of the Country Gentlemen prend la forme douloureuse d’une thérapie musicale. Son public, visiblement bouleversé par son nouveau travail, motive Pearson à aller jusqu’au bout de son endurance lyrique.

C’est un folk épique, introspectif et candide. L’équivalent auditif de la lecture d’un journal intime tourmenté et expansif, qui commence en fanfaronnade ironique : « je suis prêt à sauver le monde/du moins je peux l’espérer », et qui se termine en exorcisme : «Aidez-moi à la chasser de ma tête ». Entre les deux, de longues pièces à la solitude exacerbée, bien distinctes les unes des autres. Sorry With a Song, par exemple, est murmurée d’un seul souffle passionnel, renferme une tension sourde ; ailleurs, le violon de Warren Ellis donne une beauté inespérée à Woman I’ve Raised Hell ou Country Dumb. « J’en suis issu d’une longue ascendance de rêveurs/ Chacun plus fatigué et blessé que celui d’avant”, résume Pearson. C’est l’apitoiement sur soi de celui qui veut être pardonné. Il offre un violent contraste avec son ancienne férocité texane. On y retrouve cependant des traces de sa fierté un peu violente : “Woman when I’ve raised hell, you’re gonna know it/There won’t be a shadow of doubt in your bright little mind”. Le plus beau titre est aussi le plus long, Honeymoon Great’s Wish you Were Her, treize minutes sur lesquelles le chanteur s’intéresse finalement plus à ses amours qu’à lui-même: “J’aime une femme qui n’est tout simplement pas ma femme […] Je baise tes lèvres et je sens son murmure contre les miennes/Elle dit j’aimerais être elle”. Une oeuvre de près d’une heure, unique, ambitieuse et sincère, dans la veine d’un Stormcock (Roy Harper) ; et où le jeu de guitare si distinct de Pearson brille de toute sa verve indomptée.

«Ca va être l’année de la barbe, je le sens! Cette année je vais vendre 100 disques, rien qu’à Paris !» plaisante t-il dans New Noise magazine. Ce pourrait être l’année de la musique Texane.

Parution : mars 2010
Label : Mute
Genre : Country, folk
A écouter : Woman When I've Raised Hell, Honeymoon's Great Wish you Were Her, Country Dumb

8.50/10
Qualités : poignant, épique, vibrant


dimanche 29 août 2010

Eels - Souljacker (2001)





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Parution
2001
LabelDreamworks
Genre
Folk-rock
A écouter
Women Driving, Man Sleeping, Fresh Feeling, Friendly Ghost
°
Qualités

Il y a neuf ans, en 2001, Mark Everett fait paraître un disque important pour sa carrière, Souljacker. Retardé par le label Dreamworks pour manque de singles susceptibles de passer à la radio, il paraîtra finalement une semaine après le onze septembre, dans une ambiance explosive. A cette époque, Everett s’est laissé pousser la barbe pour la première fois ; et sur la pochette du disque, il n’est pas loin de ressembler à Oussama Ben Laden, l’instingateur d’Al Qaïda alors dans le top 10 des personnalités les plus recherchées par les Etats Unis. Bref, Souljacker paraît dans un climat de chaos politique et de paranoïa générale mais c’est difficile de dire si, comme beaucoup d’autres formations américaines alors, va se refléter en lui ce chaos. Au contraire, les titres Fresh Feeling ou Friendly Ghost laissent penser qu’il s’agit d’un disque serein.
Serein, si ce n’était pour la large participation de John Parish, rencontré en compagnie de PJ Harvey – en compagnie de laquelle il a produit deux superbes disques, en 1996 et 2009 – à Top of the Pops. Les deux hommes s’admirent mutuellement, et Everett notamment aime beaucoup le son brut et graisseux des disques de PJ Harvey. En apparence, Souljacker reproduit les sonorités sales de To Bring You My Love (l’un des grands disques des années 1990) ou de Dance Hall at Louse Point – et ceux qui connaissent ces deux disques incontournables devinent que depuis le son lo-fi des premiers disques de Eels jusqu’à Souljacker, la transformation se fait en douceur et le style très reconnaissable de Parish épouse très bien les contours des fables d’Everett.

Souljacker est encore un disque appartenant à la décénnie passée du point de vue de sa constitution sonore. Cependant, son prédécésseur, Daisies of the Galaxies était plutôt lisse, et les appréciations négatives ne seront pas en reste. « Ma première complainte au sujet de Souljacker vient de cette idée : le son n'est pas bon. Il n'est pas agréable à l'oreille. Il est douloureusement ennuyeux, en fait, et ce n'est pas seulement parce que c'est plus bruyant que ses prédécesseurs, ou parce que les accords utilisés par E sont plus bizarres, ou parce que des instrumentations de premier plan sonnent comme si elles ont été générées par des mules battues, et, par conséquent, font grincer des dents. […] Les compositions ressemblent à un truc d’amateur, comme si c’avait été écrit sans aucune considération pour l’auditeur. »* Le style rude de Parish ne peut faire l’unanimité. Mais parfois ces appréciations hatives engendrent des situations extrêmes. Eels raconte : « Je reçois des mails haineux de temps à autre parce que quelqu’un a acheté mon disque joliment orchestré et n’a pas aimé le disque plein de feedback de guitare. « Qu’est ce que c’est que ce putain de bruit, comment peux-tu me trahir ? […] - Je ne l’ai pas fait pour toi. Quand j’étais gosse j’aimaius ça quand Neil young sortait un disque acoustique et que l’année suivante il me choquait avec un disque très bruyant. J’aimais la surprise que ça provoquait. » Le plus amusant est peut-être que la musique de Eels est fondamentalement la même depuis qu’il a commencé à la jouer il y a vingt ans, et qu’il apparaît plutôt par ici comme un artiste plus conservateur que déluré.

Pour une fois aussi, Everett cesse de parler de sa propre vie et dépeint le portrait de personnages marginaux qu’il crée de toutes pièces. Wim Wenders, le grand cinéaste qui réalisa Les Ailes du Désir, Paris Texas ou le documentaire sur le Buena Vista Social Club, va s’occuper du clip pour le morceau Souljacker part 1, un trip futuriste et décalé – pour un morceau un poil trop simpliste.

vendredi 11 décembre 2009

New Order - Get Ready



Bernard Sumner et son groupe New Order se sont révélés, au cours des années, particulièrement attachants, car capables de créer  et de répéter, sans l’emprise du temps,  une musique dans laquelle on se sentait bien, avec une vision très focalisée et des résultats toujours honnêtes. Le dernier de leurs disques, Republic (1993), laissait entrevoir une certaine lassitude à être New Order.  En 2001, cela fait plus de vingt ans qu’ils entretiennent un feu né à l’implosion de Joy Division (en 1980), le groupe de Ian Curtis, et entretenu par des vélléités qui les ont toujours plus rapprochés de la lumière. Les trois compagnons du mythe Curtis, Bernard Sumner, Stephan Morris et Peter Hook ont joué dans la lumière de leur gloire post-rock avec une discrétion toute à leur honneur, et la qualité de leur travail ne nous laissait seule deviner leur motivation sincère à continuer ensemble.


Aujourd’hui pop caressante et non plus post punk, aérienne et non plus souterraine, la musique du groupe a soutenu les métamorphoses en gardant la flamme – l’âme - qui fait de New Order un groupe plus intéressant et complexe que ce qu’une approche distraite peut suggérer. nombreux admirateurs de Bernard Sumner, le leader passionnant du groupe, le savent ; se passer la compilation de tous les singles qu’ils ont produits das les années 80 ne fait pas parler toute la poudre. C’est comme résumer Talk Talk à It’s My Life (1984).  Pour les rejoindre, il faut sans doute commencer emprunter les sentiers électroniques  profondément  matures de Power, Corruption and Lies (1983), puis s’attarder sur Low Life, et enfin sur la fameuse collection des singles qui sont parus entre tous leurs disques et qui n’y figurent pas –  qui en fait l’une des formations les plus productives de ce genre de first hits dont on dirait bien que la production anglaise s’est lassée aujourd’hui.

 Get Ready est une fenêtre qui laisse deviner ce qu’est le son du groupe au XXI èeme siècle, après une décennie un peu creuse. Un disque qui annonce leur dernière transformation (New Order va cesser d’exister en 2009), vers plus de guitares. Un son plus rock alternatif et moins techno-pop comme il l’était à l’époque où l’admiration pour Kraftwerk les conduisaient à leur offrir de nombreux clins d’œil, sans jamais pourtant les plagier. Comme les pionniers de l’électro Allemande, il sera fréquent que l’on demande au groupe comment ils ont obtenu tel ou tel élément de percussion sur les disques qu’ils ont produits dans les années 80. L’époque des boites à rythmes et des batteries électroniques donc. Aujourd’hui, c’est un son plus organique, plus naturel, en témoigne l’utilisation systématique par le programmeur/batteur Stephen Morris d’un jeu live en plus des beats électroniques.

 Plus chaud, il perd ce genre d’agressivité surnaturelle propre à un groupe qui savait sonner, en 1983, juste un peu différemment de ce qu’on s’attendait à percevoir – comme Kraftwerk qui, sur des albums tels que The Man Machine (1977) ont bien joué avec les appréhensions de l’auditeur.


Peter Hook est, on ne peut le laisser de côté, un excellent bassiste. Sur ce disque, les tempos rapides ( Crystal, 60 Miles an Hour, Primitive Notion), lui permettent de s’en donner à cœur joie, délivrant un rock plus enlevé que par le passé.

Get Ready sonne un peu comme l’album d’une légende qui refuse de s’esquiver, malgré sa faiblesse évidente à briller de nouveau. Empruntant des chemins de traverse, des voies qui rendent souvent le résultat sympathique et mélodieux sans secouer autant que par le passé, le disque joue beaucoup sur une touche distinctive, cette fameuse poudre d’étoile qui donne aux morceaux leur âme et les sauve de n’être que suite de bonnes chansons pop. Auprès des admirateurs du travail du groupe et de leur son si reconnaissable, le disque opère d’un fort pouvoir de mélancolie – temps qui n’est plus vraiemnt là, ais qui persiste tout de même à pointer son nez, au milieu de productions radio sans âme, sans vie. Parfois, Get ready est vraiment émouvant, et à mon avis, la mystique qu’il protège jalousement est plus grande que celle de formations comme Cure ou Depeche Mode – je ne compare pas la qualité du contenu. Il y a dans ce disque un genre de langueur qui fait de son tout une œuvre de qualité supérieure à la somme de ses parties.

 S’il l’on tente de démystifier l’ensemble, Crystal, Primitive Notion, Rock the Shack ou Close Range en sont les sommets, malgré des longueurs – avec cette propension étrange à renâcler de terminer les titres. 60 Miles an Hour est fait pour la radio, tandis que Someone Like You démarre avec des accents inquiétants, avant de devenir un improbable galimatias mélodique ; tous deux semblent un peu datés.

 Il y a aussi l’aspect volontairement enfantin de certaines paroles, et qui rappelle le rapport particulier de Sumner à sa condition de parolier, chose qui lui est tombée dessus, un jour, par hasard. Le point de remontrnces du disque s’il devait y en avoir…  Mais la course est tellement belle que c’est comme de maudire des marathoniens de ne pas participer au cent mètres. Crystal va briller jusqu'à la fin de cette décennie, en en étant l’un des tous meilleurs morceaux.

  • Parution : 27 Août 2001
  • Label : London Records 90
  • Producteur : New Order
  • A écouter : Crystal, Primitive Notion, Close Range

  • Appréciation : Méritant
  • Note : 6/10
  • Qualités : groovy, attachant, frais 

dimanche 1 novembre 2009

Depeche Mode - Exciter (2001)



Parution : mai 2001
Label : Mute
Producteur : Mark Bell
Genre : Dance-rock, Synth-pop
A écouter : Dream On, Shine, Comatose, I am You

Note : 6.50/10
Qualités : élégant, sensible, sombre

Depeche Mode a tracé, dans les années 1990, avec leurs albums Violator, Songs of Faith and Devotion et Ultra, une autoroute comme celle qu’avait construite Kraftwerk au cours des années 70 – elle documentée de cinq disques, dont le précieux Autobahn. Le trio de Basildon joue des coudes, dans la cour médiatique des groupes anglais, depuis plusieurs décénnies, avec The Cure ou New Order. Martin Gore, la vraie personnalité qu’il s’agit de fouiller s’il l’on souhaite s’intéresser de manière sérieuse au groupe, donne à chaque fois à Dave Gahan de nouveaux écrins mélodiques, ressemblant à du blues synthétique. Gahan n'est ainsi souvent qu'interprète, mais totalement investi dans l'imaginaire romantique propre au groupe. Guitariste et chanteur sont comme archange et martyre christique.  
Violator (1990) était l'album qui a confirmé leur talent à produire de grandes et sombres coupures électro à tendance claustrophobique, parfois dansante, naïve ou humoristique – Enjoy the Silence. La naïveté n’est sans doute pas vraiment revendiquée par Martin Gore mais devient attachante tandis que le talent du groupe à rendre crédible ce qui avec d’autres aurait produit des mièvreries, devient évident. Leur disque suivant, Songs of Faith and Devotion (1993), servait notamment I Feel You, Walking in My Shoes et Mercy in You, toutes en refrains, In My Room, rampante, ou encore Rush. Enfin, Ultra (1997) basculait dans le malsain et les guitares grimaçantes (Useless), tout en continuant à fournir des tubes certes moins convenus que jamais – Barrel of a Gun, Home - , et It’s No Good faisait même sourire. La tension palpable que produisent les chansons austères de Gore et les sonorités vicieuses de Fletcher donnent au trio une crédibilité difficile à mesurer.
Exciter avait été accueilli comme celui de la reprise de pouvoir de son chanteur, alors qu’il émergeait d’une longue convalescence aux drogues dures. Et c’est vrai qu’il n’y a plus ici l’amertume de Ultra. L'aspect malsain est remplacé par une noblesse est une élégances premier degré, ainsi qu'une pudeur avec laquelle Dave Gahan est à l’aise. Son interprétation, très précise, touche au conceptuel. Entre de mauvaises mains, les textes de Martin Gore pourraient dégénérer vers le ridicule. Ce disque ouaté évite l'écueil de la débauche : le ton est calme, clair, doux. Dave Gahan ne manque pas d’expressivité, pas davantage que les compositions qui malgré le gros travail des machines restent très humbles et polies. L’univers du groupe est ainsi dessiné à travers ses traits essentiels ; chant très intelligible partagé avec Gore, et sons étranges qui participent à la mélancolie et à la fracture exprimée.

Mark Bell, qui a travaillé avec Björk, sait doser les ingrédients. Exciter est ce que Vespertine, paru la même année, était à l'islandaise. La restriction est de mise malgré une recherche sur la matière permettant de trouver les sons les plus fidèles à recréer l’atmosphère voulue. Il n’y a pas de mélodie évidente, seulement quantité de sentiers piégés et parfaitement organisés. C’est le disque d’un groupe qui a voulu se débarrasser des clichés et des crochets pour rediriger son attention vers l’essentiel à leurs yeux, avec une foi peut être un peu appuyée mais honnête.

mercredi 23 septembre 2009

Hope Sandoval & the Warm Inventions - Bavarian Fruit Bread (2001)



Voir aussi la chronique de She Hangs Brightly (1990)
Voir aussi la chronique de So Tonight That i Might See (1993)
Voir aussi la chronique de Through the Devil Softly (2009)
Voir aussi la chronique de Rainy Day LP (1984)
Voir aussi l'article sur Hope Sandoval


Bavarian Fruit Bread est de ses albums qui jouent sur l’affect de l’auditeur en distillant une énergie étrange. Les pièces moelleuses, languissantes et un peu ténébreuses nous révèlent Hope Sandoval jouant avec le fantasme qu’elle provoque, depuis quelque quinze années, dans l’esprit de doux rêveurs mélomanes, amoureux de musique alternative profonde et de qualité – Hope Sandoval est l’ancienne chanteuse de Mazzy Star (avec David Roback), groupe culte des années 90 qui sortit trois disques – autant que de Hope elle-même, sorte de gracieuse aberration toute en douceur du regard et légère provocation. Mais aussi plutôt effacée, ce qui constitue un signe de grande personnalité étant donné le nombre de gens qui aimeraient la voir et l’entendre davantage. Depuis Mazzy Star, elle répète une formule mi-recyclage de morceaux du Velvet Underground, mi-empreinte personnelle (sensuelle, vaporeuse, parfois envoûtante). Seulement, là où Mazzy Star construisait des chansons plus musclées serties de la voix confiante de Hope, The Warm Inventions étudient, avec ce disque, en 2001, quelques morceaux de nuages, gagnent une tendance minimaliste, retrouvent d’anciens chemins pop et folk avec moins d’ambition, et livrent une belle tapisserie florale, vaguement inquiétante mais apparemment sans relief.


Pourtant, ce disque n’est pas sans saveur. Le batteur Colm O’Ciosoig est celui de My Bloody Valentine, et il apporte avec lui quelques bouts de fulgurances propre au quatuor irlandais (à découvrir de toute urgence pour ceux qui en sont encore à Nirvana). Un court instrumental (Baby Let Me) trahit la présence d’un MBV à bord, ainsi d’autres audaces (tronquer Drop après si peu de temps). Il est aussi co-auteur de Feeling of Gaze, On The Low et Around my Smile. D’un autre côté, on retrouve Bert Jansch, guitariste anglais mythique qui inspira Nick Drake Et qui illumine ici Charlotte et Butterfly Mornings. Magie des accords, sorcellerie vocale, mais surtout l’extraordinaire faculté à étudier une sorte de décantation musicale, à mélanger musique à rêveries avec paroles intimistes, à se projeter dans l’air sans que cela ne nécessite le moindre spectacle. L’énergie de Hope est là, dans l’air qu’elle respire et transforme en mots doux. Sa voix se fait plus caressante au cours du disque, pour parvenir avec Lose me on the Way à complètement nous subjuguer. On a quelques comptines extraordinaires (Around my Smile, Butterfly Mornings), morceaux enfumés (Clear Day), excitants (On The Low). Et la délicatesse du jeu répond enfin, dans chacune de ces étapes féeriques, au fantôme de voix de Hope.


La chanteuse entretient le mythe qu’elle a construit malgré elle, s’aventurant plus loin dans la méditation traînante et ajoutant davantage de belles pièces à celles qui nous ont longtemps hantées (Into Dust, etc.) tout en opérant avec une retenue qui nous laisse épuisés d’en vouloir plus. Il n’y aura pas plus, nous dit t-elle. C’est moi… Rien que moi. Soyons raisonnables, c’est bien assez. Ce disque est emprunt de la présence d’une artiste aux évocations puissantes, qui dépassent largement ses talents d’écriture ou de composition. Quelques mélopées qui durent toute la nuit dont elles ont annoncé le soir – à plusieurs reprises, on recommande d’écouter le disque « dans le noir » - signe d’œuvre enveloppante et délicate, qui peut souffrir d’une écoute distraite. On a le droit d’écouter Bavarian Fruit Bread au casque en marchant dans la rue, mais la seule impression que vous aurez est celle de se faire chuchoter à l’oreille des mots d’amante anglophone au bord du réveil. Album pour lorsque le soleil n’est pas tout à fait là, ou bien pas tout à fait parti ; Hope tient dans ses cordes une belle tranche de rêve californien. Ces jours ci, un nouvel album est à paraître ; huit ans ont passé, mais Hope sait toujours faire attendre. On se dit qu’elle garde le meilleur pour elle, comme un secret, et que le jour où cette fleur éclora…
Parution : 23 octobre 2001

Label : Sanctuary Records / Rough Trade

Producteur : Hope Sandoval, Colm O'Ciosoig

A écouter : Suzanne, Butterfly Mornings, Lose Me on the Way

7/10
Qualités : nocturne, sensuel, envoûtant

jeudi 17 septembre 2009

THE MOLDY PEACHES- The Moldy Peaches (2001)



O
ambigu, fait main
indie rock, culte

Etrange groupe que les Moldy Peaches. Constitué essentiellement d’une surveillante de colonies de vacances (Kimya Dawson, à la voix superbement tendre) et d’un des gamins sur lesquels elle veillait (Adam Green) ce duo est entouré de « musiciens » dont le talent apparent semble être tout d’abord celui de déconstruire afin d’amener des pièces lo-fi à deux voix, peu musclées, et qui évoquent souvent Lou Reed période Transformer. Le groupe est d’ailleurs originaire de Brooklyn, et revendique une personnalité forte, une attitude et un son assez radicaux et primaires.

La furieuse originalité de l’œuvre éponyme du groupe provient de cette tendance à ne jamais utiliser leurs instruments comme il faut, mais d’une manière désabusée et dépouillée qui met particulièrement en valeur le ton humoristique et franc des paroles, qui traitent de divers problèmes plus ou moins intimes, certains aillant presque l’étoffe de l’universalité (« These burgers are greasy ») – sans drogues ! Bien sûr, on ne peut à aucun moment trouver à ces ritournelles pleines d’entrain ce qui a rendu la musique des Pixies ou de Sonic Youth révolutionnaire. Mais voilà, dix ans ont passé, et il est clair pout tout le monde, dès l’avènement des années 2000, que plus rien ne réinventera le rock – l’humeur est au recyclage et au doux cynisme (l’album est sorti le 11 septembre 2001) – c’est mieux d’être dehors le rock que dedans, et de s’en moquer doucement. 

19 morceaux composent ce disque – qui passent en quelques phrases, quelques affirmations, banalités sans nom mais sans fard comme les Strokes – qui, eux, incarnent plutôt le côté « fuck » le public et junkie de notre Lou bipolaire ; n’ont pas l’air aimables. Ici, c’est honnête et brut, candide – rien que de la bonne volonté et du jeu - ou trash. Visiblement, Kimya a bien rigolé tout au long de l’enregistrement, et l’entendre au bord de l’éclat de rire à plusieurs reprises (Jorge Regula) fait chaud au cœur ; elle revêt pour nous le costume de bouffon, sans croire que sa musique puisse avoir la moindre valeur. Adam comme Kimya vont continuer des carrières en solo, et ceux qui n’ont pas perdu le fil depuis doivent les avoir vraiment en sympathie. Groupe sans en être un, et pourtant ; l’underground New-Yorkais étonne parfois de sa fraîcheur.

    mercredi 2 septembre 2009

    Bob Dylan - Time out of Mind, Love and Theft, Modern Times

    Les trois albums que Bob Dylan a bien voulus appeler « trilogie » me font souvenir qu’un disque est comme le nouveau tome d’une histoire ancienne et pénétrante, comme une réserve de pulsations nouvelles et de raisons de continuer en avant. Le cœur du poète continue de battre bien fort, même si aucun Dieu n’en est témoin – seulement Dylan lui-même, qui, sans doute, dans toute sa simplicité légendaire, prétend simplement tenter de sortir de bons disques. Mais que musiciens, producteurs, écrivains, et même réalisateurs ou journalistes prennent exemple sur lui. Il y aurait, pour commencer, moins de navets au cinéma.

    • Time Out Of Mind a été très bien accueilli à sa sortie en 1997, et immédiatement comparé à des chefs-d’oeuvre de Dylan comme Blood on the Tracks. Pourtant, ce n’est pas un album facile, ni en aucune façon aussi direct qu’aucun autre disque de son époque. Dans un monde à lui seul, le poète évolue en secouant la mort et l’amour qui le narguent, le piquent et s’éloignent en laissant des fantômes. Des chansons se forment et se lovent à la place des spectres dans l’esprit du parolier. Est-ce vraiment de lui qu’il s’agit ? En partie seulement, car il se plaît à sublimer les sentiments comme autant de témoignages inaltérables. Ce disque installe une humeur avant tout, une longue attente, patience mélancolique qui rappelle les sons d’un riche passé sur des sentiers divers et écrase toute tentative adverse de faire aussi bien. Alors que d’autres confectionnent une toile de leur monde et finissent par se prendre les pieds dedans comme de vieilles araignées, Dylan saisit chaque occasion pour devenir plus pertinent, et effectue ici un travail qui est une nouvelle étape significative dans sa longue carrière. Un disque qu’il devait enregistrer, le moment venu. La carrière de Bob Dylan est faite d’allers et de retours, de périodes fastes et d’autres où il devait maudire le personnage qu’il était devenu. Time out of Mind a été précédé d’un de ces temps dans lesquels l’artiste tente de s’éloigner de sa légende. Il revient avec la conviction que ces errements l’ont rendu plus fort, suffisamment pour se raconter encore un peu, pour paraître à nouveau menaçant. Lentement, Love Sick s’installe comme une immense litanie, sourde et cotonneuse ; et les écoutes successives de la suite révèlent une merveille à chaque pièce.


    • Love and Theft est plus élastique que son prédécesseur, mais c’est peut-être parce qu’il colle moins à la peau de Dylan. Il jongle avec les histoires et avec les styles, tandis que le chanteur prend peu à peu cette voix de crooner éreinté mais puissant propre à incarner des héros qui ne sont définitivement plus directement lui, mais des personnages amenés à peupler des chansons. L’aisance musicale est preuve de la grande culture que Bob Dylan partage désormais avec nous, au-travers de son émission de radio Theme Time Radio Hour, qui a enfanté d’une compilation délicieuse de cinquante morceaux, en attente d’un deuxième volume. Le poète est sans doute le témoin le plus populaire de la musique des temps où la guitare électrique n’avait pas terrassé le monde. La composition est comme une leçon de cuisine, où les ingrédients prennent forme de la même manière que les mots deviennent vers dans les marges des cahiers de Dylan. Le cœur plus léger que sur son précédent effort, Dylan semble traverser l’Amérique de part en part à la recherche de rédemption ; en explorant ses différentes figures, en actionnant les figurants dont il peuple son pays, il prend sa revanche sur son propre mythe. Il a prit peur en face de l’immortalité à laquelle il est effectivement confiné, et tente absolument de dire ; je suis là, comme ces types dont je parle, juste le temps d’une histoire, et puis s’en va. Sa musique divertit le cœur autant que l’esprit, fait défiler tant d’images de destins originaux et cruels. Nul besoin de comprendre chaque vers pour être bercé par l’imprécation rocailleuse et sentir plus que jamais que l’aventure ne peut s’arrêter maintenant. Time out of Mind aurait pu être la coda de l’œuvre de Dylan ; mais Love and Theft, en forme d’exercice captant le renouveau, laisse présager que bien d’autres images vont affluer à l’esprit du poète, des connexions à l’histoire qui recommence.


    • Modern Times opère comme une suite à Love and Theft, et le double en vigueur. Il s’est écoulé cinq ans entre les deux disques mais cela ne semble pas signifier que Dylan ait été à court d’idées ni de moyens pour enregistrer. Le groupe joue de manière encore plus fine, fournissant quelques pièces mélodiques inoubliables, comme Spirit on the Water. D’apparence linéaire, ces dix nouvelles pièces sont en réalité taillées pour constituer un nouveau microcosme dans lequel l’auditeur pourra se plonger comme dans un livre. Et cette fois, le résultat est particulièrement épanoui. Ce qui n’est pas dit est entendu ; ce qui n’est pas compris, - parce qu’on ne comprend pas forcément l’anglais - , ce qui n’est pas compris est ressenti. Dylan fait œuvre d’une générosité énorme en façonnant de longs et captivants morceaux qui encapsulent des mondes, comme le ferait quelque terrible divinité omnipotente dans une aventure de Moorcock. L’interprétation est empreinte d’une totale sérénité, même d’une confiance et d’une énergie qui semble ne pouvoir cesser. Pourtant, Ain’t Talkin, qui dure plus de huit minutes apparaît comme un beau point final. Vous pourriez arguer que Highlands, qui en faisait seize, était autrement plus menaçante. Mais Ain’t Talkin est simplement l’une des plus belles chansons de Dylan, et ressemble vraiment à quelque chose qui s’achève. Encore une fois, Bob Dylan va-t-il cesser de faire de la musique ? Lui-même va se surprendre en apportant à peine trois ans plus tard une nouvelle pierre à l’édifice, Together Trough Life. Cette année, en fait. Donc l’avenir est déjà incertain… Mais laisse derrière lui une décennie qui laisse deux ou trois chefs d’œuvre intemporels de plus au travail de fond de l’un des artistes les plus intègres et talentueux depuis le début.

    A écouter :

    • Love Sick


    • Standing in the Doorway


    • Cold Irons Bound


    • Mississippi


    • Cry a While


    • Spirit on the Water


    • Rollin and Tumblin


    • Ain't Talkin

    mercredi 12 août 2009

    Devin Townsend - Terria


    On a écrit énormément sur Devin Townsend. Les passionnés en font des tonnes sur chacun de ses albums, et Terria n’échappe pas à la règle. Sorti en 2001 au sein du Devin Townsend Band, composé de Devin Townsend (guitare, chant, ambiances, samples et claviers), Gene Hoglan (batterie), Craig Mcfarland (basse), Jamie Meyer (piano, claviers), l’album est le dernier de ce qu’on pourrait appeler le cycle de développement de ce projet de Townsend, par ailleurs leader de Strapping Young Lad. Ocean Machine nous avait fait prendre connaissance du talent du canadien en 1997 ; le son était déjà particulièrement massif, et l’ambition de composition extraordinaire. Heureusement, cette ambition était (est) accompagnée d’une interprétation à la hauteur ; Devin donne dans deux, trois registres vocaux schizophrènes, et c’est également un virtuose à la guitare qui n’hésite à se faire plaisir et à faire plaisir en ménageant l’attente et en surprenant toujours l’auditeur par l’aménagement de véritables paysages sonores. Devin est l’un des plus grands artistes de musique alternative de sa génération, qui ne se propose comme limites que les concepts qui façonnent ses albums.

    Déjà depuis le début de l’aventure de The Devin Townsend Band, on voit que le jeune canadien a à cœur les problèmes environnementaux, doublés de la volonté de faire hommage à la nature, créatrice d’entités et d’identité - dont Infinity présageait la perte, à travers la folie symbolique de l’artiste (et réelle, puisqu’il fera une dépression et sera interné). Il y eut aussi Physicist, album très différent, qui ressemble à la thérapie de Devin après sa maladie plutôt qu’a un grand disque. Donc, Ocean Machine, Infinity en 1998, et Terria en 2001, qui terminait l’établissement sonore de Devin. Accelerated Evolution (2003) et Synchestra (2006) montrent un Devin à l’aise dans l’univers qu’il a créé pour lui-même sur ses trois premiers albums, y recyclant principalement la matière de Terria et ses prédécesseurs.

    La rythmique lourde, dès l’apéritif constitué par Olives, nous rappelle que le musicien mystique est avant tout un métal child recruté par Steve Vai alors qu’il avait 19 ans. Guitares menaçantes et démultipliées en multiples pistes constituent l’essentiel de la musicalité sur les deux premiers morceaux, avec ce son technoïde mais aussi vaste et profond qu’un lac canadien. Attaché ici à dépeindre son pays, avec Mountains, Deep Peace ou Canada, Devin va présenter une terre encore préservée de l’influence humaine et fragile. Il y a des chants de baleine au début de Deep Peace, et ici et là, des voix qui commentent la vie politique locale. Une certaine naïveté se dégage de ces collages. C’est à un Devin neuf que nous avons affaire, libéré, et qui, comme un enfant en pleine croissance, continue de grandir et d’absorber son entourage pour le transformer en art.

    Earth Day est le plus beau morceau du disque, incroyable de richesse et intense tout au long de ses neuf minutes, qui proclame «It’s Your Birthday, it’s on Earth Day ». La voix, les voix, se composent entre rage folle et douce langueur avec l’obstination d’un génie qui touche aussi les parties musicales. Deep Peace continue sur cette lancée anthropologique, mêlant voix humaines, chants animaux et musiques traditionnelles en introduction, avant de donner dans la construction épique dans la veine de Stratovarius – une autre formation, s’il tient à en rapprocher Townsend, haute dans l’hémisphère Nord.

    Down and Under partage l’album, qui bascule ensuite dans des morceaux plus pop comme The Fluke, Nobody’s Here ou Stagnant. C’est que Devin ne cherche pas à s’isoler comme avec Infinity mais à renouer avec ses semblables. Après la mer, les grands espaces et la civilisation, c’est vers le ciel que Devin semble se tourner, nous offrant avec Tiny Tears un voyage intersidéral préfigurant Ziltoïd, The Omniscient (2007). Nobody’s Here est particulièrement poignante et mémorable. Si le chant de Devin n’y atteint pas les sommets de pureté qu’il caresse du doigt dans Mountains ou Earth Day, c’est chose faite cette année avec Ki (2009). Extrêmement riche, Terria réclame un investissement total à l’écoute, comme les autres disques de Townsend. Cependant, les disques du Townsend Band restent bien moins éprouvants que ceux de son alter-égo démentiel Strapping Young Lad. L’excentricité de cette musique est sans doute la seule barrière qui la sépare d’une adulation massive.

    • Parution : Août 2001

    • Label : Inside Out Music

    • Producteur : Devin Townsend

    • Genre : Rock Progressif, Métal

    • A écouter : Earth Day, Deep Peace, Nobody's Here

    • 7.25/10
    • Qualités : puissant, original

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