Site du festival : http://ladyfestparis.tumblr.com/
Cette vidéo est de Valérie Toumayan : http://www.ilovesweden.net/
Ils avaient Patti Smith à la fête
de l’Humanité, qui vous faisait venir même si vous n’étiez pas de la partie, c’est-à-dire,
pas vraiment militant. Au Café de la Danse, le premier octobre, c’est avec Sharon
Van Etten que le Ladyfest rameute un public pris d’affection pour elle, alors
si en plus ce festival veut faire passer un message de tolérance et d’égalité,
c’est toujours agréable. D’autant que les sacs qu’ils vendent à leur effigie pour
10 euros déchirent. Ce premier soir de festival est un moment spécial : on se sent proche de
Sharon Van Etten, qui en est à son troisième passage à Paris ces
derniers mois, se montrant si accessible à nos cœurs endoloris juste après être
née dans nos oreilles. Ne serait-ce que parce qu’elle prend le temps de
discuter avec vous, de répondre aux sollicitations pour des photos, d’échanger
avec des admiratrices qu’elle a reconnues. Je ne sais pas si c’est sa façon d’être,
les qualités de son écriture ou sa voix bouleversante, mais Sharon Van Etten est
un cran au-dessus de ce qu'on peut attendre d'une artiste trentenaire américaine. Beaucoup l’ont découverte avec son dernier album, Tramp, paru en
février 2012. Hors de New-York, où sa gentillesse, sa politesse, son sourire géniaux
ont fait d’elle une personne précieuse auprès de ses nombreux amis, c’est
maintenant qu’elle se crée en Europe une assemblée d’admirateurs qui ne
grandira peut-être plus aussi vite dans les prochains mois, mais qui se
démarqueront toujours par les souvenirs d’ivresse émotionnelle suscité par elle.
En coulisse, elle me confiait n’avoir été chez elle qu’à peu près trois mois
sur les neuf déjà écoulés cette année.
Aux balances comme au moment du
concert, Fiodor Dream Dog est une belle promesse d’originalité et d’efficacité
pop façon Talking Heads traversé de chœurs superbes et d’une guitare au son
très ‘Jonny Greenwood live’, poussée
jusqu’au sang. Au centre, une artiste à la vision incisive et aux multiples
talents, Tatiana Mladenovitch, accompagnée d’un tandem de choristes rayonnantes
et d’un duo basse/guitare. Ils
reprennent Björk, pour s’échauffer avant le concert, et c’est magnifique. On a
vu aussi Tatiana s’amuser avec To Bring You My Love, la chanson de PJ Harvey
dont on ne revient que la gorge douloureuse. Ils ont une façon de surfer sur les cœurs, l’air
de rien, sans vraiment les prendre – mais viser les cœurs, c’est déjà
remarquable - en laissant sur nos lèvres un sourire adressé autant à leur dérision
palpable qu’à notre propre plaisir. Du post-punk au rock cru des années 1990 en
passant par l’electronica, la leçon de musique et d’humour de Fiodor est
étonnante de cohérence, rythmes et voix multiples se rassemblant autour de
refrains entêtants. Sans quitter ses lunettes fumées, JP Nataf bringuebale la
tête, il lui est arrivé auparavant de participer lors de sessions avec le
groupe.
J’ai évoqué avec Sharon Van Etten
le cas Patti Smith, ou comment écrire des chansons de paix et d’amour pourtant
guerrières et engagées jusqu’à la politique. Elle m’a répondu qu’elle n’en
écrirait peut-être jamais, car la politique n’était pas trop son truc. Elle m’a
dit qu’elle n’arracherait probablement pas les cordes de sa guitare, comme
Smith lors du concert à l’Huma, parce qu’elle n’en a que deux : une acoustique
et une électrique. Avec un répertoire encore relativement restreint, Van Etten
n’a pas l’amplitude d’expression de sa grande sœur, avec qui elle partage un
quartier de Brooklyn à trente ans d’intervalle. Il faut dire que Smith fait
aujourd’hui très fort en combinant les chansons de Easter (1978) avec celles de
son dernier album, Banga (2012). Saupoudrez le tout d’un petit Gloria, d’un
Dancing Barefoot et d’un Power to The People, et vous avez le concert de l’année.
Pour Van Etten, ponctuer son show revient à jouer Serpents, sa chanson la plus
dévastatrice, le plus intensément possible, et à finir le concert dans un
vacarme maitrisé sur I’m Wrong. Elle ne jouera ce soir quasiment que des
morceaux de Tramp, avec deux exceptions estimables. D’abord une nouvelle
chanson que Van Etten joue seule, et qui montre qu’elle n’est pas prête à
échapper au registre de la chanson d’amour attachante, frappante, hantée. Ses
accords joués de façon rentre-dedans sont parfaits, dans ce moment où elle
semble autant déterminée à avancer qu’elle l’est à se réinfliger dans les
moindres détails une blessure : « Your love is killing me»… La deuxième
exception, c’est l’interprétation désormais attendue en rappel de Love More, ballade
terrassante qui a fait fondre le cœur de Bon Iver au point qu’il la reprenne à
son compte. Retranscrite à la guitare car l'harmonium n’a pas su voyager. Les
quatre musiciens sont comme frères et sœurs, plutôt fatigués mais soudés jusqu’à
la dernière note. Et lorsqu’elle remercie, Van Etten, pourtant sans aucun doute
épuisée, sort sa dernière carte de la soirée : elle va être présente au
stand et distribuer les mots gentils sur la pochette révélatrice de son dernier
album, et des autres.
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