L’urgence d’Arcade Fire, alors
qu’ils semblent comme eux célébrer une amitié triomphante, est
moins amère, moins du type Shakespeare transformé en feuilleton,
avec sa reine folle et les héros de jeunesse rendus ivres de
victoires et d’honneur par leurs sorcières de copines. Los
Campesinos n’ont pas changé le monde du rock indépendant comme
Arcade Fire avec leur album-concept évoquant la banlieue de leur
enfance, The Suburbs (2010) – ils ont énergiquement commencé par
envenimer leurs relations avec leurs amis d’université, ceux qui
se sont reconnus, mais trop tard, dans leurs chansons.
Il y a sans doute eu ceux qu’elles
ont persuadé qu’il ne fallait pas s’en faire, qu’elles
n’étaient qu’un feu de paille, et ceux qu’elles ont transformé
de manière positive, durablement. Gareth ‘Campesinos’ - le nom
du groupe, les ‘paysans’ en espagnol, leur sert de patronyme à
tous – est de ceux là, du côté de ceux qui voient les chansons
suggestives comme une thérapie de longue durée – six ans déjà
qu’il a commencé. Chanteur d’un groupe qui démarre en 2007 à 7
membres, il est l’animateur du jeu télévisé qu’aurait pu
susciter Los Campesinos avec certaines de leur chansons. On imagine
bien Gareth convier les filles dont il a coutume de trahir
l’intimité, pour qu’elles puissent défendre leur version des
faits face à leur auditeurs.
Basé sur ce que tu dis sur Tweeter, on
dirait que tu regardes l’émission Britain’s Got Talent 20 heures
par semaine.
Oui, c’est assez vrai. Nous sommes
des gens très simples. En particulier en Angleterre, je pense que
les gens cherchaient à nous mettre dans une niche, à cause des tee
shirts que nous portions, à l’effigie de certains groupes et des
choses enflammées que j’ai dites en interview, et on a rapidement
fait de nous des snobs, qui s’enfermaient dans une certaine classe.
Los Campesinos sont pétris
d’enthousiasme, le groupe le plus entraînant voire infantilisant
au monde à leurs débuts. Dans cette foule, regardez maintenant
Gareth. Il adore les émissions de divertissement, le football, les
relations et internet. Ce n’est peut-être plus un étudiant, mais
il travaille dur au véritable sport du groupe : l’antisnobisme.
Faire allusion à d’autres artistes sans s’en emparer, ne juger
personne en parlant de tout le monde, jouer devant les fans sans
créer une hiérarchie entre eux et le public. Pour compenser
l’énergie de Gareth à amener ses chansons, à raconter l’histoire
de son entourage, il faudrait qu’un autre garçon de l’université
de Cardiff conçoive dans son studette une contre-paysannerie
carburant à l’humiliation et à la frustration que Los Campesinos
ont provoquées quand Gareth dérape. Quelqu’un le déteste
forcément, ou le détestait avant que son groupe ne sorte pour de
bon du carcan des relations pour prendre une dimension plus globale
avec No Blues en 2013. A la lumière de ce nouvel album, les
précédents, Hold on Now, Youngster (2008) et Romance is Boring
(2010), en particulier, prennent de la valeur, paraissent essentiels
à une certaine école de vie où l’on apprend la subtilité.
Contrer Los Campesinos efficacement
voudrait dire avoir la main aussi heureuse qu’eux quant au choix du
producteur : Dave Newfeld a travaillé avec un autre groupe
Canadien nombreux, Broken Social Scene, et il le fallait pour éviter
que le mélange des voix, des instruments, de l’énergie et des
mélodies ne fasse de Hold on Now, Youngster un désastre. Au lieu de
quoi, la combinaison d’énergie punk, de la verve de Gareth, de
l’émotion juvénile et du son abrasif du rock ‘garage’ a
trouvé son équilibre ici, dès les débuts du groupe. Avec ses voix
plus diverses et incontrôlées, son instrumentation plus sèche et
entraînante et sa progression plus chaotique que ce que le groupe
fera par la suite, Hold On Now, Youngster est le parfait album de
jeunesse. Pour expliquer sa singularité, il faudrait raconter que
deux des trois filles du groupe l’ont quitté depuis pour
poursuivre leurs études, pendant les six ans qui séparent cet album
de No Blues. Don’t Tell Me To Do The Maths contient la meilleure
performance d’Aleksandra Campesinos, et un condensé de ce que le
groupe a délaissé au fil des années. Aleks, mais aussi : la
prédominance d’un instrument de percussion qui va nécessiter une
petite explication de Gareth, et une fougue qui sera remplacée par
un déroulement plus imposant des couplets et des refrains.
L’ambiance générale, enfantine, sera conservée. Aleksandra
quitte le groupe peu après l’enregistrement de Hold On Now,
Youngster au profit de Kim, la sœur de Gareth.
Six ans, c’est environ l’âge des
enfants devant lesquels le groupe a joué l’une de leurs premières
et de leurs plus mémorables chansons, celle qui commence par un
simple accord de guitare avant d’accélérer doucement, en une
longue intro, et d’exploser sur la mélodie entêtante de son
refrain. C’était à l’occasion d’une initiative étonnante,
Kidrockers, des concerts filmés, organisés dans plusieurs grandes
villes des Etats Unis, qui sont « conçus pour faire venir les
familles au complet, et assister aux performances d’artistes parmi
les plus engageants et vitaux de la musique indie. Les artistes
jouent des chansons originales (et pas spécifiquement conçues pour
des enfants) d’une façon qui est à la fois authentique et adaptée
aux plus petits ». Los Campesinos devaient s’y produire. Il a
paru naturel à Gareth de commencer la performance de You ! Me !
Dancing par expliquer la différence entre un xylophone et un
glokenspiel (l’un en bois, l’autre en métal). L’instrument et
des paroles un peu plus timides que ce que l’on connaîtra par la
suite positionnent You ! Me ! Dancing loin des chansons plus
récentes, amples et douloureuses de Gareth. Mais ce que le groupe
n’a pas transformé, il a su toujours le ramener au frisson
originel produit par cette chanson. Un moment de leur carrière où
une petite fille dans la salle pouvait leur demander « et
pourquoi vous n’aimez pas danser ? » puisqu’on avait
demandé aux enfants de reprendre en coeur « One Thing that i
could never confess/is that i could’nt dance a single step. »
The Hobbies
Ne pas savoir danser est le point
commun de tous ceux qui passent trop de temps à regarder les autres
vivre dans un écran, par exemple. Mais la remise en question de ses
capacités, que ce soit à maintenir une relation, à danser, etc.
est l’un des aspects évoqués habituellement dans les chansons et
chez les groupes indie surtout. Si c’est pour passer une partie de
sa vie à énumérer des relations ratées en portant les cartons de
sa collection de disques, comme John Cusack dans l’adaptation du
livre de Nick Hornby, Haute Fidélité, il vaut mieux s’en amuser.
Sur le premier album toujours, My Year
in Lists est une chanson de 266 mots et d’un peu moins de deux
minutes. Il y est question de résolutions prises pour le nouvel an,
une liste qui va jusqu’à cinq comme lorsque Cusack classe avec
obsession ses disques préférés. Et cette phrase sur Knee Deep at
ATP : «Well, I need new hobbies, that’s one thing for
certain », comme si ces nouvelles passions allaient le
transformer. Gareth sait chanter : mais il le fait comme on
n’imagine qu’il danserait, donnant la sensation que même les
relations infructueuses font partie de ces nouveaux hobbies après
lesquels il court. Le football et internet remplissent le reste de
son existence.
On peut dire de Los Campesinos qu’ils
sont un avatar de la culture en ligne, d’une façon très
personnelle, comme s’il s’agissait d’entretenir un hobby.
G.C. : «Oui, bien sûr. Internet
est fait de quiconque l’utilise au moment où il l’utilise. Vous
avez le siège conducteur. Ca sonne comme un spot de publicité pour
Microsoft, mais quand vous êtes sur Internet, internet c’est vous.
Vous créez votre propre univers. J’aime penser que nous sommes une
partie de l’univers de beaucoup d’autres personnes et qu’ils
sentent qu’ils font partie du vôtre.
Heureusement que des outils comme
Tweeter et Tumblr n’existaient pas quand j’étais un adolescent,
car mon empreinte sur internet serait bien plus humiliante qu’elle
ne l’est déjà. J’ai le réflexe de ne pas faire des réflexions
complètement stupides à tout bout de champ, mais si j’avais 17
ans, rentrant de l’école à la maison chaque jour et ayant un
compte Tweeter et un blog, ce serait terrible. J’ essaierais
d’attirer l’attention compulsivement, d’embobiner des filles en
échouant misérablement, et de tout faire pour paraître incompris
et artiste. Tu sais – exactement comme je m’en sors dans mes
chansons (rires).»
Avec toutes ces tares de jeunesse, Los
Campesinos peuvent sembler du genre à déambuler sans autre but que
le plaisir de se produire jusqu’à ce qu’une guerre des amis les
fasse abandonner, confus, pour se trouver un vrai travail. A l’écoute
de Hold on Now, Youngster pourtant, on admire en réalité leur
engagement prometteur, leur volonté d’enregistrer méticuleusement
chaque instrument, de contrôler les crescendos, les mouvements, les
détours de phrases, les éclats de voix, retombant toujours en place
dans un timing serré, recréant le son alternatif anglais
différemment. Même si ce premier jet sera trop épuisant pour
certains, par manque de ballades, de respirations, la satisfaction
d’avoir une chanson aussi bonne que Sweet Dreams, Sweet Cheeks à
la fin de l’album est un nouveau triomphe. «One blink for yes, two
blinks for no!» C’est la déclaration d’un groupe plein
d’assurance, pour qui l’université est en train de perdre son
intérêt comme carrière alternative tant ils ont réussi de moments
générateurs de vie en 12 chansons. Et une dernière fois, qui
voudrait contrer Les Campesinos par vengeance personnelle contre
Gareth devra enregistrer jusqu’à une heure de musique sans céder
à la chanson reposante que certains pouvaient demander.
à suivre