OO
poignant
Rock, songwriter
Cet
album contient certaines des chansons les plus décontractées de Lou
Reed, et pourtant intenses – même sans tenir compte du phrasé
extraordinaire du chanteur. A voir la façon dont le légendaire
Little Jimmy Scott, chanteur de early rythm and blues devenu prince
des ballades jazz, double Reed sur la chanson Power and Glory, on se
dit qu'il y a quelque chose de spécial, presque obséquieux, à
l’œuvre. Little Jimmy Scott, né en 1925, a survécu à Lou Reed,
même s'il ne chante plus.
Les
sous-titres des chansons de Magic and Loss – 'la thèse, 'la
situation', puis le développement jusqu'au 'résumé' constitué par
la chanson-titre, la plus étonnante, à la fin – montrent avec un
certain académisme qu'il s'agit d'un concept album. Au-delà de sa
jaquette morbide qui évoque aussi bien la route descendue que la
tombe et le linceul de Lou Reed.
Le
principal pouvoir d’attraction de cet album, c'est le tandem
constitué par Magician et Sword of Damocles, deux chansons qui
depuis la mort de Lou Reed semblent capables d'en jouer l'épitaphe
éternellement. Un diabète doublé d'une allergie à l'insuline,
c'est une épée de Damoclès à la hauteur de celle de la chanson :
«They're trying a new treatment to get you out of bed/But radiation
kills both bad and good. » Le cancer. « Inside i'm alive
please take me away/So many things to do – it's too early/For my
ife to be ending/For this body to simply rot away. » C'est
poignant d'entendre Lou Reed poétiser la pourriture des chairs au
moment précis où il est en train d'en faire l'expérience. Et si
ses proches ont opté pour les cendres, la divinement léthargique
Goodby Mass et Cremation développent plus loin, avec la même teneur
poétique, les chemins parallèles de la mort, comme s'il s'agissait
simplement d'étudier la carte du quartier de Southampton et de
choisir une ruelle plutôt qu'une autre. On assiste à une certaine
beauté, une envie de songe et de liberté positive, qui atténue
cette sensation que pendant leur maladie, et jusqu'à leurs leurs
obsèques, tout est décidé à la place des mourants. Dans un rêve
éveillé poignant, ils semblent toujours présents, capables de
demeurer maîtres de leur destin, ils valent qu'on continue de
s'adresser à eux en les tutoyant.
Dreaming
referme la parenthèse des dernières années d'une vie et d'une
amitié complice, parle de de la mort encore fraîche, et clôture un
cycle de chansons parmi les plus émotionnelles que Reed ait jamais
accomplies. No Chance (Regret) ouvre un autre voie, davantage comme
les pensées que l'on pourrait avoir avec le recul, quand le temps
s'est écoulé.
Reed
est peut être encore trop révérencieux, il n'a plus besoin d'une
chanson telle que Dirty Boulevard pour évoquer subtilement New York.
« Ce mélange de morphine et de dexedrine/qu'on utilise dans la
rue/ça tue la douleur et te maintient éveillé ». Les choses
se sont déportées, doucement, depuis la Halloween Parade sur New
York. La drogue est désormais un moyen de lutter contre la douleur
provoquée par la maladie, une source d'apaisement, une façon de
prolonger l'existence, tandis que s'aiguise la tristesse et
l'amertume de votre entourage. Cette prolongation, comme l'album lui
même, n'est pas vaine. Reed a longtemps été le plus grand pour ce
qui est de l'amertume. Le voir l'utiliser d'une façon aussi subtile,
dans le filtre d'un chagrin réel, est fascinant.
Si
on le compare à New York, on peut aussi rapprocher cet album du
portrait hommage à Andy Warhol, intense, étonnant, irrévérencieux,
brossé par Reed et son ami John Cale sur Songs For Drella (1990).
Magic and Loss serait en quelque sorte le dernier maillon d'une
nouvelle trilogie.
Magic
and Loss reste l'album de ceux qui voudront continuer de dire au
revoir à Lou Reed en douceur, pas celui de ceux qui préféreront en
retrouver les excès. La grâce minimaliste des guitares de Mike
Rathke, la façon de raconter, sans fioritures, à à l'opposé des
tendances de Reed au sabotage, tout aussi sublimes. Ici, il faut se
plonger dans la longue histoire des chimiothérapies, des traitements
d’hôpital, de l'érosion physique non pas causées par son propre
comportement cynique mais par la maladie des autres. Savoir se
contenter des détails simples, de l'honnêteté de sa confusion, et
presque de ses remords. Harry's Circumcision est encore le temps
d'une histoire, dans laquelle Reed évoque le souvenir d'un ami qu'il
avait dans les années 60, perdu en route en proie à la
schizophrénie et à des pulsions régressives. Pire que la mort,
c'est peut-être la peur de perdre ses moyens, qui fera qu'après
s'être intéressé aussi intensément au monde passé, Reed se
consacrera, jusqu'à sa mort, à de nouveaux projets. Mais quelque
chose nous y fait toujours revenir, d'une manière ou d'une autre, à
ce passé. Car pire que la peur de régresser, c'était celle de ne
pas voir les choses qu'il aimait être réhabilitées qui a poussé
Lou Reed à en valoriser les traces (on se souvient de sa tournée
pour l'album Berlin).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire