“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

jeudi 27 juin 2013

JAMES COTTON - Cotton Mouth Man (2013)

 
OOO
rugueux, groovy, intemporel
blues, rock n'roll, funk
 
Un album merveilleusement simple et direct : il s’agit de ce vieux blues de Chicago qui est comme propulsé comme par la traction d’une locomotive neuve. Les attaques d’harmonica de James Cotton, 77 ans, sont aiguisées comme jamais. Les notes rugueuses sont parfois prolongées de longues secondes, sur Wrapped Around my Heart par exemple, une ballade poignante interprétée par Ruthie Foster. Cotton ne peut presque plus chanter, et laisse la génération suivante – dont Warren Haynes, dont j’avais remarqué l’album Man in Motion – donner leur plus honnête performances sans que l’intensité ne baisse jamais. Le piano funky donne presque à l’album un esprit de fête.  Vocalement, même si le maître ne se contente que d’introduire une chanson, d’intervenir lorsqu’il est trop question de lui – sur He Was There – et murmurer sur Bonnie Blues, il laisse une impression profonde. Son harmonica est l’artefact ultime de la musique blues ; il jouit autant qu’il travaille, surpasse n’importe quel autre instrument que vous entendrez dans un disque en 2013. Toutes les chansons, même si elles sont basées sur des idées mélodiques bien connues, sont originales, et écrites dans un esprit d’hommage aussi bien à l’homme qu’à la scène qu’il est  l’un des derniers à incarner. Une scène qu’il partageait autrefois avec Muddy Waters et Howlin’ Wolf.

lundi 24 juin 2013

SCOUT NIBLETT - It's Up To Emma (2013)

 
OO
rugueux, sombre, intimiste
rock
Scout Niblett, qui s’appelle réellement Emma Louise Niblett, est l’auteure de plusieurs disques étonnants qui raffinent la même formule d’auto-congestion en caressant du doigt les grandes du rock auxquelles on ne cesse de la comparer, Cat Power et PJ Harvey. L’un d’entre eux s’appelle This Fool Can Die Now (2007), et montre Niblett sur un rocher, une sorte de rayon de la mort jaillissant de son œil pour aller aveugler la victime de son tourment féminin. Le suivant c‘est The Calcination of Scout Niblett (2010), et bien qu’il s’agisse de transformer le métal par l’action du feu, et si Niblett apparaît souriante (un chalumeau dans les mains) sur la pochette, elle nous a appris à ne pas prendre à la légère les désidératas pratiqués dans les huit-clos de ses chansons hautement subjectives.
Avec It’s Up to Emma, le champ d’action semble d’abord se focaliser pour de bon. Les prophéties et les supputations n’ouvrent apparemment la voie qu’à un seul objectif : rétablir la justice, avec la chanson Gun. « Je crois que je vais m’acheter un flingue/un de ces petits en argent/Et venir te chercher dans un jour de foule/tu ne verras rien venir de toute façon. » La résolution est implacable ; cette fois Niblett n’a plus de fêlure, croit t-on. On se rend rapidement compte que la justice mise en place est celle des fous, et que Niblett nous mène finalement là où nous pensions ne plus nous trouver avec cet album ; dans un monde qui contient plus de craintes et de fantasmes que d’actions concrètes, plus de désirs refoulés que de vengeances consommées.
Avec une voix dont le timbre assez aigu provoque un contraste intéressant et un style unique, Niblett crée avec force un personnage antipathique et troublant parce qu’il n’a pas le cran d’arriver à ses fins : elle n’achètera pas le flingue à la fin de l’album. Mais c’est aussi un personnage attachant quand il est capable de percevoir courageusement sa propre impuissance : « Qu’est-ce qu’on voit là/entre cet homme et cette femme/ne t’excite pas trop. » Elle a bien conscience que l’amour lui est étranger et veut en faire un outil de revanche, ne répétant idéalement que ces quelques mots tandis qu’une mélodie rampante ronge son frein sur une guitare électrique gutturale. Le résultat dépasse le contexte de l’album et donne une urgence et une sensualité supplémentaire à la musique de Niblett, en transformant soudain le ressenti en besoin inassouvi. C’est lorsqu’elle active pour de bon sa veine blues que le personnage qu’elle crée prend du mordant, et que la photo de pochette prend tout son sens. Certes, son homme la regarde d’un œil extérieur, peut-être calculateur, mais elle le dévore quand même un peu. Ce postulat n’est que le point de départ d’un riche tableau du sentiment amoureux.
Can’t Fool me Now est une sorte de cérémonie dans le contexte de l’album. Quand on comprend l’aspect pathétique du ‘personnage’ d’Emma joué par ‘Scout’ Niblett, le refrain de « Je voulais tellement être la seule pour toi/je ne voyais rien de la vérité/je me suis mentie trop longtemps » montre bien un désarroi divisé entre confusion et lucidité. Le fait de s’appliquer a elle-même le mot ‘fooled’ comme dans le titre de son précédent «This fool [cet idiot] can die now» laisse deviner que Niblett préfère désormais retourner contre ce personnage inspiré par elle-même les jugements d’inconséquence pour faire ressurgir ce que les apparences ne montrent pas. Dans Can’ Fool Me Now, les torts sont soigneusement partagés. Vis-à-vis de cette homme perdu, la posture est au rejet (voir la manière dont elle prononce ‘watching her shitty band’ au début de Gun) sans assumer pleinement ce rejet : sur Second Chance Dreams, qui se traduit nettement en ‘rêves de secondes chances », elle avoue qu’elle ‘s’excite encore’ à l’idée de retrouver l’homme qui l’a rejetée la première. Dans le début de l’album, entre le moment où elle laisse libre cours à son fantasme de vengeance et celui où elle va décider
a) de s’adresser directement à son objet de désir et
b) de ruser pour le faire revenir, My Man et Second Chance Dreams sont les chansons les plus touchantes. « J’aurais aimé en prendre la responsabilité pour nous deux/et j’ai essayé » chante t-elle dans une posture de martyr. Si l’album peut ressembler un enchaînement animal, instinctif et finalement intuitif de coups et de retraites successifs, les deux dernières chansons révèlent une nature plus conciliante, la force de l’émotion blues perçant dans la gorge de Niblett lorsqu’elle s’exclame baby ! baby ! baby ! alors qu’elle semble accepter enfin qu’elle puisse vivre séparément de cet homme. C’est comme si elle avait usé de toutes ses ressources et que l’épuisement était finalement le premier pas vers son retour à la raison.
Scout Niblett approche la musique avec la même originalité qu’elle aborde le chant et l’écriture ; n’utilisant parfois que la batterie pour s’accompagner, voire rien du tout. It’s Up to Emma est un album où la guitare, si reconnaissable, de Niblett prend dès la première seconde une place centrale, et pour cela c’est une œuvre parfaitement lisible. Cela aussi grâce à un trio de percussionnistes de Portland qui semblent l’encercler, la pousser dans ses retranchements et exacerber la joute sexuelle entre les deux protagonistes un peu comme le faisait la production de Steve Albini sur Rid of Me (1993) le disque le plus moite de PJ Harvey. 


mercredi 19 juin 2013

Un article sur BRADFORD COX (Deerhunter, Atlas Sound) (2ème partie)



Science-fiction

Dans Moon, le film de Duncan Jones, on se souvient d'une scène mémorable où le personnage joué par Sam Rockwell pilote son rover en portant des lunettes de soleil... sur la lune. C'est un peu l'effet d'étrange éblouissement que provoque l'écoute de Parallax, le dernier album d'Atlas Sound – soit Bradford Cox tout seul -, paru en 2011. Il faudrait seulement remplacer la lune par l'Islande. “Je l'ai écrit en Islande, à la fin d'une tournée exténuante de Deerhunter. Les autres voulaient tous voir les endroits touristiques du pays, tandis que je ne me sentais pas très bien et que je ne quittais pas la chambre de l'hotel. J'ai toujours en réserve des heures et des heures de démos, j'ai simplement commencé à les assembler. J'ai écrit Terra Incognita au sujet de cette expérience. Cette chanson est venue en songeant à cette nuit étrange et fiévreuse.” On ne sait pas s'il a éprouvé une rancune que le reste du groupe l'abandonne ainsi. Sans doute était-ce tacite que là où le travail de Deerhunter s'achevait, celui de Cox ne faisait que recommencer. Comme Rockwell et ses clones, il y a quelque chose d'un léger dédoublement de personnalité dans la relation entre ces deux projets. La première responsabilité de Cox ces dernières années a été de décider ce qui devait rester chez Deerhunter et ce qui devait faire partie de son projet solitaire. Pourquoi He Would Have Laughed, par exemple, se retrouve sur Halcyon Digest ? Elle a plus d'une similitude avec Te Amo sur Parallax, qui revisite cette façon d'utiliser une boucles de notes synthétisées et de poser sa voix plus haut que d'habitude, de manière à ce que la chanson soit tout à fait claire, dégagée. “Where did my friends go? » s'interroge t-il de manière prémonitoire sur He Would Have Laughed. Les deux albums sont parus à un an d'intervalle.
Parallax est exceptionnellement cohérent ; Cox y montre sa capacité à produire une musique qui n'a pas honte de sa vulnérabilité, de dégager la plus grande solitude et la plus grande tristesse tout en jouant sur l'attrait des mélodies. Terra Incognita est au coeur de la seconde et meilleure face de l'album, le point le plus éloigné de nous dans un voyage sonore euphorisant et touchant qui révèle l'autre Bradford Cox, celui qui postait sur son blog, en 2008, des versions de la chanson de Hank Williams I'm So Lonesome i Could Cry ou du standard Blue Moon par Rodgers and Hart. Parallax révèle un nouvelle fois le talent de Cox pour choisir ce qui doit être enregistré pour l'album et comment le présenter. “Voici 12 nouvelles chansons. Séquencez-les, faites en un album et occupez-vous de l'artwork pour moi : ce serait complètement différent si je me comportais ainsi, explique t-il à Larry Fitzmaurice pour Pitchfork. Ce serait l'efficacité d'abord, il faudrait que ça démarre sur les chapeaux de roue. Cela ne m'intéresse pas. Mes disques favoris sont ceux que que j'ai détesté la première fois que je les ai entendus.”  Parallax est son accomplissement de sonorisateur, le moment où il sait utiliser à bon escient sa pallette de sons dans l'idée de faire un album franc plutôt que de se dissimuler, révélant la confiance qu'il porte à la simplicité réconfortante de son écriture, et mise tout sur un alliage de gravité mais surtout de légèreté, nous faisant presque oublier combien il est séparé du monde.

Il a une idée très précisie d'où vient cette séparation ; quelques artistes underground clef lui ont insinué cette idée. “Trish Keenan est l'épicentre de Parallax. Elle 'a dit, 'Pourquoi ne fais-tu pas un album inspiré de science fiction ?” Elle m'a fait écouter beaucoup de musique britannique inspirée de science-fiction, me parlant aussi d'androgynie. Elle voulait que je me décolore les cheveux. Ca me faisait rire, je lui disais 'Je ne pense pas, je suis plutôt du côté de Neil Young et de l'honnêteté radicale.' Et elle me répondait : 'Oui, mais n'importe qui peut en faire autant'. La vérité, c'est qu'il y a eu beaucoup de situations pendant l'enregsitrement de l'album, où je doutais vraiment de moi-même, j'étais confus, et elle aurait été la première personne que j'aurais appelée.” Parallax est dédié à Trish Keenan comme Halcyon Digest était pour Jay Reatard. Keenan, chanteuse vaporeuse du duo britannique Broadcast, signé sur Warp - label de référence absolue pour la musique électronique inventive. Découvrir Keenan et les atmosphères si particulières, à la fois aériennes et nostalgiques, aussi lumineuses que tristes, de son groupe, c'est comme si Cox, dans le film de Jones, avait enfin trouvé sur la lune la base auxiliaire inhabitée qu'il ne soupçonnait pas, une extension de son espace vital qu'il serait prêt à investir. Parallax est constitué des poussières et des fantômes qu'il a ramenés de ces excursions silencieuses. Des désirs de science -fiction qui croisent le fer chez une autre de ses influences directes, Bobby Conn.
 
Ecriture automatique
 
On ne pouvait rêver meilleur endroit pour croiser le glam-rock (un genre de rock anglais dont T-Rex et les mannequins de Roxy Music furent le paroxysme), et la science-fiction que Rise Up, un disque grandiloquent pour un chanteur provocateur et flamboyant. La pochette illustrée d'une ville futuristte baignée d'un grand soleil orange et un morceau d'ouverture appelé 'Le crépuscule de l'empire' donnent le ton. Leur musique révèle que Cox et Conn font partie du même clan, une bande constituée de ceux qui repoussent les codes laissés par le punk, la new wave et la cold wave des années 1980 s'interdisant lois physiques habituelles. Rise Up rendait cela possible par sa simultanété hors du commun. Ses superpositions de glam-punk et de new wave sont supportées par un enthousiasme à lui seul l'auteur de refrains, traversés de sentiments d'obsession pour la santé et la célébrité, de crise de l'inpiration par auto-absortion, de paranoïa reliés de la façon la plus sous-jacente et sous-culturelle à l'histoire contemporaine des Etats Unis. Monomania, avec ses néons, ses vestes en cuir, et son ambiance tatouée, est lui aussi ouvertement ressortissant d'une amérique qui n'a pas vaincu les drogues de synthèse et autres démons des années 1980. Bradford Cox comme Bobby Conn n'ont rien a perdre : ils préfèrent n'avoir que quelques amis que de faire partie d'une scène musicale. S'ils doivent faire face à ce qu'il ressentent de déliquescence artistique et émotionelle parmi leurs pairs, ils le feront ressentir par leur musique étrange et flamboyante, aussi détachée qu'adroite et capable de viser juste. Même si Cox ne se clame pas l'Antichrist comme Bobby Conn sur scène (qui a écrit la plus grosse partie de Rise Up selon cette perspective)...
 
Conn parodie ainsi ceux qui cherchent à créer un courant artistique par intérêt personnel, comme les surréalistes amenés par André Breton. “II ne s'agissait que d'égo ! Remarque Cox. Le surréalisme ressemble à une forme de sorcellerie adolescente. C'est, “Je veux voir des chattes, je veux voir des seins, je veux que ça sorte de mon subconsient, je veux explorer ma perversion, mais je veux contrôler cette perversion.' Ils ont beaucoup parlé d'écriture automatique, d'écriture guidée par l'inconscient, et j'ai l'impression que la plus grosse partie de ce qu'ils faisaient s'en tenait à leur volonté d'explorer et de contrôler ce qu'ils trouvaient intéressant. Ils voulaient poser un droit d'auteur là dessus, créer un mouvement.” Cependant, pour contacter Trish Keenan par-delà la mort, Bradford avait aussi songé à l'écriture automatique à la création de Parallax.
 
La réponse artistique la plus logique à cette réflexion est de refuser de participer à un quelconque mouvement ; parce que vous êtes européen, ou bien américain, parce que vous êtes d'Atlanta comme de New York, si vous ne créez pas vous-même une scène on vous rattachera à l'une d'entre elles. C'était le message de Joey Ramone. A New York en particulier, on pense à un certain héros qui a longtemps dénigré en bloc toute appartenance, émasculant les journalistes par sa seule attitude, avant de faire venir un jour la ville à lui, rendant une sorte d'hommage et montrant comment la sincérité et l'attachement triomphe de la méfiance et du mépris (parfois justifié) de ses pairs à son égard. C'est Lou Reed, l'album hommage s'appelle New York (1989), et son superbe second disque, Berlin, avait subi un sort peu enviable en 1973.
 
Comme Lou Reed, et comme David Bowie, Cox a choisi de confier la pochette de Parallax à Mick Rock, s'exposant à l'imcompréhension de certains 'amis'. Plus qu'une filiation par un état d'esprit, l'impression de vivre à l'écart des mouvements, il s'agissait d'un désir authentique d'afficher sa révérence et sa nostalgie ; depuis son adolescence Cox avait associé sa fascination pour le rock n' roll, avec tout ce qu'il transportait comme parfum de scandale comme de nostalgie. Sa façon de tenir un micro des années 50 semble appropriée quand on entend une chanson tel que The Shakes, où Cox se dépeint comme une idole ennuyée par le succès, l'argent et les faux amis qui se multiplient à ses côtés.
 
Mes héros
 
 
En discussion, Bradford Cox s'expose à tous les regards, donne tant de détails sur sa vie affective et sexuelle qu'il n'est pas étonnant qu'il ait dû faire le tri entre ceux qui pouvaient supporter son intensité et les autres, avec lesquels le malaise était réciproque. Adorable pour ceux qui le connaissent, Cox met toujours challenge son interlocuteur – musicien compulsif, comme lui, de préférence. Il imagine dans la chanson Flagstaff, l'une de ses préférées sur Parallax, une cohorte d'épileptiques pour représenter la singularité d'une certaine scène musicale à laquelle il porte un hommage. «Les plus étranges sont restés/enchaînés au sol/Pour qu'ils ne puissent pas bouger/Il produisaient ces sons bizarres/Qui ont changé ma façon d'écouter/Et de ressentir. »
 
La française Laeticia Sadier est un visage plutôt rassurant dans cette cohorte. Elle est la chanteuse et musicienne de Stereolab, une groupe rock atypique, aventureux, dans lequel chaque chanson a une destination différente, une coloration voilée, que ce soit par l'action de cuivres, d'éléments électroniques, de percussions. L'une conversations les plus révélatrices de Bradford Cox a eu lieu en octobre 2010, alors qu'il s'entretenait pour le site internet Under The Radar avec Sadier, la flattant dans un rôle de grande sœur modèle et de mère. C'était un an après qu'ils aient collaboré ensemble sur une chanson du deuxième album d'Atlas Sound, Logos. « Le plus gros compliment que je puisse faire à ton groupe, c'est qu'ils me rappellent l'odeur d'une vieille maison dans laquelle j'ai vécu, ou une lumière spécifique de l'automne.» Et lorsqu'il évoque le souvenir d'un concert ensemble, le destin de Bradford Cox – tellement lié à sa maladie et sa condition solitaire – rejaillit. «Quand Alex (le fils de Laeticia) est monté sur scène, en 10 ans de concerts, c'est sans hésitation le meilleur souvenir que j'ai. Il y a quelque chose de réconfortant quand on voit une mère et son fils réunis. L'idée d'élever un enfant m'est intéressante. Je suis parrain. J'ai des neveux et des nièces. J'aimerais avoir un enfant, comme toi. Si j'en avais un, il serait mon héros.”
 
J'aimerais ressembler davantage à ma mère et mon père. Ils m'ont soutenu depuis le début. Je pense que c'est ce qui m'a donné cette indépendance bizarre, à l'écart des scènes et des héros. Mes héros ce sont eux, qui ont traversé des période si difficiles, et n'ont jamais cessé de croire en moi, chacun à leur façon. Ils m'ont mis avant eux, dès qu'ils en ont eu l'occasion.”Il y a un certain genre de personnes dans le monde pour lequel j'ai beaucoup d'admiration... mais c'est là que je perds toute mon éloquence.”

samedi 15 juin 2013

Un article sur BRADFORD COX (Deerhunter, Atlas Sound) (1ère partie)


Bradford Cox, créature aussi haute que le batteur et co-fondateur de Deerhunter, Moses Archuleta, sur son promontoire, Cox dont les épaules anguleuses et le torse plat donnent à son tee-shirt arborant le nom d'un groupe de punk séminal un air d'étendard, est dans un monde à lui seul. Dans ce monde, le chanteur né en 1982 à Athens dans l'état de Georgie, semble avoir quinze ans. Le volume assourdissant, les larsen provoqués sciemment avec sa guitare, ne sont pas un énième défi au public, mais le fruit de sa franchise adolescente. La même qui le porte à déclarer que sa chanson préférée de tous les temps est Blue Milk de Stereolab. Cette sincérité qui le voit imiter les groupes les plus admirés de son interminable adolescence, les Strokes en tête (« J'aime les Strokes car j'aime le rock n' roll »), avec une fièvre entre envie et triomphe farouche. Elle fait de lui l'un des artistes les mieux capables de véhiculer l'esprit du rock n' roll, en exposant sa propre forme de juvénilité étrange. Cox vole par son apparence un charisme que beaucoup n'auront jamais. On se demande, à un moment, s'il ne va pas manger le hit-hat de Moïse, l'un des secrets du son Deerhunter.

Le groupe Deerhunter n'est qu'un versant de Bradford Cox. C'est là qu'il est entouré de musiciens à la maturité tellement plus ordinaire, prêts, eux, à se réclamer de l'indie rock, à se jeter des regards timides sans jamais dévisager le public ni s'adresser à lui, voire à vendre des tee-shirts sur un stand de merchandising – tant que Cox sera à la barre à exhorter le 'capitaine des rêves' de le prendre avec lui, cela ne se fera pas. Atlas Sound est un autre versant, où il fait mine d'être seul – mais c'est pour mieux être entouré de ceux qu'il porte dans son cœur, famille et musiciens. Un autre versant de l'identité de Cox encore, c'est la musique qu'il écoute dans les hauts parleurs, seul chez lui ou en tournée, celle dont il se nourrit et qui lui donne son pouvoir de révérence.
Dans la salle, il y a ceux qui, devant la scène, captent l'énergie comme elle vient, recherchent l'attention de Cox, l'affection d'un leader, qui veulent ressentir la vibration compulsive qui traverse la musique de Deerhunter et culmine avec une nécessité primitive dans Monomania, la chanson titre du dernier album. A la fin de celle-ci, avant le rappel, un brouhaha insoutenable d'où s'échappe ce qui ressemble à des hurlements d'âme damnées entremêlés, que Cox s'est amusé à produire avec sa pédale. Toute cette expérience rappelle ce qu'il déclarait, interviewé par Stevie Chick pour Mojo Magazine. « Ce n'est pas la reverb' qui m'attire, mais le fait que la musique puisse être hantée. Je n'ai jamais écouté Slowdive ; je n'ai jamais regardé mes chaussures en jouant [il fait allusion aux musiciens dits shoegaze et à tout un pan de culture rock alternative] ; je fixe les gens droits dans les yeux. » Avec sa candeur, Cox ressemble par certains côtés à un doux ectoplasme. A force de le regarder se mouvoir, parfois, on ferme les yeux et on voit...
Judy Is a Punk
Joey Ramone, une question t'est posée même si tu risques de ne pas pouvoir y répondre . A ton avis est-ce possible aujourd’hui encore de vouloir rester soi-même et vendre de la musique ? De vouloir jouer du rock garage et cependant séduire encore largement ? De poursuivre ce combat pour l'indépendance ? « Nous étions censés faire de la musique facile à écouter, et tout le monde était supposé participer – ta mère, ton père, ta sœur et ton frère. Tout le monde était supposé s’asseoir dans le salon et écouter des albums de Meatloaf ensemble. Nous étions complètement dégoûtés. Quand nous avons commencé, nous ne considérions pas ce que nous faisions comme du punk, mais nous avions une chanson qui s’appelait Judy Is a Punk Rocker, et la presse a commencé à nous mettre cette étiquette», commente Ramone dans une interview pour Art Magazine datant des années 1990. Depuis cette époque, la presse est mieux sur ses gardes. Les étiquettes se sont pratiquement multipliées aussi vite que les disques, et par ailleurs les journalistes ne cherchent plus systématiquement à en coller. Tout les courants qui se sont entremêlés, en particulier dans la culture alternative américaine depuis les années 1980, du renouveau du hillbilly aux musiques expérimentales, toutes les bandes d'amis qui ont formé d’invraisemblables groupes, écoutant de la musique avec leurs parents ou non, avec toutes leurs personnalités divergentes, tout pourrait simplement s’appeler rock. Soit : musique (populaire) qui trompe la croyance (populaire) selon laquelle elle n'est ni riche ni profonde, mais sur laquelle, cependant, il est encore salutaire de danser.
Le modèle familial d'écoute décrit par Joey Ramone semble désuet. Chacun apporte son modèle, et dans celui de Bradford Cox, par exemple, la famille occupe une place centrale. Le premier pose cette question : tout le monde doit t-il chercher à interpréter ce que vous faites, seulement parce qu'il s'agit de musique populaire ? Le second répond par une anecdote. Lors d'un concert en mars 2012 au Cedar Cultural Centre de Minneapolis, Bradford Cox ferma son set avec une version chaotique de près d'une heure de My Sharona, le tube de The Knack, en réponse à la requête idiote d'une personne ivre dans le public. L'histoire est reportée dans le Mojo Magazine de juin 2013. «Wov, est-ce qu'on va me laisser oublier cette nuit là ? On m'associe maintenant à la pire chanson. Pourquoi je n'ai pas simplement joué Judy is a Punk pendant une heure ? Ou Your Cheatin'Heart de Hank Williams ? Les gens essaient d'en faire une déclaration d'intention ! C'était seulement un peu d'humour ! » Avant de reconnaître, en revenant à la raison évidente de tout ce cirque : « Mais le rock n'roll a besoin de ses mythologies, je suppose. »
Jeux de silhouette
Monomania s'écoute comme un florilège de mythologies rock n'roll passées à travers le filtre intime et énigmatique habituel de Bradford Cox. C'est aussi l'album abrasif, qui véhicule l'esprit punk des Ramones, que ceux qui se sont lassés de l'enfermement de l' « indie rock » pouvaient attendre. Sans Judy Is a Punk Rocker pour faire bonne mesure, l'album s'écoute pourtant, en son cœur, comme une projection fantasmatique d'une grande époque musicale, et de surcroît de ce qui se serait passé, à cette époque, dans la tête d'une musicien, lui aussi atteint du syndrome de Marfan, en train d'enregistrer un grand disque de punk-rock appelé The Ramones. C'est ainsi qu'il faut comprendre le jeu qui consiste pour Deerhunter à s'appliquer à soi-même cette étiquette étonnement parlante : 'nocturnal garage'. S'il y a des faux semblants et autres jeux de silhouette, l'album est emprunt d'une nostalgie coutumière, qui ne eut s'expliquer que si l'on fouille un peu à l'intérieur de la solitude de son chanteur.
Le titre semble faire référence à une volonté immodérée de tout contrôler, mais aussi à un supposée 'manie' qui serait de ré-enregistrer inlassablement la même musique. Cette interprétation vole en éclats lorsqu'à l'écoute on compare Monomania aux autres albums de Deerhunter ; cet album brise la trajectoire du groupe, une montée indolente en puissance qui sonnait de plus en plus comme une prière pour le succès. « Come on god hear my sick prayer / If you can't send me an angel/Send me something else instead. », chante t-il encore sur la chanson titre, donnant l'impression que d'autres voies peut-être aussi gratifiantes existent pour son groupe que le succès. En 2008, Cox offrait déjà cette explication : « Je ne sais pas si je crois au contrôle total. Ce qui est beau dans la vie c'est qu'il y a toujours beaucoup de possibilités. C'est ce que je retiens de l'adolescence aussi : vous nagez au beau milieu de ces possibilités. Puis à l'âge adulte, elles réapparaissent comme des bulles de savon. Toutes les idées de ce que vous ferrez, qui vous serez, ou avez qui vous passerez votre temps se défont lentement... » C'est ce que raconte Monomania.
Des signes dans les textes de Monomania laissent deviner que Bradford Cox a trouvé sa façon d'être adulte, entre improbable glam-rock sudiste et envie de secouer les consciences. Il n'est plus celui qui se prenait à imaginer longuement ce que ça aurait été s'il avait eu sa place auprès des enfants de son école primaire ; au contraire, Deerhunter est une bande de réprouvés désormais capables de faire enfin percer l'humour et quelque chose de sexuel dans un groupe réputé pour sa pudeur. Deerhunter a cependant une inertie énorme ; l'une, psychologique, vient des relents d'adolescence difficiles à laisser de côté, l'autre, mécanique, de la quantité de chansons écrites, par centaines, difficiles à canaliser dans une direction sûre. Cox ne cesse jamais d'écrire, comme pris dans un tourbillon d’exorcisme mental, recherchant compulsivement à se débarrasser les mêmes sentiments en mettant en scène des personnages voués à l'observation de leurs propres vices, le cynisme se transformant en nostalgie et en amour lorsqu'il se tourne vers l'extérieur. Le sang de Bradford Cox est autour de leurs yeux pour qu'ils voient, fait battre leur cœur. Sa main, lorsqu'elle ne tient pas le micro, les cravache durement pour les faire avancer plus profondément dans leurs vérités.
Ce sont les chansons qui ont permis au groupe de survivre, malgré le départ du bassiste Josh Fauver après l’enregistrement de Halcyon Digest (2011), parce que, disait Cox, « Qu'allions nous faire de toutes ces chansons ? » On le comprend une nouvelle fois sur Monomania, l'ambivalence de ces chansons, est de pousser le groupe en avant tout en voulant parfois céder à des faiblesses, à des douleurs, à l'envie sans doute de ne plus écrire. Bradford Cox a fait écouter l'album à son père, qui n'aime que The Missing – la chanson, que, justement, il n'a ni écrite ni chantée. C'est si facile de voir pourquoi le paternel ne supporte que celle-ci – moins électrique et plus polie, elle donne une sensation d'équilibre que les autres chansons ne possèdent pas. Ailleurs, les guitares crient, les éléments se battent les uns contre les autres dans une stridence pourtant productive. Les mélodies sont avalées mais tracent encore une filiation claire avec le passé du groupe, spécialiste des refrains à la fois entêtants et faciles et des couplets qui donnent l'impression que ça y est, la chanson va décoller. Deerhunter ne termine jamais vraiment une chanson, semble t-il. Ce qui les rend si précieuses, c'est justement l'air d'avoir été crées à l'emporte-pièce, et de trouver leur force dans le manque et l'étourdissement. Plus équilibrée, The Missing semble réparer un trouble de l'esprit : pas étonnant, le rapport de Cox à la musique est psychique, et l'auteur de la chanson, Lochekt Pundt, le sait.
Après la mort de Joey Ramone en 2001, Danny Fields comme bien d'autres, lui rendit un hommage : « Il était isolé parce qu'il était si grand et 'bizarre'. Etant enfants, on n'a jamais entendu parler de tous ceux qui ne l'ont pas voulu à leur table, mais maintenant nous pleurons pour avoir Joey. C'est ce que racontait sa vie, derrière les chansons, le groupe et le chanteur super, il s'agissait de devenir une star pour les bonnes raisons, quand vous avez été exclu pour les mauvaises. » Monomania, comme d'autres albums de Deerhunter, est un album fait pour l'hommage, muet, subliminal.

jeudi 13 juin 2013

MARNIE STERN - The Chronicles of Marnia (2013)

 
 
 
O
ludique, audacieux, efficace
noise rock

Une cascade de superlatifs irisés inonde Marnie Stern depuis ses débuts en 2007 avec In Advance of the Broken Arm. Depuis 'l'album rock n' roll le plus excitant de l'année', une joute d'enthousiasme s'est engagée entre Stern et les organes médiatiques, même prestigieux, comme une fête privée qui concentre ce que le rock indépendant a de plus mondain. Marnie Stern telle qu'on l'imagine : la ville (New York) jusqu'au bout des doigts, ce qui permet, avec un peut de savoir-faire, d'avoir des fans dans le monde entier ; en témoigne le clip d'Immortal, toujours sur le point d'être incroyablement ennuyeuse, antipathique ; cherchant apparemment dans ses chansons a prouver combien elle a travaillé dur (''I’m working, I’m working so damn hard' sur la chanson titre) ,pour les enregistrer, les produire, son jeu de guitare étonnant menacé de devenir la seule marque de son originalité désormais impuissante. Presque chaque détail de sa vie aux 400 jobs définit un personnage à des années lumière de l'authentique rockeur de Memphis. Mais Marnie Stern ne s'arrête jamais : elle écoute Led Zeppelin, et sur Nothin is Easy et Still Moving, elle laisse penser qu'elle va travailler encore plus dur dans le futur

Mais les faiblesses de Marnie Stern sont aussi ses forces ; sa façon de délayer inlassablement l'implosion de sa formule acrobatique mêlant guitare en tapping, overdrive hard-rock et voix enfantine n'est aussi bonne que parce qu'elle joue contre le temps, reflétant une vie bondissante, et révélant finalement plus de doute que prévu, la peur de ne pas tout vivre, de ne pas exprimer les bonnes émotions, la crainte de ne pas exprimer d'émotion du tout, le désespoir de n'avoir personne pour répondre aux questions implicites. Elle ne joue pas sur les regrets mais pose concrètement le présent comme tremplin toujours renouvelé vers l'avenir, écrivant ses confessions ('I'm running out of energy' sur la chanson Proof of Life) dans un temps déjà révolu, le déluge de notes de sa guitare permettant de résoudre en trois minutes presque tous les obstacles sur sa route, laissant quelques énigmes pour les multiples écoutes que mérite l'album. Sa musique, désormais cadencée par le batteur Kid Millions d'Oneida, est tout aussi franche qu'avec Zack Hill mais moins violente, plus interactive et moins le fruit de forces en opposition. Stern a beau dire qu'elle est obligée d'employer une méthode pour écrire et que cela ne vient pas naturellement, The Chronicles of Marnia provoque un faisceau d'émotions et de pensées spontanées chez l'auditeur, de phrases accrocheuses en refrains, en choeurs, de surprise en surprise.


mardi 11 juin 2013

OLD MOUNTAIN STATION - S/T (2013)





Comment l’album d’un quatuor rock français peut il avoir ce charme juvénile palpable ? La production (par Kid Loco) nous projette adroitement dans la bonne lumière, celles des jours qui s’allongent à l’insu des gens peu attentifs, et dont les autres profitent pour s’ouvrir l’esprit.  On se rend à l’évidence de l’émotion, de cette façon de s’adresser, à travers la bienveillance des mélodies et la tendresse du chant, à l’enfant que nous voudrions voir danser. Un enfant dont les émotions grandissent sans cesse, déjà dans la prairie du campus universitaire, un jeune homme debout dans l’herbe et qui ré-imagine ses amis de l’école, voit se profiler les prémices d’une carrière de journaliste, de notaire, réalisateur à la télé ou de consultant en marketing, s’entrevoit en train d’élever sa première fille, l’initiant aux joies de la vie quotidienne, celle du tourne-disque et des chansons toujours fraîches, comme celles d’Old Mountain Station. Laissant grandir les oreilles de ceux qui écoutent, les regardant dodeliner de la tête en écoutant des mots « Je n’avais jamais remarqué comme tu pouvais être rude »,  prononcés avec plus de générosité que de sévérité.
Le groupe a cette particularité de mêler folk et longs accords overdrive du rock alternatif. Le  son frais, détaillé, ces mélodies évidentes – Auction Block en tête -, ces voix comme  adolescentes lui donnent la fraîcheur qui les rapprocheent d’Avi Buffalo, l’un des jeunes groupes américains les plus prometteurs de ces dernières années. La simplicité et la franchise de cet album lui permettent d’aller sur le terrain d’un épanouissement précoce et dans tous les espaces où la camaraderie triomphe.
Le titre du premier EP du groupe, “Songs for Woody”, enregistré en 2008, fait t-il référence à Woody Guthrie ?
Thomas Richet (Guitare, chant, claviers, harmonica) : Le titre du premier EP fait référence au tout premier batteur du groupe, dont c’est le surnom. C’est lui qui a eu l’idée de monter un groupe folk “lo-fi” (à l’époque, je faisais de la power pop avec Alex [Alexandre Cassigneul], le guitariste du groupe) et c’est donc beaucoup grâce à lui si le groupe existe. Il a depuis abandonné la musique, mais son esprit est toujours un peu avec nous. Cela dit, le fait qu’on puisse penser à Woody Guthrie en lisant le titre n’est bien sûr pas un hasard.
Comment s’est passée la collaboration avec Gilles Deles et We are Unique records ?
Thomas : Le travail avec Gilles s’est fait par correspondance, nous ne l’avons malheureusement rencontré qu’une fois en chair et en os, et avant même qu’il fut question de collaborer musicalement. Mais on peut dire qu’il s’est fait en toute simplicité, assez intuitivement. Le mastering peut ressembler à du maraboutage pour les non-avertis, c’était donc bien de pouvoir compter sur quelqu’un qui comprenait notre musique et où on voulait en venir. Sinon, We Are Unique, c’est une famille, tout simplement.

MICHAEL WOOKEY - Submarine Dreams (2013)




O

lyrique, original, fait main
folk, expérimental


« Inside i was a-wanting silence/ to be with somebody golden / so fill your heart with my love / and make sure you're okay with my love / i'm having dreams about you / all of the things i put you through / I should have give you the world. » Somebody Golden nous fait instantanément entrer dans un univers à la densité lyrique exceptionnelle. C'est la voix de Michael Wookey, sur le fil, qui nous invite la première à l'intérieur de ces 'rêves sous-marins'. On devine qu'il va s'agir de fantasmes, comme une manière de créer un terrain de liberté où tout se permettre, un endroit de folk étrange que trop de réflexion ferait s'effondrer. « J'adore les vieux enregistrements sur cassette, le blues... Je veux me rapprocher de cet âge d'or où il n'y avait qu'une seule prise, » racontait t-il pour le webzine français Save My Brain à l'occasion de la sortie de son premier album, Gun Gala.

La musique de Michael Wookey peut d'abord dérouter, car son tour de force est d'essayer d'articuler plusieurs choses : une voix singulière, une passion pour essayer toutes sortes d'instruments et son envie de complètement se livrer à son public, d'être sur la brèche. «J’essaie plein de choses, ce n’est pas forcément facile et ça marche rarement du premier coup. » C'est un artiste qui éclate les lieux, les musiques et les scènes ; anglais francophile que l'on observera souvent de passage à Paris dans les temps à venir, aperçu au Point Ephémère avec l'Islandaise Olöf Arnalds et affilié à Björk parce qu'il lui a emprunté le producteur Valgeir Sigurðsson (qui a aussi travaillé avec Cocorosie et Feist) et l'artiste peintre Gabriela Friðriksdóttir. Une certaine sensibilité féminine parcourt d'ailleurs l'album, que ce soit dans le choix des arrangements ou l'utilisation de certains instruments tels que la harpe.

Cependant, contrairement à Björk par exemple, Wookey n'est pas intéressé par l'utilisation de moyens électroniques pour créer de la musique. Il préfère utiliser toutes sortes d'instruments, avec leur histoire, comme cet harmonium hérité de son grand-père et n'ayant pas servi depuis la Seconde Guerre Mondiale, qui sert d'épine dorsale à Jesus Warm my Cocoa. (la chanson au titre le plus étrange de l'album, et aussi la plus courte). La délicatesse est le sentiment prédominant avec des chansons telles que And That's Left is Blood. Le grand vide laissé par l'absence de batterie est utilisé à l'avantage de l'ambiance, ce qui peut conduire certains à y voir une sorte de cabaret. Le cabaret implique pourtant beaucoup de codes et Submarine Dreams ne se fie pas à des codes, c'est un disque absolument personnel, fait en toutes choses selon les termes de Wookey. 


Il n'hésite pas à dérailler sur fond de cuivres et de timbales, à se montrer menaçant lorsqu'il chante « tu fais bouillir mon sang » dans une chanson aux cuivres cauchemardesques fameusement rythmée par des halètements. Plusieurs titres révèlent un aspect violent rendu convaincant par l'intensité de l'interprétation de Wookey. « J'ai des sujets souvent sombres », reconnaît t-il. On semble avoir demandé aux instruments de mener leur propre existence, ce qui amène à y voir un étrange pendant anglais aux précieuses errances de Tom Waits. Cet instrumentation peut être débordante comme minimaliste, les cœurs habillant quelques coups portés ça et là dans des percussions de bohème sur Thumbs Up. Submarine Dreams est un bel exemple pour montrer comment la folie scénique et, de ce fait, toute la singularité d'un artiste fiévreux peut trouver son chemin jusqu'à l'enregistrement en studio.
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