Science-fiction
Dans
Moon, le film de Duncan Jones, on se souvient d'une scène mémorable
où le personnage joué par Sam Rockwell pilote son rover en portant
des lunettes de soleil... sur la lune. C'est un peu l'effet d'étrange
éblouissement que provoque l'écoute de Parallax, le dernier album
d'Atlas Sound – soit Bradford Cox tout seul -, paru en 2011. Il
faudrait seulement remplacer la lune par l'Islande. “Je l'ai écrit
en Islande, à la fin d'une tournée exténuante de Deerhunter. Les
autres voulaient tous voir les endroits touristiques du pays, tandis
que je ne me sentais pas très bien et que je ne quittais pas la
chambre de l'hotel. J'ai toujours en réserve des heures et des
heures de démos, j'ai simplement commencé à les assembler. J'ai
écrit Terra Incognita au sujet de cette expérience. Cette chanson
est venue en songeant à cette nuit étrange et fiévreuse.” On ne
sait pas s'il a éprouvé une rancune que le reste du groupe
l'abandonne ainsi. Sans doute était-ce tacite que là où le travail
de Deerhunter s'achevait, celui de Cox ne faisait que recommencer.
Comme Rockwell et ses clones, il y a quelque chose d'un léger
dédoublement de personnalité dans la relation entre ces deux
projets. La première responsabilité de Cox ces dernières années a
été de décider ce qui devait rester chez Deerhunter et ce qui
devait faire partie de son projet solitaire. Pourquoi He Would Have
Laughed, par exemple, se retrouve sur Halcyon Digest ? Elle a plus
d'une similitude avec Te Amo sur Parallax, qui revisite cette façon
d'utiliser une boucles de notes synthétisées et de poser sa voix
plus haut que d'habitude, de manière à ce que la chanson soit tout
à fait claire, dégagée. “Where did my
friends go? » s'interroge t-il de manière prémonitoire sur He
Would Have Laughed. Les deux albums sont parus à un an d'intervalle.
Parallax
est exceptionnellement cohérent ; Cox y montre sa capacité à
produire une musique qui n'a pas honte de sa vulnérabilité, de
dégager la plus grande solitude et la plus grande tristesse tout en
jouant sur l'attrait des mélodies. Terra
Incognita est au coeur de la seconde et meilleure face de l'album, le
point le plus éloigné de nous dans un voyage sonore euphorisant et
touchant qui révèle l'autre Bradford Cox, celui qui postait sur son
blog, en 2008, des versions de la chanson de Hank Williams I'm So
Lonesome i Could Cry ou du standard Blue Moon par Rodgers and Hart.
Parallax révèle un nouvelle fois le talent de Cox pour choisir ce
qui doit être enregistré pour l'album et comment le présenter.
“Voici 12 nouvelles chansons. Séquencez-les, faites en un album et
occupez-vous de l'artwork pour moi : ce serait complètement
différent si je me comportais ainsi, explique t-il à Larry
Fitzmaurice pour Pitchfork. Ce serait l'efficacité d'abord, il
faudrait que ça démarre sur les chapeaux de roue. Cela ne
m'intéresse pas. Mes disques favoris sont ceux que que j'ai détesté
la première fois que je les ai entendus.”
Parallax est son accomplissement de sonorisateur, le moment où
il sait utiliser à bon escient sa pallette de sons dans l'idée de
faire un album franc plutôt que de se dissimuler, révélant la
confiance qu'il porte à la simplicité réconfortante de son
écriture, et mise tout sur un alliage de gravité mais surtout de
légèreté, nous faisant presque oublier combien il est séparé du
monde.
Il
a une idée très précisie d'où vient cette séparation ; quelques
artistes underground clef lui ont insinué cette idée. “Trish
Keenan est l'épicentre de Parallax. Elle 'a dit, 'Pourquoi ne
fais-tu pas un album inspiré de science fiction ?” Elle m'a fait
écouter beaucoup de musique britannique inspirée de
science-fiction, me parlant aussi d'androgynie. Elle voulait que je
me décolore les cheveux. Ca me faisait rire, je lui disais 'Je ne
pense pas, je suis plutôt du côté de Neil Young et de l'honnêteté
radicale.' Et elle me répondait : 'Oui, mais n'importe qui peut en
faire autant'. La vérité, c'est qu'il y a eu beaucoup de situations
pendant l'enregsitrement de l'album, où je doutais vraiment de
moi-même, j'étais confus, et elle aurait été la première
personne que j'aurais appelée.” Parallax est dédié à Trish
Keenan comme Halcyon Digest était pour Jay Reatard. Keenan,
chanteuse vaporeuse du duo britannique Broadcast, signé sur Warp -
label de référence absolue pour la musique électronique inventive.
Découvrir Keenan et les atmosphères si particulières, à la fois
aériennes et nostalgiques, aussi lumineuses que tristes, de son
groupe, c'est comme si Cox, dans le film de Jones, avait enfin trouvé
sur la lune la base auxiliaire inhabitée qu'il ne soupçonnait pas,
une extension de son espace vital qu'il serait prêt à investir.
Parallax est constitué des poussières et des fantômes qu'il a
ramenés de ces excursions silencieuses. Des désirs de science
-fiction qui croisent le fer chez une autre de ses influences
directes, Bobby Conn.
Ecriture
automatique
On
ne pouvait rêver meilleur endroit pour croiser le glam-rock (un
genre de rock anglais dont T-Rex et les mannequins de Roxy Music
furent le paroxysme), et la science-fiction que Rise Up, un disque
grandiloquent pour un chanteur provocateur et flamboyant. La pochette
illustrée d'une ville futuristte baignée d'un grand soleil orange
et un morceau d'ouverture appelé 'Le crépuscule de l'empire'
donnent le ton. Leur musique révèle que Cox et Conn font partie du
même clan, une bande
constituée de ceux qui repoussent les codes laissés par le punk, la
new wave et la cold wave des années 1980 s'interdisant lois
physiques habituelles. Rise Up rendait cela possible par sa
simultanété hors du commun. Ses superpositions de glam-punk et de
new wave sont supportées par un enthousiasme à lui seul l'auteur de
refrains, traversés de sentiments d'obsession pour la santé et la
célébrité, de crise de l'inpiration par auto-absortion, de
paranoïa reliés de la façon la plus sous-jacente et
sous-culturelle à l'histoire contemporaine des Etats Unis.
Monomania, avec ses néons, ses vestes en cuir, et son ambiance
tatouée, est lui aussi ouvertement ressortissant d'une amérique qui
n'a pas vaincu les drogues de synthèse et autres démons des années
1980. Bradford Cox comme Bobby Conn n'ont rien a perdre : ils
préfèrent n'avoir que quelques amis que de faire partie d'une scène
musicale. S'ils doivent faire face à ce qu'il ressentent de
déliquescence artistique et émotionelle parmi leurs pairs, ils le
feront ressentir par leur musique étrange et flamboyante, aussi
détachée qu'adroite et capable de viser juste. Même si Cox ne se
clame pas l'Antichrist comme Bobby Conn sur scène (qui a écrit la
plus grosse partie de Rise Up selon cette perspective)...
Conn
parodie ainsi ceux qui cherchent à créer un courant artistique par
intérêt personnel, comme les surréalistes amenés par André
Breton. “II ne s'agissait que d'égo ! Remarque Cox. Le surréalisme
ressemble à une forme de sorcellerie adolescente. C'est, “Je veux
voir des chattes, je veux voir des seins, je veux que ça sorte de
mon subconsient, je veux explorer ma perversion, mais je veux
contrôler cette perversion.' Ils ont beaucoup parlé d'écriture
automatique, d'écriture guidée par l'inconscient, et j'ai
l'impression que la plus grosse partie de ce qu'ils faisaient s'en
tenait à leur volonté d'explorer et de contrôler ce qu'ils
trouvaient intéressant. Ils voulaient poser un droit d'auteur là
dessus, créer un mouvement.” Cependant, pour contacter Trish
Keenan par-delà la mort, Bradford avait aussi songé à l'écriture
automatique à la création de Parallax.
La
réponse artistique la plus logique à cette réflexion est de
refuser de participer à un quelconque mouvement ; parce que vous
êtes européen, ou bien américain, parce que vous êtes d'Atlanta
comme de New York, si vous ne créez pas vous-même une scène on
vous rattachera à l'une d'entre elles. C'était le message de Joey
Ramone. A New York en particulier, on pense à un certain héros qui
a longtemps dénigré en bloc toute appartenance, émasculant les
journalistes par sa seule attitude, avant de faire venir un jour la
ville à lui, rendant une sorte d'hommage et montrant comment la
sincérité et l'attachement triomphe de la méfiance et du mépris
(parfois justifié) de ses pairs à son égard. C'est Lou Reed,
l'album hommage s'appelle New York (1989), et son superbe second
disque, Berlin, avait subi un sort peu enviable en 1973.
Comme
Lou Reed, et comme David Bowie, Cox a choisi de confier la pochette
de Parallax à Mick Rock, s'exposant à l'imcompréhension de
certains 'amis'. Plus qu'une filiation par un état d'esprit,
l'impression de vivre à l'écart des mouvements, il s'agissait d'un
désir authentique d'afficher sa révérence et sa nostalgie ; depuis
son adolescence Cox avait associé sa fascination pour le rock n'
roll, avec tout ce qu'il transportait comme parfum de scandale comme
de nostalgie. Sa façon de tenir un micro des années 50 semble
appropriée quand on entend une chanson tel que The Shakes, où Cox
se dépeint comme une idole ennuyée par le succès, l'argent et les
faux amis qui se multiplient à ses côtés.
Mes
héros
En
discussion, Bradford Cox s'expose à tous les regards, donne tant de
détails sur sa vie affective et sexuelle qu'il n'est pas étonnant
qu'il ait dû faire le tri entre ceux qui pouvaient supporter son
intensité et les autres, avec lesquels le malaise était réciproque.
Adorable pour ceux qui le connaissent, Cox met toujours challenge son
interlocuteur – musicien compulsif, comme lui, de préférence. Il
imagine dans la chanson Flagstaff, l'une de ses préférées sur
Parallax, une cohorte d'épileptiques pour représenter la
singularité d'une certaine scène musicale à laquelle il porte un
hommage. «Les plus étranges sont restés/enchaînés au sol/Pour
qu'ils ne puissent pas bouger/Il produisaient ces sons bizarres/Qui
ont changé ma façon d'écouter/Et de ressentir. »
La
française Laeticia Sadier est un visage plutôt rassurant dans cette
cohorte. Elle est la chanteuse et musicienne de Stereolab, une groupe
rock atypique, aventureux, dans lequel chaque chanson a une
destination différente, une coloration voilée, que ce soit par
l'action de cuivres, d'éléments électroniques, de percussions.
L'une conversations les plus révélatrices de Bradford Cox a eu lieu
en octobre 2010, alors qu'il s'entretenait pour le site internet
Under The Radar avec Sadier, la flattant dans un rôle de grande sœur
modèle et de mère. C'était un an après qu'ils aient collaboré
ensemble sur une chanson du deuxième album d'Atlas Sound, Logos.
« Le plus gros compliment que je puisse faire à ton groupe,
c'est qu'ils me rappellent l'odeur d'une vieille maison dans laquelle
j'ai vécu, ou une lumière spécifique de l'automne.» Et lorsqu'il
évoque le souvenir d'un concert ensemble, le destin de Bradford Cox
– tellement lié à sa maladie et sa condition solitaire –
rejaillit. «Quand Alex (le fils de Laeticia) est monté sur scène,
en 10 ans de concerts, c'est sans hésitation le meilleur souvenir
que j'ai. Il y a quelque chose de réconfortant quand on voit une
mère et son fils réunis. L'idée
d'élever un enfant m'est intéressante. Je suis parrain. J'ai des
neveux et des nièces. J'aimerais avoir un enfant, comme toi. Si
j'en avais un, il serait mon héros.”
“J'aimerais
ressembler davantage à ma mère et mon père. Ils m'ont soutenu
depuis le début. Je pense que c'est ce qui m'a donné cette
indépendance bizarre, à l'écart des scènes et des héros. Mes
héros ce sont eux, qui ont traversé des période si difficiles, et
n'ont jamais cessé de croire en moi, chacun à leur façon. Ils
m'ont mis avant eux, dès qu'ils en ont eu l'occasion.”Il y a un
certain genre de personnes dans le monde pour lequel j'ai beaucoup
d'admiration... mais c'est là que je perds toute mon éloquence.”
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