OO
rugueux, sombre, intimiste
rock
Scout Niblett,
qui s’appelle réellement Emma Louise Niblett, est l’auteure de plusieurs disques
étonnants qui raffinent la même formule d’auto-congestion en caressant du doigt
les grandes du rock auxquelles on ne cesse de la comparer, Cat Power et PJ
Harvey. L’un d’entre eux s’appelle This Fool Can Die Now (2007), et montre
Niblett sur un rocher, une sorte de rayon de la mort jaillissant de son œil
pour aller aveugler la victime de son tourment féminin. Le suivant c‘est The
Calcination of Scout Niblett (2010), et bien qu’il s’agisse de transformer le
métal par l’action du feu, et si Niblett apparaît souriante (un chalumeau dans
les mains) sur la pochette, elle nous a appris à ne pas prendre à la légère les
désidératas pratiqués dans les huit-clos de ses chansons hautement subjectives.
Avec It’s Up
to Emma, le champ d’action semble d’abord se focaliser pour de bon. Les prophéties
et les supputations n’ouvrent apparemment la voie qu’à un seul objectif :
rétablir la justice, avec la chanson Gun. « Je crois que je vais m’acheter
un flingue/un de ces petits en argent/Et venir te chercher dans un jour de foule/tu
ne verras rien venir de toute façon. » La résolution
est implacable ; cette fois Niblett n’a plus de fêlure, croit t-on. On
se rend rapidement compte que la justice mise en place est celle des fous, et
que Niblett nous mène finalement là où nous pensions ne plus nous trouver avec
cet album ; dans un monde qui contient plus de craintes et de fantasmes
que d’actions concrètes, plus de désirs refoulés que de vengeances consommées.
Avec une
voix dont le timbre assez aigu provoque un contraste intéressant et un style
unique, Niblett crée avec force un personnage antipathique et troublant parce
qu’il n’a pas le cran d’arriver à ses fins : elle n’achètera pas le
flingue à la fin de l’album. Mais c’est aussi un personnage attachant quand il
est capable de percevoir courageusement sa propre impuissance : « Qu’est-ce
qu’on voit là/entre cet homme et cette femme/ne t’excite pas trop. » Elle a bien conscience que l’amour lui est étranger et veut en
faire un outil de revanche, ne répétant idéalement que ces quelques mots tandis
qu’une mélodie rampante ronge son frein sur une guitare électrique gutturale.
Le résultat dépasse le contexte de l’album et donne une urgence et une
sensualité supplémentaire à la musique de Niblett, en transformant soudain le ressenti
en besoin inassouvi. C’est
lorsqu’elle active pour de bon sa veine blues que le personnage qu’elle crée
prend du mordant, et que la photo de pochette prend tout son sens. Certes, son
homme la regarde d’un œil extérieur, peut-être calculateur, mais elle le dévore
quand même un peu. Ce postulat n’est que le point de départ d’un riche tableau
du sentiment amoureux.
Can’t Fool
me Now est une sorte de cérémonie dans le contexte de l’album. Quand on
comprend l’aspect pathétique du ‘personnage’ d’Emma joué par ‘Scout’ Niblett,
le refrain de « Je voulais tellement être la seule pour toi/je ne voyais
rien de la vérité/je me suis mentie trop longtemps » montre bien un
désarroi divisé entre confusion et lucidité. Le fait de s’appliquer a elle-même
le mot ‘fooled’ comme dans le titre de son précédent «This fool [cet idiot] can
die now» laisse deviner que Niblett préfère désormais retourner contre ce personnage
inspiré par elle-même les jugements d’inconséquence pour faire ressurgir ce que
les apparences ne montrent pas. Dans Can’ Fool Me Now, les torts sont
soigneusement partagés. Vis-à-vis de cette homme perdu, la posture est au rejet
(voir la manière dont elle prononce ‘watching her shitty band’ au début de Gun)
sans assumer pleinement ce rejet : sur Second Chance Dreams, qui se
traduit nettement en ‘rêves de secondes chances », elle avoue qu’elle
‘s’excite encore’ à l’idée de retrouver l’homme qui l’a rejetée la première.
Dans le début de l’album, entre le moment où elle laisse libre cours à son fantasme
de vengeance et celui où elle va décider
a) de
s’adresser directement à son objet de désir et
b) de ruser
pour le faire revenir, My Man et Second Chance Dreams sont les chansons les
plus touchantes. « J’aurais aimé en prendre la responsabilité pour nous
deux/et j’ai essayé » chante t-elle dans une posture de martyr. Si l’album
peut ressembler un enchaînement animal, instinctif et finalement intuitif de
coups et de retraites successifs, les deux dernières chansons révèlent une
nature plus conciliante, la force de l’émotion blues perçant dans la gorge de Niblett
lorsqu’elle s’exclame baby ! baby ! baby ! alors qu’elle semble
accepter enfin qu’elle puisse vivre séparément de cet homme. C’est comme si
elle avait usé de toutes ses ressources et que l’épuisement était finalement le
premier pas vers son retour à la raison.
Scout
Niblett approche la musique avec la même originalité qu’elle aborde le chant et
l’écriture ; n’utilisant parfois que la batterie pour s’accompagner, voire
rien du tout. It’s Up to Emma est un album où la guitare, si reconnaissable, de
Niblett prend dès la première seconde une place centrale, et pour cela c’est une
œuvre parfaitement lisible. Cela aussi grâce à un trio de percussionnistes de
Portland qui semblent l’encercler, la pousser dans ses retranchements et
exacerber la joute sexuelle entre les deux protagonistes un peu comme le
faisait la production de Steve Albini sur Rid of Me (1993) le disque le plus
moite de PJ Harvey.
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