“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

dimanche 28 février 2010

The Gutter Twins - Saturnalia (2008)




Parutionmars 2008
LabelSub Pop
GenreRock
A écouterThe Stations, God's Children, Front Street
/107
Qualitéssombre, intense, élégant

Mark Lanegan est un étrange diable. Issu d'un groupes les plus injustement oubliés des années 90, les Screaming Trees, il devient un genre de Tom Waits des années 1990, cigarettes, alcool, charisme et conjurations diaboliques sont comme pour Waits au programme dans ses 6 albums solo, dont le meilleur reste à mon avis Bubblegum (2004). Son timbre est aussi le bienvenu sur des productions des Queens of the Stone Age et Isobel Campbell. Ici, aux côtés du tout aussi ténébreux Greg Dulli (des Afghan Whigs, et maintenant des Twilight Singers) il fait la moitié du plus beau couple de Gentlemen (pour reprendre le titre du plus bel album des Whigs) que le rock alternatif puisse espérer à l’heure du mièvre. Sur la plupart des titres, Lanegan semble avoir prêté sa voix comme au terme d’un pacte sanglant, et transforme les compositions à l’humeur bancale de Dulli en quasi-perles romantiques. On retrouve la sombre Amérique, celle de déserts et de villes fantômes, celle ou le soleil n’est là que pour révéler des ombres oniriques, les nuages fuyant en accéléré dans le ciel. Saturnalia tient son nom d’une fête romaine où esclaves et maîtres inversaient leurs rôles.
The Stations, puis God’s Children, sommets d’intensité malveillante, vous font entrer dans le disque, qui est fait par la suite d'un blues-rock de bonne facture, élégant mais sans réelles surprises.

Les obsessions de rédemption communes aux 2 rockers que sont Dulli et Lanegan donnent une profondeur, une tension à l'album. Les textes sont ceux d’une confession impossible. On n’est pas sûr que cette musique ait le moindre pouvoir de réparation. Un titre comme God’s Children semble conçu pour être entendu encore et encore, sans jamais obtenir grâce. C’est un peu différent avec I Was in Love With You, par exemple.

La grande force du disque est de jouer de la familiarité qu’inspirent les différents titres pour nous amener en réalité plus loin que ce qu’on pouvait penser au départ. Idle Hands fait ainsi penser aux Afghan Whigs, tout en générant une intensité nouvelle.  

samedi 27 février 2010

Eels - Daisies of the Galaxy (2000)






Parutionfévrier 2000
LabelDreamworks
GenreFolk-rock
A écouterIt's a Motherfucker, Flyswatter, Grace Kelly Blues
/107.50
Qualitésattachant, sensible
Nous sommes en mai 1997 et Mark 'E' Everett apparaît au public britannique de Top Of The Pops en mode typiquement excentrique. A mi-parcours de la performance mimée de Eels pour Novocaine For The Soul, E et le batteur Butch abandonnent toute prétention de jouer de leurs instruments, préférant s’amuser à sautiller autour de la batterie miniature de Butch. La musique continue sans interruption. Les enfants sur le plancher du studio et les téléspectateurs de tout le pays se demandent ce qui se passe.

Après seulement quelques mois, cependant, l’infatiguable E confessait être ennuyé de son premier album, Beautiful Freak (1996). Par conséquent, l'année suivante voit la sortie de Electro-Shock Blues (1998), qui - tout en conservant les influences Dust Brothers - s'est avéré être un album plus sombre, moins accessible, surtout plus personnel que son premier jet. Il y regarde la mort en face - rien de surprenant, étant donné le décès de son père et de plusieurs amis, ainsi que le suicide de sa sœur pendant cette période.

Le disque traite la mort non pas comme une métaphore ou une abstraction, mais plutôt comme le point de terminaison factuel et inévitable de la vie, la némésis du corps, la dissolution de toute chair - Ashes to Ashes, de la poussière à la poussière. Il y a des exemples brefs d'esprit lyrique, mais l’humour noir qui l’envahit est de la plus noire espèce. Le seul moment de répit véritable est livré avec la dernière piste, PS You Rock My World, et son insistance à faire remarquer que, même si vous avez l’impression de tout perdre, vous avez toujours quelque chose à quoi vous raccrocher. C’est faire entendre une note incongrue, un défi par l’affirmative à la fin de la marche funéraire du disque, comme si E l'organiste d'église s’était soudainement métamorphosé en Monty Python au temps d’Always Look On The Bright Side Of Life. A la fin de l’expérience Electro-Shock Blues, qui s'apparente un peu à être enterré vivant, c’est l’impression de parvenir à ouvrir le cercueil au tout dernier moment.

Inspiré par la mort de sa mère emportée par le cancer, Daisies Of The Galaxy (que l’on peut surnommer affectueusement « Daisies ») est le troisième album de E - et donc de Eels. On aurait pu s'attendre à ce qu’il trace une trajectoire aussi morbide que son prédécesseur. Après tout, le sujet a déjà été abordé dans ces termes sur le titre Cancer For The Cure sur Electro-Shock Blues. Toutefois, la réalité est très différente : le bilan est moins sombre, le deuil de la mort est doublé d'un éloge à la vie, la naïveté éclot et la lucidité grandit, et la participation de Peter Buck, enfin, fait un peu penser à un Green version Everett.

La musique est le plus souvent délicate et discrète, l'influence de Michael Simpson des Dust Brothers et de l’associé et ami de Beck Mickey Petralia est presque imperceptible, et les paroles de E s’assument enfin au centre de l’action. Le remodelage des expériences autobiographiques dans la manière lyrique court le risque inévitable d'aliéner l'auditeur, jouant de l’honnêteté en érrigeant parfois en érigeant tantôt une barrière impénétrable ou bien en vous faisant sentir comme un leveur de rideau, le visage pressé contre la vitre dans la poursuite de la culpabilité d'autrui et de sensations fortes. Il y a aussi le risque pour l’artiste d’apparaître simplement comme auto-obsessionnel - ces fragilités sont encore présentes aujourd’hui sur End Times (2010). Daisies Of The Galaxy, malgré le caractère casse-gueule d'une grande partie de son sujet, parvient à éviter ces pièges potentiels.

Le sommet de l'album est situé à mi-parcours avec le titre ironico-comique It's A Motherfucker. Sur un doux refrain au piano embelli par une houle subtile de cordes, E exprime sans détours son sentiment de perte et la perturbation qui résulte de la mort de sa mère : “It’s a motherfucker / Getting through a Sunday / Talking to the walls / Just me again / But I won’t ever be the same”. Comme dans tant de grandes chansons, des mots simples prennent une résonance presque insupportable dans leur contexte musical. Peut-être révélateur, toutefois, la comparaison la plus apte n’est pas musicale du tout, mais poétique. Les poèmes des anglais Tony Harrison et Blake Morrison viennent à l'esprit, dans lequel ils décrivent la confrontation avec la perte d'un parent avec une égale mesure de chaleur rude et de tristesse poignante.

La compagne naturelle de It's A Motherfucker est le titre qui termine le disque, Selective Memory (Mr E's Beautiful Blues apparaît là presque comme après coup), qui est tout aussi squelettique, minimaliste dans sa structure. La voix de fausset tendre du couplet, où E revient sur son enfance et le besoin d'être protégé par sa mère, fait place à un chœur plaintif sur le refrain : « I wish I could remember / But my selective memory / Won’t let me”..

Sur Daisies of the Galaxy il y a des plaisirs à tout propos, et la plus grosse partie de l'album se caractérise par une remarquable légèreté de ton et d'esprit. E continue de ravir dans son rôle autoproclamé de poète urbain, ses talents dans ce domaine ayant été montrés d'abord sur Susan’s House, sur Beautiful Freak. Grace Kelly Blues, Wooden Nickels et The Sound Of Fear témoignent tous du respect et de l'intérêt qu’il porte aux détails de son quotidien banal, et de sa capacité à respirer l'humanité au cœur même du plus désolé des paysages. La métaphore du titre d'un morceau retient cet aspect parfaitement : A Daisy Through Concrete.


Inspiré de Pitchfork.

vendredi 26 février 2010

Boris - Smile (2008)


Parution : mars 2008
Label : Diwphalanx Records ; Southern Lord Records
Genre : Noise rock, Metal
A écouter : Flower, Sun Rain, My Neighbor Satan, Untitled 

6.75/10
Qualités : original, intense

Smile, quatorzième disque du groupe japonais multiforme Boris, commence par Flower Sun Rain, un morceau qui, après quelques secondes de bruitisme, lance sa ligne pop imparable faite de chant dans la veine traditionelle (Flower Sun Rain est la reprise d’une chanson japonaise Hana, Taiyou, Ame) ; quelques interférences de guitares saturée plus tard, et alors que la belle mélodie vocale s’est répétée maintes fois, le morceau se transforme en monstre à la poésie assourdissante, revêtant les atours les plus stridents et les plus virtuoses. A l’image qu’on se fait de l’art de pointe dans leur pays d’origine, Boris produisent une musique sophistiquée. Cependant, ils restent un groupe à part sur la scène japonaise, leur goût pour l’expérimentation les rapprochant davantage des américains de Sunn O))) par exemple – avec qui ils vont travailler. Buzz-In – apparement en référence aux Melvins - quitte les sphères lancinantes pour faire dans le hardcore, un genre où Boris est constamment bon, mais moins passionnant que dans ses longues plages bruitistes ou lors de ses manifestations les plus naïves.

Le morceau se transforme en monstre à la poésie assourdissante, revêtant les atours les plus stridents et les plus virtuoses. A l’image qu’on se fait de l’art de pointe dans leur pays d’origine, Boris produisent une musique sophistiquée.
Il y a les deux dans un bon morceau de Boris ; c’est ce que font Flower Sun Rain ou My Neihbor Satan, Takeshi y prennant sur les couplets un timbre clair et enfantin – il y a dans cette musique une sorte d’obsession pour la jeunesse, l’adolescence, thèmes qui se prêtent aux formes expérimentales, comme une indécision - tandis que le reste de l’espace est envahi de mauvaises influences, guitares sifflantes, tournoyantes comme des cris d’humeur. Sur Kare Ha Te Ta Sa ki, Takeshi semble reprendre à gros traits le premier titre, alors que cette fois tout ce mélange, twists de guitares torturées et chants ou voix occultes, parlées, avant un final fracassant mais toujours précis. Le couple final, plus de vingt minutes de musique, est magnifique. You Were Holding an Umbrella et le sans-titre se fondent l’un dans l’autre pour un meilleur effet.
Boris sort énormément de disques, mais Smile est un peu à part. Le groupe, influencé uniquement par sa propre musique, parvient à s’affranchir des comparaisons pour ne devenir qu’égal à lui-même, dans un genre agréable plutôt que défiant pour l’auditeur. C’est le disque qui fera ou non que l’on s’attache à Boris comme à un genre de référent dans leur propre droit ; appréciant leur originalité autant que leur habileté à reproduire à leur avantage tous les codes qu’ils ont empruntés et développé, jusque là, en laboratoire. Signés sur le label américain Southern Lord (Sunn O)))…), Smile semble à mon sens le disque de l’ouverture pour un groupe qui tient l’une des extrémités de la corde tendue sur laquelle dansent les musiques puissantes et aiguisées – beaucoup de noms à placer là, et Boris y demeure en bonne place. La meilleure preuve de cette ouverture est la présence de Stephen O’Mailey, de Sun O))), sur l’excellente pièce sans titre qui clot le disque, un magnifique schéma d’ambiances sourdes et de flamboyance printanière. Un groupe-influence, une marque.

lundi 22 février 2010

Chris Smither - Time Stands Still (2009)




Parution : septembre 2009
Label : Signature Sounds
Genre : Blues acoustique, Folk
A écouter : Surprise Surprise, Someone Like Me, I Don't Know
  
Note : 7.50/10
Qualités : poignant, lucide, vibrant


« If you listen to your mama, you won’t never have no fun », avertit t-il sur Don’t Call me a Stranger. Malgré ce premier titre dépeignant la frustration d’un homme vieillissant trop vite, Time Stands Still pose avec le morceau éponyme des bases d’une épreuve sourde belle et finalement délicate, pleine de mélancolie. Un blues délavé autant que la manifestation d’une petite gloire, à l’échelle d’un homme. Souvent comparé à Bob Dylan, Mark Knopfler ou Peter Mulvey pour son style ou sa longuévité (quarante ans de carrière, mais "seulement" onze albums), Smither se détache pour avoir sa propre forme d’élégance, qui, comme avec les plus grands, ne cherche pas à cacher les fêlures. Pour tracer un lien avec ses influences, Smither reprend Dylan (It Takes a lot to Laugh, It Takes a Train To Cry) ou Knopfler (Madame Geneva).

Enregistré en trois jours et en groupe (chose rare pour Smither), chanté comme à partir de textes sauvés des eaux, le disque dégage une conviction très forte - qui s'explique par une certaine fierté de l'artiste a être alentour depuis 1966 sans faiblir, à l'instar de John Hammond par exemple. Les chansons s’adressent aux problèmes récurrents que rencontrent les faibles et les opprimés dans la population Américaine. Sur  Miner's Blues par exemple, c'est la vie avec un travail dangereux et nocif qui est évoquée. Smither raconte la façon qu’ont les gens de réagir lorsqu’ils sont soudainement victimes des failles béantes de leur système apparemment insubmersible, et qu’ils sont pauvres, vire miséreux, avant d’avoir pu réagir. En cela, la pochette, est très parlante ; appartement habillé comme les maisons du Tremé après le passage de l'ouragan Katrina. La défiance du guitariste blues vaut celle de toutes ces femmes et de tous ces hommes laissés pour compte sans toit ni décence, avec pour antienne : "Won't bow don't know How".

Surprise Surprise s’amuse, sur un groove imparable, de la naïveté ambiante “Are you worried ’bout your money? ‘course you are – who wouldn’t be? you thought that you were rich and then you turned on your TV…” Ne pas se fier à son timbre traînant. I Don’t Know, pleine de contrepoints improvisés, est radieuse, où Smither se met dans la peau d’un enfant qui adresse à son père des questions métaphysiques, et on qui préfère toujours lui répondre « je ne sais pas». Peut être une manière de signifier que toute les questionnements n’ont pas besoin de réponse, et qu’en musique comme ailleurs, les accointances et les symboles, les rôles de personnages qui déploient chaque fois leurs mystères suscitent davantage de questions que de réponses, que c’est ainsi que ça doit être. I Told You So est un rock plus rapide, qui exhume les aléas de souvenirs tempérés par la sagesse. Time Stands Still est peut être le chef d'oeuvre de Smither, un triomphe sur les tragédies et la difficulté pour beaucoup de vivre en Amérique, entre les victimes de catastrophes, la récession, le travail, l'absence de travail et la sensation d'être impuissant dans un pays qui dit l'être beaucoup.

jeudi 18 février 2010

Fucked Up - "Couple Tracks" (2010)



Parution : 26 January 2010
Label: Matador
Genre : Hardcore, Punk, rock
A écouter : Triumph of Life, Fixed Race, Dangerous Fumes
 

Note : 7.75/10
Qualités : puissant, fun, soigné


No Pasaran, le premier single de Fucked Up  en 2002, est une course punk hardcore primitive qui suggérait que la volonté du groupe à faire preuve de musicalité n’était encore qu’un fantôme de leurs aspirations. Lorsqu’on écoutait Chemistry of Common Life (2008), on ne pouvait que saluer le chemin parcouru en l’espace de six ans. Ils avaient gagné pour ce disque le Polaris Prize et été adulés par la presse. Et ce parce que, sous leurs faux airs – encore affichés en abandon sur le pochette de Couple Tracks - , les membres du groupe sont de gros travailleurs, qui ne cessent depuis leurs débuts de faire paraître sur différents labels des preuves viscérales et nécessaires de leur évolution. Parmi cette impressionnante discographie, on retient notamment deux « vrais » albums qui ont indéniablement marqué leur temps, Chemistry... et avant cela Hidden World (2006).
 
A l’heure de Couple Tracks, compilation de singles, B-sides, démos et autres reprises, aujourd’hui, Fucked Up est au sommet de la courbe qui les propulse de plus en plus vite vers les sommets ; et cette même compilation témoigne de leur triomphante trajectoire, puisqu’on démarre sur des coupures rêches pour rapidement gagner de nouvelles sphères au travers de titre comme Triumph of Life, ou les guitares sont dédoublées dans un effort de production qui les éloigne toujours plus de Black Flag.
 
Ce progrès évident vers plus de puissance, d’ampleur et de clarté de son n’empêche pas Fucked Up de protéger, et même de faire croitre leur âme ; ils deviennent maintenant reconnaissables entre mille, par la voix de plus en plus forte et dramatique de leur chanteur, par leur propension à toujours repartir de la même base à la dynamique inébranlable ; trois accords le plus souvent, sur lesquels interviennent différents retournements seulement conduits par une énergie brute et une aspiration à la justesse. En concert, ils sont une force de la nature.
 
Vingt-cinq titres, deux disques, sous-titrés The Hard One et The Fun One, le second étant plus aride que le premier. The Hard One est tellement impressionnant qu’il laisse penser que Fucked Up est a été ces dernières années le meilleur groupe de punk hardcore du monde, combinant habileté, énergie brute et sens de la mélodie avec un brio inégalé et une netteté qui les rends agréables à écouter. Ils ouvrent éventuellement de nouveaux ponts vers le rock alternatif, deviennent au fil du temps plus démocratiques ; leur force de subversion, plutôt que d’être dans la provocation et dans le défi comme de nombreux groupes de ce genre souvent extrême, semble se situer dans un certain humour qu’ils véhiculent et partagent volontiers sans cynisme.
 
Leur générosité, simplement évidente si l’on considère ce seul et massif Couple Tracks de 75 minutes – quand la durée d’un disque punk est d’environ 30 minutes – est aussi une valeur appliquée à la nature même de leur art, qui se fait partageur, échangeur, emprunteur. Le second disque est plus affectif et moins ambitieux que le premier. Il ne témoigne pas de la même progression, mais propose tout autant de numéros de bravoure.  On y trouve quelques reprises, Anorak City (des Another Sunny Day) I Don't Wanna Be Friends with You et Looking Back (The Shop Assistants), Dream Come True et He's So Frisky (Dolly Mixture).
 
Fucked Up savent donc instaurer une relation forte avec l’auditeur, une relation de confiance ; et même s’il démarrent en surprenant quelque peu ceux qui les ont découverts avec les déjà très formés Hidden World et The Chemistry of Common Life, ils savent tour à tour susciter l’intérêt puis véritablement nous passionner par des rudesses de choix qui construisent une escalade progressive vers l’extase. Presque tout est jubilatoire et direct, avec mention spéciale à Fixed Race ou Dangerous Fumes.
 
Une précédente compilation, Epics in Minutes (2004), n’avait suscité que peu d’intérêt ; et jusque là, Fucked Up est demeuré trop confidentiel. Pourtant, à l’heure où l’on encense la moindre tentative de « nouveauté », leur rôle est important ; nous permettre de continuer à croire que le rock est une affaire d’efficacité de souffle, de force épique, de foi dans le bruit, susciter la joie. Fucked Up est l’un des groupes les plus communicatifs de son temps, il faut en profiter !

mardi 16 février 2010

Shining - Blackjazz (2010)



Voir aussi la chronique de Grindstone (2007)

Parution : 18 janvier 2010
Label : Indie Recordings
Genre : Avant-garde, Métal
Producteur : Jorgen Munkeby
A écouter : Fisheye, The Madness and the Damage Done, Blackjazz Deathtrance
 
Note : 7.25/10
Qualités : bruitiste, original, sombre, audacieux


Les norvégiens de Shining, guidés par Jorgen Munkeby, guitariste, saxophoniste et chanteur du groupe influencé par Frank Zappa, King Crimson et Ornette Coleman, rencontrent Sean Beavan, producteur de Slayer, Nine Inch Nails et Marilyn Manson, pour un résultat tonitruant qui doit autant à Ministry, à Meshuggah qu’à Charlie Mingus, aux productions les plus extrêmes du label Warp et au rock progressif. La Norvège, nation du death métal, tient là l’un de ses groupes les plus à même de concrétiser toute en densité et en habileté l’incroyable musicalité de ses membres - mention spéciale au batteur. Là où beaucoup d’excellents practiciens n’ont pas l’inspiration et l’intelligence de construire grand et dur malgré la technicité de leur jeu, et tandis que de nombreuses formations métal tentent sans succès de reproduire en studio la violence extrême qu’ils produisent en live. Leurs précédents albums, In the Kingdom of Kitsch you Will be a Monster (2005) et Grindstone (2007) contenaient quelque peu l’énergie fulgurante de leurs concerts ; Blackjazz, quatrième album studio, semble être capable de la surpasser. 

Souvent crédité comme un groupe combinant free-jazz et death-metal – Shining est plus proche d’un genre synthétique plutôt qu’organique, détournant presque automatiquement les sons produits par leurs instruments pour un rendu plus grinçant et intimidant et vicieux que ce que même le death-metal le plus impétueux pourrait produire. Blackjazz est surprenant de bout en bout, hybride, jusqu’au 21st Century Schizoid Man final, reprise de Crimson qui semble complètement intégrée à ce genre de monolithe nouveau. Malgré un certain pendant foutraque, tout ce qu’il y a de tranchant dans le son presque entièrement sous contrôle de Blackjazz contribue à un tout cohérent, tour à tour épuisant et défiant l’auditeur.
Tantôt construits sur des riffs énormes et propulseurs, comme sur The Madness and the Damage Done (peut être un clin d’oeil à The Needle… de Neil Young?) ou plus souvent sur une rythmique indus – Fisheye, Blackjazz Deathtrance – les pièces se transforment presque toujours en plats de résistance dépassant cinq ou huit minutes. Deathtrance constitue un genre de sommet délirant de technique, de vitesse et d’intensité. Ce sont dix minutes pendant lesquelles on pense à Strapping Young Lad, tout en sachant que Townsend a décidé de cesser d’aller dans cette direction, pour des raisons évidentes de santé mentale… Omen conjure quand à elle les plus belles trouvailles expérimentales de Munkeby sans cesser de construire en crescendo et sans jamais abandonner son caractère menaçant. Les claviers omniprésents tournoient en arpèges diaboliques de manière caricaturale. Le saxophone exulte et s’entremêle aux sirènes synthétiques.

Les premières écoutes du disque vous feront sûrement sourire, de pure jubilation ou de moquerie ; pourtant, l’excès du disque est un excès d’intelligence, et sitôt que l’on réalise cela, Shining devient une formation captivante. La façon qu’ils ont de gérer leur éclectisme les place parmi les plus fins parmi la scène metal ; dommage que des nappes parfois envahissantes et des martelages inutiles donnent parfois l'impression qu'ils en font trop. Mais la répétition est aussi un moyen de rendre leur musique pénétrante.
 
En bien des points, ils ressemblent à un pendant Nordique de l’indus le plus extrême. Sean Beavan et quelques détails font écho à de fortes images de l’underground américain ; folie presque concise au regard du reste du disque Healter Skelter est une référence à Charles Manson ; tandis que Exit Sun est clairement inspirée de Nine Inch Nails, jusqu’aux « exit sun » largués à perdre haleine et un bouquet véloce et féroce en guise de final. Epique, abandonné, délirant et grotesque ; Blackjazz rassemble tout, ne cesse de construire, de monter, de s’exciter, révèle que l’on a affaire à un groupe progressif dans l’âme, incapable dfe rester au niveau de la décence, dans un étage.




    Owen Pallett - Heartland (2010)


    Parution : 12 janvier 2010
    Label : Domino
    genre : orchestral, pop

    O

    On trouve toujours des raisons de ne pas s’attacher au albums non-rock, ne serait-ce justement parce qu’ils leur manque l’énergie d’un riff évident, l’excitation, la progression-tête-baissée d’un disque rock. Aussi parce qu’ils paraissaient souvent engoncés dans concepts et bouffissures.
      Owen pallett a été arrangeur pour The Last Shadow Puppets, Arcade Fire (il révélait récemment qu’il a passé les dix meilleurs jours de sa carrière sur le prochain album du groupe), et aussi pour Fucked Up ou The Mountain Goats

    Heartland n’a pas de déflagrations sonores, pas d’escalades mélodramatiques, pas de scènes en plan large, même s’il est généreux. Son instrumentation est surprenante et parfois acrobatique, voire dissonnante
    Album « solo » qui voit la participation d’un orchestre tout entier, mais dont les receuils sont utilisés à bon escient, comme un autre instument et non comme une base bruyante ; cela pour que le protagoniste musical central reste le violon de Pallett, musicien formé à l’école classique, et qui a eu la bonne idée, et il n’est pas le seul, d’utiliser une pédale d'effets pour enregistrer des boucles rythmiques de son instrument et ensuite lancer par-dessus des trames à la fois aventureuses et tout en retenue – se servant du violon comme de l’orchestre, dans un objectif de structure et non de décor. Après avoir ressenti, au premier abord, la qualité des sonorités et des compositions séductrices du disque, Heartland peut s’avérer une écoute reposante, à peine étrange. C’est lorsqu’on commence à s’agacer du mystère autour du disque – sa candeur, son intelligence si bien dissimulée derrière ce qui ressemble à des divagations – que cela devient plus intéressant.
    Owen Pallett n’a pas résisté au concept. D’ailleurs, on apprend qu’il se produisait auparavant sous le nom de Final Fantasy, du nom de célèbre jeu vidéo. Heartland raconte en douze pièces, à la première personne, l’histoire d’un “jeune fermier ultra violent”, de sa déambulation dans les terres mythiques de Spectrum et de sa tentative de se confronter à son propre créateur, qui est Pallett lui-même, logiquement. L’efficacité des morceaux – Lewis Takes Action, Flare Gun… - est intégrée à un ensemble narratif.

     
    Au sommet est la voix de Pallett, joueuse comme la musique qui la porte. Sur Mount Alpentine, il chante faux, pour notre plus grand bonheur. Et ce n'est pas la seule fois. Les graines de sédition d’un personnage bicéphale (puisqu’il est à la fois le fermier et son créateur) prennent racine là, dans le jeu que Pallett fait de sa voix.

     

    mardi 9 février 2010

    Cornershop - Judy Sucks a Lemon For Breakfast


    Ce duo anglais constitué du britannique d’origine indienne Tjinder Singh et de Ben Ayres, dont le nom est une référence à la désignation méprisante qu’ont les anglais pour désigner l’indien du coin de la rue, se sont rendus visibles avec When I Was Born For The 7th Time (1997) et son single Brimful of Asha. C'est un excellent mélange de conssonnances de la culture indienne – l’utilisation du sitar en est le principal indice, ainsi que quelques arrangements déjantés. Handream for a Generation enfonçait le clou en 2002, enfin, pour ceux qui s’y intéressaient parce que le succès n’est pas vraiment au rendez-vous. Et aujourd’hui Judy Sucks a Lemon for Breakfast, titre assez sulfureux éventuellement découpable en deux parties grivoises et colorées. Encore un prétexte pour maculer la pochette du disque de rouge et de jaune, les couleurs de prédilection de Cornershop. Au niveau du son, on réhabilite à la fois la world music avec bien plus de désinvolture que Peter Gabriel, on ressuscite les Stones et les Kinks tout en les travestissant de putassier – hip hop ou disco. Les morceaux de Handream formaient ainsi un genre de papier peint des possibles, enchaînant morceaux de bravoure et d’endurance (Lessons Learned From Rocky I to Rocky III) et bizarreries intenses.

    On pardonne le public des les avoir pris pour des one-hit-wonder, étant donné leur manque de régularité. Sept ans pour faire un disque… Et pourtant, ils parviennent sur Judy à effectuer le même melting-pot que par le passé, largement irréfléchi. Si l’on doit retenir qu’un seul titre, ici se sera au choix Who Fingered Rock ‘n Roll, prise néo-Stones des plus efficaces, le funky The Roll of Characteristics, le reggae puissant de Operation Push, la reprise de Bob Dylan The Mighty Quinn, ou le très Kinks sauce Bowie-Eno Judy Sucks a Lemon for Breakfast – et presque épique de surcroît. Cela juste pour souligner combien il est insensé de vouloir soutirer d’un tel disque un seul titre pour oublier tout le reste, même si l’esprit Cornershop est bien défendu par le clip de Lessons Learned Form Rocky I to Rocky III. Cependant, cela met en évidence aussi la grosse diversité qui domine un disque de Cornershop, et le rend peut–être seulement assimilable dans une relation classique – l’écoute du disque d’un bout à l’autre, les notes de pochette sous les yeux - plutôt que dans la découverte distraite par voie de Mp3. En vérité, les deux options sont intéressantes, la seconde conduisant sans doute à écouter en boucle Who Fingered Rock ‘n Roll et à oublier le reste.

    Etranges adorateurs de succès, ils entretiennent avec leur public une relation très glam-rock, à la T-Rex ou Bowie – aussi décalée que sensuelle. Ils n’ont cependant pas, à deux, le charisme de l’une ou l’autre de ces stars, pas plus que l’abrasivité des groupes mod des années 60. Adorateurs de la foule, comme le suggère l’intermède Half-Brick qui les pose en harangueurs. En plus d'être partageur, leur son a un côté vicieux et tourmenté qui appartient à l’histoire à peu près depuis les débuts d’Eno avec Here Comes The Warm Jets (1974) – allusions incluses. Pas très étonnant, alors, que le duo ait signé à un moment donné sur le label de David Byrne (Talking Heads), Luaka Bop ; ses divergences world combinées à ses intentions perverses en font un bon challenger de l’association Byrne/Eno.

    Tandis que la sitare est l’instrument favorisé pour souligner les intentions excentriques du duo lorsqu’elle se font le plus discrètes, sur Free Love par exemple les arrangements étonnants créent dans l’instant une alchimie nouvelle pour la musique anglaise. Soul et brit pop sont représentées et croisées sans effort. C’est de la pop de synthèse, un exercice de résumé, sans en avoir l’air. On n’en retiendra peut-être pas le plus important, les architectures inventives, mais seulement les accointances futiles ou pour le moins joueuses ; et c’est là la faiblesse d’un « groupe » qui atteint aussi ses limites dans la formule du duo. Même en terminant avec The Turned on Truth (The Truth is Turned On), une jam incantatoire de dix-sept minutes, ils ne nous donnent pas la mesure du travail accompli.




    • Parution : 27 juillet 2009

    • Label : Ample Play

    • Producteur : Tjinder Singh

    • A écouter : Who Fingered Rock'n Roll, The Roll of Characteristics, Judy Sucks a Lemon for Breakfast
      

    • Appréciation : Méritant

    • Note : 6.25/10

    • Qualités : original, varié, funky  

    lundi 8 février 2010

    Pixies

    Les Pixies sont peut être ceux qui incarnent le mieux l’esprit du mouvement grunge. C’est notamment Joey Santiago, combinant « espagnolade et guitare surf » qui va terminer le règne des synthétiseurs – et recentrer l’ambition artistique sur la musique plutôt que sur les déguisements en vogue auparavant. Même s’il fera preuve d’une certaine désinvolture en appellant le groupe les « farfadets » (Pixies en français) d’après le premier mot qu’il trouva dans un dictionnaire, Santiago et son ami Charles Thompson (qui va devenir Black Francis) ont une vision de grandeur aiguisée comme une lame de rasoir.
     
    Kurt Cobain a cité « leurs dynamiques douces et calmes, puis bruyantes et dures » comme sa principale influence. Il n’y à qu’a voir la manière dont les morceaux de Nirvana alternent effectivement des couplets étouffés et des refrains revanchards pour savoir que cette affirmation est vraie. Et Cobain d’estimer qu’il aurait du «être membre des Pixies ou du moins d’un groupe de reprises des Pixies ».
     
    Nous sommes en 1987. Les Pixies n’ont pas le look de l’emploi ; apparence anodine, effacée, ils portent des vestes en jean et se cachent derrière des lunettes noires. C’est peut-être méticuleusement réfléchi. C’est une époque où l’on se préoccupe autant de son style que de sa musique, pour des résultats parfois désopilants – Florent Mazzoleni cite, dans l’Odyssee du rock, les Sigue Sigue Sputnik – et les Pixies font l’inverse. Et ils se transforment en messies quand il s’agit de musique, la préférant à l’état brut, parvennant à créer un cocktail explosif, énergique et frais, remettant la guitare bien au cœur du rock. Black Francis, le parolier, est réputé pour écrire être très prolifique, et aussi pour ses prestations vocales particulièrement intenses et personnelles. Come On Pilgrim sort en 1987, après que le groupe ait enregistré dix-sept morceaux en trois jours – l’urgence reste, si l’on considère l’ensemble de leur travail, leur principale arme. L’année suivante, c’est Surfer Rosa (1988), qui, comme annoncé, redonne au rock sa spontanéité. Doolittle (1989) ne fait que confirmer le telant d’une formation sans équivalents et qui mérite bien son succès populaire.
     
    L’adresse des Pixies est de présenter de manière chaotique une musique en réalité longuement délibérée, et qui gravite autour des obsessions très esthétiques de Black Francis – et le travail de Vaughan Olivier (cf encadré). Le vivier du groupe est constitué de textes surréalistes, et interroge le catholicisme, les déviances psychiques, l'auto-mutilation ou l'inceste avec une vigueur gloutonne. Les enveloppes bestiales des morceaux permettent alors seulement de vulgariser un discours à la précision érudite ? Pas vraiment, les Pixies, récupèrent seulement à bon compte « toutes les bizarreries du néant culturel américain ». La place grandissante laissée à la science-fiction n’arrange rien pour donner aux Pixies une image nettement moins terre-à-terre que celle qui sied au grunge. D’ailleurs, Francis ne compte pas s’engadouiller trop longtemps : « Je ne crois pas que nous soyons faits pour rester inconnus, nous sommes plus proches de U2 que des groupes underground. Je crois que notre musique, telle qu’elle est, suffira. J’espère ne pas avoir à changer pour connaître le succès ». U2, cette bande d’irlandais bientôt milliardaires qui ont publié The Joshua Tree (1987), représente alors le summun de la renommée et de l’accomplissement en termes d’ambition.
     
    C’est l’ambition, voire la megalomanie de Black Francis qui va précipiter la fin – provisoire - du groupe. « Maintenant que nous avons enregistré des disques nous-mêmes, notre ambition est d’en sortir des tonnes, qu’ils soient bons et qu’ils se vendent, des disques qui soient ma fierté ». Seulement cinq disques en tout paraîtront. Et cette déclaration montre bien que Francis était persuadé d’être en possession des Pixies – un peu comme Waters avec Pink Floyd, mais en plus grossier. Les derniers temps du groupe seront difficiles et insensés.
     
    Et bizarrement, le groupe s’est reformé depuis 2004 pour allécher un nouvelle fois un public en manque de vrais héros et aussi pour revisiter avec bonheur leurs plus grands classiques, exercice dans lequel il faut leur reconnaître une certaine sincérité.

     
    Bertrand Redon
     
     
     
    Discographie sélective
     
    • 1986 Come On Pilgrim
    • 1987 Surfer Rosa
    • 1988 Doolittle

    dimanche 7 février 2010

    Johnny Cash - A Hundred Highways (2006)


    Parution : 2006
    Label : American Recordings
    Producteur : Rick Rubin
    Genre : Folk, country, blues
    A écouter : If you Could Only Read my Mind, Like the 309, God's gonna cut you Down

    8/10
    Qualités : poignant, apaisé



    Tout ce qu’il reste de Cash est de l’ordre du mythe public : la relation larger than life avec June Carter Cash, la voix de tonnerre, qui va maintenant s’échapper seulement de haut-parleurs ; l'autorité morale inébranlable que dérivait de son enfance difficile, de vie difficiles, son côté populiste, et, finalement ses vieux jours, la maladie qui lui rendait impossible de jouer de la guitare sur ses derniers disques, la détermination et l'inspiration pour écrire et enregistrer même dans ses derniers jours. Et le plus marquant de tous, ses habits noirs, qui symbolisaient, parmi tant d'autres choses, «the poor and the beaten down/ Living in the hopeless hungry side of town. " Cash peut être mort, mais son spectre nous hante publiquement.
    Peut-être plus que n'importe quel autre album dans la série de ceux produits par Rick Rubin, la dernière œuvre de Cash, American Recordings V: A Hundred Highways, essaie de concilier l'homme et le mythe, adressant à sa vie et sa carrière avec un humour et une gravité qui sont sans équivoque pour l'homme et pour Cash. Malgré le fait que tous, excepté deux des morceaux, sont des reprises, ces douze chansons évoquent son mariage avec June (décédée quatre mois avant lui), son christianisme résolu, et sa mort imminente avec candeur et perspicacité. Ses couvertures de If You Could Read My Mind de Gordon Lightfoot (peut être le plus beau morceau ici) et de Rose of My Heart de Hugh Moffatt résumentavec tendresse toute la loyauté et la vérité Cash , et Like the 309, la dernière chanson qu'il ait écrit à l’issue de cinquante ans de services rendus à la société, est rempli d'esprit et de vigueur.Il se permet aussi de plaisanter sur la valeur de son héritage au travers de Legend in My Own Time, une reprise de Don Gibson. "If they gave gold statuettes for tears and regret," il chante, "I'd be a legend in my own time."
    L'album est aussi remarquable dans sa retenue, même lorsqu’on le compare aux autres American Recordings. Il n'ya pas de chansons abstraites qui interrogent la religion comme The Man Comes Around ou Redemption, ni aucune reprise mal choisie comme Rusty Cage ou The Mercy Seat. A Hundred Highways est peut être le plus cohérent de la série. Les paroles évoquent souvent un chemin, un sentier que Cash n’a pas complètement fini d’arpenter. On retrouve sur A Hundred Highways tout ce qui rendait attachants les autres volumes de la série. C'est heureux que l’on y découvre les sommets émouvants qui cloturent la vie et la carrière d’un homme qui préfère rejetter l'apitoiement et le remords en faveur d'espoir et même de célébration.
    Rubin insère quelques éléments de production plus élaborés , comme les percussions en forme de marche qui soulignent et dramatisent le message de Johnny Cash sur God's Gonna Cut You Down. Le plus souvent, A Hundred Highways garde une production discrète est très délicate. La qualité du chant de Cash fluctue d'une chanson à l'autre, il est puissant sur Further On Up The Road, la reprise de Springsteen, et ravagé sur Four Strong Winds.
    Il fait un meilleur usage de sa vieille voix ici que sur The Man Comes Around, sur lequel la rudesse du timbre portait une gravité intimidante à plusieurs morceaux. Sur la prière d'ouverture, Help Me, il exhale les mots «Help Me » avec le choeur, montrant clairement ce qui est en jeu dans ses chansons comme dans sa vie. Rien d’autre sur ce disque ne suggère avec autant de naturel et de simplicité l'impuissance de la vieillesse, le confort de la résignation, ou l’approche de la mort que cette chanson.








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