indie rock/atmosphérique
Sans
Parade publie son premier album en avril 2013. Ils se définissent
comme un 'petit groupe indie', à peine émancipé. Ce sont surtout
trois finlandais issus d'univers musicaux très éloignés les uns
des autres, et qui se sont retrouvés quelque part dans la mer
froide, enveloppante, silencieuse pour enregistrer treize chansons.
L'album provoque une rare satisfaction dans le genre :
émotionnel et orchestral. «En
trois jours nous pouvons atteindre quelque île inhabitée, jeter
l'ancre et rester là, seulement nous, dans le silence, et sans rien
du confort du monde civilisé.”, raconte Jahni Lehto, qui écrit
les paroles envoûtantes et fortement inspirées de la solitude que
peuvent susciter ces escapades. “Il y a une certaine morosité, qui
est en quelque sorte un trait de caractère national. Cela peut
sembler être négatif, mais nous rend peut-être plus
introspectifs.” Tout est extériorisé cependant, dans la
luxuriance sonore et les tréfonds poétiques de l'album :
l'immensité,
la beauté, la sauvagerie d'un pays où il fait bon prendre le large,
pour se dévoiler progressivement à soi même. Tout se passe
exactement comme le décrivent les paroles de The Last Song is a Love
Song, la chanson d'ouverture : “Teach me everything/Imperfections,
where the beauty lies/Show me every hidden detail.”
La
composition est minutieuse., révélant un amour salvateur pour la
magie musicale. Les refrains sefont isnsondables, l'apparente naïveté
de certaines paroles ne les empêche pas de s'imprimer dans votre
esprit parce qu'elles chantent comme une musique. “I have to close
my eyes/Just
to see you better/I have to close my mouth/Just
to taste you better.” Les sons sub-aquatiques de la mélancolique
Dead Trees, la fragilité de A Ballet at the Sea et ses violons
parfaitement assimilés, liquides, en font leur propres sortes de
déclarations definitives. “And the darkest fishes/Swim
in the deepest of the seas/Swim with me/And the water was dark/And
the water was waiting/And nothing worth fighting for/Nobody
was waving.” A Ballet at The Sea est l'une des grandes chansons de
2013 : toute en tension, en félicité, une invite, jusqu'à
vocalises de pertulla sur “But the sea, oh sea !” On est baigné
dans une ambiance proche de l'hostilité d'Abyss (le film de James
Cameron) et la suggestion que ne plus respirer peut être une
sensation délectable.
Interviewer
ce groupe, c'est comme assister d'un point de vue exclusif à son
apparition à la surface de cette immense mer où il nous plonge tous
ensemble.
Pourquoi
ce nom, Sans Parade ? On dirait qu'il signifie que vous allez
induire vos forces émotionnelles lentement et sans bruit. On pense
au long voyage d’une personne se déplaçant lentement, et
atteignant au moment opportun plusieurs révélations successives.
Markus
Perttula : Ton point de vue est bon ici, le nom de Sans Parade
implique bien une progression qui se déroule sans être annoncée,
sans signal ni célébration. Cette idée fonctionnait, selon moi,
comme nom pour le groupe, car en son sein les forces sont
supposées trouver une osmose, à la manière d’occurrences
naturelles. Il faut
laisser la musique parler d’elle-même. C’est un cliché, mais il
a du sens, et cela rejoint mon idée de la musique comme étant une
forme ou un moyen de communication. La musique contient toutes les
dimensions et les sens, le reste est auxiliaire.
Comment
décrirais-tu ce que vous rend unique, quand les gens ne vont pas
manquer de vous comparer, pour le meilleur et pour le pire, à Muse,
Arcade Fire, Sigur Ros, etc ?
Je
crois qu'il y a quelque chose de Finlandais dans notre son, qui
ajoute une singularité. L'hiver sombre et froid nous lie ensemble,
puissamment. Mais peut-être que cela unit aussi bien tous ceux qui
vivent à ces latitudes... Sans doute que la chose la plus originale
chez nous est le mélange de nos influences. Je viens moi-même d'un
foyer où la musique classique était la plus appréciée, et je n'ai
découvert que plus tard les scènes folk, pop et rock, au moment où
j'ai commencé à en faire partie, comme performeur et songwriter.
Jani Lehto a surtout baigné dans la musique house (il continue de
jouer avec l'Acid Symphony Orchestra, un groupe dans lequel ils
jouent tous des Roland TB-303s). Pekka Tuppurainen, qui a aussi joué
un rôle important dans la production de l'album, trouve ses racines
dans le jazz expérimental. Ainsi, nous percevons tous la musique
d'un point de vue très différent, et cela nous a aidés à créer
quelque chose d'unique.
Avec
cet album, complètement formé, vous avez créé une carte de
sentiments, de sensations, comment le décririez-vous ?
Une
carte tracée dans ma peau, et les routes saignent... [“And
there is a map engraved in my skin », sur In A Coastal Town].
Cet album est porteur de beaucoup d'images, beaucoup de signes
visuels qui amènent l'auditeur au plus près des histoires. Il ne
repose pas seulement sur ces balises présentes dans les textes, mais
possède une atmosphère musicale qui comprend plusieurs strates et
qui s'exprime de son propre langage.
Enregistrer
l'album a dû être un long processus ?
Cela
nous a pris trois ans, pendant lesquels il a eu le temps de mûrir,
de grandir, de devenir le fruit luxuriant qu'il est aujourd'hui. Ca a
été un travail laborieux, nous y avons consacré tout le temps
qu'il nécessitait. Avec un peu de chance, le prochain demandera
moins de temps.
Quelles
étaient les dynamiques et les émotions que vous deviez préserver
en laissant telles quelles les variations de volume à
l'enregistrement, comme vous l'avez fait ?
Il
y a une tendance dans la musique pop à faire ressortir au maximum
tous les sons, ce qui détruit en partie les dynamiques des chansons.
Dans cet album, les différences de volume sonore ont été laissées
aussi naturelles que possible. Ainsi les moments les plus calmes le
sont vraiment, et quand ça devient plus intense, le son est vraiment
plus fort. Cela pour respecter l'esprit de l'album, qui cherche à
préserver les sons naturels des instruments que l'on joue. Le chant
a également été pensé pour se rapprocher de l'effet d'un
instrument de musique plutôt que d'être, comme habituellement,
seulement la voix du chanteur.
Markus,
ta voix est puissante et très distincte, c'est aussi une chose qui
augmente l'impact des chansons. Comment as-tu travaillé avec ?
J'ai
beaucoup d'idéaux quant à la meilleure façon de chanter, et un
ensemble divers d'influences personnelles. J'ai aussi chanté dans
plusieurs groupes, ce qui m'a rendu plus versatile. J'ai tendance à
utiliser ma voix comme instrument et à beaucoup travailler pour
communiquer plus de sens à travers les mots et les syllabes, tout en
maintenant une approche naturelle plutôt que laborieuse.
L'authenticité est toujours l'aspect le plus important dans le
chant, où toute duplicité est si facile à déceler. Je ne me suis
pas formé de façon classique, ni n'ai vraiment progressé autrement
qu'en combinant les heures de travail avec le plaisir de chanter.
Cela
t'a t-il paru naturel de chanter en anglais ?
Effectivement,
car de nombreux groupes que j'ai écoutés et avec les chansons
desquels j'ai commençé à chanter sont anglais et américains.
L'anglais
fonctionne bien pour l'introspection, pour exprimer ses sentiments
intérieurs. La
langue facilite la distanciation entre soi-même et les textes, mais
te libère aussi pour expérimenter.
La
guerre, la mort et la rupture sont des thèmes de l'album. Est-ce un
album pessimiste ?
Je
ne crois pas que ce soit nécessairement pessimiste, même si les
textes contiennent effectivement des peurs et la sensation d'être
abandonné. C'est une façon d'être compréhensif et sensible à ce
qui nous entoure, reproduire des perceptions qui nous semblent
suffisamment importantes pour être immortalisées sous forme de
chansons. La réalisation des pertes, des peurs n'est pas pessimiste
mais réaliste, et en cela nous aide à avancer, et a donc des
implications optimistes. Et de mon point de vue, il y a une force à
tirer des évènements de la vie, grands et petits, et lorsque les
sentiments qui en découlent on tant d'espace pour s'exprimer, ils
deviennent comme une sorte de totem qui nous guide pour la suite.
Pouvez-vous
décrire ce dont parle la chanson The Last Song is a Love Song ?
JANI:
Le
point de départ des paroles était un extrait de dialogue tiré d'un
beau film sorti en 2008, The Reader (réalisé par Steven Daldry).
Vers la fin du film le personnage principal, qui est emprisonné, une
femme illétrée condamnée pour des crimes de guerre, dit à son
ex-amant : “qu'y a t-il encore entre nous et la mort ?” Cette
observation mélancolique mène le film à sa conclusion. Ou en tout
cas, c'est ainsi que je m'en souviens – quand j'ai regardé le film
à nouveau il y a quelques mois, j'étais surpris de découvrir qu'il
n'y avait pas de telle phrase dans tout le film !!! Donc, ça reste
un mystère, de savoir où j'ai trouvé cette phrase... Je l'avais
écrite dans mon carnet de notes, mais j'écris souvent des choses,
en provenance de toutes sortes de sources, parfois même des paroles
que j'ai entendues à la table voisine dans un bar, et qui finissent
dans mes chansons !
Dans
Last Song, cette phrase est tournée en une lamentation qui ouvre le
refrain [Please
stand between us and death].
Le reste du refrain s'explique bien de lui-même, mais la phrase,
“j'ai cessé de rêver, je ne me sens pas bien” résumait bien
mes propres sentiments au moment où je l'ai écrite.
Ainsi
bien que beaucoup de chansons de l'album soient presque
“documentales”, des histoires à la narration linéaire (telle
que On The Sunniest Sunday ou December 13th),
Last Song est plutôt une collection de sentiments et d'images.
J'aimerais
comparer certaines paroles des chansons aux themes du nouvel album du
groupe Irlandais Villagers, {Awayland}. Le chanteur, Conor J O'Brien,
me l'a décrit ainsi : “la
confrontation avec le paysage et la façon dont l’individu gère
son rapport à la société et s’adapte aux contradictions. Il est
souvent question de tenter de garder la vue la plus large possible.”
Comment les paysages prennent par à l'écriture des chansons ?
Les
saisons et leur changements affectent mon humeur. Il y a toujours un
désir d'être en été, mais de la même manière il y a quelque
chose de beau et de serein dans un paysage blanc hivernal. Et la
chute des feuilles d'automne a aussi sa beauté, ses couleurs. Puis
le printemps arrive avec ses promesse de chaleur, de joie et de
liberté. Beaucoup de changements, tandis que la société semble
croire à une continuité linéaire, avec ses carrières, ses plans
d'épargne. C'est évident, le paysage affecte la façon dont nous
percevons l'environnement et la société autour de nous.
Comment
les gens autour de vous vous inspirent vos chansons ?
Avec
leurs sentiments, leurs attentes, leurs peurs et leurs espoirs. Si tu
parles de ma motivation originelle pour écrire des chansons, j'ai
senti plus facile de m'exprimer musicalement que verbalement. C'est
venu davantage de l'intérieur que des gens, de l'extérieur.
En
quelle mesure être finlandais a t-il inspiré l'album ?
L'hiver
prend sans doute toujours le dessus. C'est difficile à décrire,
mais la société et la culture de notre pays ont sûrement leur
effet. Il y a une certaine morosité, qui est en quelque sorte un
trait de caractère national. Cela
peut sembler être négatif, mais nous rend peut-être plus
introspectifs.
La langue finlandaise affecte peut-être la façon dont nous
utilisons l'anglais et comment nous nous définissons à travers
elle, donnant à certaines idées une étrangeté, mais c'est
difficile à dire, naturellement, de notre perpective.
Les
choses qui se produisent dans certaines chansons peuvent t-elles
seulement avoir lieu dans l'esprit des personnages, comme s'ils
essayaient d'échapper à la réalité?
Tout
à fait, il y a une forte propension à l'évasion dans l'album. Des
sentiments trop forts qui doivent être évacués. Par exemple, Dead
Trees a été inspiré par les conspirations historiques dans ce
qu'elles ont de bizarre, et même terrifiant, paranoÏaque. Et
l'histoire poursuit cette ligne de paranoïa qu'un possible “croyant”
pourrait avoir. Mais ce n'est pas seulement des histoires
d'échappées, il y a beaucoup d'ouvertures et d'émotions palpables,
réelles. C'est davantage cela d'ailleurs.
Quelle
est votre relation à la mer ?
JANI
:
C'est
une chose qui était là avant nous, et qui va demeurer bien après
que nous sayons disparu. Son immensité est très apaisante. J'ai
(avec quelques amis) un vieux bateau qui ne paye pas de mine, et si
nous le sortons, en trois jours nous pouvons atteindre
quelque île inhabitée, jeter l'ancre et rester là, seulement nous,
dans le silence, et sans rien du confort du monde civilisé.
Regarder le coucher de soleil, peut être. J'ai besoin de cette
immensité de la mer autour de moi, autrement je ne peux débarrasser
de toutes les stupidités du quotidien.
Comment
faites-vous la promotion de l'album ? Où allez-vous voyager pour
jouer vos chansons ?
Solina
Records en Finlande et Stargazer Records en Allemagne ont tous deux
fait un bon travail, et les concerts sont la prochaine étape.
Nous
n'avons fait encore que quatre concerts, avec un set simplifié (à
seulement quatre sur scène, sans batterie et sans appuis sonores),
et on se sentait bien, avec la sensation de posséder entièrement la
musique. D'autres concerts sont prévus, et il a beaucoup été
question d'une tournée en Allemagne et en Suisse. C'est toujours
dfficile pour un petit groupe indie de rassembler des fonds et d'être
capable de voyager, mais dès qu'on se sera occupés de régler les
détails, ne serons heureux de tourner hors de la Finlande,
espérons-le, en France aussi !
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