“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

vendredi 21 décembre 2012

Best of 2012 - 2 ème rang albums #4 à #7

 
Matt Elliott - The Broken Man
 
Les chansons sur cet album extrême sont austères mais denses d’une lucidité musicale, d’une inspiration qui leur donne un aspect grandiose. Démarrant souvent sous le joug d’une guitare hispanisante au jeu complexe, elles s’affirment avec un dessein extrêmement méticuleux et une sagesse à toute épreuve. Les suites qui constituent la première face du vinyle démontrent le pouvoir et la détermination de Matt Elliott à l’œuvre pour exprimer avec largesse les sentiments de regret et de solitude dans leurs infinies variations. Dust, Flesh and Bones démarre comme une lamentation nue, évoquant Leonard Cohen, et s’oriente en volutes autour d’une phrase répétée, conjurant toute la conviction de d’Elliott envers sa propre sagesse affective. La chanson décolle lentement de terre, prend un tour presque effrayant avec ses chœurs murés, le son d’une cloche lointaine contribuant aussi à la sensation d’un vide immense qui s’ouvre de plus en plus sous nos pieds.
 
 
 
Neurosis - Honor Found in Decay
 
Par rapport à leur précédent disque, Honor Found in Decay semble retrouver une linéarité plus séduisante pour l’auditeur. Il retient l’agressivité, le sens apocalyptique propre au groupe tout créant l'agréable sensation d’être porté au cœur de la musique. Dès We all Rage in Gold, c’est toute l’essence de Neurosis qui est rendue saisissante par la clarté de sa mise en œuvre, sa présentation directe et sincère. Rien que la façon dont est introduite la première phrase, « “I walk into the water/To wash the blood from my feet », et dont se déploient en quelques minutes certains des couplets les plus denses de l’album, résume une approche rassérénée de leur musique et de leur message par Neurosis. At the Well est l'une des meilleures chansons de Neurosis, un tableau qui dans l'équilibre et le tournoiement de riffs et de sons enregistrés sans transformation ultérieure, donne au groupe toute l'essence capable de le faire durer encore. « In a shadow world » entonent Scott Kelly et Steve Von Till de leurs voix gutturales. Une voix presque subliminale termine : « We are your light ».
 
 
Chris Smither - Hundred Dollar Valentine
 
Chris Smither n’a pas besoin de rappeler constamment qu’il est en train de jouer le blues. Sa voix et son jeu de guitare en finger-picking, élégant et délicat sont les meilleures garanties de son inspiration. Empruntes de tranquillité et de bienveillance, ses chansons évitent pourtant la redite, certaines dégageant au prime abord une tristesse simple et intense – On the Edge, I Feel the Same, Feeling by Degrees –, mais avec, elle leur centre, le rythme marqué par un tapement de pied, comme un battement de cœur. D’autres vous ravissant plus tard parce qu’elle sont entraînantes et et amusantes jusque dans leur gravité même.
Un album qui nous ramène à une ère où la musique était ressentie au fond du cœur, et dans des régions américaines où il n’y avait rien de tel que des genres musicaux, mais où les interprètes solitaires pouvaient tremper dans le blues de Lightning Hopkins et Mississippi John Hurt, s’inspirer de Randy Newman et reprendre en chemin Tulane de Chuck Berry, Rock and Roll Doctor de Little Feat ou Desolation Row de Bob Dylan, faisant preuve de foi, de sincérité et d’humilité.
 
 

Silvia Perez Cruz - 11 de Noviembre
 
Au parc Güell, à Barcelone, s'ouvrent à vous deux réalités : celle qui comprend le flot de touristes se prenant en photo devant les jolies bordures en mosaïque, et celle des artistes musicens, guitaristes flamenco et autres, flanqués dans les allées bordées de pilliers organiques et de corniches artificielles. On retrouve dans cet album mélancolique et sensuel le genre d'intimité fugace établie là bas, ainsi que le souvenir de l'air chaud, pour un début du mois de janvier, sur notre peau. Ecouter 11 de Noviembre, premier album d'un petit prodige habituée aux collaborations, c'est comme partager un moment privilégié de félicité, à l'écart de la foule. On se laisse porter par la voix, polyglotte, aux modulations fragiles de la chanteuse catalane, ses vocalises jazz (sur Dias de Paso), la beauté de certains arrangements de cuivre (Pare Meu, Covava L'ou de la Mort Blanca), le sentiment d'isolation intense qui parcourt Diluvio Universal et les choeurs de Iglesias, Meu Menino ou O Meu Ammor e Gloria. Enfin, brille une guitare empruntée au folk anglais aussi bien qu'à la habanerra, une musique cubaine traditionellement reprise par les catalans, un style dont le père de Sivia Perez Cruz, récemment disparu, était l'un des grands artisans. Mille et un détails font de cet album un joyau.


A quiet revolution (3) Interview de Gilles Deles de Lunt





Label We are Unique Records
http://www.uniquerecords.org/

Where is the Revolution ? est le nom d'une chanson sur le récent et fascinant album de Lunt. La pochette interroge. Switch the Letters est un album de chansons composées à la guitare électrique avant tout. Ainsi qu'une oeuvre inspirée de la poésie beat et aussi par Sonic Youth, passé à la moulinette du philosophe autrichien Wittgenstein. Les concepts faciles ne sont pas de mise avec Gilles Deles, et ma 'révolution calme' va en prendre un coup. Le travail d'artiste et d'artisan ne font plus qu'un chez ce musicien, co-fondateur du label We are Unique Records.

Quelle était la vision musicale qui a participé à la création de We are Unique Records ?

Gilles Deles : Il y avait initialement, et c'est toujours le cas je crois, un désir d'autonomie très profond, qui fait que nous avons constamment respecté les décisions des artistes même quand nous les désapprouvions à titre personnel (nous sommes faillibles), et après des discussions sincères.
Les années 2000, à leur début, étaient différentes de maintenant, il était encore possible d'être autonome financièrement.
Nous écoutions énormément de choses à l'époque, et la question ça n'était pas de signer un style. Il y avait bien sûr une prédominance post-rock, folk, rock, musique atmosphérique/electro. Ceci dit les projets hip-hop de Angil (ou en collaboration comme John Venture) ont eu tout leur sens. Il fallait qu'on se dise, "ce disque sort du lot", il y a quelque chose là qui n'est pas ailleurs, nous pourrions l'acheter. Sinon comment y croire vu l'énergie demandée par la suite ?

Tu es ausi ingénieur du son au service du label. En quoi participer aux albums des autres nourrit t-il ta propre musique ?

On apprend à être un contenant en attente d'un contenu, et à aider à mettre en forme.
Produire un album c'est laisser venir à soi des notes et des harmonies en attente d'être jouées, de la musique sans un musicien pour la jouer. On apprend essentiellement à ne pas forcer les choses, et laisser l'inspiration venir à soi.

J'ai lu que tu avais fait des études de philosophie. Quels sont les thèmes abordés sur l'album, et as-tu été influencé par des concepts philosophiques ?

Le sens des concepts sont dans leur usages. (Ludwig Wittgenstein) Je ne sais pas s'il y a une sorte d'isomorphisme entre ces concepts, et la musique. Seulement, ce que j'ai longtemps défendu c'est un holisme* de l'album. Les singles existent, de la même façon que certains mots nous évoquent des choses à eux seuls, mais on ne peut pas comprendre certains titres en dehors de l'album à l'intérieur duquel ils sont inclus (voir par exemple le travail dans les interludes du teaser For : Matter d'Angil). En tant qu'ingénieur du son je te dirais aussi qu'il y a des règles dans le son que l'on se doit de respecter, une sorte de nécessité dans la structure du son. Le mixage est quelque chose qui peut être le lieu d'application du rasoir d'OCCAM**. Il ne faut pas rajouter des éléments si l'on est arrivé à quelque chose qui dit quelque chose.
Ce que la philosophie m'a appris c'est une distance très critique (un euphémisme) quant à l'esthétique.

Switch the Letters est un album de chansons qui évoquent certains songwriters américains indé les plus poignants et avisés. Peux-tu citer des albums qui ont pu influencer ta façon d'écrire des chansons ?

I See a Darkness de Bonnie "Prince" Billy, Buffalo Springfield, New Adventures in Hifi de R.E.M., Upgrade and After Life de Gastr Del Sol, Bug de Dinosaur JR, Daydream Nation de Sonic Youth, Ghost Tropic de Songs : Ohia.

Que voulais-tu accomplir avec Switch The Letters ?

Il fallait à tous les gens avec qui j'avais travaillé et qui me disait : "alors! cet album
c'est pour quand ?". Je voulais faire un album qui ne serait pas tributaire des standards d'écoute d'un moment. Quand tu écoutes Pink Moon de Nick Drake, le minimalisme qui s'y impose, fait que l'écoute est toujours possible sans kitch, même si l'album appartient à une époque.

Ce qui produit ce sentiment d'introspection dans ta musique c'est sans doute, entre autres, le fait de jouer en solo, même si tu invites plusieurs personnes à participer. N'envisages-tu pas de faire de Lunt un groupe ?

Psychiquement j'ai tendance à être un groupe à moi tout seul, comment scinder les étapes de production sans se scinder moi-même ? Je ne sais pas. Est-ce que ça serait encore Lunt ? Il faudrait que la ou les personnes qui jouent avec moi (sans omettre le fil directeur de ce que je pourrais proposer) aient une sorte de rage inconditionnelle, cette étincelle qui fait que certaines choses ne se négocient pas. Les compromis mous et le consensus névrotique m'ennuient. Pourquoi pas un album de noise en groupe.

Comment penses-tu progresser sur le prochain album ?

La question centrale est de ne pas faire l'erreur du premier Lunt, est de s'égarer dans une hétérogénéité démonstrative qui dilue le propos. Le but c'est d'avoir un fil directeur et je ne sais pas s'il s'est dessiné encore. Je ne m'oblige en rien à faire de la musique, je n'ai pas de contrat qui m'oblige à quoi que ce soit. Il sera peut être plus électrique je pense, et basé sur des tonalités différentes. Le plus dur est d'écrire des textes.

Je prévois d'intégrer cette interview à un article appelé 'a quiet revolution'. Quel serait ton slogan ou ton précepte pour une révolution musicale ?

Ce qui est écrit dans le livret de Experimental, Jet Set, Trash and No star de Sonic Youth ; "une fois que la musique a quitté votre tête, elle est déjà compromise".


* le holisme est : « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l'évolution créatrice ». Le holisme se définit donc globalement par la pensée qui tend à expliquer les parties à partir du tout.

** Aussi appelé « principe de simplicité », « principe de parcimonie », ou encore « principe d'économie », il exclut la multiplication des raisons et des démonstrations à l'intérieur d'une construction logique.
Le principe du rasoir d'Ockham consiste à ne pas utiliser de nouvelles hypothèses tant que celles déjà énoncées suffisent, à utiliser autant que possible les hypothèses déjà faites, avant d'en introduire de nouvelles, ou, autrement dit, à ne pas apporter aux problèmes une réponse spécifique, ad hoc, avant d'être (pratiquement) certain que c'est indispensable, sans quoi on risque d'escamoter le problème, et de passer à côté d'un théorème ou d'une loi physique.

(c) Wikipédia

mardi 18 décembre 2012

Best of 2012 - 3 ème rang albums # 8 à # 11

Midget ! - Lumière d'en bas (We are Unique Records)
Je me réjouis toujours de nouvelles grâces, de nouveaux moments de langueur, de petites félicités harmoniques, pensant entendre peu à peu les mécanismes qui font l’irrévocable beauté de la musique toujours légère de Midget !. On se laisser porter par des instants fugaces : ce refrain par exemple, « Le serments se font à ciel ouvert/tu le sais, Amour, tu le sais. » Pour mériter leur étiquette de « meilleur duo/groupe dream-folk de l’année », ils n’ont qu’à nous confronter, ce qu’ils font, à des évocations de rêve pur : la parfaite Sleepwalker, et une ligne ça et là, sur Les Mailles par exemple : « C’est un tel éclat que l’on ne voit jamais/Au-delà des cercles d’ambre sous les paupières ».

Jon Cleary - Occapella !

Soul, funk, rythm and blues, grooves de second lines, jazz et même reggae se mêlent, l’inventivité des arrangements répondant au génie original de Toussaint, que ce soit pour les textes, pour les mélodies, pour les harmonies. Ce que Jon Cleary voulait retrouver en rejouant Toussaint en concert dans plusieurs pays du monde, c’était le plaisir, l'entrain communicatif propre à cette musique multiple, au travers de chansons aux émotions riches et profondes.
The Shins - Port of Morrow
Les chansons sont produites avec goût et diversité par Greg Krustin (Red Hot Chili Peppers, Flaming Lips), chaque couplet, chaque pont faisant l'objet d'une attention particulière ; percussions diverses, cordes, chœurs discrets mais pourtant remarquables. Ainsi que le chanteur l'a voulu, ce luxe sonore permet de souligner la qualité des compositions sans les alourdir. Une hiérarchie des dimensions précise est à l’œuvre ; les refrains rappellent The Who, les couplets sont aussi clairs que sophistiqués, de telle sorte que l'auditeur est en confort, et ressent même une sorte d'euphorie lorsque un morceau se laisse aller à des sinuosités (les superbes September et 40 Mark Strasse).
Ry Cooder - Election Special
Dans la lignée de son précédent album pru en 2011, les histoires racontées par des ressortissants de toutes les classes de la société américaine produisent un tableau désenchanté de la politique de son pays, en mettant en évidence les terribles contradictions sur lesquelles les véritables responsables du marasme actuel sont assis depuis longtemps. La nervosité de ces commentaires de société n’empêche par Ry Cooder de rester un amoureux de musique, le blues ou la musique latino-américaine se trouvant redorés sous l’action de son jeu de guitare – l’un des meilleurs au monde.

dimanche 16 décembre 2012

Laura Nyro - Article et interview de son frère Jan en décembre 2012



La maison de disques américaine Columbia a réédité Eli and The Thirteenth Confession, premier album de Laura Nyro enregistré sous leur égide en 1968, assorti d’une appréciation de la chanteuse blues Phoebe Snow, disparue en 2011. En 40 ans de carrière, celle-ci a garanti sa place au panthéon américain des voix de légende. Voici ce qu’elle dit de Laura, décédée, elle, en 1997, à 49 ans.

« La musique de Laura est intemporelle… que ce soit pour le fond ou la forme, elle était dans une classe à elle seule. La dernière fois que je l’ai vue jouer, elle a interprété son répertoire avec seulement un piano… les spectateurs l’ont acclamée debout. Ça a été l’une des soirées musicales les plus transcendantes de ma vie. Elle était l’une des artistes les plus généreuses que j’ai connues. Le 21ème siècle semble le moment parfait pour que sa musique resurgisse. Elle est éternelle »
Essence divine
C’EST VRAI QUE LA MUSIQUE de Laura Nyro est intemporelle. Impossible d’imaginer un temps où l’intensité de ses chansons, où leur originalité et leur vitalité paraissent soudain datées. Il faudrait que tout l’univers musical change ; que la musique perde soudain toute connexion avec les cœurs, les corps et les âmes qui l’alimentent, que tout l’art musical se retrouve soudan isolé dans la création humaine et tombe comme une mauvaise greffe, membre mort.
La musique de Laura Nyro donne cependant fugacement la sensation de replonger dans un reflet des années 60 - celles des émissions de radio new-yorkaises jouant Nyro aux côtés de Barbara Streisand, Aretha Franklin ou Diana Ross, celles des spectacles de Broadway, les stations détentrices de chaque instant de vie, d’extase, d’insouciance. Une manne de sensations, extrêmement palpables, suscitée par des artistes les plus sérieux quant à ce qu’ils faisaient. Laura Nyro était extrêmement sérieuse à propos de sa musique, et celle-ci étonnamment palpable, sensuelle, et livrée à l’extase - qu’elle qualifierait ‘d’essence divine.’ « Je pense qu’en musique il y une unité, et une douceur. J’écoute la musique pour ces raisons. Si vous regardez le monde, il y a tellement de polarités. De guerres. Mais de ressentir cette unité et cette douceur, c’est la chose ultime. La meilleure chose au monde. Et c’est que je ressens en musique. C’est une forme de divin pour moi, l’essence du divin.”
Vous devriez imaginer Laura Nyro, à 22 ans, en 1969, en train de dire cela, sourcils froncés, tandis qu’on l’interroge à propos de son 3ème album. Elle ne sait pas, alors, qu’elle est déjà au sommet – que même si la notion de maturité aura une influence très importante sur la reste sa carrière, en termes d’écriture et de projeter la musique soul, gospel, rythm and blues et rock qu’elle a dans sa tête, elle est déjà dans un monde d’excellence, une ‘classe à elle seule’ après deux albums historiques et complémentaires : Eli and the Thirteen Confession (1968), et New-York Tendaberry (1969).
Mythes urbains
NEW-YORK CONNUT UN renouveau depuis les années 1990. Le consensus des observateurs est aujourd’hui que la ville est moins trépidante, présente moins d’aspérités, est comme refaite à neuf, rendue étrangement neutre, par endroits, à cause de cette tentative d’alignement qu’ont menée successivement les différents maires. Enfouie sous des couches successives de maquillage qui sont parvenues à tromper non seulement les touristes, mais aussi la plupart de ses habitants quant à son identité profonde. Ceux qui y trouvent maintenant l’inspiration n’ont pas sous les yeux un tableau aussi saisissant qu’auparavant. Sauf, paraît t-il, si l’on s’aventure dans certaines parties du Bronx ou du Queens.
Les écrivains ou les auteurs de chansons sont obligés de faire chemin arrière, d’explorer New-York sous différents angles, dans une tentative de saisir ‘l’étrange mélange entre l’ancien et le nouveau’ qui caractérise la ville et constitue son meilleur art. C’est ce que fait par exemple l’écrivain Paul Auster, trois fois par semaine, lorsqu’il traverse le Brooklyn Bridge, un ouvrage qui évoque ce mélange, simplement en profitant de la sensation que l’ouvrage lui procure. L’architecture et la culture du spectacle se répondent dans une même recherche entre romantisme idéaliste et cynisme. Ceux qui s’inspirent de New-York remontent le cours de l’histoire : après 1965, l’augmentation de la criminalité, la French Connection et la drogue omniprésente, les gangs et la mafia, les conflits ethniques, la pauvreté. New York était une ville sale et violente, comme une tour de Babel dont l’existence est toujours remise en cause. Une ville capable d’imploser, de s’autodétruire avec une violence que seul le 11-septembre a pu suggérer, dans des circonstances différentes.
Mais l’incroyable chaos qui régnait en ville signifiait aussi une grande diversité artistique. C’était peut-être une ville sinistre, désespérée, hostile, mais néanmoins nourricière. L’inspiration y est désormais plus globale qu’auparavant, ne s’arrêtant sûrement pas aux frontières de la ville, ni des Etats-Unis. L’art est sans doute moins le reflet d’une observation communautaire depuis les années 1980.
Dan Backman, un fan suédois de Laura Nyro, parlera avec elle au téléphone en octobre 1993, à l’occasion de la sortie de Walk the Dog and Light the Light, un album qui voyait l’artiste rassérénée dans ces choix de production. Le dernier à paraître de son vivant. « Il y a avait plus de variété auparavant, plus de surprise... plus de liberté en musique, et c’est que je préfère». Aujourd’hui, on peut juger que les choses sont très différentes d’il y a quarante ans ou même vingt ans, sans être pourtant moins inspirées. Laura Nyro ne fait peut-être que s’attacher à un mythe artistique, et son art est né de mythes urbains, de problèmes et d’utopies propres à leur époque.
Une époque de groupes tels que Black Magic et de leur album Where Love Is (1970) par exemple. Enregistré par trois hommes et trois femmes, tous noirs américains, cet album improbable en appelle d’autres, tels ceux de The 5th Dimension, dans une période – le début des années 70 - où les concepts théâtraux semblaient être le summum du divertissement et le pinacle de l’accomplissement artistique. The 5th Dimension, quintet vocal, rythm and blues, soul et jazz tout à la fois, réussirent à créer un invraisemblable amalgame de tubes. Quant à Where Love Is, c’était une mosaïque de rythmes et de sons, un croisement entre le ghetto qui lui sert de décor et Broadway.
Where Love Is est un challenge pour l’auditeur. Mais son ambition en termes de trame narrative, ainsi que la félicité musicale et l’harmonie de certaines de ses parties en font une expérience à part – cohabitant comme beaucoup d’autres trésors insoupçonnés avec l’œuvre de Laura Nyro sans la préfigurer, puisque celle-ci écrit des chansons depuis 1965. Pour en revenir à The 5th Dimension, le groupe eut plus de succès avec des chansons écrites par Nyro qu’elle n’en eut elle-même : ils popularisèrent Stoned Soul Picnic, Sweet Blidness, Wedding Bell Blues, Blowing Away ou Save The Country. Ces chansons ont toutes été écrites par Laura Nyro avant qu’elle n’atteigne 22 ans.
Vitamin L
LE CHANT ÉTAIT VENU naturellement à Laura. Elle avait trouvé dès l’instant où elle s’était mise à chanter le lien qu’entretenait la musique avec le cœur et l’âme. « Dans la vie, la musique était le langage que je voulais utiliser. Je suppose que j’étais faite pour chanter. Et j’ai pris l’habitude de le faire, avec des groupes de rue, quand j’étais jeune. » Élevée dans le quartier du Bronx, Laura sèche régulièrement l’école. Elle préfère se consacrer à écrire des chansons. Avec un sérieux qui force les adultes autour d’elle à lui donner sa chance.
Comme elle, Jan Nigro, son frère cadet, a été à la Music and Art School de New-York. J’ai pu l’interroger à ce sujet dans un entretien auquel il a répondu par courrier électronique en décembre 2012, au terme d’une année particulièrement chargée en émotions pour lui - avec l’introduction au Rock and Roll Hall of Fame - le panthéon des héros de la musique - de Laura, en avril, et l’organisation d’un grand spectacle en hommage à sa sœur en novembre, dans le Connecticut. « La Music and Art School m’a exposé à des musiques avec lesquelles je n’étais pas familier, comme les arias italiennes et les lieder allemands. L’école a été un très bon entraînement vocal et m’a permis une meilleure compréhension de la musique en général. Je n’y ai pas appris à écrire des chansons. Peu d’écoles l’enseignent. C’est généralement une chose pour laquelle les gens ont un don qu’ils développent pour eux-mêmes, comme Laura l’a fait. »
Aujourd’hui, Jan écrit la plupart de ses chansons dans le but de les faire chanter par d’autres, le plus souvent par des groupes scolaires et des ensembles vocaux, en s’inspirant du gospel. « Mon projet Vitamin L, je l’ai lancé en 1989 », m’écrit t-il. « C’est une chose que ma femme, Janice, et moi avons commencé ensemble, je suis l’auteur des chansons et l’un des chanteurs, ce sont des chansons pour les jeunes gens, qui traitent de problèmes auxquels ils commencent à penser et dont ils se mettent à parler dans leur vie. Ces chansons sont écrites dans différents genres : rock, jazz, blues, musiques scéniques, gospel, country, etc. Chacune d’entre elles évoque une valeur humaine différente. Tolérance, compassion, empathie, honnêteté, gentillesse, et d’autres encore. L’objectif de Vitamin L, c’est de diffuser l’amour et la bonne volonté à travers la musique. » Il me semblait bien que chaque chanson écrite pour Vitamin L était comme un nouveau départ, bénéficiait d’une approche pleine de fraîcheur. « Chaque chanson est différente, comme nous sommes tous différents les uns des autres. Elles devraient à chaque fois être approchées avec clarté, quant à ce que vous tentez d’exprimer, et avec l’esprit et le cœur ouverts puisque cette expression va se transformer en paroles et en musique. »
Laura, à l’époque, a abandonné la Music and Art School pour écrire ses propres chansons. Trève d’arias et de lieder. Elle leur préfèrera Van Morrison. Ou le jazz. “Quand j’avais quinze ans”, révèlera t-elle dans le magazine Down Beat en 1970, “J’avais l’habitude de boire des bouteilles de sirop pour la toux et de me détendre en écoutant mes disques de jazz. Je les mettais, buvais mon sirop, explorais le répertoire de types du genre Miles Davis et John Coltrane toute la nuit. Ils influençaient mon humeur. C’était une chose que je ne pouvais mettre en mots, car c’est difficile ne serait-ce que de parler de jazz. Ce n’est pas une musique évidente... Elle se rue sur vos sens. Je ne connais rien de technique en musique, je sais seulement ce que je ressens, et le jazz est si beau car c’est une musique libre et expressive. Il n’y a pas de paroles, mais la musique communique la vie, les peines de la vie... C’est une musique pleine de peine, mais cette peine ne vous accable pas. Elle est comme une petite fleur...“ L’influence familiale est aussi puissante. “Notre père était musicien, se souvient Jan, et notre mère écoutait de la musique classique. La musique était une force centrale chez nous.”
Petites fleurs
Laura Nyro est assez précoce dans son écriture. And When I Die n’est pas ce qu’on s’attendrait à trouver sur la page d’une adolescente de 16 ans : “I’m not scared of dying/And I don’t really care/If it’s peace you find in dying/Well, then let the time be near”. Elle est encore persuadée, bien plus tard, que les adolescents ont une compréhension particulière du monde, une forme de conscience, face à la mortalité par exemple, qui a pu être formulée dans And When I Die. Comment expliquer sinon la lucidité extraordinaire de cette chanson? Jan est admiratif devant les textes de sa soeur. “Elle avait une vision unique», commentera Jan dans un article de Bill Chaisson pour Ithaca.com. “Elle fait partie du Mont Rushmore des songwriters. Elle a exploré sans crainte tant d’aspects de l’expérience humaine : romance, solitude, addictions.”
Très rapidement, elle savait qu’elle était capable de tourner sa matière sentimentale en une chose frappante. Ses pensées se mêlent à un son inspiré des productions dites de Brill Building – en référence à une scène New-Yorkaise spécifique des années 1960. Ce genre de pop classique musclée comme du rock n’ roll joue souvent sur l’ennivrement provoqué par la romance populaire et les célébrations festives, non sans une naïveté délibérée. Shangri-Las, Neil Sedaka, Connie Francis... En 1963, le mythique producteur Phil Spector avait décidé de produire un album de Noël dont les chansons pourraient rivaliser avec les meilleures du répertoire des interprètes invitées : the Ronettes, Crystals, Darlene Love, et Bob B. Soxx & the Blue Jeans. Le meilleur album de chants de Noël à ce jour restera, aux côtés d’innombrables compilations de chansons d’amour, le fer de lance de la Brill Building pop. Tout cela inspire à Nyro une approche romantique, enjouée et légère de sa propre musique. Le premier album de Laura Nyro paraît bientôt: il s’appelle More Than a New Discovery (1967).
Guidée par l’obsession pour des images fortes, arrêtée parfois dans sa lucidité joyeuse par une nature réfléchie, parfois mélancolique, elle mélangeait le blues New-Yorkais, avec ses touches de jazz, à des structures en forme de ballades introspectives. Marriant des motifs jazz et la pop d’antan, elle alliait sophistication et sincérité, sur Buy and Sell ou Billy’s Blues. La musique semblait s’animer, organique, traverser de façon poignante, réaliste, les sentiments qui surviennent en franchissant les étapes de la vie, de l’adolescente clairvoyante au-delà de l’âge adulte. La maturation d’un romantisme parfois rude. L’attente, l’amour, le désir sexuel (“Love my lovething/Super ride inside my lovething”). Elle écrira dans ces années d’apprentissage un chapellet de chansons puissantes, entièrement formées.
La mort, la perte et la rédemption – pas vraiment d’humour chez Laura Nyro. La musique est une chose trop importante pour badiner. “Beaucoup de mes chansons sont très appliquées, j’écris sur les choses du monde, j’essaie d’être fidèle à mes propres yeux, les yeux d’une femme, et parfois quand on dit que je suis excentrique ça me semble être une manière de ne pas prendre ce que je fais au sérieux. Il y a ce sexisme qui ne prend pas l’art féminin sérieusement.” L’art féminin, celui de l’amour aussi. Laura Nyro est bisexuelle, et sa longue relation amoureuse et spirituelle, dès 1971, avec Maria Desiderio est documentée avec beaucoup de grâce sur le blog Rabdrake Weblog : http://rabdrake.wordpress.com. Des chansons telles que Emmie et Desiree évoquent cet amour lesbien – encore une chose rarement courrue dans la chanson américaine jusqu’alors.
Carole King, auteure compositeure que l’on peut comparer à Laura Nyro à plusieurs points de vue, se sentira elle aussi différente dans une société qui, si elle n’est pas frontalement sexiste, arbore plus subtilement ses normes. De surcroit, Carole King se marrie tôt et devient mère à 17 ans – Nyro, elle, aura son unique fils à 32 ans. “On ne m’a jamais dit, ‘Tu ne peux faire ça car tu es une femme, commente King dans une intervew pour le Washington post en 2009. “Mes parents m’ont toujours laissé ouvertes toutes les possibilités.” “Vivant avec Gerry dans une banlieue du New Jersey, j’étais entourée des femmes de docteurs, de comptables, d’avocats. Avec un stylo dans une main et un bébé dans l’autre, je sortais de l’ordinaire.”
Laura Nyro marche alors fièrement dans les pas de Miles et de Coltrane ; pour reprendre son expression, elle fait des chansons ‘comme de petites fleurs.’ Les traditions de gospel et de soul combinées à une réinvention constante de la forme musicale, promettent de grandes choses au cas où elles déciderait de se saisir des thèmes du mouvement pour les droit civiques, par l’influence tutélaire de Peter Seeger, Joan Baez ou Bob Dylan: incorporant des éléments de conscience sociale dans ses chansons. Elle le fera, avec la fécondité et l’amour d’une mère universelle: “Come on people, come on children/Come on down to the glory river” (sur la chanson Save The Country). La félicité de l’expérience charnelle et sensuelle envoûtera les idées communautaristes ou religieuses, les terrassera. Rien ne semble pouvoir lui résister ; son attitude musicale se fait l’écho de sa passion.
Laura Nyro fut pianiste, et lorsqu’on évoque tout le rhythm and blues et le rock n’ roll dans sa musique, la prépondérance du piano déforme la vision que l’on peut s’en faire. Entre tous, on peut évoquer la façon dont le sorcier américain de la pop audacieuse, Todd Rundgren, annonça combien l’influence de Laura avait dicté chaque arrangement de son premier album, Runt. “Ses ascendances venaient de la face la plus sophistiquée du rythm and blues, comme Jerry Ragonov et Mann & Veil et Carole King. Elle canalisait cette musique, et avait de surcroit sa propre façon, influencée par le jazz, de voir les choses. C’était cette dimension supplémentaire qui l’a rendue si inspirante.” Le premier album de Rundgren ne se contenta pas de pomper Nyro dans tous ses arrangements ; il s’adressa même personnellement à elle dans les paroles de la chanson Baby Let’s Swing.
Si Laura a inspiré tant d’artistes dès ses premières heures, c’est qu’il y avait en elle une pureté et une spontanéité rendue possible par son approche différente de la composition. “Elle provenait d’une ère musicale très belle’”, commentera une amie de la chateuse, Barbara Cobb, dans une lettre publiée sur le site officiel consacré à Laura Nyro. “Laura était la musique. Il n’y avait pas de commutateur pour la faire basculer en mode ‘musique’. C’est ce qu’elle était, et à n’importe quel moment, elle pouvait chanter la mélodie d’une vieille chanson doo-wop, ou par-dessus la radio, en conduisant. Elle se mettait à écrire quelques paroles dans une carnet ou un mouchoir en tissu. Je pense que Laura vivait dans un monde qui était mystique, un monde dévoué à la recherche de vérités éminentes, un monde qu’elle voulait voir se manisfester autour d’elle.”
N’ayant jamais appris à lire et à écrire la musique, étant incapable de donner le nom des accords qu’elle jouait, la chanteuse préférait parler des sons en termes de couleurs. “Elle disait : ‘Je voudrais un peu plus de cuivres violets ici”, commente Jan Nigro. L’intuition et le balancement de son jeu de piano scellait systématiquement la chanson dans la forme qu’elle avait imaginée ; non exempte de petits retardements, d’approximations minimes qui lui donnait son cachet. La sensation venait que ces chansons avaient été imaginées plutôt que d’être écrites.
“La chanson Time and Love est l’un de ses classiques”, ajoute Barbara Cobb dans sa lettre. “Quand elle commence le couplet, elle ralentit... puis elle retrouve le tempo original de la chanson... cela peut sembler tellement simple... Laura ressentait le temps de ses chansons de façon incroyable. Et son jeu de piano, à mon avis, servait toujours la chanson. Il était toujours très simple et incisif, sans aucune note superflue. ” Jan Nigro est lui aussi très impressionné par Time and Love. “Il y a cet extraordinaire mouvement en contrepoint vers la fin, qui est construit d’un multi-tracking de sa voix, très innovant pour l’époque. Ce n’est pas une chose qu’elle a pu apprendre ; elle avait simplement une vision complète de ce qu’elle voulait, depuis le début.”
Mona Lisa
C’est à la condition de son intransigeance que Laura préfigurera le courant des auteures compositeures, dans la même veine de Carole King et son Tapestry (1971) - un disque exigeant qui rencontrera pourtant un énorme succès. More Than a New Discovery, et sa relation avec la maison de disque Verve, est un souvenir cuisant. “Je me souviens de mes premières photos de presse. Je pesais 180 livres à cette époque – mon poids est toujours très instable. Ils voulaient mettre en avant une chanson qui s’appellait Wedding Bell Blues. Ils m’ont atiffée de cette robe de mariée ridicule, ont déposé un voile sur ma tête, et des fleurs dans ma main. J’avais l’air si tendue, la mariée la plus tendue que vous aillez jamais vue. Ils ont publié cette photo partout.
La prochaine chanson dont ils voulaient faire un hit, c’était Goodbye Joe, et ils ont encore fait de grands posters qui titraient quelque chose du genre : ‘La fille de Wedding Bell Blues a encore perdu un homme, mais gagné un autre tube’...” Wedding Bell Blues finira par rejoindre les compilations de Brill Building Pop dédiées aux chanson romantiques des années 1960.
En contraste, ceux qui la saisirront à l’occasion d’un concert en 1993 pourront témoigner de la véritable aura de Laura Nyro, une projection loin des clichés. “Elle porte une longue chemise, une jupe blanche et noire et un blazer noir aux revers blancs. Ses pieds son chaussés d’espadrilles de toile, plutot usées, qui laissent voir les orteils. Elle a ce visage timide, avec un sourire qui évoque Mona Lisa, et ses cheveux noirs, longs et brillants sont balayés sur son épaule droite d’arrière en avant. Du rouge à lèvres rouge. Elle semble plus imposante que je ne l’aie vue sur les photos, mais est très attractve, radieuse... presque comme si une aura venait de l’intérieur d’elle, des rayons d’énergie.”
Mieux vaut être seule que mal accompagnée; Nyro a été catapultée sur la scène du Monterey Pop Festival, en 1967, avec un groupe limite, et se fera huer ; les souvenirs les plus tenaces appartiennent à ceux qui la verront jouer dix ans plus tard, enceinte de huit mois, absolument seule sur scène, en robe rouge derrière son piano. Elle est alors entièrement maîtresse d’une carrière qui a changé de bord. Jan Nigro commente pour moi le fait d’avoir joué sur certains des disques du second chapitre discographique de sa soeur. “L’écriture plus tardive de Laura est différente, à la fois musicalement et thématiquement. La maternité, la nature, le féminisme, la spiritualité et les animaux sont entrés dans le cadre. J’ai joué sur The Cat Song et Sophia sur Smile et Mother’s Spiritual, deux de ses albums plus tardifs. C’était un privilège de jouer sur de si grands disques. Il y a un processus de maturation chez les artistes, leur travail change. Certains préfreront leurs premiers enregistrements, d’autres les plus tardifs.“
Up on the Roof
LA MUSIQUE DE LAURA EST UN RELIEF FASCINANT, un jeu de miroirs vertigineux qui renvoient à la fois à son environnement urbain proche, à des thèmes humains et universels ainsi qu’à ses propres mythes intimes. Cela ne s’exprimera plus jamais avec la même force que dans le tandem constitué par Eli and The Thirteen Confession (1968) et New York Tendaderry (1969).
David geffen, détecteur de talents philanthrope chez Columbia, comprend bien la nature de l’artiste. “Elle semble tellement femme, et pourtant ce n’est qu’une enfant”, dira t-il, impressionné. Les chansons enregistrées pour Eli and the Thirteenth Confession, après sa signature pour 4 albums avec la maison de disques EMI, se rapprochaient davantage de ce que Laura avait en tête. Le processus est souvent le même ; Nyro commence par enregistrer des fragments de chansons, dans la pénombre du studio. Des fragments, car, composant sur l’instant, elle perd le fil de son sentiment et décide, s’arrêtant au milieu du refrain, de passer à la chanson suivante. La cassette continue d’enregistrer jusqu’à la fin de la bande. Les musiciens entre ensuite et la magie opère. Un saxophone qui ne laisse que le bruit de l’air s’échapper, une flûte particulièrement satisfaisante sur Poverty Train...
New-York Tendaberry, plus introspectif, plus en proie à l’obsession, est peut-être le chef-d’oeuvre de la chanteuse. S’ensuivent Christmas and the Beads of Sweat (1970) et un album de reprises en compagnie des sirènes soul Sarah Dash et Nona Hendrix, It’s Gonna Take a Miracle (1971), étonnant et sexy. C’est avec Up on the Roof, une chanson écrite par Carole King, que Laura Nyro obtiendra son plus gros succès.
Quarante ans plus tard, on écoute parler cette dernière, imaginant que Nyro aura peut-être pu suivre la même voie qu’elle et écrire ses mémoires. Elle aurait pu ressembler à Carole King dans sa vie, même si son oeuvre de jeunesse fut plus intrépide encore. Elle n’aurait jamais vendu autant d’albums que les 15 millions d’exemplaires écoulés de Tapestry, cependant. “J’y raconte toutes les choses amusantes, dit King de son autobiographie à paraître. “passer du temps avec Paul McCartney, John Lennon et James Taylor. Les marriages.” A Natural Woman : A Memoir paraît en avril 2012, à quelques jours de l’intronisation de Laura Nyro au Rock and Roll Hall of Fame. Le titre colle bien à son image d’artiste transformée en activiste pour l’environnement depuis peu.
Epilogue
En novembre 2012 se joue le premier spectacle en hommage à Laura Nyro. Jan Nigro explique le choix de la date. “ J’ai eu l’idée de faire un spectace en son honneur en 2007, au 10ème anniversaire de sa mort. Nous l’avons fait, et j’ai voulu reproduire l’expérience, c’est ainsi que je suis rentré en contact avec Diane Garisto qui était dans le premier spectacle, et qui est une grande chanteuse qui a fait des tournées en tant que choriste avec Laura. Nous avons organisé ça à distance par téléphone et par mail pendant des mois, et nous avons enfin pu faire le show en novmbre avec d’autres grands chanteurs. Nous prévoyons de le reproduire régulièreent et peut être de faire une tournée.”


Sources images
 

































































Best of 2012 - 4 ème rang albums # 12 à # 16



Shovels and Rope - O'Be Joyful
 
Les contributions de Trent sont souvent lyriques, poétiques et parfois sombres. Il dit aimer les auteurs de chansons qui utilisent des personnages et des perspectives distinctes de leur propre existence. D'autre part, Hearst joue sur la corde du conteur populaire, usant de phrases entêtantes et des bons mots. “Tell New York, tell Tennessee/ Come to Carolina and ya’ drinks on me,” chante-t-elle sur le old-timey Kemba’s Got The Cabbage Moth Blues, inspiré par les enregistrements qu'Alan et John Lomax ont fait de chanteurs de Johns Island, Caroline du Sud, dans les années 1920.


The Mountain Goats - Transcendenal Youth
 
Darnielle continue à développer un univers noir, créant des personnages dont les expériences semblent s’approcher de plus en plus des limites de l’existence, résultant d’une poésie pleine de feu, d’hallucinations et de lumière sacrée, d’images bibliques. Les Mountain Goats, après tout, ont un album appelé The Heretic Pride (2008), et un autre qui s’inspire d’extraits du nouveau testament. Darnielle en tire une modernité propre, dans sa façon de traiter différentes psychologies et de les diriger vers la rédemption.


Dr John - Locked Down
 
Le pouvoir d'évocation de la sorcellerie vaudou accentue l'impact d'un album sur lequel Dr John appelle aux armes, pourfend les nouvelles religions, finance et surveillance, y apparaissant pourtant plus touchant que sauvage. Comme dans toute musique néo-orlanaise, les thèmes de la persistance de la rédemption transcendent celui de la désobéissance, de l'acte inconsidéré, même si l'ouragan Katrina a donné depuis 2005 une tension supplémentaire au discours des artistes locaux.


Cold Specks - I Predict a Graceful Expulsion
 
« Je ne pourrais pas davantage m’en moquer. » Ce qu’elle dit avec un petit rire, effronterie presque. Cette désertion semble désagréable jusqu'à ce qu’on se rende compte de la vérité de son jugement. Les chansons lui ont bel et bien échappé dès lors qu’elle les a enregistrées. Ce que son disque résout sobrement. Arrachant des fragments de libération, pour en faire poésie très personnelle, la chanteuse demeure extraordinairement focalisée. « J'ai toujours eu l'impression que les premiers albums étaient votre greatest-hits, et que le deuxième est plus difficile », lâche t-elle comme pour expliquer sa grande inspiration pendant les deux années à se découvrir en tant qu'artiste, entre 2010 et 2012, deux années qui ont donné lieu à l'album. Elle est déjà sincère en reconnaissant qu’il pouvait y avoir comme une forme de triomphe moins évident à partager que de la noirceur pure et simple. « Je ne sais pas de quoi ça parle. La mort. Laisser filer. Grandir. »

(Extraits : interview réalisée lors de son passage à Paris)

 
Larkin Grimm - Soul Retrieval
 
Paradise and So Many Colors est sans doute la meilleure chanson enregistrée par Larkin Grimm à ce jour. Without a Body or a Numb and Useless Mind prend des airs de cérémonie, sur une mélodie vive, menée par un accordéon – l'instrument traditionnel des Appalaches. C'est une de ces chansons profondément personnelles et très abouties qui émaillent tout album de Larkin Grimm. Sur la ballade The Road is Paved With Leaves, celle-ci n'a jamais aussi bien chanté. Un tel morceau laisse penser qu'elle pourrait avoir une belle carrière dans un registre blues. La langueur est de mise, avec « Nothng to worry about/ everything is fine» au refrain, et les Shoo bi doo-doo-doo aaaah... pour finir.




vendredi 14 décembre 2012

Best of 2012 - 5 ème rang albums #17 à #21

 
 
Sinead O'Connor - How About I Be Me (And You be You) ?

Il y a quelque chose de tellement fondamental dans cette collection de chansons pleines de tempérament, traversées par d'étonnantes envies de célébration. Au milieu de l'album, The Wolf is Getting Married semble être conçue, justement, pour les playlists de mariage : écoutez celle-ci pour éviter de sombrer dans les travers habituels de l'artiste. « yeah laugh/make me lugh/yeah joy/ give me joy » Outre cette chanson, le bonheur se voit draper d'un drapeau vert-blanc-rouge et abandonner au cortège des histoires d'une vie divisée, fracturée.
 

Todd Snider - Agnostic Hymns and Other Stoner Fables
 
Agnostic Hymns est un mélange de recul, de déception, d’agressivité, d’humour à l’emporte-pièce qui ne peut venir que d’un homme qui se sent profondément bafoué, démoralisé par moments devant l’état du monde, mais dont le souhait est de toujours se donner une nouvelle chance de repartir sur de bonnes bases. Cet album révèle tout le talent de Snider non seulement pour le pamphlet, mais comme raconteur d’histoires, de relations, comme puits inattendu d’affection et de dérision mêlées. Snider a le don de transformer l’injustice du monde en arme pour avancer.
 
 
Julia Holter - Ekstasis
 
Les synthétiseurs prédominent, soulignés d'instruments classiques (violon, marimba, saxophone), tandis que sa voix, très présente, apparaît parfois en plusieurs plages simultanées qui s'entrecroisent. Si la compositrice est à l'aise avec les sonorités réparatrices, les résolutions heureuses (Moni Mon Amie), les morceaux vastes et profonds (Boy in the Moon), Ekstasis n’opère pas simplement comme une vague musicale dans laquelle on se laisserait berçer ; il produit de petits instants, fait éclore la grâce de compositions parfois austères, une clé mélodique au terme d'une dépression. L'auditeur ne s'abandonne jamais en vain, il est toujours récompensé.
 

Jesca Hoop - The House That Jack Built
Ce nouvel album est structuré autour de puissants points-clefs : le premier single Born To, qui le propulse (une chanson qui interroge les hasards de fortune qui font que certains ont toutes les chances et d'autres rien selon les circonstances de leur naissance), Peacemaker et son « fuck me babe » bizarre mais sexy quand même, Hospital (With Your love) et son refrain bleu et rose « Il n'y a rien de tel qu'un bras cassé pour gagner ton amour », et plus loin, Deeper Devastation. D'autres chansons sont plus étonnantes, telle When I'm Asleep. « Quand je m'endors/tu n'es plus personne/je ne suis plus nulle part"

Christian A Tunde Adjuah - Christian Scott
 
Le jeune trompettiste néo orléanais Christian Scott mêle les phantasmes d'avenir de sa ville et les siens propres, semblant préfigurer les cinq ou six prochains mouvements de sa carrière avec cet album fleuve. Impossible à écouter d'une traite, l'album vaut ne serait-ce que pour l'évidence déchirante des morceaux New New Orleans ou The Berlin Patient. Il semble emprunter ses spirales mélodiques anxiogènes au Radiohead urbain de Amnesiac (Pyrrhic Victory of a Tunde Adjuah) aussi bien que ses beats au hip-hop (notament dans ses interludes). On y trouve aussi de vrais moments de mélancolie, rendus possible par la capacité rare d'Adjuah à produire des notes plus rondes que la plupart des autres trompettistes.
 


jeudi 13 décembre 2012

Best of 2012 - 6 ème rang albums #22 à #25

 
Au final, Love This Giant, se rapproche, sans surprise, davantage d’un album des Talking Heads que de Strange Mercy, le dernier St Vincent. Cette suprématie d’un groove funky qui n’a pas vieilli joue en faveur de l’album, et permet au duo de révéler encore davantage leur approche commune de la musique. Leurs excentricités, leur façon méthodique, leur exactitude, leurs approches stratégiques de l’écriture et leur talent à extraire l’émotion du processus même de création musicale sont des forces conjurées avec un plaisir si palpable à la création de Love This Giant que l’album surpasse la somme de ses talents comme celle de ses moments d’étrangeté et de grâce. Byrne semble revitalisé par l’expérience.
 
 
Même s’il ne dépasse jamais vraiment les frontières de la formule établie il y a longtemps, I Bet On Sky, plus court et donc plus digeste que son prédécesseur, explore doucement de nouveaux tempos, de nouvelles textures, et s’écoute avec plaisir, ne serait-ce que pour sa dynamique. De longues ballades électriques à la mélancolie intense, ponctuées en fin de face (sur le vinyle) par les compositions plus urgentes de Lou Barlow bassiste au demeurant qui apporte, ni plus ni moins, sa touche ‘Sebadoh’ (un groupe qu’il a contribué à créer dans l’intervalle) pour changer épisodiquement le ton d’I Bet On Sky.
 
 
Leur musique vous hypnotise plutôt que de vous assommer, et vous plonge au coeur de la bataille qui se joue et qui consiste sur le papier pour l'un des deux protagonistes à harasser l'autre, à le pousser dans ses derniers retranchements. Ce n'est que lorsque le duo joue pour de vrai, comme ici, que viennent interférer, de surcroît, des esprits venus d'un autre monde, ou alors une tempête de cerveaux télékinétiques .
 
 
Leur grosseur n’empêche pas le groupe d’avoir une certaine subtilité. Les paroles sur Handwritten semblent plus personnelles que jamais, et c’est peut-être ce que présageait le titre de l’album. Too Much Blood évoque la relation entre sa vie privée et son besoin d’évoquer des expériences personnelles pour continuer à alimenter les chansons du groupe. . “If I put too much blood on the page / And if I just tell the truth / Are there only lies left for you?” Une chanson que l’on peut replacer dans son contexte en se souvenant qu’au terme du précédent disque, American Slang (2010), Brian Fallon avait reconnu qu’il ne savait pas s’il serait capable d’écrire de nouveaux textes pour un futur album.

Lost In The Trees - Groupe de l'année 2012




 

 

 
« Indie rock with a symphonic edge », commence la voix d’une journaliste musicale dans une émission du site web watchmojo.com, sur quelques notes triomphantes de Walk Around the Lake. Au cours d'une escapade nocturne dans la campagne enneigée, un homme imposant se détache finalement, lanterne en main, de ses six camarades pour rester seul face à son propre reflet dans les eaux d'un lac noir. C’est Ari Picker, le guitariste et chanteur et compositeur principal du groupe américain Lost in The Trees. Les autres musicens s'en vont, arborant leurs instruments du musique étincellants comme pour chasser la pénombre et opposer au silence une autre forme de mystère nocturne, leur valse folk orchestrée. Des sourires furtifs, sincères, sont échangés.
 
Picker ne cesse de sourire et de rire en interview. « J'ai commencé ce groupe seul dans ma chambre en 2000, et après l'université je me suis mis à solliciter des amis pour jouer les chansons en concert, comme Emma [Nadeau, qui joue du cor et chante]. Nous étions tous deux tributaires d'un petit label de Caroline du Nord, Tricky Records, et nous avions différents projets. » Interrogée elle aussi par Watchmojo.com, Emma Nadeau poursuit : « Pour les deux premières années du groupe, il s'agissait de former un casting, en quelque sorte, de retenir certains musicens plutôt que d'autres. » « Quand vous commencez à introduire de plus en plus de musiciens, l'expérience musicale change. Il a fallu trouver un équilibre entre garder la vérité de la musique originale et laisser chacun d'entre nous s'exprimer sur scène. » Là, ils sont sept, comme Arcade Fire, dont il rapellent parfois furieusement l'énergie scénique. « C'est le genre de groupe qui a renouvellé mon excitation pour le rock n' roll », commente Picker. 
 
La chanson Walk Around the Lake résume sans doute ce qui caractérise Lost in the Trees : le groupe y capture, avec un feu juvénile, l'essence d'un charme baroque. Lost in The Trees parviennent à être intenses en racontant des histoires intimes, à retenir l'attention par la sensation d'étrangeté nocturne qu'ils suscitent. Leur univers peut être onirique et labyrinthique. “J'ai choisi le nom de Lost in the Trees car je voulais quelque chose qui éveille une petite histoire, un début ou une fin, dans la tête des gens quand ils l'entendent.” Les chansons décrivent le cheminement intérieur de personnages, et évoluent avec sensibilité entre réalité autobiographique et fiction poétique. Ari Picker montre une volonté de s'inspirer d'abord de l'humain, du microcosme de la vie en chacun. Mais les chansons font aussi la part belle aux mélodies, qui deviennent rapidement un tumulte aussi doux que terrible. La voix légère du chanteur illumine le chemin vers un nouveau dénouement, une chanson après l'autre.
 
« J'ai grandi en écoutant de la musique pop, comme la plupart des gens, et ce qui m'intéressait c'était les textures produites par les orchestrations, pour les Beatles et les Beachs Boys, par exemple. J'ai poursuivi en écoutant de la musique classique, et ça m'a beaucoup inspiré dans mon apprentissage. C'est tellement plus intéressant que la guitare électrique et ce genre de truc. Même si j'aime la guitare électrque par ailleurs. » « Pour moi, utiliser les techniques de composition que j'ai apprises à l'école et essayer d'écrire à la manière classique, cela demande plus de discipline et de concentration. Ce n'est pas que l'écriture de chansons n'en demande pas, mais c'est comme si une partie différente de votre cerveau fonctionnait. La composition classique tient davantage d'une formule à suivre, tandis que pour les chansons il suffit parfois d'attraper votre guitare et de chanter ce qui vous passe par la tête. Je ne peux pas utiliser ces deux techniques distinctes en même temps, je dois choisir, je ne peux pas changer de perspective dans la même journée, cela me prend quelques jours pour chanter correctement d'une part, ou orchestrer les chansons d'une façon que je puisse comprendre, d'autre part.”
 
Aux émotions crues de All Alone in an Empty House – dont l'inspiration vint de l'enfance tumultueuse de Ari Picker, le divorce de ses parents et la dépression de sa mère – font écho les sentiments complexes de l'adulte capable de rendre un hommage et de commenter l'acte même de l'hommage. La pochette de All Alone... préfigurait déjà celle de A Church that Fits Our Needs, avec cette mère à la beauté très Rennaissance, personnage sublime, absorbé, qui s'impose à l'auditeur comme une gravure sur la page d'un livre, et qui le prépare aux travaux l'esprit. Picker n'est jamais seul. Cette fois-ci, le personnage maternel l'accompagne, prévaut parfois dans les sensations qu'il est amené à décrire. Comme dans un roman gothique, Picker ressent un fantôme. On a eu raison de comparer les conséquences de l'imaginaire de cet album au Château d'Otrante, un roman anglais du dix-huitième siècle écrit par Horace Walpole. Comme dans un bon roman gothique, ce nouvel album est parfois exhubérant, surchargé, laissant penser que le drame dans le coeur de son auteur ne peut être contenu. Les musicens soutiennent d'un mouvement conjoint la prestation ésothérique de leur chanteur, ses plongées au cœur de sa propre mythologie, entre le deuil des réalités et la mise au monde d’un nouvel univers aux contours envoûtants, fantômatiques.
 
Le groupe privilégie les cœurs et les parties instrumentales invoquant une riche instrumentation. Le sentiment dominant est celui d’une musique chorale vécue simultanément, comme un prolongement plus spirituel à cette excursion de fin de collège, autour des feux de camp. C'est ce qui se produit quand les chansons des Beatles et des Beach Boys sont remplacées par des mélopées plus impénétrables mais, d'une certaines façon, par leur contours mélodiques, tout aussi immédiates. Des chansons qui contemplent volontairement le cœur de leurs propres histoires, avec juste ce qu’il faut de préciosité.
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