« Indie
rock with a symphonic edge », commence la voix d’une
journaliste musicale dans une émission du site web watchmojo.com,
sur quelques notes triomphantes de Walk Around the Lake. Au cours
d'une escapade nocturne dans la campagne enneigée, un homme imposant
se détache finalement, lanterne en main, de ses six camarades pour
rester seul face à son propre reflet dans les eaux d'un lac noir.
C’est Ari Picker, le guitariste et chanteur et compositeur
principal du groupe américain Lost in The Trees. Les autres musicens
s'en vont, arborant leurs instruments du musique étincellants comme
pour chasser la pénombre et opposer au silence une autre forme de
mystère nocturne, leur valse folk orchestrée. Des sourires furtifs,
sincères, sont échangés.
Picker
ne cesse de sourire et de rire en interview. « J'ai commencé
ce groupe seul dans ma chambre en 2000, et après l'université je me
suis mis à solliciter des amis pour jouer les chansons en concert,
comme Emma [Nadeau, qui joue du cor et chante]. Nous étions tous
deux tributaires d'un petit label de Caroline du Nord, Tricky
Records, et nous avions différents projets. » Interrogée elle
aussi par Watchmojo.com, Emma Nadeau poursuit : « Pour les
deux premières années du groupe, il s'agissait de former un
casting, en quelque sorte, de retenir certains musicens plutôt que
d'autres. » « Quand vous commencez à introduire de plus
en plus de musiciens, l'expérience musicale change. Il a fallu
trouver un équilibre entre garder la vérité de la musique
originale et laisser chacun d'entre nous s'exprimer sur scène. »
Là, ils sont sept, comme Arcade Fire, dont il rapellent parfois
furieusement l'énergie scénique. « C'est le genre de groupe
qui a renouvellé mon excitation pour le rock n' roll »,
commente Picker.
La
chanson Walk Around the Lake résume sans doute ce qui caractérise
Lost in the Trees : le groupe y capture, avec un feu juvénile,
l'essence d'un charme baroque. Lost in The Trees parviennent à être
intenses en racontant des histoires intimes, à retenir l'attention
par la sensation d'étrangeté nocturne qu'ils suscitent. Leur
univers peut être onirique et labyrinthique. “J'ai choisi le nom
de Lost in the Trees car je voulais quelque chose qui éveille une
petite histoire, un début ou une fin, dans la tête des gens quand
ils l'entendent.” Les chansons décrivent le cheminement intérieur
de personnages, et évoluent avec sensibilité entre réalité
autobiographique et fiction poétique. Ari Picker
montre
une volonté de s'inspirer d'abord de l'humain, du microcosme de la
vie en chacun. Mais les chansons font aussi la part belle aux
mélodies, qui deviennent rapidement un
tumulte aussi doux que terrible. La voix légère du chanteur
illumine le chemin vers un nouveau dénouement, une chanson après
l'autre.
« J'ai
grandi en écoutant de la musique pop, comme la plupart des gens, et
ce qui m'intéressait c'était les textures produites par les
orchestrations, pour les Beatles et les Beachs Boys, par exemple.
J'ai poursuivi en écoutant de la musique classique, et ça m'a
beaucoup inspiré dans mon apprentissage. C'est tellement plus
intéressant que la guitare électrique et ce genre de truc. Même si
j'aime la guitare électrque par ailleurs. » « Pour
moi, utiliser les techniques de composition que j'ai apprises à
l'école et essayer d'écrire à la manière classique, cela demande
plus de discipline et de concentration. Ce n'est pas que l'écriture
de chansons n'en demande pas, mais c'est comme si une partie
différente de votre cerveau fonctionnait. La composition classique
tient davantage d'une formule à suivre, tandis que pour les chansons
il suffit parfois d'attraper votre guitare et de chanter ce qui vous
passe par la tête. Je ne peux pas utiliser ces deux techniques
distinctes en même temps, je dois choisir, je ne peux pas changer de
perspective dans la même journée, cela me prend quelques jours pour
chanter correctement d'une part, ou orchestrer les chansons d'une
façon que je puisse comprendre, d'autre part.”
Aux
émotions crues de All Alone in an Empty House – dont l'inspiration
vint de l'enfance tumultueuse de Ari Picker, le divorce de ses
parents et la dépression de sa mère – font écho les sentiments
complexes de l'adulte capable de rendre un hommage et de commenter
l'acte même de l'hommage. La pochette de All Alone... préfigurait
déjà celle de A Church that Fits Our Needs, avec cette mère à la
beauté très Rennaissance, personnage sublime, absorbé, qui
s'impose à l'auditeur comme une gravure sur la page d'un livre, et
qui le prépare aux travaux l'esprit. Picker n'est jamais seul. Cette
fois-ci, le personnage maternel l'accompagne, prévaut parfois dans
les sensations qu'il est amené à décrire. Comme dans un roman
gothique, Picker ressent un fantôme. On a eu raison de comparer les
conséquences de l'imaginaire de cet album au Château d'Otrante, un
roman anglais du dix-huitième siècle écrit par Horace Walpole.
Comme dans un bon roman gothique, ce nouvel album est parfois
exhubérant, surchargé, laissant penser que le drame dans le coeur
de son auteur ne peut être contenu. Les musicens soutiennent d'un
mouvement conjoint la prestation ésothérique de leur chanteur, ses
plongées au cœur de sa propre mythologie, entre le deuil des
réalités et la mise au monde d’un nouvel univers aux contours
envoûtants, fantômatiques.
Le
groupe privilégie les cœurs et les parties instrumentales invoquant
une riche instrumentation. Le sentiment dominant est celui d’une
musique chorale vécue simultanément, comme un prolongement plus
spirituel à cette excursion de fin de collège, autour des feux de
camp. C'est ce qui se produit quand les chansons des Beatles et des
Beach Boys sont remplacées par des mélopées plus impénétrables
mais, d'une certaines façon, par leur contours mélodiques, tout
aussi immédiates. Des chansons qui contemplent volontairement le
cœur de leurs propres histoires, avec juste ce qu’il faut de
préciosité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire