Matt Elliott - The Broken Man
Les chansons sur cet album extrême
sont austères mais denses d’une lucidité musicale, d’une
inspiration qui leur donne un aspect grandiose. Démarrant souvent
sous le joug d’une guitare hispanisante au jeu complexe, elles
s’affirment avec un dessein extrêmement méticuleux et une sagesse
à toute épreuve. Les suites qui constituent la première face du
vinyle démontrent le pouvoir et la détermination de Matt Elliott à
l’œuvre pour exprimer avec largesse les sentiments de regret et de
solitude dans leurs infinies variations. Dust, Flesh and Bones
démarre comme une lamentation nue, évoquant Leonard Cohen, et
s’oriente en volutes autour d’une phrase répétée, conjurant
toute la conviction de d’Elliott envers sa propre sagesse
affective. La chanson décolle lentement de terre, prend un tour
presque effrayant avec ses chœurs murés, le son d’une cloche
lointaine contribuant aussi à la sensation d’un vide immense qui
s’ouvre de plus en plus sous nos pieds.
Neurosis - Honor Found in Decay
Par rapport à leur précédent disque,
Honor Found in Decay semble retrouver une linéarité plus séduisante
pour l’auditeur. Il retient l’agressivité, le sens apocalyptique
propre au groupe tout créant l'agréable sensation d’être porté
au cœur de la musique. Dès We all Rage in Gold, c’est toute
l’essence de Neurosis qui est rendue saisissante par la clarté de
sa mise en œuvre, sa présentation directe et sincère. Rien que la
façon dont est introduite la première phrase, « “I walk into the
water/To wash the blood from my feet », et dont se déploient en
quelques minutes certains des couplets les plus denses de l’album,
résume une approche rassérénée de leur musique et de leur message
par Neurosis. At the Well est l'une des meilleures chansons de
Neurosis, un tableau qui dans l'équilibre et le tournoiement de
riffs et de sons enregistrés sans transformation ultérieure, donne
au groupe toute l'essence capable de le faire durer encore. « In
a shadow world » entonent Scott Kelly et Steve Von Till de
leurs voix gutturales. Une voix presque subliminale termine :
« We are your light ».
Chris Smither - Hundred Dollar Valentine
Chris Smither n’a pas besoin de
rappeler constamment qu’il est en train de jouer le blues. Sa voix
et son jeu de guitare en finger-picking, élégant et délicat sont
les meilleures garanties de son inspiration. Empruntes de
tranquillité et de bienveillance, ses chansons évitent pourtant la
redite, certaines dégageant au prime abord une tristesse simple et
intense – On the Edge, I Feel the Same, Feeling by Degrees –,
mais avec, elle leur centre, le rythme marqué par un tapement de
pied, comme un battement de cœur. D’autres vous ravissant plus
tard parce qu’elle sont entraînantes et et amusantes jusque dans
leur gravité même.
Un album qui nous ramène à une ère
où la musique était ressentie au fond du cœur, et dans des régions
américaines où il n’y avait rien de tel que des genres musicaux,
mais où les interprètes solitaires pouvaient tremper dans le blues
de Lightning Hopkins et Mississippi John Hurt, s’inspirer de Randy
Newman et reprendre en chemin Tulane de Chuck Berry, Rock and Roll
Doctor de Little Feat ou Desolation Row de Bob Dylan, faisant preuve
de foi, de sincérité et d’humilité.
Silvia Perez Cruz - 11 de Noviembre
Au parc Güell, à Barcelone, s'ouvrent
à vous deux réalités : celle qui comprend le flot de
touristes se prenant en photo devant les jolies bordures en mosaïque,
et celle des artistes musicens, guitaristes flamenco et autres,
flanqués dans les allées bordées de pilliers organiques et de
corniches artificielles. On retrouve dans cet album mélancolique et
sensuel le genre d'intimité fugace établie là bas, ainsi que le
souvenir de l'air chaud, pour un début du mois de janvier, sur notre
peau. Ecouter 11 de Noviembre, premier album d'un petit prodige
habituée aux collaborations, c'est comme partager un moment
privilégié de félicité, à l'écart de la foule. On se laisse
porter par la voix, polyglotte, aux modulations fragiles de la
chanteuse catalane, ses vocalises jazz (sur Dias de Paso), la beauté
de certains arrangements de cuivre (Pare Meu, Covava L'ou de la Mort
Blanca), le sentiment d'isolation intense qui parcourt Diluvio
Universal et les choeurs de Iglesias, Meu Menino ou O Meu Ammor e
Gloria. Enfin, brille une guitare empruntée au folk anglais aussi
bien qu'à la habanerra, une musique cubaine traditionellement
reprise par les catalans, un style dont le père de Sivia Perez Cruz,
récemment disparu, était l'un des grands artisans. Mille et un
détails font de cet album un joyau.
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