“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

samedi 21 mai 2011

Smog - Wild Love (1995)


Parution : mars 1995
Label : Drag City
Genre : Lo-fi
A écouter : Bathysphere, It's Rough, Prince Alone in the Studio, Chosen One

8/10
Qualités : sombre, fait main, inquiétant, vibrant

Julius Caesar (1993) et Wild Love (1995) laissent penser que le Smog des débuts a été apprécié pour des raisons différentes de celles qui ont porté Callahan de plus en plus à jour, dans le monde entier, jusqu’à aujourd’hui. Même s’il reste relativement peu connu, il l’est par un public raffiné, le profil typique observé en concert étant cette espèce de trentenaires épanouis et à la culture musicale peaufinée. 1993 était une époque où le gros de sa clientèle se constituait d’adolescents américains marginaux. Rien d’étonnant pour un jeune Callahan dont les collages chaotiques et sales étaient inspirés de Jandek, expérimentateur sud-américain typique aux quarante albums et à peu près autant d’auditeurs. La défiance originelle de Smog était en ligne directe avec les frustrations d'une génération locale, friande de ces travaux à la maison faits de trois fois rien qui se mettaient depuis quelque temps à susciter l’espoir et le rêve par procuration de sensations vertigineuses. Cependant, Callahan démontra tout de suite qu’il pensait en termes abstraits et qu’il ne tenait pas les rêves de gloire, fut-telle modeste et alternative au modèle dominant, en très haute estime. Il n’avait pas vraiment vocation à devenir un artiste générationnel, probablement pas la vocation à être entendu au-delà d’un cercle très réduit.
Avec Sewn to the Sky et les fameuses cassettes (ce support fabuleux de gamins solitaires et tourmentés dans les années 90) encore antérieures qui sont plus ou moins tombées dans l’oubli, Forgotten Foundation, voire Macrame Gunplay, on avait l’impression non pas d’assister aux bases d’un certain art d’écriture qui pourrait éclore, mais à une sorte de préhistoire artificielle, un état antérieur à toute forme de complaisance et à tout univers où les guitares seraient accordées et les morceaux pourvus de structures distinctes, et destiné à rester antérieur pour toujours. D’autres faisaient tant bien que mal de la musique ; Callahan bricolait des sons pour accompagner ses histoires hantées, à tel point qu’il paraissait difficile alors de lui attribuer des influences cohérences et de deviner dans quelles directions il irait par la suite. Julius Caesar contient, pour la première fois, quelques vraies chansons ; on peut par moments partager l’intuition qui a créé ce disque. Le petit piège, c’est que lorsque Smog gagne en évidence c’est pour donner dans le minimalisme insensé, entre « I am Star Wars today/I’m no longer english grey », ou pour révéler son penchant pessimiste. Dans ce dernier sillon, Chosen One brille, inexplicablement baignée d’un halo rassurant. La chanson sera reprise par les Flaming Lips.  

En 1993, le manque de rapport au monde de Smog ne le desservit pas ; c’est même ce qui conduisait les premiers découvreurs à l’écouter en boucle, à en faire, bien plus que nous aujourd’hui, une obsession. C’est invraisemblable que l’on soit encore autant marqués par son insistance malsaine sur Your Wedding : « I’m gonna be drunk/so drunk at your wedding », une chanson qui fit couler de l’encre. Callahan fascinait parce qu’il était un garçon étrange, empli d’une énorme quantité de défiance, d’individualisme. En l’appréciant, on se sentait plus sérieux en musique que ceux qui ne juraient que par Lou Barlow ou Stephen Malkmus, tous deux commençant à s’user au milieu des années 1990. Mais qui pourtant, sur la foi de ces deux premiers véritables albums, aurait pu prévoir la belle carrière promise à Bill Callahan ? Ses auditeurs s’en moquaient : ils y venaient pour l’entendre s’infliger des douleurs inédites, descendant un à un les échelons d’une morbidité sincère. Les choses prirent mieux forme avec Wild Love, et on se rendit compte que le Callahan possédait un vrai talent d’auteur. Bathysphere reste l’une de ces chansons les plus autobiographiques, et toujours interprétée en concert aujourd’hui. Elle a de façon évidente une signification singulière à ses yeux. Elle indique le moment ou il s’est émancipé, d’un artisanat visant à transgresser les codes à une verve capable de donner un véritable sens à sa musique, de sublimer ses qualités limitées de musicien, de marquer un point de départ pour les années à venir.

La bathysphère, c’est cet ancêtre du sous marin, une cellule non autonome destinée à s’aventurer dans les profondeurs, ne laissant la place que pour une seule personne, et commandée depuis la surface par un câble. « Quand j’avais sept ans », raconte Callahan dans la chanson, « je voulais vivre dans une bathysphère ». Le plus fort de cette chanson n’est pas la fascination pour cette isolation immergée, qui participe à une esthétique assez conventionnelle de la part de Smog – de ces évocations qui instillent une sensation de désolation romantique – mais la façon subtile qu’il a de faire allusion au rôle destructeur et constructif à la fois, de ses parents. « Quand j’avais sept ans/mon père m’a dit que je ne pouvais pas nager/et je n’ai jamais plus pensé à la mer ». Est racontée en trois vers toute l’histoire de nos concessions à autrui ; malgré notre défiance, nous savons que leur injonctions, toujours plus réalistes que nos envies, nous épargneront les travers de la solitude, et qu’elles auront globalement une influence positive sur notre vie.  

Wild Love, produit pour la première fois avec Jim o’Rourke, montrait l’habileté de l’auteur de chansons à placer ces messages lyriques dans des vignettes éclectiques sans qu’ils paraissent déplacés ; les arrangements, genre de noblesse issue des collages des débuts et encore en gestation, sont la clef du disque. La délicatesse frêle de The Candle est rendue par une guitare en picking et des cordes féériques. « Je rassemble ces esquilles pour faire un radeau un jour » chante Callahan. Juste après, sur Be Hit, l’instrumentation grossière reflète un texte fielleux : « Toutes les filles que j’ai jamais aimées voulaient être frappées/Et toutes ces filles m’ont quitté parce que je ne l’ai pas fait. »  It’s Rough est l’un des morceaux qui ont défini toute l’œuvre de Callahan, qui ont indiqué la voie à suivre, le capturant à son plus mélancolique. Trois guitares entrelacées, des cordes qui ronronnent et une boîte à rythmes emportent l’auditeur dans un voyage de cinq minutes, aussi enivrant qu’il est glauque, culminant avec l’assertion « It’s hard/baby to survive », mais aussi  « Mon meilleur ami/Prit une balle dans l’œil/Maintenant il a un œil de verre/il dit qu’il aimerait parfois/que ses deux yeux soient en verre. » Plus loin, Sleepy Joe est de cette espèce de rockabillies étranges que Callahan utilisera avec parcimonie dans ses albums suivants. Ici, il décrit un personnage en état d’hibernation.

mercredi 18 mai 2011

Death Grips - Ex Military (2011)


Parution : avril 2011
Label : Autoproduit
Genre : Hip-Hop, indus
A écouter : Guillotine, Lord of the Game, Takyon (Death Yon)

7.50/10
Qualités : intense

Le mystérieux groupe hip-hop Death Grips s’est d’abord manifesté par des vidéos infernales, pleines de bruit (cette pollution sur les vieilles VHS) et de fureur, dans lesquelles un chanteur noir américain encore anonyme se servait de beats synthétiques et de tempos endiablés comme expectorant pour ses rimes vicieux. Ces clips, mis en ligne les uns après les autres, trois, quatre, cinq, font partie d’un stratagème sans détours, maintenant bien connu pour faire parler de soi. En témoignent le clan rap Odd Future, qui, depuis l’an dernier, ont posté une huitaine de ces « mixtapes » (des albums non officiellement entrés dans le circuit commercial). Pour Odd Future comme pour Death Grips, une initiative parfaite étant donné le caractère souterrain de cette musique, destiné à être nourrir immédiatement les « cafards » - de jeunes américains débordant  d’énergie  qui ne demandent à leur musique que de leur exploser à la figure. Death Grips est donc de cette espèce trash dès la première seconde, qui mise tout dans l’impact, mais, heureusement, garde des surprises pour la suite. Un son viral. Introduction (déjà culte ?) avec des paroles enregistrées de Charles Manson exultant, une escalade d’insanité verbale («I don’t want to take my time going to work ! I got a motorcycle, a sleeping bag and ten fifteen girls… Work for what ? Money ? I got all the money in the world ! I’m the king, man ! ») et débouchant sur une immense nappe électrique – drones, guitares – et avec de vrais morceaux de batterie dedans. Sur Beware, le flow décrit une conscience au bord de l’explosion, une main-mise sur le monde, une jouissance de l’instant.

« Tu es la bête que tu adores », répète t-il et la présence de Manson prend tout son sens. Vient Guillotine, envoyé à une cadence parfaite et ponctué par des coups de lame. La production est sèche, nette, coupante. Les beats vont se complexifier avec les trois morceaux suivants, qui révèlent toutes les capacités du trio. Si une composante du groupe est connue, c’est Zach Hill, batteur de Sacramento (Hella). Les ryhtmes sont irrésistibles ;  tribaux et étranges, toujours originaux, ils prouvent que le hip-hop put prendre des formes inattendues, à cheval entre les genres et de façon générale hors des schémas existants. Spread Eagle Cross the Block (psychotique), Lord of the Game (crâneur) et Takyon (Death Yon) (frontal) montrent un vrai talent à renouveler les rythmes intriqués, à demi synthétiques. La suite ne fera que conforter qu’il s’agit là d’un projet extrême et fascinant, un trio énigmatique de metteurs en scène talentueux. On se dit qu’après le Guns by Computer suggéré par Saul Williams comme remixe d'un instrumental de Nine Inch Nails il y a quelques années, c’est ce qu’on aurait aimé voir Williams accomplir. Il n’en avait pas le tempérament. Les manipulateurs sonores d’ici ont un sens du danger qui fait de Ex-Military un Year Zero hip-hop, r&b, ragga, chillwave, avec tout le pessimisme flippant que nécessite le rôle, et la même malignité sonore.

Death Grips embrasse avec bonheur tout un pan de culture underground de la fin des années 80, avec claviers cheap et production abrasive comme arme de destruction. La quantité de colère contenue dans ExMilitary a cependant été surestimée par les premiers auditeurs, même si cette illusion a servi astucieusement à polariser l’opinion (le genre de disque qu’une partie des gens vont typiquement détester) ; malgré quantité de paroles fielleuses, c’est plutôt son étrangeté bâtarde qui devrait demeurer sur le moyen terme. A défaut d’être des accoucheurs de conscience – mais pourquoi pas ? – ils enfantent d’une monstruosité agressive. Sa cohérence, sa construction raisonnée autour de thématiques de violence – les paroles sont encore introuvables sur internet et seulement assimilables en situation d’écoute (renforçant l’idée que ce disque se vit pour l’instant essentiellement dans le moment de son écoute plutôt qu’après), en font le genre d’album qu’il faut entendre une fois – chose d’autant plus facile puisqu’il est gratuit. Des hommages sous forme de samples de Pink Floyd (Astronomy Domine) ou Black Flag, nous avertissent ; ils sont prêts à faire feu de tout bois… A se consumer sans doute trop vite, et à être redécouverts dans quelques années une fois obtenu le recul nécessaire pour juger de leur véritable impact. A défaut d’impact, il restera une astuce rare et la propension à transformer des images désagréables en musique excitante.

lundi 16 mai 2011

Nisennenmondai - Destination Tokyo (2009)



Parution2009
LabelSmalltown Supersound
GenreNoise rock, krautrock
A écouterMirrorball
/108
Qualitésenvoûtant, original
Visionnant sur internet la vidéo de Nisennenmondai interprétant Mirrorball à Londres, un krautrock ultra répétitif où l’étoile montante se révéla être le hit-hat extraordinaire de la batteuse Sayaka Himeno, on aurait pu craindre que l’album contenant ce titre n’aurait pas sa tenue, son intensité loin s’en faut. En réalité, Destination Tokyo (2009) - 4 morceaux, un interlude, 44 minutes - est parfaitement monté, dépasse bien la somme de ses parties ; c’est l’artefact enregistré sur le vif d’un groupe déjà culte et admiré par des membres de Battles, No Age, Gang Gang Dance, Prefuse 73 et Hella. L’œuvre de trois jeunes japonaises qui ont appris la plupart de leurs influences sur le tard, dans les articles qui décrivaient leur musique. Elles ne cherchaient au départ qu’à imiter des formations locales, et elles ont échoué en cela, créant à la place leur propre son et assimilant au fur et à mesure de leur avancée les différents groupes qui avaient, dans d’autres sphères, ouvert une route apparentée à la leur. Destination Tokyo a cet attrait rare d’une nouveauté totale, grâce à la fraîcheur et à l’enthousiaste de ses interprètes en fleur.
Quasi-mutiques en interview, elles semblent plus promptes à courir au-devant de cette musique folle qui est la leur, et continuent d’être insaisissables quand une telle demanderait à ce qu’elles s’arrêtent et qu’elles s’expliquent un peu. On ne sait qu’une chose ; elles ont toujours cherché à faire la musique « la plus géniale possible » de leur point de vue, appelant par là un mélange inédit de sophistication mâtinée d’un peu de la scène allemande des années 70 ou de celle de New York au début des années 80, d’une rigueur technique sans faille et d’une patience à toute épreuve. Difficile de ne pas entendre un peu de Kraftwerk dans le morceau-titre final, et encore une réinvention de Neu! ou Guru Guru,  même s’il s’agit moins d’un long travail de studio que d’une formidable création spontanée. Les sonorités de la guitare sont sur ce dernier morceau new wave – pensez Gary Numan. Cependant Nisennenmondai est d’une espèce bien différente, destinée à un auditeur averti.
Elles interprètent sur le disque leurs plages de techno acoustique avec une conviction communicative. Le point de départ, Souzousuru Neji, est un morceau de treize minutes aussi excitant qu’il est rigide et froid. Les éléments se mettent rapidement en place, se verrouillant dans une transe cyclique. Au fur et à mesure, par le truchement de pédales d’effets, des éléments de guitare – chuintements, grincements - se superposent. La basse bondit soudain. Le jeu robotique de Himeno est d’une endurance impressionnante. Le hit-hat sera l’instrument le plus à même d’influencer la structure des morceaux du disque, la guitare demeurant impossible à épingler ; elle nous aliène. La deuxième partie de Destination Tokyo sera plus souple, plus mélodique. Dans l’ensemble, un disque qui n’est pas le moins du monde improvisé, car, pour en revenir à cette fameuse performance de Mirrorball, tous les changements de rythme se produisaient exactement au même endroit que sur le disque. Pour toute leur précision mathématique, Nisennenmondai jettent un sort – si ce n’est sur nous, c’est au moins sur elles-mêmes, ce qui explique que de si longs comptes à rebours soient autant bourrés de vie. 

Smog - Dong of Sevotion (2000)

Parution : avril 2000
Label : Drag City
Genre : Folk-rock
A écouter : Dress Sexy at my Funeral, Bloodflow, Permanent Smile

°°
Qualités : Doux-amer, romantique
Dongs of Sevotion (2000) paraît seulement un an après Knock Knock, mais s’en démarque assez nettement. A force de traque distancée, de mouvements d’attraction, de recul, et de pas latéraux silencieux, Callahan donne là la sensation d’être omniprésent ; s’il avait avec son précédent disque tenté de réduire l’aspect menaçant et invasif de Smog pour mettre en valeur sa propre sensibilité et humanité - sur River Guard notamment -, il gagne ici une aura quasi-divine (divinité sournoise s’il en est), plus que jamais capable de décider de la vie et de la mort là où il veut les placer. Cette distance et relative froideur est compensée par un sens dramatique qui lui le met dans la situation d’une sorte de Hamlet – posant des énigmes dont il est le seul à comprendre les tenants, mais dont les aboutissants sont on ne peut plus clairs. Toujours un personnage à l’intérieur de l’histoire plutôt qu’un conteur qui se maintiendrait soigneusement à l’écart de ses personnages. Par des travers de poésie Shakespearienne, l’histoire elle-même fait partie d’une chaîne alimentaire « There are some terrible gossips in this town/With jaws like vices » (« Il y a de terrible rumeurs dans cette ville/avec des mâchoires comme des étaux »). Vices est un mot de l’anglais britannique.

Au contact des scènes qu’il suscite, il semble capable d’inverser lourdeur du drame et légèreté d’une passion sans conséquence. Dress Sexy at my Funeral est l’une des chansons les plus mémorables de Smog, pour la fraîcheur de son texte plutôt que pour la musique – qui est dans ce que Callahan fait de plus influencé par Lou Reed. Elle fascine avec cette façon si particulière qu’elle a de trahir (il s’agit toujours avec Smog de trahir, de visiter sans y être invité, d’influencer par pénétration) l’amertume du personnage. « Dress sexy at my funeral my good wife/For the first time in your life » (“Habilles-toi sexy à mon enterrement, ma chère femme/pour la première fois de ta vie”). L’intérêt semble n’être pas tant le jeu de filature qui se met en place dans la vie telle qu’il la dépeint en général, mais les ambiances policières, politiques, de la mort. Ou comment une impasse narrative – démarrer une chanson depuis le cercueil – peut se transformer en célébration de tout l’humour qu’il y a à vivre – par un beau jeu de ressort. Callahan incite sa triste veuve à convoler dès ses funérailles. « Wink at the minister/Blow kisses to my grieving brothers” (“Fais de l’oeil au ministre/souffle des baisers à mes frères chagrinés”). Et, pour porter plus loin un élan de l’existence qui ne saurait être étouffé par la mort, « Tell them about the time we did it/On the beach with fireworks above us” (“Raconte-leur la fois ou on l’a fait/sur la plage avec les feux d’artifices au-dessus de nous »).

Dongs of Sevotion (pour « Songs of Devotion »), ce n’est pas un jeu de mots innocent mais une façon d’annoncer que l’on va tout mélanger, valorisant une démarche gauche et erratique. Calahan exprime à la fois son attirance et son rejet pour la vie qui l’entoure, et explore les relations à la société d’un individu adaptable, inconstant. Il faut aussi, d’un point de vue strictement artistique, continuer de « nourrir » l’engeance Smog ; et Callahan continue de transformer la férocité de son alter-égo en crainte de nuire, « d’émietter des gens » dans sa main. « All these moments have passed through me/I have turned them all to waste” (“Tous ces moments qui sont passés à travers moi/je les ai gâchés ») déplore t-il sur Distance comme s’il était trop maladroit pour préserver les belles choses qui se présentent à lui. Il est romantique jusque dans sa cruauté. « Without her clothes/She looked like a leper in the snow/I left her in the snow without her clothes”“Sans ses vêtements/elle ressemblait à un lépreux dans la neige/Je l’ai laissée dans la neige sans ses vêtements ». Plus léger sans être moins terrible, Bloodflow peint le tableau d’une violence sudiste, avec une rime d’anthologie en surcouche : « No time for a tete-a-tete/Can I borrow your machete? » (« Pas de temps pour un tête-à-tête/Puis-je emprunter ta machette ? ») et encore : « Blood will spill and blood will spurt/Enemies keep the mind alert » (« Le sang va se répandre et le sang va jaillir/Les ennemis entretiennent l’esprit »).

Avec ses chants de cheerleaders, Bloodflow est de cette douce excentricité qui baigne tout un pan de Callahan plus ancré dans un réel très américain (et montre aussi ses qualités d’arrangeur à la recherche du détail qui tue), une parcelle de subconscient collectif  – de I Am Star Wars ! (sur Julius Waesar, 1993) à America ! (2011).  Dong of Sevotion est richement détaillé et produit, plus qu’aucun autre disque de Smog, avec ses chansons qui avoisinent les sept ou huit minutes, et c’est l’élégance de l’ombre de géant fragile de Callahan qui triomphe sur les tendances fauves dénoncées dans certains vers.

mardi 10 mai 2011

Smog - The Doctor Came at Dawn (1996)


Parution : septembre 1996
Label : Drag City
Genre : Lo-fi, Folk
A écouter : You Moved In, Lize, All Your Women Things

7.75/10
Qualités : lucide, sombre, envoûtant, pénétrant


The Doctor Came At Dawn est un disque à part dans la carrière de Callahan, et mérite d’être écouté en tant qu’« expérience » sentimentale et intuitive définitive. Complètement épanoui, le sentiment est presque palpable ; il est sensation, l’impression de se trouver plongé dans les eaux au large d’une île – cette île favorite où Smog voudrait que personne ne le suive - où l’on aperçoit Callahan apparaître, parfois, sur la plage, nous jauger gravement, prononcer lentement des mots, d’une voix qui se perd dans les bruits du ressac et sans que l’on sache réellement quel rôle il a joué dans la façon dont nous sommes plongés là. Il semble plus subtilement qu’auparavant possédé par son alter égo. La torpeur de sa musique soigne autant qu’elle consume. On observe Callahan-Smog qui plonge,  sonde la mer tandis que l’on flotte, transis. Cette superbe caravelle sur la pochette, c’est le cortège de l’amour qui défile au loin, si ralenti qu’il s’expose à toute contemplation. Il continue sa route sans nous voir, attendant simplement d’être regardé à distance par tous ceux qui percent hors de l’eau et ne savent pas où ils se trouvent.


Julius Caesar et Wild Love étaient l’occasion de faire preuve d’une inventivité sonore fracassante, avec le manque de moyens et la volonté de dérouter l’auditeur sans arrêt comme leviers. The Doctor Came at Dawn est d’un seul tenant (ou presque) ; la lenteur qu’il décrit est à la fois tristesse et agonie de jeunes couples et félicité dans la découverte d’un nouveau romantisme dont Callahan tire des forces décuplées, et qui culminera sur Red Apple Falls, l’album à suivre. Callahan y déplace sa volonté de manœuvre vers plus de subtilité. « You go with the other men/ I beat myself to sleep » (« Va avec l’autre homme/je m’oblige à dormir »)  explorant un stade des relations amoureuses où tous les tours  semble déjà usés, nous projetant dans l’après ; et, malgré toute la sombre aura de Doctor Came at Dawn, cet état post-amoureux (post-coïtal ?) est proche de la béatitude, c’est un grand frisson. Même dans ces moments les plus terribles : « You don't make lies/Like you used to/ In the old days/You took pride in your lies/You used to pay more attention/To détails » (« Tu ne fais plus de mensonges/comme tu en avais l’habitude/dans les vieux jours/Tu tirais de la fierté de tes mensonges/Tu faisais plus attention/aux détails. » Ces paroles sont tirées de Lize, une chanson hypnotique interprétée en duo avec sa compagne et muse d’un temps, Cynthia Dall, elle-même talentueuse musicienne. Leur unisson produit une réalité de vie dont le disque s’est par ailleurs éloigné au profit de méditations vertigineuses.



Au centre du disque, c’est ce regard doux-amer sur le passé, une nostalgie des vicissitudes de relations juvéniles.  Callahan, emporté par Smog, dominé par une seconde nature, est capable d’une lucidité sans limites.


Malgré l’avancement de la dégradation de tous rapports humains, Smog n’oublie pas l’époque où tout était différent, où les relations se multipliaient, et n’exclut pas de retourner à tout moment à cet état antérieur de sa progression. « It’s been seven years and the though of you name still makes me weak at the knees » (« Ca fait sept ans et la seule pensée de ton nom me dérobe de mes jambes »). La thématique récurrente n’est pas seulement celle de l’eau, comme dans la poésie de Spread Your Blooby Wings : « Briney waters singe their skins/Icy waves drive them back again/Helmets oars and Swords/Are washed upon the shore » mais c’est la fascination pour les limites, ou l’absence de limites, d’un océan entier, avec la ligne d’horizon, et sa légère courbe, comme seul signe de faire encore partie d’une civilisation, d’un monde ou tant d’être humains, tant de relations, tant de femmes peuvent susciter une envie de lucidité. La musique étirée, étrange, cinématique dans les meilleures chansons – All Your Women Things, Lize, Spread Your Bloody Wings, baigne les personnages, s’immisce en eux comme un fluide, souligne leur enveloppe sensuelle, nous donne la sensation qu’ils partagent notre air, ou notre eau, lorsqu’ils apparaissent. « You just danced to the symphony/Of the musical sound of/Your ever expanding sea ». 

lundi 9 mai 2011

Rééditions (3)


Winter – Into Darkness 

Southern Lord

Fascinant disque de death/doom metal de 1991, réédité à l’occasion de la reformation du groupe pour quelques concerts par le label prestigieux Southern Lord (Sunn O))),…). Winter se forma en 1990 sur les cendres de groupes punks de New York, Doomsday et Meltdown. Alors que tous les groupes du coin jouaient à l’époque aussi vite que possible, Winter prit la tangente en rampant, accordant leurs guitares plus bas que tout le monde et combinant lenteur et lourdeur pachydermique des riffs. Les guitares sonnent comme une attaque de roquettes. La voix est caverneuse.  Et lorsque les tempos s’enlèvent, c’est encore plus malsain, en témoigne Destiny, une fresque épique qui après avoir attaqué avec la délicatesse d’un Panzer sur fond de basse vrombissante, sombre dans la torpeur. La batterie se détache toujours, comme sur ce Power and Might dont on peut réellement sentir tout le poids. Musique de désolation, ambitieuse en termes d’ambiances dès l’instrumental Oppression Freedom Oppression, et brute en termes de production. Le groupe s’inspirait de Black Sabbath, Celtic Frost, CarnivoreDischarge aussi bien que de King Crimson. Au-delà du fait que tous les sept morceaux sont énormes – l’album culmine sans doute sur Goden et atteint de nouveaux horizons de décrépitude avec le final Into Darkness qui approche les dix minutes – le noir pouvoir de Winter tient à son mystère; depuis la pochette jusqu’à la carrière éclair, c’est un groupe qui a laissé beaucoup de questions en suspens et encore davantage de groupes s’emparer de leur héritage. Une expérience étrange et radicale ou . 


Jackie deShannon – Come and Get Me : the Complete Liberty and Imperial Singles Volume 2 
Ace
Le second des trois volumes dédiés aux 45 tours de la chanteuse du Kentucky. En août 1964, elle va ouvrir pour les Beatles lors de leur première tournée aux U.S. Elle est alors une auteure de chansons à la hauteur de sa réputation. Hold Your Head Hight et She Don’t Understand Him Like i Do sont co-écrites avec Randy Newman, et capturent la frustration de l’adolescence. Don’t turn Your Back on Me, avec Jimmy Page, joue le folk gothique et intense. Par me biais de reprises, elle prouve qu’elle peut tout interpréter ; le R&B frénétique de It’s Love Baby ou les versions de chanson par Bacharach & David ou Chip Taylor.


The Kinks – The Kink Kontroversy 

Universal

Le troisième album des prolifiques Kinks (1965) faisait le lien entre leur passé et leur futur. La plus grosse partie est à l’image des deux premiers albums (aussi réédités) : Kinks (1964) et Kinda Kinks (1965), soit des étincelles R&B comme Milk Cow Blues ou le simple Till the End of the Day. Mais avec des morceaux tels Where have all the Good Times Gone et I’m on an Island, Ray Davis tourna le dos au Swinging London pour devenir un outsider. Il devint bientôt le plus astucieux chroniqueur social de l’île.


Sebadoh – Bakesale

Domino

Un album important paru en 1994, qui capture le trio culte et imprévisible à son meilleur, faisant encore bonne patte du côte grunge et lo-fi, tout en lançant une tentative de toucher de plus larges audiences par le biais de mélodies pop. C’est le meilleur des deux mondes dans cet enchaînement de vignettes de 3 minutes crues mais avisées. L’écriture est partagée entre le guitariste Lou Barlow (sensible) et le bassiste Jason Loewenstein (colérique). Ca donne aussi bien le romantique Not a Friend que l’excité Shit Soup, qui raconte le rush d’adrénaline provoqué par les premiers instants de l’amour. « I don’t need to eat or sleep/I’ll smoke a thousand cigarettes »). Encore un disque qui sublime le sentiment de frustration.

Merry Clayton – Gimmie Shelter

Repertoire

Le disque est sorti en 1970 après la performance intense de la chanteuse sur le mythique morceau des Stones, qui est interprété ici dans un arrangement de cuivres, pour se déployer à l’abri de toute comparaison. C’est par ailleurs une collection de reprises qui célèbre sa voix remarquablement chargée d’émotion. Tell all the People, par les Doors, prend une tout autre dimension. Une bonne façon d’explorer le mystère et l’excellence de celle qui fut de l’une des plus belles batailles du rock. 

samedi 7 mai 2011

Smog - paroles/lyrics (4) Knock Knock

Lets move to the country

Let's move to the country
Just you and me


My travels are over
My travels are through


Let's move to the country
Just me and you


A goat and a monkey
A mule and a flea
Let's move to the country
Just you and me


Let's start a...
Let's have a...



Held

For the first time in my life
I let myself be held
Like a big old baby
I surrender
To your charity


I lay back in the tall grass
And let the ants cover me
I let the jets fly
I'm wishing for their destruction
Born to black in a perfect blue sky
For the first time in my life
I am moving away, moving away, moving away
From within the reach of me
And all the wild being held
Like a big old baby


Waouh!!

River Guard

When I take the prisoners swimming
They have the time of their lives
I love to watch them floating


On their backs
Unburden and relaxed


I sit in the tall grass and look the other way
And when I hall them in they always sing
Our sencencess will not served


We are constantly on trial
It's a way to be free


Most nights I go for a drive
To to the highest place I can find
Stand there on a cliff with gooseflesh
Watching the wind rip the leaves of the trees
Death defying
Every breath
Death defying


Soon we all be back in the yard
Behind the wall
Leaving heart
Dreaming of cool rivers and tall grass


We are constantly on trial
It's a way to be free


We are constantly on trial
It's a way to be free

No Dancing

There's always some bird-dog
Snuffling, choking
Looking like you came to collect
Something you said you owed
There's always some turtle snapping in my head
Saying you can't just waltz in here
Acting like nothing is wrong

No dancing, no dancing, no dancing
Not while the road is racing
No dancing, no dancing, no dancing
Not while the time is chasing

There's a poacher on the land
I recognize his hand
In the mail
He's fogging up the glass
The bird is on the last
And here he comes

Here he comes, ohNo dancing, no dancing, no dancing
Not while the wires are showing
No dancing, no dancing, no dancing
Not while the time is flowing

There's a poacher on the land
I recognize his hand
In the mail
He's fogging up the glass
The bird is on the last
And here he comes

Here he comes, oh

No dancing, no dancing, no dancing
Not while the time is flowing
No dancing, no dancing, no dancing
Not while your wires are showing

Teenage spaceship

Flying around
The houses at night
Flying alone


A teenage spaceship
I was a teenage spaceship
Landing at night


I was beautiful with all my lights
Loomed so large on the horizon
So large, people thought my windows
Were stars
So large on the horizon
People thought my windows
Were stars
A teenage spaceship
A teenage spaceship


And I swore I'd never lay like a log
Bark like a dog


I was a teenage smog
Sewn to the sky



Cold Blooded old times

Cold-blooded old times
The type of memories
that turns your bones to glass
Turns your bones to glass


Mother came rushing in
she said we didn't see a thing
We said we didn't see a thing
And father left at eight
Nearly splintering the gate


Cold-blooded old times
The type of memory
That turns your bones to glass
Turns your bones to glass


And though you where
Just a little swirl
You understood every word
And in this way they gave you clarity
A cold-blooded clarity
Cold-blooded old times


Now how can I stand
and laugh with the man
Who redefined your body


Those cold-blooded old times...



Sweet treat

If there where something so
Hard and clear
It would have been
Autumn so long ago


So take your sweet treat
In the evening
Take your sweet treat
In the evening


Please to know this
Please to know this


If someone offers you
some sugar
He should eat it


Hit the ground running

I had to leave the country
Though there was some nice folks there
Now I don't know where I'm going
All I know is I'll hit the ground running


Only cowboys
The Southern gentlemen
Betting women
That will Never mend
They ride the roads as they bend
As they bend to there dead ends


I had to leave the country
Though there was some nice folks there
And now I don't know where I'm going
All i know is that I'll hit the ground running


I was raised in a pit of snakes
Blink your eyes I was raised on cakes
I couldn't memorize a century of slang
Or learn to tell the same story again again and again
I had to leave the country
Though there was some nice folks there
Now I don't know where I'm going
All I know is I'll hit the ground running


Bitterness is a lowest sin
A bitter man rots from within
I've seen his smile
Yellow and brown
The bitterness is rotting down


I had to leave the country
Though there was some nice folks there
Now I don't know where I'm going
All I know to do is hit the ground running

Left only with love

I'm left only with love for you
You did what was right to do
And i hope you find your husband
And a father to your children


'Cause I'm left only with love for you
You did what was right to do
And I hope you find your husband
And a father to you children
When I lost you
I lost my family
You did what was right to do
And I hope you find your husband
And a father to your children


'Cause I'm left only with love for you
You did what was right to do
An I hope you find your husband
And a father to your children


{archive} Smog - Knock Knock (1999)



Parution : Janvier 1999
Label : Drag City
Genre : Lo-fi, Folk-rock
Producteur : Jim o’Rourke
A écouter : River Guard, Cold Blooded Old Times, Teenage Spaceship

°°°
Qualités : doux-amer, lucide, contemplatif, élégant

Une chorale d’enfants sur un album de Smog ! Rien de tel que quelque bambins pour apporter un peu de sang neuf au projet de Callahan. Pas si étonnant, finalement, lorsqu’on se souvient de ce que Lou Reed a fait subir à des enfants sur son chef d’oeuvre de 1973, Berlin. Et, plus que jamais, Callahan semble instruit du rock rustique de Reed, sur Cold Blooded Old Times ou Hit the Ground Running. Après The Doctor Came at Dawn (1996) et Red Apple Falls (1997), il était évident, au vu des nouvelles ambitions du chanteur, et la façon dont elles se justifiaient (magnifiquement), que Smog allait durer. C’était partir pour être l’aventure d’une vie. Callahan allait pour cela commencer à décliner subtilement les humeurs ; impossible, en effet, de demeurer bien longtemps dans l’atmosphère plombée de The Doctor Came at Dawn, même s’il constituait en soi une petite libération, en termes de maturité, par rapport à ses précédents travaux.

Callahan apprenait à ne pas faillir, à garder patiemment cet air sérieux, mais non prétentieux, palpable dans l’air l’environnant. Il faisait preuve d’une honnêteté exacerbée, trouvant peu à peu entre la musique et les textes la connexion nécessaire, effectuant des révérences sensibles et romantiques. « All your hardness/All your softness/And your mercy » (« Toute ta  dureté/et ta douceur//et ta merci ») sur All Your Women Things, une chanson sublime, entre fétichisme et nostalgie. « And I made a dolly/ Out of your frilly things » (« Et j’ai fait une poupée/De tous tes falbalas ») « Why couldn't I have loved you/This tenderly/When you were here/In the flesh » (« Pourquoi n’ai-je pas pu t’aimer/aussi tendrement/quand tu étais là/en chair et en os»).  En même temps, il confirmait qu’il ne faut pas prendre les « je » errant au gré de ses chansons comme forcément liés à lui-même. Il s’agit d’histoires, et dans les histoires la part de vérité est toujours à la discrétion de celui qui les conte. D’ailleurs, ces personnages à la première personne ne donnent t-ils pas l’impression, fréquemment, de nous tourner le dos ? 

Knock Knock est moins nostalgique et intimiste, ce qui ne signifie pas qu’il soit moins personnel ; l’expérience passe davantage au travers d’extérieurs, s’attache à sublimer des visions poétiques pour en faire matière strictement propre à Callahan. Ce qui le différencie toujours d’autres auteurs de chansons, c’est le manque de distance par rapport à son sujet ; même son ironie participe à l’impression, dramatique pour l’auditeur, de se sentir accaparé, transporté dans un endroit, où l’on s’attache à des détails. Comment la vie qu’il capte tout autour peut provoquer une tempête et la violence du ciel dans un dimension à la fois très proche et contraire, une fraction de temps et d’espace perceptible, qu’il choisit de ne jamais rencontrer. Callahan fait définitivement une musique douce, même lorsqu’il s’agit de rock n’ roll, de guitares saturées, il atteint rapidement une douce intensité, constante et mesurée. Mais dans cette limite quasi stratosphérique il y a la faculté d’une respiration ; ainsi cette myriade de détails de vie sont autant de défis adressés au destin. « Watching the wind rip the leaves of the trees/Death defying/Every breath/Death defying” (“Regardant le vent déchirer les feuilles des arbres/Défiant la mort/Chaque respiration/défiant la mort”). 

La plus belle chanson de l’album, dont son tirés ces vers, est sans doute River Guard ; ses accords simples ont une résonance particulière et ses paroles embrassent une sensibilité non pour une personne (féminine, comme c’est le cas le plus souvent) mais pour un groupe de prisonniers en train de nager dans une rivière. Une vision d’autant plus touchante que Callahan est celui qui veille sur eux, et a quelque responsabilité dans leur privation de libertés. « When I take the prisoners swimming/They have the time of their lives/I love to watch them floating » (« Quand j’amène les prisonniers nager/C’est le moment de leur vie/J’aime les regarder flotter »). Il a beau détourner le regard, sa conscience est en éveil, le questionne : pourquoi est-ce que je les empêche d’être libres ? Il médite sur ces mots : « We are constantly on trial/It's a way to be free » (« Nous sommes toujours à l’essai/C’est une façon d’être libres »). Son combat de conscience est quasiment la preuve de son libre-arbitre. Sa voix grave et calme reflète parfaitement le ton réflexif du texte. 

Sur ce disque, il fait une trêve d’avec ses mauvaises vibrations, ses supposées préconceptions misanthropes, tente de capter la nonchalance environnante. Il revient (toujours?) à l’état de nature, seule façon de faire cette transition sans affectation. Sur Held : « For the first time in my life/I let myself be held/Like a big old baby/I surrender/To your charity” (“Pour la première fois de ma vie/je me suis laissé bercer/comme un bon vieux bébé/je me suis rendu/à ta charité”) « I am moving away /From within the reach of me” (“Je me libère/de ma propre portée”). Ce qui importe, ce n’est pas tant ce qu’il a perdu mais les perspectives à venir. Son ressentiment est mieux maîtrisé. « I'm left only with love for you/You did what was right to do/And i hope you find your husband/And a father to your children” (“Je reste seul avec mon amour pour toi/Tu as fait ce qu’il fallait faire/J’espère que tu vas trouver un mari/Et un père pour tes enfants”). Il peut aussi lire dans ses souvenirs et y trouver la clarté et le ressort qu’il lui manquait. Avec une légère incrédulité du simple fait d’en être capable.  Sur Cold Blooded Old Times : « Now how can I stand/and laugh with the man/Who redefined your body” (“Maintenant comment puis-je  être là/Et rire avec l’homme/qui m’a transformé dans ma chair”). C’est aussi, à travers l’histoire d’un traumatisme familial, manière de signifier que l’entourage d’une personne est plus à même de la blesser, à long terme, que de lui apporter la sérénité. Et avec Callahan, tout ou presque s’inscrit dans le long terme, prend du temps, se développe dans la douleur contemplative.  

Shannon Wright & Julien Pras (Le Caveau des Augustins, Bayonne) le 05/05/2011



Shannon Wright seule sur scène ? La veille, elle jouait à San Sebastian, à une petite heure de là, en Espagne, avec Yann Tiersen ; lui au violon, ou au piano ajoutant une touche contemplative à sa musique à elle, dont les chansons s’étirent alors sur la longueur. 

Quoi qu’il en soit, à Bayonne, ce jeudi 5 mai, c’est Julien Pras, chanteur de Calc, de Mars Red Sky, qui débute. C’est l’occasion pour lui de se concentrer sur son disque solo, « Southern Kind of Slang », enregistré au cours de l’année 2009 et paru chez Vicious Circle en 2010. Il interprètera aussi un morceau de Calc, utilisant ingénieusement la loop pedal pour donner l’impression d’un chœur chantant. Chansons très bien écrites, que ce soit au niveau des textes ou de la musique. Belle fluidité, refrains entêtants, on sent l’expérience, plus de dix ans qu’il travaille à sa musique. Sa voix est aussi un atout, il réussit même le tour de force de reprendre Starman de David Bowie.  Il osera un « merci de votre attention… pour ceux qui ont écouté » honorable. La réaction de la plus grosse partie du public a été à la hauteur de sa belle prestation, mais ça commence déjà à s’agiter au fond de la salle, et ça ne s’améliorera pas beaucoup. 

« Je me considère comme faisant partie du public quand je joue, plutôt que comme lui étant supérieur. Je veux que les gens dans la salle et moi-même passions un moment spécial qui est seulement à nous. Une chose que nous expérimentons ensemble même si ce n’est que pour une heure de musique. », racontait Shannon Wright dans l’interview à lire ici. Le Caveau des Augustins est un endroit presque idéal pour ce genre de réalisation. L’audience y est réduite ; environ 150 personnes. Le problème, c’est qu’étant tout en longueur, les gens les plus éloignés de la scène semblent n’avoir que le bar pour s’occuper. D’autant plus que de nombreuses personnes étaient venues sans rien connaître du petit bout de femme qui allait se produire dans quelques minutes – combien j’ai vu de gens défiler à l’entrée et demander : « C’est quoi comme style de musique ? ». On est à Bayonne après tout, et il n’y a pas de disquaire indépendant dans un rayon d’au moins 200 kilomètres – sauf peut-être à Pau. Dans la ville, le Virgin est presque déserté – dans le style « désolé les gars, c’est la crise du disque, c’est beaucoup mieux d’acheter votre musique sur Internet », sans parler de la Fnac, îlot perdu dans une zone commerciale proche où le rayon musique est encore plus sinistré. 

Chemisier et Converse blanches, jean noir ajusté, la chevelure toujours épaisse et masquant son visage, Shannon Wright se fraie un chemin depuis le fond de la salle (il n’y a qu’une issue) et monte sur scène, l’air assez détendu, souriante. Mais ça ne durera pas. Quand elle s’attaque au premier morceau (nouvelle composition), tranchant, morne et violent, les gens qui avaient demandé de quel genre de musique il s’agissait sont bien obligés de se rendre à l’évidence : c’est du rock. Très fort sans être assourdissant, vécu comme une confrontation ; et bientôt, cette voix, très puissante ce soir, par laquelle Wright mérite ses galons de diva d’un autre genre. Prestation déstabilisante d’entrée, que l’absence de batterie renvoie à une lenteur et à un chaos absents de ses disques. L’énergie qu’elle libère semble la ronger, morceau après morceau, jusqu’à ce que son visage n’exprime au mieux que la modestie, ou le doute de bien faire ; autrement, c’est de la souffrance. Shannon Wright incarne tout ce que j’aime dans le rock ; la sincérité est son maître mot, et lorsqu’elle joue on sent que c’est une manière de plonger en elle-même, dans une attitude aux antipodes de la complaisance. 

Du point de vue de la set-list, elle piochera dans tous ses disques, nous gratifiant dans les premières minutes d’un « Violent Colors » issu de « Secret Blood », son nouvel album. Murmurant un « please…wake up » après trois chansons, obligeant tout le monde à assister à son concert debout. Puis, après cinq morceaux, elle va au piano, délaissant sa guitare à même le sol. Elle entame « Avalanche », l’une de ses chansons les plus poignantes… seulement pour s’interrompre et attendre que les cons bruyants du fond de salle ferment leur gueule. Elle recommence. Les moments les plus calmes, elle les joue avec douceur, chuchote à destination de la première moitié de la salle, presque immobile et très attentive ; ailleurs, elle aboie férocement, pour couvrir le brouhaha des autres et leur montrer qu’elle les emmerde. Après une dizaine de chansons, elle quitte la scène, visiblement vidée ; et ne revient que pour un « You’ll be the Death » délibérément lugubre. Beaucoup ne parviennent à rien là où Shannon Wright réussit à merveille : nous obliger à quitter la surface des choses, à plonger dans des profondeurs lyriques insoupçonnées, même si c’est parfois douloureux ou déplaisant. Il en reste que c’est l’une des artistes à voir d’urgence si l’on veut comprendre l’esprit exigeant de la musique libre et le faire vivre par notre soutien inconditionnel. Petit bémol en direction du label Vicious Circle : ils ne vendent plus de vyniles, les tirages étant épuisés… Il faudrait qu’ils se fassent un point d’honneur à retirer les albums de Shannon Wright ; sinon, qui le fera ?

jeudi 5 mai 2011

Smog - Rain on Lens (2001)



Parution : septembre 2001
Label : Drag City
Genre : Folk-rock
A écouter : Live as someone was Always Watching You, Keep some Steady Friends Around

7.25/10
Qualités : sombre, audacieux

Bill Callahan a parfois été qualifié de misanthrope. Plus que jamais auparavant, Rain on Lens explique cela. L’auteur de chansons s’amuse même à imaginer que les dommages collatéraux à son dédain puissent toucher au-delà des êtres humains, avec cette sur-conscience qui met à contribution toutes les choses qui l’environnent. Ainsi, quand on lui demande pour quelle audience il écrit, il répond : « je n’ai pas limité mon audience aux humains ». Son détachement de ses contemporains pour les observer du point de vue des sentiments les plus flous, s’explique en partie par son manque d’attache à des lieux particuliers ; outre son enfance passée en partie en Angleterre, il a en effet qualifié de « chez-soi » la Géorgie, Sacramento, San Francisco, New York, la Caroline du Sud, Chicago, sans jamais, dirait t-on, se sentir davantage que comme un étranger que la suspicion des autres a rendu suspicieux lui-même. Ou peut-être cette allégation ne concerne que Smog, Bill Callahan vivant depuis plusieurs années à Austin, Texas, et ne manquant plus de reconnaître les influences de sa jeunesse, telle la scène hardcore de l’état de Washington dans les années 80. Si Callahan a effectivement des sentiments, Smog ne se considère jamais comme le produit de son environnement, et peut en paraître dénué. Si l’on prend A River Ain’t Too Much To Love (2005) puis Rain on Lens, on trouve le contraste entre les thèmes naturels qu’il reconnaît comme son ADN et le regard désolé, détaché, porté sur l’extérieur. Ce contraste aide à définir Callahan comme un amoureux de l’indéfini ; c’est un pensif. 
La majorité des gens tirent leurs réflexions de l’existence, progressent par la stimulation du monde extérieur  -  d’autres vivent sous la surface, observent la vie avec méfiance, questionnent sans cesse le sens, ou le manque de sens, de chaque situation qui se présente, et chaque reconsidération les fait repartir d’un endroit antérieur. Bill Callahan fait partie de ceux-là, et Rain on Lens est l’un de ces endroits antérieurs, un coin de repli pour éventuellement produire du sens, ou bien rien. Il a le mérite de prendre le risque, de réduire son expression à quelques principes minimalistes. Il parle même d’un processus à reculons : « Je perçois mes albums dans leur état futur, puis je travaille en quelque sorte à l’envers pour créer cette chose à laquelle j’ai déjà donné vie dans ma vision. » Rain on Lens semble régresser, parmi les acquis de Callahan, ou de Smog, il n’en présente qu’une bribe lunaire. Il a raclé jusqu’à ne laisser que l’aspect le moins réconfortant, et des histoires fascinantes dans leur dénuement. Les personnages de ces fictions semblent frémir d’hésitation quant à la raison de leur existence.  Une chanson, et ils disparaissaient. Rain on Lens n’est qu’à propos du sens que l’on veut bien donner à des observations qui moquent toute sincérité. Lorsqu’on l’interroge quand au degré d’autobiographie dans ses chansons, Callahan répond : « C’est genre… zéro degré ». Rien de ce qu’il raconte dans ses chansons n’est donc  jamais arrivé ? « Je pense que tout se passe simultanément ». « C’est comme si rien n’était vrai pendant plus de quelques secondes. Mais j’essaie de rester hors de ça autant que possible. Ainsi, il y a cette chanteuse country lesbienne, Melissa Etheridge, qui a cessé d’être avec sa petite amie, et j’ai vu une publicité pour son nouvel album et sa tournée qui disait : ‘Live… and alone’. Ca semble être du rabais que de créer la sympathie sur le dos de votre vie privée.  Il devrait y avoir quelque chose de plus universel. » Sur Rain on Lens, il abandonne les derniers charmes que produisaient ses anciennes confessions, au risque de faire perdre toute signification à son travail. 


Rain on Lens balance entre personnages antipathiques et caricaturaux et platitudes trompeuses ; la musique est lancinante, effrénée, comme si Callahan traversait une mauvaise passe et qu’il était pressé d’en réchapper. Sa mauvaise foi, son insécurité réussissent à habiter ses personnages. La femme abandonnée dans la nuit est une « petite espionne ensommeillée », qui le surveille d’un œil, dans Lazy Rain. Sur Dirty Pants, c’est un vas-nu-pieds : « And so I dance in dirty pants/A drink in my hand/No shirt and broken tooth/Barefoot and beaming » (“Et je danse dans mes pantalons sales/une bouteille à la main/pas de veste et les dents cassées/pieds nus et rayonnant ». Ailleurs, un être possessif, paranoïaque et machiste, qui fuit les invités de la femme qu’il convoite, après les avoir commodément transformés en liste d’ennemis : « I put my hand on your knee/And say to your left you will see/Some more of our enemies » (« Je mets une main sur ton genou/et dis qu’à ta gauche tu va voir/Un peu plus de nos ennemis ». L’opacité du personnage incarné par Callahan oblige sans doute les autres apparitions de ses chansons à redoubler d’efforts, de patience et de gentillesse, apparaissant comme de quasi-saints. Contrairement à son affirmation concernant le « zéro degré », Callahan pourrait bien se trouver impliqué dans Keep Some Steady Friends Around et Live As If Someone Is Watching You. Sur cette dernière, il peut coller l’une de ces sensations qui font toujours triompher le vrai à la fin : « C’est à propos du sentiment intérieur d’avoir une double conscience. Vous ne pouvez jamais rien faire sans y penser – il y a toujours l’action, et quelque chose à l’intérieur qui regarde, qui analyse ce que vous venez de faire. C’est comme si vous aviez votre propre société, vous êtes jugé par la société à l’intérieur de vous-même. Si vous vivez seul, vous avez tendance à ne pas vous laver […] – vous avez besoin de quelqu’un qui vous regarde, que ce soit de l’intérieur ou une personne réelle. »

lundi 2 mai 2011

Steve Earle & Allison Moorer



Mockingbird

Parution : février 2008
Label : New Line Records
Genre : Country, Folk, Chanson
A écouter : Dancin' Barefoot, Revelator, Orphan Train

7.75/10
Qualités : varié, lyrique

I'll Never Get of this World Alive

Parution : avril 2011
Label : New West
Genre : Country, Folk, Folk-Rock
A écouter : Every Part of Me, Waiting on the Sky, This City

7.50/10
Qualités : sensible, apaisé, doux-amer


L’auteur de chansons américain Steve Earle a toujours une histoire à raconter. Sur Bob Dylan, dont il est prêt à défendre le timbre voix contre tous ceux qui disent qu’il ne sait pas chanter. Quand à son culot :  « Il faut des couilles pour réécrire Rollin’ and Tumbin [sur Modern Times, 2006]. Il n’y a pas un seul mot de l’original à part le premier vers, [...] et maintenant c’est sa chanson. Il peut la prendre et se tirer parce que c’est ce putain de Bob Dylan ! » Il aime raconter comment Bruce Springsteen, un artiste de sa génération, l’a influencé lorsqu’il a enregistré, à 31 ans, son premier album – un succès – Guitar Town, en 1986. Comme déclencheur, il y eut d’abord Born to the USA, mais surtout Nebraska. « Nebraska m’a frappé parce qu’il [Springsteen] s’est finalement rendu et l’a sorti comme il était. Il y a des versions de ces chansons avec le groupe. Ils ont essayé mais ça ne marchait pas. Le contenu était si sombre. Je pense que c’était trop sombre pour le E Street Band ». Outre l’intensité de Hillbilly Highway, Guitar Town faisait aussi un signe en direction de Hank Williams ou Willie Nelson par le biais de My Old Friend the Blues.

Ses relations affectives et personnelles avec l’un ou l’autre des grands musiciens américains se sont multipliées depuis la fin des années 80. « Elvis Costello m’a ramené au rock ». Il se fait un plaisir d’analyser les talents, les différents visages de ces musiciens qui résonnent en lui. Se montre critique de toute une part de la scène américaine : « Je ne pense pas que Kiss n’aient jamais été cool, que Lynyrd Skynyrd n’ait jamais été cool. Je pense que ce sont de dangereux révisionnistes. Et ils avaient le plus mauvais batteur de toute l’histoire de la musique. […] Remarquez, je suis un fan des Allman Brothers, mais ça ne signifie pas que Greg Allman ne soit pas un redneck. Il a dit  la chose la plus ignorante que j’aie jamais entendue de la part d’un musicien talentueux. Il avait l’habitude de dire que le rap était de la musique de merde. C’est ne rien comprendre. Il faut garder à l’esprit que c’est de la musique folklorique. […] Le meilleur de cette musique possède la même vibration que la folk music. N’importe qui peut  essayer d’en faire. »  Sur Washington Square Serenade (2007), l’un de ses grands disques, il mélange instruments acoustiques et beats issus justement de la culture hip-hop. « Un type est devenu fou quand nous avons commencé avec les platines. J’ai presque dit, « I don’t believe you ». Réponse faite par Dylan lorsqu’on le traita de Judas en 1966.

Steve Earle est lui-même devenu  une grande figure de la chanson américaine. S’il porte la scène qui l’entoure autant de regards, de réflexions, c’est qu’il se sent autant musicien que raconteur d’histoires en général, écrivant des pièces de théâtre, de la poésie, des nouvelles, des romans de fiction. Celui qu’il vient de terminer, comme son nouvel album, s’appelle non sans humour I’ll Never get Out of This World Alive, d’après une chanson de Hank Williams. En outre, grâce à ses chansons, il est encore le mieux placé pour raconter sa vie mouvementée de troubadour, même s’il prend autant de plaisir à créer des personnages de toutes pièces. Pour tout l’amusement et la sagesse qu’il en retire, Steve Earle a eu une vie d’extrêmes, parsemée de controverses. Il a notamment été emprisonné pour détention de drogues, dont la consommation avait clairement influencé The Hard Way (1990). Libéré, il se releva avec grâce et deux albums parurent coup sur coup, dont train a Coming qui rafla un Grammy Award.  Partageant l’engagement politique et l’optimisme de Springteen, il endosse comme lui le rôle d’une certaine vision de l’Amérique à condition d’en combattre certains clichés. « Pourquoi devons-nous être numéro un ? Nous sommes encore des hommes blancs essayant de dominer le monde », confiait t-il dans une interview d’avant Obama. Des albums comme Jerusalem (2000) ou The Revolution Starts Now (2004) traduisent cette vision politique explicite s’opposant à la guerre en Irak et à la manipulation de l’opinion publique. Interrogé, il raconte avec beaucoup de sincérité sa bataille un démon « implanté » en lui, le racisme, et les efforts qu’il fait pour ne pas transmettre de valeurs de ce genre à ses enfants. « Il ne faut qu’une génération pour s’en débarrasser », remarque t-il.

Etant donné le respect et l’intérêt qu’il voue à ses collègues musiciens, ce n’est pas un hasard si l’un de ses disques les plus révélateurs est  un ensemble de reprises de Townes Van Zant, qu’il considère comme l’un de ses mentors. Ce disque est paru en 2009 au beau milieu d’un période de paix et de félicité – une nouvelle étape dans la vie de Earle maintenant marié à sa septième femme, Allison Moorer. Elle aussi est une musicienne talentueuse, de surcroît dotée d’une voix merveilleuse. Sœur cadette de Shelby Lynne, et élevée par elle après la disparition de leurs parents, Allison se façonna une réputation d’auteure de chansons solide, notamment après Miss Fortune en 2002. Avec Mockingbird (2008), elle franchit un nouveau pas, enregistrant un disque qui célèbre le seul bonheur de chanter – et Allison Moorer a cette capacité de pouvoir tout chanter – et nous donnant envie d’explorer avec discernement le passé et le présent de la vocation musicale américaine et de ses grandes ambassadrices, de Patti Smith à Kate Mc Garrigle, de June Carter à Nina Simone et Gillian Welch*. Son registre va sur ce disque du rock au blues, du jazz au folk avec une fluidité organique ; son interprétation de Dancin’ Barefoot, une chanson exprimant un profond désir juste au moment où toutes les défenses tombent pour ne laisser que le besoin d’être aimé, reste durablement à l’esprit. Orphan Train est encore plus émouvant quand on connaît l'histoire personnelle de Moorer. Elle semble aussi affectionner les balades au piano, particulièrement poignantes sur Crows (2010).

Elle et Earle partagent un profond respect pour la musique country ; à eux deux, ils aiment à habiter un genre aujourd’hui sous-estimé.  « J’étais à Nashville, témoigne Earle, et mon disque [Guitar Town] a été perçu comme un disque country. » Malgré sa propension à changer d’apparence régulièrement – aussi bien gardien de l’esprit d’un Lennon que de Lemmy – il ne se débarrassera jamais de l’étiquette country. Après vingt – cinq années de musique variée, son nouvel album démarre d’ailleurs comme un disque country triomphant, une forme de pied-de-nez à ceux qui l’avait rangés dans une boîte, pour un musicien des plus ouverts d’esprit. Un peu plus loin, une superbe chanson d’amour: « I love you with all my heart/all my soul and every part of me ».
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