Nine Types of Light
Parution : 2011
Label : Interscope
Genre : Dubstep, électro, rock alternatif
A écouyter : Second Song, Will Do, New Cannonball Run
7.50/10
Qualités : groovy, communicatif, sensuel
Le groupe dub-électro-rock aux accents soul de Tv on the Radio est né à Brooklyn au tournant du siècle, a produit son premier véritable album, Young, Bloody Thirsty Babes en 2004 et est considéré depuis quelques années, à juste titre, comme la quintessence du rock indépendant américain. Chacun de leurs albums - quatre en tout – a été accueilli comme un pas de géant pour le groupe, parvenant à évoluer sans complexe. Rolling Stone se montra dithyrambique au moment de la sortie de Return to Cookie Mountain (2006) : « C’est peut-être le plus bizarrement beau, psychédélique et ambitieux des albums de l’année», tandis que le New York Times renchérissait : « C’est plus expérimental et pourtant plus direct, plus introspectif et plus assertif, par certains côtés plus sombre et amusant, et par-dessus-tout plus riche en termes de son et d’implication. Return To Cookie Mountain est simplement l’un des meilleurs albums de l’année. » Comme il l’avait fait pour Arcade Fire, David Bowie leur donna un sérieux coup de projecteur en les qualifiant de son nouveau groupe préféré et en acceptant de chanter sur un morceau de Return to Cookie Mountain, alors même qu’il avait mis sa propre carrière en berne. «Province l’a vraiment touché car c’était une chanson bien de son temps, et que le monde avait besoin d’entendre. » « Hold your heart courageously/as we walk into this dark place », chantait Bowie. Dear Science, en 2008, n’a fait qu’amplifier le phénomène. Son pouvoir de séduction dépassait tout ce qu’ils avaient pu faire auparavant, avec des chansons au groove imparable comme Dancing Choose ou Golden Age et des voix mises en avant dans leur diversité. Il a fini en tête de liste dans nombre de classements de fin d’année.
Considérant la frénésie qui les entoure, c’est peu dire qu’ils ont la pression pour évoluer constamment, fournir de nouvelles preuves de leur « supériorité » martelée par les médias, mais bientôt peut-être aussi de leur sagesse politique, ou encore de leur statut de scientifiques assermentés (avec des titres comme Dear Science ou Nine Types of Light, peut-être une référence à un principe relatif à la réfraction de la lumière du soleil). Ils peuvent s’attendre à tout, même à être soudainement dénigrés. « A chaque fois que vous atteignez un certain niveau, les gens vont toujours penser qu’il faut que vous accomplissiez quelque chose d’autre », remarque Kyp Malone, le guitariste et l’un des deux chanteurs du quintet. Sa barbe fournie occupe un tiers de son visage et ses larges lunettes un autre quart. Sa figure est devenue l’un des signes distinctifs de la « famille ». Sur Nine Types of Light, Tv on the Radio ne montrent aucun signe d’auto-suffisante ou de créativité en berne. Ils prouvent au contraire qu’ils ne sont pas affectés le moins du monde par l’effervescence qu’ils ont provoquée. Mais comment font-ils ?
Tunde Adebimpe, Kyp Malone, DaveSitek et Jaleel Bunton sont très soudés, d’abord autour de leur ville de New York. Nine Types Of Light a constitué une expérience nouvelle d’abord parce que pour la première fois ils ont enregistré hors de leurs habituels studios de Greenpoint et Williamsburg. Signe de leur attachement à leur pénates, l’expérience de Los Angeles n’a été que moyennement concluante en termes de créativité. « J’aime beaucoup LA », explique Bunton, le batteur aux dreadlocks. « Mais s’il y a une partie bohémienne dans cette ville, un endroit qui puisse être un sanctuaire créatif, nous avons résidé dans un endroit qui était exactement l’opposé. » Un autre détail qui a son importance dans le monde de l’indie rock américain ; les trois quarts du groupe ont la peau noire, et de ce simple fait ce sont révélés porteurs d’une responsabilité particulière. « C’est comme travailler à Kinko ! » S’exclame David Sitek, multi-instrumentiste et architecte sonore en grande partie responsable de la pâte si reconnaissable du groupe depuis son premier simple, Staring at the Sun. Il fait référence à ces chaînes de magasins où travaillent ensemble des gens d’horizons divers. « Ce qui est surprenant… remarque Adebimpe, chanteur charismatique et parolier, « c’est combien c’est surprenant pour les autres ! » Kyp Malone enchaîne. « Quand tu entends quelqu’un dire, ‘c’est l’exception à la règle, c’est genre, plus il y a d’exception, et moins la règle a raison d’exister ». C’est une chose que le groupe a discuté et réfléchi, individuellement et collectivement. Malone reconnaît qu’il y a une certaine idée qu’ils sont ravis de partager à travers leur expérience, non parce qu’ils sont un groupe aux trois quarts noir, en réalité, mais parce que ce sont des originaux dans l’âme. « J’ai l’impression que chaque fois que les gens peuvent se voir reflétés dans la culture, que tant que nous manipulons cette idée de civilisation… Je sais que je veux que ma sœur voie toutes les possibilités qui existent hors des stéréotypes et de la merde habituelle. Donc je suis content si je fais cela pour qui que ce soit, car c’est ce que je recherchais quand j’étais enfant. » Tv on the Radio, profondément humain et attaché à la notion de famille. L’une de leurs chansons les plus délicates, sur Dear Science, s’appelle Family Tree. Récemment, une épreuve particulièrement difficile est survenue ; la mort du bassiste et compositeur Gérard Smith d’un cancer du poumon, en avril 2011, à l’âge de 36 ans. Le groupe ne tardera pas à lui rendre hommage.
Tv on The radio n’ont jamais eut le profil de gentils carriéristes ; leur musique est aussi tendue qu’elle est libérée, et ce n’est pas des décisions comme leur signature avec Interscope au moment d’enregistrer Return to Cookie Mountain (ils étaient chez Touch and Go, qui a depuis cessé de produire des disques) qui les empêcheront d’être aussi indomptés qu’ils le sont. Même Dear Science, qui a été accepté par un plus large public, se trouvait traversé par la surexcitation de ceux qui ne se reposent jamais sur leurs lauriers. C’est la condition de leur survie, de leur renouvellement dans un monde ou c’est manger ou être mangé. « En tant qu’artistes solo, nous avions été matés et on nous a répétés que nous ne servions à rien suffisamment de fois, et nous finissions par y croire. », confie Jaleel. Pour David Sitek, le passage sur un gros label s’explique par une équation simple, plus réaliste à entendre que les nombreux moments où le groupe plaisante quant à son supposé appât du gain. « On écrit de la musique parce que c’est une forme de communication immédiate. Nous sommes capables de transformer en disque ce qui se passe autour de nous, et nous voulons que ce message soit entendu par le plus large nombre de gens. » En termes de communication immédiate, il suffit de les voir sur scène pour comprendre ; si Malone et Smith restent plus réservés, Adebimpe canalise à lui tout seul une énergie extatique. Sa seule main gauche virevolte, soutenant un flow incessant, excitée par des beats bien posés.
Aujourd’hui, quand on évoque les collaborations de membres de Tv on the Radio hors de leur groupe, c’est toujours avec une considération spéciale. David Sitek avec son projet Maximum Balloon, et auprès des Yeahs Yeahs Yeahs, des Liars, de Foals, ou encore de l’actrice Scarlett Johansson pour son excursion musicale faite de reprises de Tom Waits, Anywhere i Lay my Head (2008) (« Nous l’avons fait l’un pour l’autre, juste pour voir ce qui allait se passer ») ; Tunde Adebimpe et Gérard Smith dans l’univers du cinéma, et Adebimpe participant au nouveau disque du groupe algérien Tinariwen ; Kyp Malone en champion d’un certain MBAR (Miles Benjamin Anthony Robinson) qui serait une sorte de pendant à Bon Iver, ainsi qu’en solo avec le volontairement difficile Rain Machine en 2009. Au sein de leur maison mère, ils assument ouvertement des choses que d’autres groupes dissimuleraient. Ils se présentent en ces termes sur leur site : « Tv on the Radio n’écrit pas des pop songs traditionnels. Souvent, ils changent de direction deux ou trois fois dans une chanson. » Leur son, qui emprunte notamment les structures répétitives de l’Afrobeat, est très pensé, séquencé, mais contient aussi des moments spontanés. David Sitek confirme : « C’est vraiment marrant, l’alchimie de ce groupe. On mettra six mois à trouver le bon son de caisse claire, ou on écrira Staring at the Sun en deux jours. »
Ils cultivent le danger, le mouvement. En live, les chansons prennent une autre tournure, l’instrumentation s’étoffe. Sur disque, A Method était en partie à cappella, tout comme Ambulance ; c’est tout différent sur scène, mais le groupe peut aussi bien créer de ces moments de quasi-silence, inspirés par le jazz, dans l’idée d’écouter le public, sa respiration, son retour sur ce qu’il perçoit. L’un de leur traits sonores distinctifs ; ces cuivres rutilants de plus en plus puissants, qui s’immiscent partout, notamment grâce à la participation de l’ Antibalas Afrobeat Orchestra sur Dear Science. Ce disque là a permis aux deux chanteurs, de ne plus tant chanter ensemble que d’alterner leurs prestations. Et les guitares vrombissantes d’un Wolf Like Me ouvertement sexuel ne sont pas en reste.
Avec le temps, leur amusement pour le show-business a fondé leur réputation en interview, où ils enchérissent sur leur peau avec un brin de mauvaise foi, l’un finissant la phrase de l’autre, fondant ensemble une vision sans complaisance de leur succès tout relatif. Ils rappellent alors leurs dynamiques créatives qui font qu’un disque de Tv on the Radio n’est jamais ennuyeux ; vivacité, largesse émotionnelle, échanges vocaux. Comme en interview, ils détournent dans leurs chansons leurs engagements, préfèrent éviter d’émettre des messages. « Il y a d’autres groupes qui sont meilleurs pour lancer des slogans, et je pense que le manque de subtilité est le premier signe d’une civilisation en déclin. Nous n’essayons pas d’avoir d’emprise sur les croyances de quiconque. Nous essayons juste de faire en sorte que les gens examinent leurs propres opinions sur tel ou tel sujet. Et c’est très difficile de faire ça. C’est très difficile de laisser une fin ouverte, genre, ‘ Que pensez-vous du réchauffement climatique ? ‘ ». En public, ils donnent l’impression d’artistes désinvoltes, qui ne peuvent pas rester sérieux très longtemps ; mais empêcher que tout « interrogatoire » soit définitif leur permet de se garder des portes de sortie. A propos de l’accueil de Dear Science, Gérard Smith remarquait en 2008 : « Ne t’inquiète pas, parce que ça ne se reflète pas en ventes d’albums ». « Si tu commences à y prêter attention, commences à y croire et à y penser, ‘comment être sûrs que nous allons faire le meilleur disque de 2045’ – qui est la prochaine fois que nous allons faire un disque – alors ça va puer. » Heureusement, malgré le hiatus annoncé en 2009, Tv on the Radio est revenu en studio avant une deadline aussi lointaine, et le nouveau statut qu’ils ont acquis dans l’intervalle leur permettent peut-être enfin d’envisager la vie sereinement.
Nine Types of Light (2011) ressemble au reflet renversé de Return to Cookie Mountain. Ce dernier avait été décrit comme “apocalyptique” par le groupe. David Sitek explique en partie les disques de Tv on the Radio par un jeu de pôles ; comment Wrong Way mettait en garde contre l’étrangeté, au début de Desperate Bloody, Thirsty Babes ; comment Wear you Out, à la fin de ce disque, jouait la carte du mysticisme, laissant l’auditeur s’interroger sur la démarche du groupe. De cette déroute volontaire, est né le fantasme d’un Radiohead américain, renforcé par le fait qu’ils soient nés en 2001, juste après que le groupe anglais ait apparemment libéré les barrières de sa conscience avec le couplé Kid A/Amnesiac. Le véritable acte de naissance du quintet de Brooklyn fut un disque de démos distribué sous le nom de OK Calculator, en référence à Ok Computer (1997), avant que l’EP Young Liars ne les révèle en 2003.
Le premier titre du ténébreux Return to Cookie Mountain laissait encore l’auditeur dans l’incertitude. Que faire d’une chanson dont les premiers mots sont « I Was a Lover/Before this war ? ». Six ans plus tard, la chanson Keep Your Heart y donne une réplique inattendue : “If the world falls apart / I’m gonna keep your heart,”. Le point de vue s’est, en apparence, inversé. Nine Types of Light est moins inquiétant, mais il ne débarrasse pas de l’idée que Tv on the radio sont des romantiques désespérés. Tunde Adebimbe a une idée malheureuse de la signification du refrain de You, « You're the only one I ever loved » (« Tu es la seule que j’ai jamais aimée »). « C’est une chose terrible à dire à quelqu’un car ça n’est sûrement pas vrai. » Mieux vaut retenir comment l’anxiété globale est transformée en pas de dance sur No Future Shock, ou le conseil de Second Song, suggérant aux amants en mission de trouver la lumière.