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Trip Tips - Fanzine musical !

jeudi 7 avril 2011

BILL CALLAHAN - Apocalypse (2011)





OOOO
doux amer, lucide, soigné
folk-rock, blues, songwriter



Sur Faith/Void, la dernière chanson de son précédent album, Bill Callahan se libérait de Dieu, avec un tel manque de prétention, une telle simplicité qu’il en dégageait quelque chose d’attachant. Il s’agissait de la condition, enfin formulée  (« I put God away ») à laquelle l’auteur de chansons pouvait s’en remettre complètement à lui-même et à ses valeurs, annihilant symboliquement tout mysticisme et poésie surannée. Un genre que Callahan n’a jamais vraiment favorisé, préférant s’appuyer sur le vrai, les détails de son existence, les expériences de sa lente maturation vers le statut de Sergent, de Capitaine, si l’on reprend les termes qu’il utilise pour désigner dans America! deux de ses modèles, Kris Kristoffersson et Johnny Cash. « Quelle armée » s’exclame t-il amèrement, se reprochant peu après de l’idée de n’avoir « jamais servi [s]on pays ».  Deux lignes plus loin dans la même chanson, il fait rimer Vietnam avec Native American. L’Amérique crée et détruit, nous dit t-il ; et la frontière entre ces deux forces n’est pas toujours très nette.

Callahan n’a pas attendu de se rapprocher de son lit de mort pour s’affranchir de l’un des lieux communs les plus envahissants de la grande chanson américaine, la religion. Il prouve en sept nouvelles chansons païennes, à la fois simples et étranges, que l’on peut très bien trouver dans la vie quotidienne les détails qui nous font progresser, parfois de façons surprenantes ou particulièrement révélatrices. Apocalypse est le troisième disque sous son propre nom – six ans après avoir abandonné le patronyme Smog qui, de son aveu, ne signifiait plus rien pour lui depuis quelques temps déjà. Quatorzième disque, et les mantras qu’il véhicule sont déjà très sophistiqués. Continuer d’avancer,  ne produire que ce qui est nécessaire à son lent épanouissement,  avec concision et simplicité, c’est à cela que Callahan brille le mieux, c’est ce qu’il magnifie dans son phrasé unique sur Apocalypse. Ses nouvelles chansons sont des extensions de son travail passé, en en constituent la continuation logique.

Cette apocalypse, c’est la somme de ses démos, étalées sur son lit, parce qu’il a l’impression d’échouer à chaque fois à se représenter lui-même. Sur Riding for the Feeling, une chanson à la beauté classique, il chante :  « I kept hoping for one more question/Or for someone to say,"Who do you think you are?"/So I could tell them.(« J’ai continué d’espérer une question de plus/ou quelqu’un disant “qu’est-ce que tu crois que tu es?” ainsi je pourrais leur dire”). Le disque réussit avec succès à le définir ; dépréciation légère, humour dosé mais sauvage, sens de l’observation admirable, chaleur humaine plutôt que cynisme, fascination pour l’humilité et la simplicité, si rare, capacité à relier passé sauvage et présent fou dans l’histoire mouvementée de son pays, foi renouvelée dans les choses et les bêtes. Avec ces dernières, il espère secrètement que l’homme, débarrassé de sa vanité, puisse partager davantage.

« Sometimes i wish we were an Eagle », le titre de son précédent album, évoquait quelque rituel indien qui consiste à se glisser dans le corps d’un animal pour acquérir sa sagesse. Comment l’oublier, aussi, répéter : « All thoughts are prey to some beast » sur ce même disque ? Ici, il met en abime ses sentiments, en travaille encore un peu plus la perspective. « But the pain and frustration, is not mine/It belongs to the cattle, through the valley. » (“Mais la peine et la frustration ne sont pas miennes/elles appartiennent au bétail à travers la vallée »). Il rend nos éclats passagers, les décrit assimilés par la nature elle-même – nous traversant comme des flux sans jamais vraiment nous appartenir. La nature : sans doute la seule entité que l’on puisse célébrer de façon valable.

Callahan parvient à être important sans rien ramener  à lui, mais en restituant au monde qui l’entoure.  En interrogeant, par exemple, l’ambivalence du nationalisme, comme l’a fait PJ Harvey avec Let England Shake (2011). Et loin de l’ambition de tout comprendre. Son extraordinaire carrière est réduite à un tas de démos éparpillées sur un lit, et ne suscite que la confusion. Et même lorsque il se montre acerbe envers l’Amérique, dans le balancement-gauche-devient-cavalcade-funk d’America! (« I watch David Letterman in Australia/Oh America! ») – c’est pour finalement rendre leur du à certains de ses héros. Encore là, il invoque le devoir d’humilité, seul sentiment qui peut provoquer les petites révélations dont lui est un habitué. «“Everyone’s allowed a past/ They don’t care to mention?”(“Chacun a accepté un passé/qu’il se fout de mentionner? »). C’est appeler à transformer le passé et ce qui nous entoure autant d’expériences de partage et de ressorts à notre pensée. Dans ces expériences, il rappelle dans l’urgence de Drover que la route est plus importante que la destination : “Yet one thing about this wild, wild country/It takes a strong, strong/It breaks a strong, strong mind/And anything less, anything less/Makes me feel like I'm wasting my time”. (“Une chose à propos de ce pays sauvage/il demande un fort, fort (mental)/Il plie un mental fort/Et tout le reste/me donne l’impression de perdre mon temps. »)

Se débarrasser de tous les personnages qu’il s’est créé, ou les fusionner en un seul, lui-même ; c’est ce que tente Callahan sur Universal Applicant. Il touche à la conscience globale par un rite, contraint de faire profil devant le jury des sages. « I saw the calf/I saw the bees/I saw the buffalo and the colt/Well I'm sure they all laughed at me/At me so low in my boat” (“J’ai vu le veau/j’ai vu les abeilles/J’ai vu le buffle et le poulain/Eh bien je suis sûr qu’ils m’ont ri au nez/à moi si abattu dans mon bateau »)

Pour s’en remettre toujours à ses doutes qui lui permettent d’avancer. Cinq « révélations » au cœur du disque, est t-il libre ? Et qu’est-ce qu’être libre ? C’est appartenir à la liberté, répond t-il sur Free’s, une chanson dont l’instrumentation rappelle Van Morrison. C’est « être moqué pour des choses auxquelles je ne crois pas/et applaudi pour des choses que je n’ai pas faites. » C’est être assimilé, encore… Sur One Fine Morning, chanson qui fait mieux que d’empaqueter le tout, avec ses neuf minutes qui s’écoulent comme un fleuve, Callahan évoque sa propre mort. En démystifiant largement, encore. « One fine morning/I'm gonna ride out/Just me and a skeleton crew.” (“Un beau matin/Je vais m’en aller/moi et l’équipée de squelettes”).  Son apocalypse, comme leitmotiv, c’est un déluge des plus belles images de dénuement. “When the earth turns cold/And the earth turns black/Will I feel you riding on my back?” (« Quand la terre refroidit/et la terre devient noire/Vais-je te sentir galoper sur mon dos ? ») Même derrière sa voix brute, à peine expressive, il est exceptionnellement touchant. Mais c’est sans oublier ce qui donne un sens à sa vie dans ce bas-monde. « DC 450 » prononce t-il à la toute fin. Le numéro de catalogue de son nouvel album, une méta-donnée pour ce qui est presque, au regard de sa carrière, un méta-album. L’ultime reflet d’un jeu de miroirs extraordinaire. 

5 commentaires:

  1. Je ne sais plus si j'ai déjà posté ici un commentaire. Au risque de me répéter, c'est un plaisir de lire des chroniques aussi complètes. Et bonne continuation avec Trip Tips !

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  2. Salut Bertrand,

    Je suis fasciné par l'oeuvre de Callahan. Je le suis depuis The Doctor Came At Dawn, de plus ou moins loin. Ces dernières années, je m'en suis rapproché jusqu'à m'en brûler. Sa voix et ses musiques me sont devenues essentielles.(Le même phénomène s'est produit avec Jeff Martins aka Idaho).

    Je contribue par ailleurs à un site musical en scribouillant quelques chroniques. Je bidouille actuellement celle consacrée à Apocalypse.

    Je souhaitais juste t'écrire que que je trouve ton papier remarquable.
    Je vais devoir faire abstraction de ce que je viens de lire pour pondre la mienne ... Pas évident, car il me semble que tu tapes dans le mille !

    Bravo et merci pour cette magnifique analyse.

    (par contre, si je peux me permettre, je n'adhère pas au fait de donner une note à un disque, pas plus qu'à en extraire "les morceaux à écouter", surtout pour un album comme celui ci)

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  3. Salut! Merci pour le commentaire. En ce qui concerne la note, c'est plus une lubie personnelle, je le reconnais. Les chroniques qui apparaissent dans le fanzine ne sont pas notées.J'aime bien avoir un point de comparaison assez précis, même si j'aime tous les albums dont je parle. Mais la notation se joue entre 6 et 8.50 en général. Je me suis fait un plaisir de mettre 9.50 à un disque de Gil Scott ! ou à Berlin de Lou Reed !
    Pour ce qui est des morceaux à écouter, un disque peut être intimidant, et c'est un moyen de s'en faire une idée... Tu remarqueras que je préfère toujours parler d'albums entiers que de morceaux isolés, mais à l'intérieur des albums certains titres peuvent servir d'ambassadeurs... Comme pour le reste je ne me base pas que sur mon appréciation personnelle mais sur celle de webzines etc. C'est un travail de documentation avant tout.
    Si tu veux je peux t'envoyer le nouveau fanzine Trip Tips, avec 7 pages consacrée à Bill Callahan...
    Amuse toi bien pour la chronique !

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  4. Salut et merci pour tes réponses.

    Je reçois parfaitement tes arguments, tant pour la notation que pour les morceaux "portes d'entrée".
    Tu as finalement une approche assez pédagogique de la pratique ... ne serais-tu pas prof par ailleurs ;-)

    Et oui, je veux bien le fanzine plein de Bill Callahan !!!
    Par mail ? Par courrier ?

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  5. Salut, que pensez-vous du nouvel album, Dream River ?

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