O
élégant/poignant/doux-amer
Electronique/folk-rock
Comment
va l'album de confessions en 2013 ? Très bien, merci ! Et la façon
grandiloquente et ludique de John Grant, compositeur et chanteur aux
origines à la fois allemandes et américaines, place son deuxième
album en tête du peloton. Les tests anti-dopage sont en cours. Cela
paraît naturel que la chanteuse Irlandaise controversée Sinead
O'Connor ait repris à son compte la chanson titre de Queen of
Denmark, le premier album de Grant en 2010 (enregistré avec le
groupe américain Midlake), et qu'elle participe ici aux backing
vocals. O'Connor est une artiste qui mérite d'être réhabilitée
d'urgence, ne serait-ce que parce qu'elle pose, à travers sa façon
d'être, une question importante : le narcissisme est t-il l'élément
ultime à l'écriture de chansons ?
Queen
of Denmark, cette chanson extraordinaire, imposait le lyrisme fou de
Grant, un exercice de voltige qui consiste à garder toute l'élégance
pour lui, même avec des lignes telles que « I casually mention
that i pissed in your coffee » ou « I hope you know that
all i want from you is sex ». Les phrases choc et le
narcissisme ne sont que les ingrédients les plus scandaleux des
créations de Grant, mais pas les plus significatifs peut-être. Sa
brillance vient de la l'auto-dépréciation subtile (ou verbeuse
diront certains) qui transcende chaque phrase, de la façon très
factuelle qu'il a de transformer sa détestation envers les
intolérances et son rejet du regard condescendant des autres sur sa
sexualité et sa condition d'ancien junkie en belles évanescences,
voire en délicatesse. On se demandait comment il allait pouvoir
poursuivre après ce Queen of Denmark, premier jet mêlant fantasmes
à base d'actrices de cinéma science-fictionnel et explosions
sentimentales intimes, mesurables à l'aune d'un morceau d'ouverture,
TC and Honeybear, unique dans sa façon décalée de nous toucher. La
musique était alors terriblement douce, enveloppante, souvent
surprenante, inspirée de soft rock des années 70 et bénie d'une
interprétation et d'une instrumentation qui surpassait ce que
Midlake avait fait sur leurs propres albums. La voix de John Grant y
était aussi sensible que sensuelle, jamais théâtrale, emprunte
d'une humilité un peu sourde. Grant a été gagné de gros doutes
pendant l'enregistrement de Queen of Denmark – qui avait fait suite
à une tentative de suicide – et ce jusqu'à ce qu'il le sorte
enfin et qu'il se rende à l'évidence que tout le monde l'aimait.
Allait t-il enfin gagner un peu de confiance en soi ?
L'apparition
de chansons plus électronique, voire de dance music sur Pale Green
Ghosts ne signifie rien. Goodbye, le dernier album de son groupe
maudit, les Czars, contenait déjà des éléments de ce type.
C'était d'ailleurs déjà un album poignant et naturel, comme dans
les tours magiques de Little Pink House. Sur I am The Man, Grant
utilisait un vocoder, que l'on retrouve ici sur le faux tube
pseudo-macho Black Belt. Cette chanson, radicale lorsqu'on se
souvient de l'ambiance plutôt lounge et jazzy de Queen of Denmark,
est astucieusement placée en deuxième position, entre les
pulsations et les cordes contrites de la chanson titre, largement
instrumentale, et GMF qui est une façon de renouer avec la cadence,
le feeling et le personnage de TC dans la chanson d'ouverture du
précédent album.
Difficile
de reproduire le fleurissement lyrique existant partout sur Queen of
Denmark. Si les chansons de cet album ne faisaient pas l'impasse sur
l'aspect sombre et pessimiste de l'écriture de Grant, la relecture
que Grant a de son passé est maintenant plus insistante et intense,
un peu moins lumineuse et légèrement plus sarcastique. L'aspect
irisé très pop années 60 de Outer Space ou Jesus Hates Faggots
n'est plus nulle art ici. La musique est moins directe, stylisée
dans une veine freudienne, que la pochette vintage ne dément pas.
Dans son apparence engoncée, John Grant embrasse l'impasse du
narcissisme que la psychologie de Freud a tant canonisée. Pale Green
Ghosts est un album fragile qui mérite que l'on en apprécie les
meilleurs moments – You Don't Have To, Ernest Borgnine (où Grant
lâche, détaché, la vérité quant à la menace qui pèse sur sa
vie, accompagné de claviers et séquenceurs sexy et, pour la
première fois, d'un saxophone), Glacier et sa coda au piano
inspirée de Rachmaninov. Il faut se laisser bercer par sa douce
étrangeté et bouger son corps à l'arrivée de Sensitive New Guy.
Mais le vrai secret est peut-être de s'amuser de l’existentialisme
tour à tour relaxé et inquiétant de It Doesn't Matter To Him et
Why Don't You love Me Anymore, comme s'il s'agissait d'une façon
pour Grant de tromper la psychologie qui se respecte.
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