Vidéo : en concert à Paris en février 2013.
OOOO
intense, sombre, varié
rock, blues
La
précipitation de la vie dans le périmètre d’une mort violente a toujours été un
thème cher à Nick Cave, dérivé de son penchant pour l’auto-destruction. Et sans
doute aussi car le punk-blues des Bad Seeds – qui atteint ici une perfection,
une endurance et une subtilité ultimes – se prête si bien aux destins amphétaminés.
Cependant jamais Cave ne s’est acharné aussi systématiquement sur la mort qu’avec
Murder Ballads. 1 à 25 morts par chanson.
« C’est
en quelque sorte mon ennui face au sujet du meurtre qui a suscité ces chansons,
raconte t-il dans Mojo Magazine en 1997. Elles évoquent en réalité bien autre
chose – l’utilisation d’un certain langage, l’utilisation de rimes. Le propos c’est
aussi l’humour et le fait de raconter une histoire. Le point de vue du meurtre
est une façon efficace de faire surgir un effet dramatique à l’échelle d’une
chanson. Ce que j’aime, à propos de ces chansons, c’est qu’il n’y a jamais
aucun motif pour les personnages à accomplir un meurtre. » Cave est
désinhibé et destructeur, mais aussi tellement à l’aise qu’on le voit reprendre
à son compte le fantasme du performer alcoolique Irlandais aux motivations
opaques, et il parachève une accolade aux Pogues en invitant leur chanteur Shane
Mc Gowan sur la dernière chanson, une reprise superflue de Bob Dylan, Death is
Not The End. Si l’album s’était terminé
avec O’Malley’s Bar, c’aurait été différent. « And he looked at me as though I was crazy » y exulte un pervers
assassin. O’Malley’s Bar porte à son apogée l’atmosphère onirique et
terrifiante de l’album, troublée régulièrement, comme ici, par l’apparition in
extremis de la police.
Ormis son
titre, Song For Joy – écrite au moment de Let Love In et appelée alors Red Right
Hand II - est dépourvue du second degré
qui apparaît presque partout ailleurs dans l’album, et en devient déstabilisante.
Un homme dont la femme et les trois enfants se font assassiner se met à errer
sans but dans l’existence. Musicalement, la grandiloquence dramatique de l’album
est consommée, un terreau dans lequel viendront croître le délire aussi bien
que la langueur et l’affection au cours de quelques moments plus empathiques
comme la touchante The Kindness of Strangers. Le piano sera redoutablement bien
utilisé tout au long de l’album, et jamais mieux que sur Stagger Lee – qui est
une réinvention d’un vieux R&B américain.
Sans doute
faut t-il se saisir de Murder Ballads par les histoires qu’il contient pour
comprendre toute la substance des chansons et des hommes dépravés qui en sont
les pantins. Comme le dit Nick Cave, « la substance divine n’a rien de
commun avec celle des hommes. » Henry Lee raconte l’histoire d’une femme
qui tue un homme pare qu’il refuse de l’aimer. Nick Cave et PJ Harvey, qui
chante en duo avec lui, vivront une histoire sentimentale pendant l’année 1995.
Where the Wild Roses Grow raconte
l'histoire d'un homme qui fait la cour à une femme, puis qui la tue alors
qu'ils sortent ensemble. The Curse of Millhaven est la pièce centrale de l’album.
Loretta est une fille déséquilibrée, qui prend plaisir à décrire les morts sadiques
des gens de son entourage, persuadée que c’est la volonté de Dieu. Mais la
vérité est aussi prévisible que détestable. Le refrain insistant, qui se
greffe sur une version pervertie de la mélodie de Henry Lee, résume bien l’album
: « All God's creatures, they've
all got to die ».
Chaque
nouvelle histoire assoit l’intensité de la précédente, avec un soin particulier
porté aux atmosphères, millimétrées et sanguinaires mais aussi triviales et,
dans l’excellente interaction entre claviers, rythmiques et guitares, porteuses
d’une forme d’extase. Quant au duo avec Killie Mnogue, Where The Wild Roses
Grow, il ne semble même pas dépareiller dans cet album, dont la variété est un
autre point fort. « Je l‘ai vue à la télévision, et je me suis dit, merde :
j’aimerais tellement la voir chanter un truc lent et triste », parodie
Cave.
Si le plus
tardif The Boatman’s Call a été désigné comme l’album de rupture de Nick Cave,
sa première réaction après son divorce est d’enregistrer Murder Ballads. « C’est
ce que je trouve de plus facile : m’assoir à mon bureau et écrire des
histoires sous formes de vers. Elles n’ont aucun rapport avec mon expérience. »
Ecrire ces contes sordides permettait à Nick Cave de faire une trêve sur son tumulte
intérieur, de cesser de façon radicale de parler de lui pour s’atteler à corps
perdu et avec tout le dégout nécessaire aux travers de son écriture. « C’est
ce qu’il y a de mauvais avec ma façon d’écrire, se saisir d’une idée et la
pousser bien au-delà de ce qui est rationnel, bien trop loin. »
L’une de ces
idées poussées dans leurs retranchements : la démission de Dieu dans les
affaires humaines, et par conséquent chacun réduit à agir dans le plus grand
dénuement affectif et chacun l’auteur d’un dialogue intérieur qui le met face à
ses propres failles, et sur Murder Ballads en particulier face à sa propre
violence. « Le meurtrier est aussi tragique que le sont les victimes »,
commente t-il, endossant un point de vue répandu parmi ceux qui réfléchissent à
la nature humaine. Etudier la culpabilité et la folie, même avec cette euphorie
qui se dégage souvent de ‘album, reste peut-être le meilleur moyen de sonder l’âme
humaine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire