Parution : septembre 2011
Label : Roadrunner
Genre : Rock progressif, metal
A écouter : The Devil Orchard, Slither
°
Qualités : soigné, atmosphérique, envoûtant
« Je ne sais pas comment les gens se souviendront d’Opeth, mais ce n’est pas vraiment important » lâche Mikael Akerfeldt en 2010. Vingt ans après la formation de ce quintet suédois désormais révéré par des amateurs de musique avertis du monde entier, il n’est pourtant pas encore temps pour eux d’entamer une auto-analyse. Ils continuent plutôt à produire de nouvelles émanations de leur poésie clair-obscure, à souligner toujours davantage ce contenu émotionnel et technique – les deux sont étroitement liés chez Opeth – récurrent dans leurs compositions, et dans leurs albums. Opeth est admiré par un public toujours plus large pour sa capacité à mélanger les styles en toute inspiration et beauté : death metal, heavy, rock progressif et influences folk. Au-delà des genres, ils créent leur identité à partir d’imagination brute, non sans une pointe de romantisme bon enfant et de naïveté trahissant la sincérité d’Akerfeldt, s’il est le seul : lui qui se définit avec humour comme un fils à maman et n’a jamais eu l’intention de paraître méchant. « C’est juste de la musique », dédramatise t-il à l’intention de ceux qui exigeraient de grands gestes de désespoir gothique en provenance de l’un de leurs groupes favoris.
Leur adresse est de parvenir à autant de cohérence que de nuance, l’un des outils majeurs cette gymnastique étant le chant, tantôt hurlé (par le passé…), tantôt plus classique, d’Akerfeldt. Opeth est un groupe attachant parce qu’il cherche sans le revendiquer haut et fort à entretenir son originalité, en gardant sa sincérité. Heritage, leur nouvel album enregistré à Stockholm dans un studio un jour couru par Abba, semble questionner ce qu’est « l’esprit» de la musique metal, de le conserver au cœur du groupe, alors même que celui-ci tend maintenant beaucoup plus vers un hard-rock progressif, entre Deep Purple et King Krimson. La réponse est là, sur Folklore peut-être : son final épique et choral sur le couplet « Lost control and called your name/Left a home in the pouring rain/In a sea of guilt and shame/Will we sustain » semble être un hommage à tout un univers qu’Opeth n’est pas prêt de quitter. Les paroles restant, pour Akerfeldt, un art secondaire, mieux vaut s’attacher à la musique, cette musique qui nous transporte en premier lieu.
Heritage est encore très atmosphérique, mais plus terrestre, enregistré avec le plaisir de faire sonner les instruments avec la plus grande authenticité (analogique) possible. Le résultat est presque chaleureux, plus classique, surtout pour ceux qui ont entendu les albums de Yes, Crimson et Purple. En témoigne la belle pochette, c’est peut être un disque parcouru enfin de vie plutôt que de mort, avec moins des brumes et fumées qui étaient la marque visuelle et, d’une certaine manière, sonore, du groupe. Cette volonté de faire dans le naturel est un grand succès – les flûtes, par exemple, sont réellement envoûtantes ( et rappellent Jethro Tull, une autre référence), et la base basse (Martin Mendez) - batterie (l’exceptionnel Martin Axenrot) est tout simplement vibrante. Les overdubs sont pourtant nombreux, sur la voix d’Akerfeldt, plus modulée que jamais, par exemple. Surjoue t-il son nouveau rôle ? Impossible en tout cas de reprocher à Opeth son enthousiasme, belle leçon après deux décennies de musique… Ces dix chansons sont entrecoupées d’interludes, de transitions, de changement de rythme, et superbement sous-tendues de claviers – mellotron, piano Rhodes, et orgue Hammond B3 (Per Wiberg, qui jouait ces instruments, a cependant quitté le groupe à la fin de l’enregistrement). Lorsque Opeth joue ses plus gros riffs, - sur The Devil Orchard ou Slither, il conjure toute l’aura démoniaque de Black Sabbath ; la première est servie par un clip psychédélique à souhait, qui tente sans trop se vautrer de suivre sa dynamique en dents de scie et d’illustrer le schéma central selon lequel « dieu est mort ».
La guitare acoustique d’Akerfeldt est aussi très à propos sur I Feel the Dark ou Nepenthe par exemple. Le groupe ménage systématiquement de longues respirations au sein des morceaux, tout en les gonflant autant que possible d’idées plus ou moins adroites. Chaque titre contient est déjà suffisamment intriqué en lui même, pour de surcroît se fondre dans le disque (56 minutes) à tel point, qu’écoutés bout à bout, il n’est pas facile de distinguer le passage d’une plage à l’autre. C’est que la construction, épineuse, de ces titres, n’est pas évidente pour l’auditeur, qui pourra parfois regretter cette impression que tout est disjoint, tout en gardant la sensation d’une grande cohérence globale – les instruments et leurs couleurs respectives étant mis à contribution pour créer des réminiscences. Famine, avec ses percussions latines, bruitages dignes de Diablo II et multiples atours évanescents, s’étire sur huit minutes et demie et mérite vraiment d’être qualifiée d’expérience abstraite. Les interludes – le morceau-titre en introduction, et Marrow of the Earth à la fin ajoutent à l’aspect soigné de l’album.