Le second chef d’œuvre des Red Sparowes, paru en 2006, cristallise les éléments les plus identitaires du groupe, et prouve surtout qu’il n’était pas incapable de reproduire un travail aussi fort que At the Soudless Dawn (2004). Après la Sixième Extinction (celle qui est supposée causer le crépuscule de l’homme) – le thème du précédent disque – c’est ici, sur fond de symbolisme rouge sang, au problème de la famine globale et de la rupture de la chaîne alimentaire que s’identifie le grand groupe de post rock américain.
L’histoire racontée par les Red Sparowes, c’est celle de la Chine entre 1959 et 1961, frappée d’une peste qui était transmise au bétail par des animaux sauvages, dont des oiseaux comme les moineaux (Sparowes en anglais). Cette famine fit alors 30 millions de morts. Le gouvernement lança une grande campagne, "The Great Sparrow Campaign" pour l’élimination des animaux infectés. Cela amena une invasion de sauterelles épargnées par la disparition des moineaux, qui créèrent la famine ; fable d’un fragile équilibre qui fut réalité.
Ce n’est peut-être pas une façon très saine de commencer à présenter ce disque si balancé que d’évoquer ses penchants apocalyptiques. Mais Every Red Heart Shines Toward the Red Sun. Mais il s’agit au contraire d’une musique muette, précise, retenue, jouée avec une minutie et un talent immense. Le résultat n’a pas la lourdeur que l’on peut craindre d’une formation produite par Neurot Recordings (Neurosis, Isis). Il en devient même surprenant et finalement révélateur de voir comment est gérée cette sorte de longue mais douce litanie.
Le groupe est très ambitieux. S’il s’agit de morceaux totalement instrumentaux, ils sont intitulés de longues phrases appelées à jouer le rôle de chapitres. Le titre du disque en entier comporte plus d’une centaine de mots. Les thèmes puissants et documentés et cette propension à divulguer autant par les titres que par la musique est une façon de revendiquer l’instrumental comme genre musical à part entière. Par un artwork puissant, ils donnent à la musique une imagerie forte et propre. C’est ce que des groupes comme Sigur Ros ont exploité ; dans leur cas précis, étant donné que leur langue est peu parlée et comprise. L’image ajoute à la musique une autre dimension.
La musique des Red Sparowes est constituée de pièces assez importantes mais surtout impressionnantes pour leur rigueur. La batterie métronomique évoque Can. La guitare en pedal-steel apporte une fluidité à la construction articulée, de manière à ce que l’on ait l’impression d’une infaillible horlogerie. Le temps est géré comme une dimension à part entière, les morceaux s’épanouissant avec circonspection. Parfois, cela donne l’impression d’une musique recroquevillée, presque bridée, plutôt que totalement libérée, bien l’œuvre dans son ensemble soit effectivement libre.
Le long échafaudage construit peu à peu une ambiance de laquelle émane une intelligence tout à fait particulière. C’est presque une provocation ; par la célébration d’une musique extrêmement pensée, le groupe pourrait être prétentieux ; mais cependant, le résultat est très agréable à écouter. C’est un genre de pop, ou presque. C’est ce que ce que Kraftwerk a donné à la musique électronique, cette fois appliqué dans un domaine qui embrasse les déflagrations et accalmies de Neurosis, à laquelle les Red Sparowes apportent leur propre sens de la clarté et de l’aménagement sonore.
Chaque morceau apporte une progression intéressante, depuis la basse en forme de grande poussée en avant sur The Great Leap Forward..., jusqu’à la rythmique de pendule de Like the Howling Glory… et au doux intermède de piano intitulé And by Your Own Hand... Les qualités mélodiques déjà remarquables sur le précédent opus sont encore bien présentes, notamment sur la deuxième moitié du disque, atteignant peut être un point hors de toute comparaison sur Millions Starved and as we Became Skinnier and Skinnier…, pièce de plus de neuf minutes qui enfonce le couteau dans la plaie.
Il est ainsi intéressant de voir comment la formation joue de son équilibre précaire, fournissant pour l’essentiel une introspection qui peut être prise à la légère, avant de décider, lorsque le moment est venu, d’ouvrir les abysses qui leur font retrouver leurs origines plus caverneuses sur As That Blazing Sun Shone... et de retourner à nouveau, l’espace d’un instant, à une lubie plus pastorale.
Parution : 19 septembre 2006
Label : Neurot Recordings
Producteur : Red Sparowes, Tim Green- A écouter : "Like the Howling Glory of the Darkest Winds, This Voice Was Thunderous and the Words Holy, Tangling Their Way Around Our Hearts and Clutching Our Innocent Awe", "Millions Starved and Became Skinnier and Skinnier, While Our Leaders Became Fatter and Fatte"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire