OOO
lyrique, extravagant, audacieux
Alt-folk
Divers, non pas comme le ‘divers français’, mais du verbe anglais to dive, draguer le fond de l’eau. Amusant quand sait que son label s’appelle Drag City, même s'il y a dans ce cas un peu des drag queens qui n’ont rien à voir avec la pratique commune au pêcheur de rivière et au chalutier. Les métaphores aquatiques de Newsom sont du type de l’incroyable mise en images de Bill Callahan dans Rock Bottom Riser. Pas sûr que ce rapprochement avec un album de son ex, A River Ain't too Much To Love (dans lequel elle a joué), lui plaise.
La nature semble être une énorme source d’inspiration pour Joanna Newsom, ou au moins les mots qui donnent à cet environnement ses atours pittoresques et pourtant graves. Au laconisme de Callahan (‘Oh my foolish heart/Had to go/Diving, diving/Into the murk…’) elle oppose un flot rythmé au cordeau de mots ornés, qui brisent les codes du songwriting habituel et lui permettent d’être la rare artiste commercialement viable, dix ans après la parution d’un livre sur la scène Acid Folk intemporelle (Seasons they Change), à mériter de figurer dans la section de l’ouvrage consacrée aux musiciens contemporains. Meg Baird et The Oh Hellos sont dignes d’y apparaitre, mais Newsom crée une musique aux frontières mouvantes, sans égale, au phrasé furieux, construite au détour de moments d’intimité, de petites saynètes baroques et des refrains – pour manque d’un meilleur mot – enchanteurs. Jamais elle ne fait de la pop, et c’est extraordinaire.
Elle n’a pas eu de tube, pas une maison de disques qui la pousse à sortir quelque chose à une échéance raisonnable, mais néanmoins ce doit être épineux d’être Joanna Newsom. Il faut se régénérer continuellement et prendre une forme qui n’est pas tout à fait la même pour surprendre des fans attentifs au détail. Elle réussit un album conceptuel qui n'a l'air au premier abord que d'une modeste collection de chansons en comparaison avec ses oeuvres passées. Elle saisit l’amour, son amour sans doute, et en fait une distorsion minime de la mort, tous deux suspendus dans le temps et interpénétrés l’un de l’autre. Elle contrecarre sa peur d’un amour seulement passager en lui donnant des airs d’éternité.
Ce qui l’empêche de sombrer dans le rituel et le sorcier, c’est sa capacité à évoquer tant de lieux, tant de rivages. En version dense, plus concise, mis travaillée avec autant de soin – on a successivement aux arrangements huit musiciens, partenaires de longue date, pour Divers est une nouvelle cartographie de la Californie, comme Have One on Me avant lui. On a une exploratrice des replis du temps, prête à aller au-devant de toutes les déceptions, envoyant des oiseaux en éclaireurs, les poussant à la fin à transcender la passion du monde en ouvrant le dialogue musical (et sensuel) avec les étoiles et tous les auditeurs pudiquement cachés derrière elles.
Palpables sont les cuivres, les cordes éternelles du célesta, du mellotron et du bouzouki, du piano Rhodes et de ces "cinq glorieuses secondes d’orgue Hammond", et puis la scie musicale ou le piano-accordéon. Ce cycle (comme l’album Song Cycle de Van Dyke Parks, son arrangeur ?) se termine sur un mot interrompu, pour commencer sur la fin de ce même mot. On a une partie centrale où les autres s’étirent, avant que l’album ne se rassemble sur deux dernières chansons parmi les meilleures Pin-Light Bent et Time, as a Symptom.
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