Version provisoire
L'aventure
musicale de Jimbo Mathus a commencé dans une tradition
communautaire, dans un mélange de liberté et de destinée comme
seuls les États-Unis en produisent. Et cela s'est prolongé jusqu'à
ce qu'il rencontre sa compagne par le biais d'un guitariste, Matt
Pierce – d'abord un ami, puis son beau frère. Après avoir réalisé
que Jimbo Mathus et sa sœur «semblaient tous deux avoir besoin de
quelqu'un dans leur vie », il donna le numéro de Jennifer
Pierce à Mathus, le rockeur sudiste dont tous les musiciens dans la
scène entendent désormais parler.
A
cette époque, en 2004, sa sœur revenait d'Irlande, de retour en
Arkansas, d'où leur famille était originaire. Dubitative quand
Mathus l'a appelée, elle a fini par accepter qu'il vienne la
rencontrer. « Il était prêt à conduire une heure et demie
depuis chez lui dans le Mississippi jusqu'à Jonesboro, dans
l'Arkansas. », reconnaît t-elle. « J'ai senti que je ne
pouvais pas refuser ». Un jour d'été, ils partirent pêcher
ensemble et attrapèrent une perche. Un mois plus tard ils étaient
fiancés.
Affaire
de famille
Toute
l'historie est facile à imaginer, car Jimbo Mathus a tout du cow boy
au grand cœur, un peu magicien, plus gentleman que cul terreux et
cet acte d'union symbolique au travers deux états à l'identité
forte ressemble à la passion qu'il a mise à fusionner des musiques
de traditions un peu défiantes les unes envers les autres. Mathus
connaît le sud, de la Caroline ou il a passé une dizaine d'années,
jusqu'au Mississippi – il possède un studio à Clarksdale, un haut
lieu du blues du delta, une ville à moitié abandonnée par
l’Amérique moderne, loin du musée qu'est devenu Memphis.
Désormais, il parle de lui comme le 'gendre de l'Arkansas. Des
musiciens de cet état et du Tennessee composent The Tri-State
Coalition, le groupe le plus important de sa carrière.
L'importance
du lien communautaire, dans ces cultures traditionnelles, n'est pas à
prendre à la légère. Un homme va d'apprentissages en renaissances
artistiques à travers le soutien de sa famille élargie, un cercle
de relations privilégiées qui reste protégé par des principes.
Même si de généreux donateurs issus de campagnes Kickstarter,
peuvent aussi être invités à passer un bon moment dans un bouge du
Mississippi ou Jimbo Mathus a ses habitudes, la règle, c'est pas de
business. «C'est une affaire de famille. Quand j'ai commencé, pour
tous ceux avec qui je jouais, mes oncles, mes cousins, et mon propre
père, la musique était un hobby. C'était une passion pourtant
prise au sérieux, mais tous avaient d'autres jobs. Je n'ai pas joué
de façon professionnelle jusqu'à ma vingtaine. L'argent n'a jamais
eu de place dans ma philosophie. C'était une chose qu'on faisait car
c'était fun, cela permettrait de se joindre à d'autres gens, de
faire jouer la communauté. C'est la chose la plus importante que
j'ai apprise. Les autres m'ont enseigné différentes techniques que
j'ai prises en compte, que j'ai tenté d'émuler ou de appréhender,
mais je suis très patient à ce sujet. Ca va me prendre 10 ou 15 ans
pour comprendre comment marche la musique de Charley Patton t ça ne
me pose pas de problème. Je n'ai aucun besoin de me me mettre à le
copier comme ça.
Traducteur
du blues
Charley
Patton, considéré comme un fondateur du delta blues, dès les
années 1910, et Jimbo Mathus, c'est aussi pratiquement une histoire
de famille. Un peu comme s'il évoquait son grand père. C'est ce que
reporte une interview rare de l'intéressé par le webzine Early
Blues1
(interview exceptionnellement protégée par les droit d'auteur, ce
qui est rafraîchissant sur Internet). Oui, alors la fille de Charley
Patton était la nounou de Mathus. « Elle était très pieuse
ne parlait jamais de son père, qui était musicien, errant dans les
maisons de jeu, les maisons closes, consommait de l'alcool, les
petites salles, qui est mort tôt (à 43 ans). Elle n'aurait jamais,
jamais envisagé d'évoquer ça car pour elle c'était littéralement
la musique du diable, elle allait à l'église Pleasant Valley
Baptist Church à Duncan, dans le Mississippi, et ainsi ce n'est pas
avant le milieu des année 1990, juste avant le disque que j'ai
enregistré, Play Songs for Rosetta (1997), qu'elle a été
redécouverte comme étant la fille de Charley Patton. Tout ça à
cause d'un petit label japonais qui la recherchait pour lui reverser
des royalties dues à l'utilisation de la musique de son père. »
Pour Mathus la découverte que sa nounou ait pu être la fille d'un
célèbre musicien de blues va être un choc, et lui donner l'envie
de jouer cette musique blues, de participer à des improvisations
fécondes en public, comme si la bienfaisance fortuite de la vieille
femme Noire à son égard pendant tant d'années, elle qui faisait
partie de la famille, qui avait gagné sa place au sein de la
sacro-sainte communauté, lui avait donné le courage d'incarner, lui
un Blanc, cette culture qu'il pensait réservée à d'autres, aux
Noirs.
La
mort de Rosetta Patton coïncide avec le début de sa collaboration
avec Buddy Guy pendant les quatre prochaines années. Et en
particulier sur le moite Sweet Tea (2001) bien inspiré par le blues
de Junior Kimbrough, un parangon du blues du delta. Mathus sera non
seulement crédité à la guitare mais comme 'traducteur' du blues
plus charnu habituellement prisé par Buddy Guy en blues rythmique
lancinant et affecté. Le percussionniste Spam, partenaire du
bluesman local T Model Ford (1920 - 2013), et l'inspiration laissée
chez Jimbo Mathus par des amis comme Robert Belfour (1940 - 2015)
contribuent à en faire de cet album une anomalie dans le catalogue
du Guy. Junior Kimbrough avait par ailleurs fait paraître certains
de ces plus célèbres disques sur Fat Possum, le label que rejoindra
plus tard Jimbo Mathus, mais c'est une consécration tellement
logique pour celui qui a produit des musiciens et enregistré tant de
musique dans la passion du blues local c'est presque anecdotique. La
rencontre de Jimbo Mathus avec les fameux Luther et Jim Dickinson
(The Black Crowes – The Nort Mississippi Allstars...), démarre un
autre pan de sa carrière, en solo, pour assumer pleinement ses
passions et rendre autant qu'il a reçu. Ainsi le courage de Mathus
vient du blues, mais sa musique ne va cesser d'habiter différents
genres caractérisée par sa versatilité, son côté ludique et sa
générosité.
Le
dernier des troubadours
Après
Jimmy the Kid (2009), la grande force des albums de Jimbo Mathus
(quels que soient les musiciens qui l'entourent, c'est d'aborder des
styles variés et de produire des séquences qui ne lassent jamais
l'auditeur. Ce qu'on pourrait reprocher aux albums à la belle
écriture de John Moreland, par exemple, leur monochromie, ne viendra
jamais à l'esprit en écoutant des disques qui se bâtissent sur les
points forts accumulés dans divers domaines. La ballade country (le
mieux représenté par Tennessee Walker Mare, une chanson ou se
mêlent la tradition country de Memphis et la poésie pastorale),
puis dans la soul sudiste, le rythm and blues et le rock and roll qui
a des accointances avec les Rolling Stones période Sticky Fingers ou
Some Girls. La facilité avec laquelle Mathus convoque les genres
reste une source d'admiration pour ceux qui le connaissent le mieux.
Du
côté de l'Arkansas encore, un de ces amis là bas, sacré 'meilleur
guitariste de l'état' par l'Arkansas Times2
en 2012, Greg Spradlin, dit de
lui qu'il est 'le dernier des troubadours du Mississippi'. Un
entertainner plongé dans les traditions musicales avec tant de
malice et de fougue qu'il bluffe tout le monde, et même le
producteur mythique Jim Dickinson, faisant de lui 'la voix de
Huckleberry Finn', en référence au personnage de Mark Twain.
Contrairement à celle de son alter-ego de fiction, ses salopettes et
vestes en jean sont toujours impeccables.
Imaginer
Jimbo Mathus comme un homme enfant remontant puis descendant
éternellement le grand fleuve pour revivre des aventures naïves
sans un sou en poche est une vision réconfortante, et peut-être
fondée. Encore et encore, les journalistes renvoient Mathus à ses
souvenirs d'enfance, mais c'est lié à la façon dont sa musique
toujours printanière fait appel à ses souvenirs. « Les jours
idylliques de la jeunesse, l'eau claire de la White River, les belles
truites que nous attrapions en abondance, les gens exotiques et
étranges de la montagne et la musique – de vieilles femmes jouant
et portant des capelines, les danses sur les scènes en contre-plaqué
dans les douces soirées d'été, proches du tribunal, les petites
amourettes dans les buissons et le square, les dulcimers, les banjos
et les violons qu'on entendait dans tout le pays. »
En
choisissant les dix chansons qui constituent White Buffalo (2013),
Mathus se comporte exactement comme le jeune homme qu'il fut, sur le
point de se rendre pour la première fois au festival folk de
Mountain View, dans le nord de l'Arkansas, un lieu réputé pour
préserver l'héritage musical des Ozark Mountains. Pour info, le
comté de Stone County est un 'dry county' – toute vente de boisson
alcoolisée est interdite. Drôle d'endroit pour un festival, et les
subtilités des lois locales devaient ajouter à l'ambiance si
particulière du lieu. Une matriarche locale se souvient d'un 'petit
garçon maigrelet qui s'est hissé sur une souche et a joué Fox on
the Run (une chanson composée par le groupe anglais Manfred Mann en
1968 et reprise par le chanteur country Tom T Hall). L'année
suivante, il revint avec beaucoup d'autres chansons.
Sur
White Buffalo, Jimbo Mathus formalise un peu plus son envie
d'aventure, exacerbant son côté pirate à l'abordage des galions du
golfe du Mexique qui transitent les styles musicaux. « Le
mélange, c'est le vrai truc du sud. Regarder là où le Noir et le
Blanc se croisent, où la country et le blues se rencontrent, où la
hillbilly entre en jeu – là où l'âme devient immortelle. C'est
ce que je veux entendre, c'est ainsi que je veux m'entendre, pour
toujours, pour le meilleur et pour le pire. » On imagine des
pavillons battant de ces slogans fédérateurs.
C'est
dans le paradoxe qu'il est permis à l'artiste sudiste d'avancer.
Mathus a poussé ce paradoxe jusqu'à appeler Confederate Buddha le
tout premier album enregistré avec le Tri-State Coalition. « Si
vous écoutez la musique, vous allez comprendre. Un confédéré une
un rebelle anarchiste, et le Buddha est un symbole de paix. »
Odes
et légendes du territoire
De
l’aveu de Jimbo Mathus, White Buffalo marquait un nouveau départ
dans sa carrière déjà riche en sauts d'écureuil et grimpées le
long des branches. C'est l'album qui a révélé Mathus à un plus
large public à l'approche de la cinquantaine, et qui marque le début
de sa collaboration avec Eric "Roscoe" Ambel, dont le rôle
auprès des fougueux musiciens du Tri State Coalition ressemble à
celui d'un rider
en peine épreuve de rodéo. En proposant d'ajouter des claviers, il
a nuancé un son jusque là dominé par la guitare télécaster.
Comme arrangeur, Ambel va révéler les chansons à elles-mêmes. Il
est aussi le premier témoin des avancées de Mathus en temps
qu'artiste. « Il a un charisme électrique et croit à chaque
mot qu'il chante et à chaque note qu'il joue. »
Parfois,
comme sur la chanson titre de White Buffalo, c'est l'occasion de tout
lâcher, en apparence ; mais on se rend compte que l'ensemble de
l'album est ciselé et ne dure d'ailleurs pas plus longtemps qu'un
disque des Stones ou des Beatles sorti en 1963. Tout l'art de Mathus
est de quand même ménager des moments d'émotion et, presque, de
recueillement puisqu'il tenait à ce qu'il y ait de nombreuses
harmonies sur cet album. Les sentiments attrapés là, observations
culturelles et mythologies inabouties, sont dépeintes en phrases
simples et métaphores presque simplistes, comme cette assertion que
cette femme 'aurait du être un diamant' sur Poor Lost Souls (à ne
pas confondre avec la chanson du fabuleux James McMurtry). Cette
métaphore reviendra dans Shine Like a Diamond, une merveilleuse
chanson pop, l'année suivante. Il faut reconnaître que la légèreté
et la candeur sont partout parfaitement dosées.
Le
découvrir avec Dark Night of the Soul, son album suivant, était
impressionnant. Le musicien un peu vaudou figurant sur la pochette ne
choisit pas de disparaître dans un nuage d'herbes et de présages,
mais apparaît plus enclin à écrire et même à inspirer des
chansons (plus de 40 ont servi de base à l'album) qu'il incarnera à
sa façon particulièrement intense.
Peut-être
est-ce le fait d'avoir travaillé avec Valerie June sur Pushing
Against a Stone, mais Mathus devient plus percutant lorsqu'il prend
le chemin d'une rédemption sur Writing Spider. En quelques minutes
d'éblouissement, enfin seul avec ce dieu si cher aux américains,
quand ils finissent par entrer dans l'âge adulte. « Certains
disent que Jesus est la réponse. Que c'est Jesus qui peut vous
libérer. Je ne vais pas affirmer ou infirmer. Il a pris la faute
pour tout, même le pêché originel. J'ai pris la faute tellement de
fois sur des problèmes que j'avais. Mais j'ai relativisé...
Personne n'a demandé à naître, à se trouver là. Je ne fais que
regarder cette araignée, tisser son histoire sur le mur. »
Est-ce que ce sont vraiment les paroles de la chanson ? Ou le
fruit d'une énième conversation que notre journaliste est allé
attraper, en bon samaritain musical, pour donner des allures de
pasteur à notre Huckleberry Finn, qui n'a jamais été très pressé
de rejoindre la messe ?
Les
odes et les légendes du territoire sont évoqués sur deux grandes
chansons écrites avec Robert Earl Reed, comme lui élevé dans les
nuits étranges ou les aboiements des chiens se mêlent au chant des
cigales dans la moiteur de Louisiane. Le second album de Reed,
Something Wicked, est paru en 2012, révélant des qualités
d’envoûtement qui lui ont valu des comparaisons avec le révérend
Nick Cave, ou dans d'autres moments, avec Townes Van Zandt. Les
paroles de la chanson titre, Something Wicked, sont aussi celles d'In
the Garden sur White Buffalo. Enfin, pour être sûr que ces deux là
s'entendent, il n'y a qu'à voir aussi la vidéo qu'ils ont fabriquée
ensemble pour Run Devil Run, une chanson psychédélique en diable.
Reed y est pour beaucoup, soupçonne t-on, dans la veine cathartique
de la musique de Mathus.
Dark
Night of the Soul joue la rédemption façon vaudou, et restera un
sommet d'intensité dans la carrière de Mathus. Il faut revenir à
la chanson titre, où la prise de voix sonne tellement juste et
nuancée qu’on garde à chaque fois l’impression que Mathus la
chante de nouveau pour nous. La puissance épique de White Angel, le
groove marécageux et accrocheur de Fire in the Canebrake ou la
fureur de Burn the Ships, qui fait ressembler son groupe au Crazy
Horse (la même lâche intensité) sont des moments qui ne s'oublient
pas de sitôt. Et à aucun instant on ne perd de vue que l'action se
situe dans le delta, nourricier en diable.
Barbecue
Il
y a eut-être un livre qui commence ainsi : il n'y a rien de
mieux que d'inviter des amis dans beau soir d'été et tandis que la
bonne compagnie et les boissons fraîches sont toujours ça de pris,
la véritable raison pour se retrouver à un barbecue est simple :
la nourriture. De la poitrine de bœuf braisée, des lamelles de porc
badigeonné de sucre brun, de poudre de chili, de cumin et de
cannelle (sur un lit d’ail et d'oignon et couvert d'un bouillon de
poulet), brats (saucisses à hots-dogs), sans parler du poisson-chat.
Si on veut parler d'une musique, quand elle prend la dimension
festive, en plus d'être incantatoire, on ne peut pas passer à côté
d'évoquer l'un de ces barbecues dont les effluves de grillade, de
graisse et d'épices s'immiscent dans la culture et dans la création.
D'ailleurs, c'est une critique de Blue Healer (2015) qui contient cet
éloge au barbecue. En ajoutant avec humour, 'même la salade de
quinoa ramenée pas notre copain végétarien remporte toujours
quelque succès.' Reste à trouver la place pour le menu végétarien
dans un disque aussi charnel que Blue Healer, qui, lorsque il
n'évoque pas les tourments de la chair, se tourne vers les esprits
et les drogues dures plutôt que la verdure.
Dark
Night of The Soul était l'album le plus intense de sa carrière,
poussant parfois le chanteur dans ses retranchements, pour notre
plaisir, et l'obligeant à chanter mieux que jamais. Sur Blue Healer,
les moments de rock intenses prennent davantage l'air de célébrations
musicales comparables à ce que déroule Bruce Springsteen en
concert. L'essence et la personnalité se dissipent un peu au service
du muscle et de l’élasticité, mais rien d'étonnant puisque ce
n'est strictement le Tri-State Coalition qui joue, mais un cercle
d'amis plus large au fur et à mesure que Mathus étend sa palette
jusqu'aux limites du rock mainstream.
Si
vous voulez comprendre ce que les américains appellent un groove
profond, une définition possible est de prendre la chanson titre de
cet album. Elle pose une ambiance poisseuse à souhait, la voix de
Mathus comme altérée par l'alcool et la peur, avec un narrateur
visité dans son lit par un ange un peu sorcière. Fallen Angel,
Whispering in the Wings, White Angel, ce n'est pas la première fois
qu'il y a un ange au tableau. Les influences surnaturelles sont aussi
l'ingrédient d'une bonne chanson, une façon imagée à l'extrême
de décrire les émois de l'âme.
Mama
Please est une nouvelle collaboration avec Robert Earl Reed, qui en a
enregistré, comme souvent, sa propre version bien plus roots. Il
leur offre avec Thank You et Coyote, les évocations les plus
profondes de l'alum sans plomber son propos de trop de sentiment.
Love and Affection est chantée sur un ton léger que le titre ne
pourrait le laisser penser. Les choeurs, tiré des meilleures
traditions rythm and blues et pop, son bien présents.
Une
leçon pour Mathus
On
a cité Delaney & Bonnie. Un disque comme celui de Dickey Betts
et sa pop sudiste pulpeuse est aussi un point de repère. Jimbo
Mathus réussit l'exploit d'être das une sphère bien à lui, parce
qu'il met avec tant la vigueur de ses propres compostions en avant,
capable de faire table rase de son passé au sein du rétro jazz band
des Squirrel Nut Zippers pour s'offrir une ferveur libératrice. Peut
être qu'il évoque un aigle du sud tel que Richard « Dickey »
Betts, mais aussi la lucidité d'un mec comme Jerry Garcia du
Grateful Dead. « Vous savez, fit celui-ci en 1989 à un
journaliste de Melody Maker, le business de la musique, c'est comme
les ventes de tapis. » The Grateful Dead l'ont aussi toujours
vu, le business, comme une famille élargie.
Drôle,
mais en 1989, Jerry Garcia avait l'âge de Mathus en 2015. Et le
rencontrer à la sortie d'une salle de concert de San Francisco,
c'était exactement le genre d'histoire qu'il manque à la légende
encore en devenir de Mathus. « Il semblait perpétuellement
rire sous cape, pouffer dans son halo chaleureux de fumée de
cigarette, totalement à l'aise avec sa légende mais aussi un peu
ahuri par l'absurdité de celle-ci. Il jouait de la guitare. C'était
sa philosophie. Mais si certains choisirent de l'élire comme une
sorte de leader de sa génération, il n'était pas prêt à tourner
le dos aux opportunités qui allaient avec l'endroit où il
vivait. Ni, en ce sens, les pièges qui allaient avec la
célébrité. » A l'époque à San Francisco, il était sans
doute difficile d'être pris au sérieux plutôt que pour un imbécile
hippie, comme aujourd'hui en Arkansas, il est difficile de ne pas
passer pour un rétrograde. Une leçon pour Mathus : ce qu'il
faut, c'est tenter de pousser la musique toujours plus loin, par
interaction avec sa chimie personnelle. Ne pas jouer pour un monde
figé et replié sur ses guerres passées, mais jouer à créer son
propre mythe culturel pour les enfants d'aujourd'hui, qu'il puissent
dire, comme avec le Grateful Dead : « Tu te souviens de
quand on a essayé d'aller à ce concert du Tri-State Coalition et on
a crevé deux pneus, et nous avons du faire du stop jusqu'à Mountain
View... »
Ce
qui compte, assume le journaliste, c'est d'avoir non seulement une
interview, mais une vraie conversation avec l'artiste. S'il est
suffisamment honnête (et ne parle pas de politique), il ne
comprendra jamais pourquoi on veuille s'en prendre à lui. Si en plus
il parvient à affûter sa musique jusqu'à en faire un véhicule
rutilant et sincère, comme celle de Jimbo Mathus, il n'y a presque
plus besoin de rencontrer l'artiste pour avoir l'impression d'un
véritable échange de conscience. Au moins jusqu'à ce que les
matières politiques soient évoquées. Mais dans un coin du pays où
la famille et la communauté ont une telle place, il est permis
d'espérer que l'humilité soit toujours le meilleur moyen de faire
du monde un meilleur endroit. Il n'est sûrement pas venu le temps
pour Mathus de s'assurer que Jerry Garcia voit bien des anges là où
il se trouve.
1http://www.earlyblues.com/Interview%20-%20Jimbo%20Mathus.htm
2http://www.arktimes.com/arkansas/the-revival-of-greg-spradlin/Content?oid=2568662
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