Voir aussi : Chronique Congregation
Voir aussi : Chronique Gentlemen
Voir aussi : Chronique Black Love
Voir aussi : Chronique Dynamite Steps
Greg Dulli a été désigné de bien des façons en vingt-cinq ans de carrière, d'abord comme chanteur et guitariste des Afghan Whigs et maintenant au sein des Twilight Singers. Qualifié de misanthrope, de misogyne, d’arrogant. Ses obsessions charnelles, bien documentées sur ses disques, ont certainement cimenté la perception de Dulli comme de la star la plus parfaite que le rock n’ait jamais conçu - froid, insensible, et complètement égocentrique. C’est pourtant loin de la réalité – à l’aune de Dynamite Steps (2011), le nouveau disque des Twilight Singers, il apparaît comme un type attachant qui sait vivre pleinement son art et s’approche de la cinquantaine avec autant d’énergie qu’il en avait en transformant la musique grunge avec les Afghan Whigs vingt ans auparavant. Si les textes de Greg Dulli sont extrêmes, ils dégagent finalement une soif de partage toute à son honneur, et son obsession pour les femmes consacre celles-ci d’une façon que n’auraient pas reniée les chanteurs soul aux voix sensuelles des années 60 et 70. Elles sont à travers lui d’une humanité réjouissante.
L’aventure du musicien a démarré comme celle d’un groupe grunge prometteur que Dulli fonde en compagnie du bassiste John Curley, du guitariste Rick McCollum, et du batteur Steve Earle. Une formation que l’on comparait volontiers dans ses prémices à Dinosaur Jr., aux Replacements ou à Mudhoney, trois des plus beaux représentants d’une musique véhiculant force de rébellion sociale. De tels groupes gagnaient en sincérité ce qu’ils n’avaient pas en précision, exprimant avec une vulgarité trompeuse les propres faiblesses intimes de leurs chanteurs. Le genre d’exercice qui seyait parfaitement à Greg Dulli, jeune homme dont le talent d’écriture allait prendre des proportions impressionnantes, dans sa confrontation à l’autre, son enfer mais aussi son moteur de vie.
Les Afghan Whigs profitèrent de l’engouement apparemment universel pour la musique grunge jusqu’au milieu des années 1990 et furent le premier groupe hors de la capitale de ce genre musical, Seattle, à être signé par le mythique label Sub Pop. Leurs goûts musicaux originaux vont jouer un rôle déterminant dans la façon dont ils vont se démarquer de cette scène pas toujours subtile. John Curley témoigne aujourd’hui. « Quand les Afghan Whigs se sont formés, nous avions beaucoup en commun musicalement ; le rock « classique » que l’on avait entendu à la radio en grandissant. Nous avions aussi des goûts individuels que nous avons échangé les uns avec les autres. Rick écoutait du free jazz, de la musique expérimentale et indienne. La passion de Greg pour les productions Motown (un label iconique de la scène R&B et soul américaine des années 60), hip-hop et soul est bien documenté. Quand je les ai rencontrés j’avais écouté beaucoup de blues, de new-wave et de punk au collège. Nous étions toujours en compétition entre nous pour trouver de la musique que les autres n’avaient pas entendue ». Greg Dulli avait en outre révélé que si sa voix avait été plus adaptée, il aurait sans problème passé sa carrière à enregistrer des reprises de morceaux des labels R&B et soul Stax ou Motown.
Greg Dulli n’était à priori pas plus charismatique que quantité de chanteurs de groupes indie comme Stephen Malkmus de Pavement ou Mark Lanegan des Screaming Trees. Mais, comme ces deux derniers, il trouva lentement ses marques pour s’enraciner profondément dans les esprits de la culture alternative américaine. Il devint, avec sa façon feutrée et sa propension à préférer l’ombre à la lumière – comme c’est le cas du chanteur de Tool, Maynard James Keeman, par exemple –, et aussi grâce à l’aspect mystérieux d’un monsieur-tout-le-monde constamment dissimulé derrière une paire de lunettes noires, paradoxalement plus charismatique que de plus grosses frappes avançant à visage découvert. Ses textes manipulateurs et manipulés par le pouvoir de ses sentiments visent à accomplir une sorte de célébration pas tout à fait étrangère à un rite religieux. D’ailleurs, les thèmes en sont, outre le sexe, l’amour et le mensonge, la religion.
Ces préoccupations n’ont pas changé, Dulli ayant sans doute la particularité d’évoluer avec une lenteur extrême, de telle façon à ce qu’il semble toujours être capable de recommencer ses plongées en abyme sans que l’on puisse avoir la sensation qu’il se répète. Ses pensées insistantes se déclinent tant qu’il pourrait les d’explorer tout au long de sa vie, à la manière de Leonard Cohen.
Chaque disque des Afghan Whigs était un manifeste en soi que d’autres songwriters auraient été incapables de reproduire avec autant de constance. Cinq disques sont parus, auxquels il convient d’ajouter aujourd'hui quatre albums des tout aussi trépidants, et plus accessibles, Twilight Singers, un disque en solo de Dulli et un autre au sein des Gutter Twins, avec le ténébreux Mark Lanegan. Au sein des Afghan Whigs, Congregation (1992), Gentlemen (1993) ou Black Love (1996) on été accueillis par d’excellentes critiques à leur parution, mais le succès commercial n’a pas suivi. Gentlemen, en particulier, se détachait comme le point de maturité, sur lequel les éléments sonores de la passion – grooves R&B, guitares entremêlées, voix fiévreuse instantanément reconnaissable – était en place. Les Afghan Whigs avaient atteint leur destination, et atteint satisfaction de voir leur patience récompensée, un sentiment de plus en plus absent aujourd’hui selon John Curley. « Cela prend du temps pour des musiciens pour se développer et saisir leur propre originalité […]. Personne n’a la patience de faire grandir un groupe dans leur vie aujourd’hui. »
Il a longtemps payé le prix d’une intensité non feinte par des consommations de drogues et d’alcool hors normes, ce qui fait encore de lui un lieu commun. Mais son engagement envers sa musique et sa façon de la véhiculer n’en ont pas souffert ; les concerts de ses deux formations successives sont réputés pour leur tenue impeccable, à tel point que les morceaux y sont encore meilleurs qu’enregistrés en studio. Regarder Debonair interprété pour la télévision américaine en est un exemple flagrant.
Beau portrait d'un très grand Monsieur, à qui la maturité sied à merveille.
RépondreSupprimerMerci ! Je vais sans doute l'augmenter des interviews que j'ai lues entre temps, et le publier dans le prochain fanzine Trip Tips (n°11). Je publie aussi les chroniques de Congregation, Gentlemen, Black Love et Dynamite Steps, en attendant de pouvoir écouter les autres disques des Twilight Singers... Bonne continuation !
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