Les plates formes
anglo-saxonnes comme Bandcamp ou Rate Your Music, n'ont pas changé
une chose fondamentale : notre possibilité de réfléchir quant
à la musique que nous écoutons, et pourquoi nous l'écoutons. Il
n'est pas nécessaire d'avoir une pochette de vynile entre les mains,
ou un boîtier cristal, pour s'absorber dans la contemplation de ce
qu'un artiste accomplit.
Même si ne faisons
qu'écouter la musique, nous ne sommes pas innocents. Quel que soit
le support qui nous est livré, il existe un contrat qui nous relie à
l'artiste que nous écoutons. Ce qui résulte plus banalement en des
satisfactions ou des déceptions, seul l'artiste vaniteux pouvant
prétendre créer la surprise, tous les autres relayant seulement une
attente de satisfaction. Le mieux que l'on puisse obtenir, c'est
d'être excité, électrisé, exalté à la découverte d'un disque.
Il faudrait demander leur avis à quelques vrais fans de musique,
devenus quasiment des ambassadeurs. Ce sera fait ensuite.
La contemplation, sans
aucune connotation religieuse, c'est apprécier sagement les
accidents qui conduisent une vie et l'existence d'une œuvre d'art
telle qu'un album de musique. Pour faire simple, chaque action,
depuis le début du monde, a une conséquence naturelle inévitable
qui fait partie de la chaîne des événements naturels. En
explosant, le Big Bang a ordonné une première circonstance, et n'en
a jamais ordonné d'autre depuis ce jour. Il ne valait mieux pas
attendre que les changements suivants se produisent par eux mêmes.
Depuis l'explosion originelle de matière, il a bien fallu continuer
d'explorer la nature humaine. C'est ce que doivent faire les
artistes.
Cette nature exploratoire
sacrée se retrouve dans toutes les cultures, des Indiens aux Inuit,
et dans tous les arts, et elle est étouffée par la télévision
comme par la religion. C'est ce que racontent certains de ces
musiciens. « The Revolution Will Not Be Televised » nous
a dit toute la musique, à travers Gil Scott Héron, au XXème
siècle. Certains artistes, fatigués d'être dépossédés de leurs
talents à profiter et à provoquer des accidents au profit de
« Dieu », ont pris particulièrement à cœur les menaces
pesant sur la création. Cela a donné certaines des plages de hard
rock et de heavy metal les plus ardemment contestataires, pendant
les années 1990. Néanmoins, un art plein d'humilité comme le heavy
metal consiste modestement à reconnaître être un simple homme, à
ne pas avoir les fonds nécessaires pour la religion ou la
« spiritualité » religieuse.
Que l'on prenne la bible,
ou que l'on soit conscient de l'évolution naturelle et non écrite
du monde, les résultats en sont très différents. La première
action d'Adam entraîne la mégalomanie des hommes qui cherchent, en
aval du temps, à accomplir des choses grandioses pour revenir dans
le giron du créateur. Prenez le personnage d'un film de Werner
Herzog, Aguirre. Il faut observer comment un conquistador
superstitieux est rendu fou en s'octroyant par une volonté quasi
divine un pouvoir finissant par lui échapper. C'est un personnage
attachant, en dépit du fait qu'il refuse l'ordre naturel, c'est à
dire que les accidents ne lui dictent son destin. On contemple à
travers lui des millénaires de cultures dans lesquelles la beauté
et la liberté sont nées d'accidents répétés. En descendant le
fleuve du temps, les choses arrivent toujours par accident.
Il ne s'agit pas pourtant
de se débarrasser de la superstition, mais de la contempler. C'est
ce que fait le heavy metal et les plus musiques les plus sombres
comme le doom metal en particulier. Ce sont des musiques où
l'humilité, la contemplation ou la poésie sont fréquentes. Les
ténèbres y sont simplement observées à distance, avec une
révérence et un esthétisme semblable à celui utilisé par Herzog
lorsqu'il filme au Koweit les puits de pétrole en feu dans son
documentaire Leçon de ténèbres (1992). Les images résultant de
cette leçon ressemblent étrangement à la pochette d'un album de
doom metal de Shrinebuilder. Un monde désolé et en flammes.
« Celui que les
dieux veulent détruire sera d'abord rendu fou », faisait dire
Friedrich Shiller à son personnage dans la pièce La Pucelle
d'Orleans. Le croyant en l'existence d'un Dieu unique sera rendu
d'autant plus fou qu'il sera vaniteux, comme Aguirre, comme les
personnages souvent observés à distance, dans des albums plus
humanistes qu'il n'y paraît. Les multiples dieux, c'était une façon
de donner forme à notre art, notre poésie. « Contre la
bêtise, même les dieux se battent en vain. » C'est la bêtise
de croire uniquement en un dieu unique, et pour cette raison de ne
jamais comprendre ce qu'expriment les artistes, et comment ils
progressent dans leur vie. C'est la folie de ne pas comprendre
comment progresser dans sa propre vie sans s'en remettre à la
religion. C'est folie de chercher à terroriser l'homme pour empêcher
son évolution naturelle, d'accident en accident, vers une meilleure
sensibilité et contemplation de sa nature.
Selon les termes de Mark
Twain, il s'agit sans cesse de casser le jouet et de détruire le
trône, et selon sa superstition, casser le jouet est un événement
aussi important que la destruction du trône car, sans jouet cassé,
la destruction du trône ne pourrait avoir lieu. La superstition est
profondément ancrée en l'homme, comme sa nature contemplative. Une
dernière fois, ceux qui observent la superstition ne devraient pas
être pris eux-mêmes pour des fous. Comme ceux qui caricaturent ne
devraient pas être confondus avec ceux qu'il caricaturent. Il n'y a
pas moins fous que ces artistes qui restent dans les choses
concrètes, dans la terre. Ce n'est pas seulement réservé au heavy
metal - même si c'est le genre qui sera abordé ensuite, à travers
la passion qu'on peut avoir à le contempler à notre tour, à se
l'approprier, à en créer notre propre histoire.
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