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vendredi 25 mars 2011

Earth - Angels of Darkness, Demons of Light 1 (2011)



On aborde un disque de Earth tranquillement, sans cesser ce qu’on était en train de faire. L’expérience que propose ce groupe crée, aussi naturellement qu’une respiration, une seconde réalité à côté de celle que l’on menait en premier lieu. Un léger frisson accompagne le plaisir de retrouver le phrasé de guitare unique de Dylan Carlson et de sa Fender Telecaster, et toute la suite n’est que question de se laisser commander dans un calme abandon. C’est un voyage, dans lequel on peut voir des nuances toujours changeantes d’espace et de temps, de longues méditations macrocosmiques sur la pratique musicale, mais surtout la simplicité la plus humaine possible. On sent encore sur Angels of Darkness, Demons of Light 1 combien Earth est un groupe important, du haut de son art de captiver l’auditeur avec si peu de chose.

En 1991, Earth, alors duo de l’état de Washington, réinventa le heavy-metal avec Extra-Capsular Extraction ; un disque lent, oppressif et solitaire. La musique devenait enfin le personnage principal plutôt qu’une simple trame de fond pour la voix ; et comme la musique savait mieux que les mots susciter les questions, brouiller les pistes et provoquer des mystères, Earth devint une sensation captivante. A beaucoup, peu habitués aux lents développements de la musique classique, Earth a sans doute appris la patience, et créé dans son sillage de nouveaux genres musicaux basés sur la lenteur instrumentale. Mais plus importante est la progression du groupe jusqu’à aujourd’hui, son évolution constante rythmée par des changements fréquents de personnel. En 2005, ils se sont à peu près réinventés avec Hex : or Printing in the Infernal Method ; un son considérablement allégé, et davantage de place pour les évocations de la guitare flambant neuve du maître de cérémonie Carlson, jouant au gré de ses pensées et pensant au gré de son jeu. La musique prenait mieux en compte l’espace entre les notes, les échos et flous réverbérés alternaient avec les accords des mélodies, à égale importance avec elles. L’influence de genres musicaux particuliers ou de groupes précis a sans doute eu un rôle au moment ou ce changement a été décidé, mais dès lors, il n’était plus question que de capturer l’abstraction et l’essence de ce qui liait ces genres musicaux entre eux, comme de capturer avec ce nouveau son les silences entre les notes. « J’ai commencé à voir la musique comme un continuum – en particulier les formes Américaines comme le blues, la country et le jazz – et je me retrouve tout au long de ce continuum plutôt que dans une de ses composantes. »

Earth fait une musique mouvante, largement tributaire de la performance de Dylan Carlson. Seulement là où ses arabesques hypnotiques étaient sur le précédent album, The Bees Made Honey in the Lion’s Skull, soulignées, rendues plus puissantes par l’effet de l’orgue Hammond, elles deviennent sur Angels of Darkness, Demons of Light 1 plus réfléchies par l’action du violoncelle de Lori Goldston. Cette nouvelle recrue a développé depuis son apparition aux côtés de Nirvana pour son MTV Unplugged (1993) une prédisposition au répertoire rock plutôt que classique et à l’utilisation d’amplis et de pédales d’effets. L’interaction de la guitare et du violoncelle, parfois guttural, beaucoup plus versatile que l’orgue qu’il remplace, fait qu’apparaissent, derrière la simplicité, la lenteur, la répétition, la restriction, les bases d’un nouveau langage. Pour des musiciens qui n’avaient jamais joué ensemble, et dans la mesure où le disque a été enregistré dans une relative précipitation, la force de communication, la dynamique de ce duo incite au respect. Les formats les libèrent largement ; seul le premier titre, Old Black, a bénéficié d’une trame mélodique concrète ; les autres sont nés à partir de riffs ou encore, dans le cas du morceau titre de vingt minutes qui clôture l’album, presque inventé sur le vif, enregistré en une seule prise et sans overdubs. L’admiration de Dylan Carlson pour les pratiques des jazzmen, en principe particulièrement à l’aise avec l’improvisation, est manifeste, et elle est ici adaptée à une forme d’expression qu’il a mis vingt ans à développer de lui-même. Il a appris, entre autres, que les premières prises sont toujours les meilleures.

Il sait aussi donner une couleur à sa musique, qu’inspire même la littérature. Inspiré entre autres de Fairy-Faith in Celtic Countries, un livre de Walter Evans, de Susannah Clarke ou de British Goblins qui explorent le folklore gaëlique, Angels of Darkness, Demons of Light 1 a une origine celte, quand les précédents albums du groupe exploraient l’imaginaire des grands espaces américains ou de l’Inde. Il convient de saluer particulièrement la batteuse Adrienne Davies, dont le travail à la trame des morceaux, et l’utilisation des cymbales, construit le disque avec un calme pénétrant. Cette précision, cette légèreté rare est particulièrement mise en valeur sur les douze minutes de Father Midnight.

Parution : mars 2011
Label : Southern lord
Genre : Experimental, Instrumental, Post-rock
A écouter : Father Midnight, Hell’s Winter 
 
7.25/10
Qualités : pénétrant, contemplatif, lourd
 
 

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