“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

vendredi 6 septembre 2013

WILLIS EARL BEAL - Nobody Knows (2013)

 

 



OOO
intense, hypnotique, sombre
soul, blues alternatif

L’album commence avec deux morceaux qui donnent la sensation que Willis est un classique, avec notamment la chanson Coming Trough qui profite de la présence de Cat Power, une chanteuse dont les premiers albums écorchés, dans les années 1990, sont sans doute parmi les références de Willis Earl Beal. Un passage lumineux qui donne l’impression que Beal veut ramener la soul là d’où elle vient. Mais ce n’était que pour montrer qu’il en était capable.  

Burning Bridges nous fait basculer dans le genre de long développement cinématique qu’Al Spx nous avait servi avec Hector, sur l’album I Predict a Graceful Expulsion (2012). Sa vidéo ou elle interprétait une mariée enceinte et possédée, affranchie des dernières lumières de la civilisation dont elle est bannie pour accomplir son rituel d’adieu au corps de l’homme dans ses mains. Comme la chanteuse canadienne, On peut sans aucun doute possible dire que Willis Earl Beal nous ‘prédit une expulsion grâcieuse’ une expectoration à la hauteur de ses talents vocaux magnifiquement enregistrés, sa voix conservant l’aspect brut qui a l’a rendu si attractif dès Acousmatic Sorcery en 2012.  

C’est intense, parsemé de glockenspiel et de piano, l’austérité élégiaque se mariant bien avec l’interprétation très libre du chanteur ténébreux, de la voix profonde et inquiétante au falsetto implorant. Disintegratings arrive, avec son groove désossé et laissé aux seule notes d’un piano hanté, la basse rampant dans un angle tandis que des voix préenregistrés perturbent le recueillement de Beal. Cette chanson, l’une des plus dénudées de l’album, est pourtant sale, maculée. Il faudra attendre Blue Escape pour réentendre une chanson dont la pureté concurrence Everything Unwinds.  

Dans le milieu de l’album, on bascule dans un faux blues dont le ressort repose sur le pouvoir de Beal à émuler, parfois à éructer, à jouer des codes du genre sur des rythmiques et des grooves addictifs. Too Dry To Cry pose les dernière bases d’un album cohérent et hypnotique, dont les éléments et les instruments  vont désormais ressurgir pour mieux surprendre, pour souligner d’un trait gras cette voix qui ne perd jamais en intensité ce qu’elle gagne en fureur ou en décadence. Earl se dépeint comme un être intransigeant, cruel, une araignée affamée qui parcourt les murs de sa morale, de sa conscience sans jamais revenir complètement au centre de lui-même. Il évite ainsi de se caricaturer. Et cette conscience ne se repose jamais.

Tous les mouvements qu’il effectue autour de ses victimes, y compris de lui-même, sont accompagnés d’un sens de la menace surgie de nulle part, une ombre de harcèlement et de danger avec laquelle les bluesmen ont beaucoup joué, souvent avec plus de légèreté qu’ici.  La voix qui raisonne, comme une ironie face à l’indifférence et à l’oubli qui frappe l’artiste de rue. Mais s’il chante, c’est qu’il espère encore que sa chance va tourner . « You got to give me a chance to/Reverse this romance”. Dans le carré infernal des chansons de 7 à 10, What’s  the Deal est une prêche hallucinée, qui résonne comme si elle avait été enregistrée spontanément par l’âme de Beal à son corps défendant. C’est une Passion dont l’éclat religieux est rendu profondément humain, divergent. La  note d’orgue lugubre qui traverse la chanson continue à la fin pour constituer le pinacle glaçant de l’album.

Emuler n’est pas quelque chose d’honteux, et Beal se sert de ce qu’il peut répliquer comme d’un tremplin pour conduire l’auditeur dans des territoires intangibles. Pour les amateurs de Tom Waits, de Bone Machine (1992) par exemple, il n’y a rien d’effrayant dans Nobody Knows : ils vont adorer se retrouver à la merci de Beal lorsqu’il qu’il se transforme en bête sur Ain’t Got No Love. Les rythmes, l’instrumentation métallique et l’orgue de barbarie rappellent Waits. Beal trouve bon d’y ajouter quelques notes de guitare psychédélique, de d’invoquer Jesus Christ et le Diable en hurlant. C’est avant que des rires maniaques ne viennent souligner l’ambiance infréquentable et que Beal ne termine, sur un truc typique de Waits : un hennissement du fond de sa gorge sifflante. Je ne me rappelle pas qu’une ballade de Tom Waits m’ait touchée de la façon particulière qu’a Everything Unwinds de le faire. C’est le vagabond sous les étoiles “Je danse dans le chemin/avec de la rouille dans l’âme/à côté des bennes à ordures/sans but particulier/tandis que tout se déploie....

CANDYE KANE - Coming Out Swinging (2013)


 
OO
entraînant, communicatif, attachant
Rythm and Blues, Soul


Depuis plusieurs années, la chanteuse de blues, de rockabilly et de soul Candye Kane ne cesse de remercier tous ceux qui la supportent dans sa bataille contre son cancer du pancréas. Une maladie qu’elle a contractée en 2005 et qui l’oblige parfois à interrompre son planning de tournée en annulant quelques concerts. En studio, depuis l’introduction a cappella décoiffante de la chanson-titre de Superhero en 2009, Kane a exprimé le simple fait qu’elle ne baisserait jamais les bras. Non seulement elle n’a pas cessé de sortir des albums, mais elle n’a même pas levé le pied. Coming Out Swinging pourrait passer, au premier abord, pour un album de remerciement dédié aux fans, parce qu’il est spontané, chargé de clins d’œil à des mélodies connues et de détours par des styles nouveaux pour Candye Kane, dans un esprit de concert plutôt que d’album construit. Même si les écoutes successives montrent que son aspect de rock n’ roll relaxé dissimule un cœur de musique soul enregistrée au cordeau, il faut reconnaître que Candye souhaite avant tout  divertir et qu’il y a bien un message adressé directement aux fans dans le moment culminant de l’album, sur Rise Up : « I know exactly what i gotta do/Take back the power i gave to you. La voix est puissante, Kane chante les mots comme une délivrance et avec une fraîcheur  que vingt ans de carrière n’ont pas atténuée.  

L’entrée en matière est une mise en bouche pour nous préparer à un son live bourré de bonne humeur. « Step right up with me and join the fun », chante t-elle sur la première composition, Coming Out Swingin, entraînée par le piano très New Orleans de Sue Palmer, dont on va voir qu’elle guide le groupe dans plusieurs morceaux. Une troisième musicienne d‘exception aux côtés de Kane et Chavez, et ce n’est pas trop pour la déclaration d’amour à la musique que constitue cet album sexy !

On a rapidement droit à un carré de chansons extraordinaires qui passeront sous notre nez si on les méprend pour de simples standards réinvestis.  Le blues bravache de I’m The Reason Why You Drink, l’optimisme rythm and blues cuivré de When Tomorrow Comes, la soul énergique de Rise Up, et, vers le milieu de l’album, la ballade qui emballe le tout pour la postérité, Invisible Woman : tout est entièrement créé par Candye Kane et Laura Chavez. Invisible Woman évoque la détresse de femmes ordinaires dans une société basée sur l’apparence. La relation entre les sentiments, les comportements de façade, les apparences a toujours été au centre des chansons de Candye Kane, qui sait de quoi elle parle puisque de star du porno aux énormes seins elle est devenue chanteuse de blues, poétesse féministe, et passeuse d’une tradition qui se caractérise par un besoin impérieux d’exprimer les injustices et les vicissitudes de la vie dans lesquelles se reconnait le plus grand nombre.  C’est aujourd’hui une femme plus sage, plus agée,  amincie par la maladie. Invisible Woman est comme Walkin’, Talkin’ Haunted House sur le disque précédent, Sister Vagabond, une nouvelle incursion autobiographique touchante et encore capable, malgré le sentiment d’abattement qui s’en dégage, de dégager un allant considérable.

Invisible Woman est aussi une chanson d’amour, un thème suranné dans lequel Kane excelle à trouver de nouveaux points de vue, au moins aussi effectifs que lorsque Cary Ann Hearst chantait Another Like You avec Hayes Carll. Kane sait tourner les relations de conflit en une ironie mordante ou même en chose irrésistiblement drôle. Have a Nice Day ou You Never Cross My Mind font partie de la première catégorie, I’m the Reason Why You Drink est brillante dans le registre de l’humour tellement authentique qu’on se demande comment elle n’a pas été écrite avant. C’est un peu le cas partout, d’ailleurs, car les textes de Kane ont l’esprit incisif voire corrosif des meilleures chansons soul, tout en transportant avec elle l’humilité des oubliés du blues qui doivent se battre contre la règle de l’âge d’or depuis la fin des années 1970. Ces chansons sont assez chaleureuses pour faire participer même les plus sceptiques et les plus conservateurs afficionados du blues, du Mexique (avec un hommage à Lalo Guerrero, le premier sex-symbol de la musique latine disparu en 2005) à Chicago. Quant à ceux qui n’y connaissent rien, ils auront la sensation qu’une forte femme aux formes avantageuses prend soin d’eux en leur faisant découvrir Benny Carter et  l’innocence très tendre de Rock me To Sleep. Pour le reste, on peut dire que l’énorme travail fourni depuis quelques années, en dépit de la fatigue chronique et d’un agenda de tournée très fourni, pour offrir le répertoire le plus solide et cohérent, est payant.  Candye Kane n’est pas très riche, mais elle l’a toujours dit : la façon dont la gratifient ses fans vaut tout l’or du monde.

jeudi 5 septembre 2013

RECAP ETE 2013

Le RECAP ETE réunit les chroniques des albums suivants :

NO AGE - An Object
THE RIDES - Can't Get Enough
THE POLYPHONIC SPREE - Yes It's True
CANDYE KANE - Coming Out Swinging

Et les morceaux suivants tirés des albums que j'ai écoutés :

GUY CLARK, Cornmeal Waltz
http://gardenandgun.com/media/first-listen-guy-clarks-cornmeal-waltz

LAURA VEIRS - Sun Song
 


JASON ISBELL - Travelling Alone



WILLIE NELSON - You Never Know

BOOKER T JONES - Austin City Lights (Feat Gary Clark Jr)


AMANDA SHIRES - Deep Dark Bellow
 

 
A bientôt pour es nouveautés de septembre 2013 !

THE POLYPHONIC SPREE - Yes, It's True (2013)


O
efficace, entraînant
Indie rock, pop


Les paroles écrites pour le nouvel album de The Polyphonic Spree par le maître de cérémonie Tim De Laugther), ont une lourde responsabilité. Propulsées par cet immense groupe (17 musiciens), elles sont le Message. (La similitude avec les harangues évangélistes est souhaitée, canalisée et transformée depuis longtemps par le groupe en spectacle de science-fiction s’inspirant un peu des Flaming Lips – mais ‘plus large que la vie’). Pour bien jouer leur rôle, les paroles ressemblent parfois à des discours de bonheur dont The Polyphonic Spree abreuve la multitude, comme si s’adresser aussi ostensiblement au plus grand nombre était le meilleur moyen de rassurer tous ceux qui ont donné de leur poche pour financer les 100 000 dollars qu’a coûté l’album (avec Kickstarter). Des paroles telles que “It's the feel-good time of the day” ou “keep yourself feeling brand-new” laissent sceptique. Il y a pourtant des moments sur Yes It’s True où la réalité rattrape les utopies de ‘vivre ensemble’ du groupe depuis son apparition en 2000. C’était alors le nouveau projet de De laugther suite à l’overdose de son ami Wes Berggren.

Pour comprendre le mérite de ce groupe, formé par vagues de douze, d’avoir maintenu son existence jusqu’à ce jour, il faudrait tous les nommer par leur prénom et leur nom et donner quelques mots sur leur CV musical. Il est fascinant d'imaginer, lorsqu'on les voit jouer, quel lien peut unir tous ces gens talentueux, si De Laughter a le Director's Cut ou qui d'autre décide de la direction à prendre pour chaque chanson. On n’osait croire qu’une armée de 17 se débarrasseraient aussi bien des fioritures pour se recentrer sur leur message d’espoir, et enregistreraient une suite de singles orchestro-pop étonnamment touchants. Ils sont par moments comme le nouveau wam’ bam thank you mam’ de la pop, avec des chansons entre Arcade Fire et Gary Numan (à la période de son premier disque Replicas, 1979) qui serait à la tête d’une nouvelle armée habillée cette fois dans un style psycho-elfique, ou comme si Timothy Leary était un Mormon. Ce qui frappe, c’est que De Laughter parvient à rester sur cette ligne entre amertume et enjouement, où l’isolation suscitée par un culte vide de sens est combattue par le groupe. De Laughter reste de loin le principal chanteur et clairement le leader du groupe, mais le fait d’être mieux entouré que tous les autres dans la musique pop lui permet de donner une résonnance singulière à des « platitudes » telles que “There’s always more to you than there are of them”. L’expression ‘l’union fait la force’ n’as jamais été mieux tournée.

mercredi 4 septembre 2013

THE RIDES - Can't Get Enough (2013)


 
O
groovy, efficace, rugueux
Blues rock, soul, Chicago blues
Le bon sens, de la part de quelqu'un qui ne s'est vraiment jamais attardé sur les disques de Stephen Stills, même les Crosby Stills, Nash and Young de l'âge d'or des seventies ou les Buffalo Springfield, qui n'a jamais rien lu sur cet extraordinaire musicien, serait de considérer Can't Get Enough comme un voyage dans le temps et de passer son chemin pour des routes plus empruntées, en compagnie de l'un de ces groupes qui sortent un disque sans trop de surprises tout les deux ans. Ce n'est pas l'inclusion au trio d'un certain Kenny Wayne Shepherd, entre deux âges (c'est à dire plus jeune que ses deux comparses), qui a enregistré un bon disque il y a la bagatelle de deux ans en arrière, qui devrait me faire changer d'avis.
Mais finalement, est-ce un défaut de disparaître, et honteux de vouloir relancer la formule 4 ans plus tard d'un disque appelé Super Session. Cet album pénalisé à l'époque par la mode soudaine de l'ornementation qui faisait suite à la parution de Sgt. Pepper Lonely Hearts Club Band par les Beatles, un album avec un concept à la bonne volonté parfaite qu'aucun groupe ne reproduira par la suite. Si l'histoire de Stephen Stills nous apprend quelque chose, c'est qu'il y a d'autres moyens d'exalter la camaraderie que d'enregistrer que de vivre dans un rêve éveillé. Super Session voyait déjà Stephen Stills revenir de l'oubli, en quelque sorte, pour enregistrer avec Michael Bloomfield et Al Kooper (tous deux notamment présents sur l'enregistrement de Like a Rolling Stone de Bob Dylan) des jams de Chicago blues plus électrique que la foudre. On est seulement à moitié surpris qu'en 2013, Stills ne trouve rien de mieux que de placer dans la deuxième partie de Can't Get Enough une version de Keep Rockin' in the Free World. Son amitié avec Neil Young, l'auteur de la chanson, ne devrait plus faire l'objet d'interrogations. Et cette chanson, au delà de son message de liberté et d'engagement est l'hymne parfait du rocker réapparaissant, et que plus personne n'attend vraiment, est parfaitement intégré au propos de l'album.
Barry Goldberg, qui apparaissait déjà en 1968 sur Super Session, donnant d'un coup de piano électrique la touche qu'il fallait aux trois compositions originales disséminées dans le parcours, a pris en 2013 la place de Kooper, aux claviers léchés plus qu'au simple piano. Et Shepherd de Los Angeles, à la place de Bloomfield de Chicago – bien que 'jeune', il a une discographie suffisamment respectée pour qu'il ne soit pas utile de citer les mérites de son ainé. Ses influences incluent Slash, Stevie Ray Vaughan, Robert Cray ou Duane Allman. Les trois hommes ont d'ailleurs un passé, des influences, des aspirations musicales que l'on devine aussi divergentes que la musique roots puisse en produire, et pourtant ils se sont mis à jouer, se mettant d'accord pour faire dominer celle de Muddy Waters parmi toutes les formes d'autorité divergentes qu'ils ont filtrées.
Stephen Stills est convaincant en anti-héros, qui surgit avec sa voix croâssante et des solos qu'il semble avoir attendu de jouer après les avoir lus dans les stèles de Restvale pendant tant d'années, car il n'a pas joué aussi fort depuis un temps dont seuls les passionnés des seventies peuvent honnêtement parler. Plus que de simples riffs, le carré de compositions originales fouillent la mémoire du blues rock avec un plaisir et une naïveté évidente. Démarrer avec une évocation passionnée du Delta quand on se donne l'air de venir de Chicago, ne peut être qu'une marque d'absolue sincérité. On ne peut pas reprocher à Shepherd de se laisser porter sur That's a Pretty Good Love. Il partage la scène avec lion : Stills est là pour ramasser tout ce qu'il peut encore saisir, s'offrant de rugir sur un tapis de choristes, avant d'embraser sa guitare, avec Don't Want Lies et Can't Get Enough of Your Love, le morceau à l'évidence conçu pour servir de pivot au disque. Plus rien n'égalera ce moment de félicité taillé pour les concerts.
A la demande du producteur, Shepherd a déjà, avant ce point culminant, remplacé Iggy Pop sur son trône en osant une version de Search and Destroy, chanson iconique qui ouvrait le dernier (vrai) album des Stooges, le détonateur à l'origine d'une autre branche de l'histoire rock. Cette façon de s'abandonner, même si elle est un peu vaine, a l'avantage de maintenir la surprise. C'est la force et la limite de l'album.

mardi 3 septembre 2013

NO AGE - An Object (2013)

 
 

OO
Expérimental, fait main, sombre
Noise rock, Indie rock
 
Il y a presque 4 ans (!), quand Losing Feeling est sorti, j’étais très optimiste quant au potentiel de perfectionnement de ce groupe qui frisait alors les mélodies en lorgnant vers la pop, Dean Spunt produisant avec sa voix ce qui s’apparentait à des mélodies vocales. Il ne chantait plus du tout dès la troisième chanson, Aim at the Airport, qui pourtant était supposé capter l’essence du No Age d’alors, caressant et rêveur. A peine 4 morceaux qui apaisaient l’obsession du duo pour la fragmentation.
Une séparation à l’œuvre dans leurs compilations, leurs albums expéditifs et à l’intérieur de leurs ‘chansons’ bruyantes, où le collage d’éléments antinomiques était la règle, avant (Nouns, 2009) et après (Everything in Between, 2011) Losing Feeling. Les 4 morceaux, à l’image du final You’re a Target étaient simples et relaxés, aussi doucement revêches que du My Bloody Valentine.
Mais Dean Spunt et Randy Randall sont plus consciencieux que cela. On aurait même pu croire, après les 38 minutes de Everything in Between, qu’ils allaient cesser de se comporter comme une moitié de Sonic Youth produisant une moitié de Daydream Nation, recruter un troisième membre et étoffer leurs albums d’émotions plus intenses. Leur musique continue cependant essentiellement de parler de ‘tout ce qui se trouve entre’, les sons atones et bruitistes, les instruments traités en machine, les feedbacks aériens et autres sons restreints, étouffés quelques instants  après avoir commencé à nous ravir. La production, les effets sont le levier par lequel l'album nous captive après quelques écoutes.
Sur An Object, cet enchaînement de plages, réglé avec un sens du timing facile à sous-estimer, entraîne les accusations de conspirations corporatives vers une détresse individuelle, en à peine 29 minutes. Les fractions de seconde qui séparent les chansons les unes des autres permettent dans la plupart des albums de servir de pont pour changer légèrement d’ambiance ; dans An Object, la chanson suivante est, de prime abord, la parfaite continuation de la précédente. C’est sans vraiment s’en rendre compte que l’on bascule peu à peu dans une morosité étrangement salutaire. An Impression et son violon électrique est un signe de l’introspection qui s’installe et trouve son point culminant dans Running Form A Go-Go. On pense à Joy Division, autant pour l’humilité de Dean Spunt lorsqu’il chante « There’s no escaping when it pays your way/ I tell myself it’s one more day/ and one more night alone again.” que pour ce sentiment de fièvre dormante qu’on ne peut plus prendre pour de la désinvolture ou de la rêverie. Et aussi, difficile de ne pas trépigner nostalgiquement en croyant entendre Transmission, le single nerveux d'octobre 1979 sur lequel Ian Curtis finissait par exulter cyniquement "dance dance dance to the radio". La 'transmission', ici, c'est I Wont be Your Generator, une chanson qui contrecarre sans subtilité inutile les tentatives des labels pour acheter l'idéalisme de leurs groupes et leur donner une belle image. La sensation qu'il puisse s'agir d'une guerre datée fait reposer l'album autant sur sa colère que sur une memorabilia (une manne de souvenirs) étonnement épaisse pour prendre sens en une seule petite demi-heure.  
Cette détresse est rendue plus forte par le don de No Age à se rapprocher au plus près de ceux qui les écoutent, leurs chansons donnant l’impression qu’elles peuvent être manipulées, que la prochaine écoute sera celle où l’on en  découvrira toute la force émotionnelle ou au contraire, le détestable cynisme. Fabriquer et envoyer eux-mêmes An Object pendant l’été 2013, en incluant parfois à leurs livraisons des dédicaces et des dessins de leur main, n’a fait que les rapprocher encore de leurs fans tout en les mettant un peu plus à part, dans un monde où faire soi-même des paquets et mettre l’accent sur le fait qu’il ne s’agit que d’un objet’ parmi d’autres, se refusant toute marque de différenciation, est peu propice à créer le buzz.  
Les sons s’entremêlent, résultats d’une longue recherche pour qu’aucun d’entre eux ne prenne mieux de prenne le dessus, la batterie étant par exemple la meilleure lorsqu’elle est suggérée, avalée par la guitare et la voix. Lock Box ressemble à un bootleg des Ramones, sauf que c’est une chanson patiemment rendue pour produire cette sensation d’enfermement, de restriction que l’on peut ressentir lorsqu’on réalise que la musique que l’on jouait pour s’abandonner n’est qu’un moyen vain. Autant se propulser rapidement d’idée en idée, tenter de ralentir, imperceptiblement, et finir par fondre ses rêves de punk rock dans le feedback qui succède toujours à l’apparition scénique de ce genre de groupe, de ceux qui suggèrent et frustrent autant qu’ils produisent d’instants mémorables. Le très consciencieusement nommé Commerce, Comment, Commence triomphe dans ce sens à la fin.
 
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