“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”
James Vincent MCMORROW
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mercredi 30 août 2017
{archive} THELMA HOUSTON - Sunshower (1969)
OO
orchestral, élégant, romantique
soul, funk, blues
La musique extraordinaire produite par Jimmy Webb semblait déjà, au moment et de sa parution, apparentée aux disques orchestrés, que le rock devait balayer. Si c’est là l’un des travaux les plus éclatants de Jimmy Webb, l’un des plus talentueux et prolifiques auteurs compositeurs des années 60, il n’en reste rien dans les biographies hâtives du net. Pourtant, c’est quand Houston reprend Jumpin Jack Flash qu’on mesure avec quelle complexe élégance l’album supplante le rock de l’époque. La façon dont l’orchestre des cuivres transforme la musique, à chaque apparition, fait de Sunshower un cas unique. On croirait les chansons empruntes d’une grâce sans limites, avec leur émotion explosive. Les premiers albums de Scott Walker paraissent lacustres en comparaison. Thelma Houston combine à l’extraordinaire personnalité des arrangements une voix étourdissante. Revêtue d’une sorte d’une toge aux motifs imprimés, elle apparaît mi-fée mi déesse, assumant parfaitement une apparence entre la fée bouddhiste, et la déesse énergique.
Houston et Webb sont à peine adultes quand paraît cet album. Elle n’est dans le business que depuis 2 ans, et déjà signe avec Capitol. Il écrit toutes les chansons sur Sunshower, une unique source qui valorise leur collaboration. Il faut reconnaître que les textes sont facilement oubliés dans les premières écoutes, tant l’orchestration renverse la perception qu’on se fait habituellement d’une chanson. En d’autre termes, ces chansons paraissent de si petites fictions face au pouvoir total de l’orchestration. Les relations de couple, comment on se perçoit, en sommes-nous au même point dans la vie, désirons nous les mêmes choses, pourrons nous vivre toujours dans les respect l’un de l’autre ? «This is your life/Not just something to do/This is your life/And it’s my life, too » chante t-elle sur This is Your Life.
Cette musique abolit aussitôt les querelles (à tenter chez soi). Si vos querelles dérivent que vos ayez fait une remarque, un comportement misanthrope, passez Sunshower et vous serez pardonné instantanément. C’est sa texture tout en souplesse et si sensorielle, mais aussi le penchant réconciliant de Houston, qui manie la soul, le jazz (Didn’t We), le blues (Cheap Lovin), le rock et le funk en laissant entrevoir combien elle est permissive. Elle sait résister à la tentation de paraître trop affectée, spirituelle, privilégiant faire preuve d’une présence à l chanson qui la plonge au cœur de la musique plutôt que de l’en distinguer.
This is Where i Came démarre à l’orgue, en grande mélancolie, et se termine sur un riff de rock, prouvant que la guitare peut être utilisée de manière aussi excitante dans le rêve idéal de Jimmy Webb que par les Rolling Stones. Et quand il décide de se relier au moment présent, c’est un feu d’artifice de funk et de guitare électrique, tandis que l’orchestre se fait enlevé. Pourtant, l’urgence mimée dans cette chanson n’est qu’une quantité négligeable à l’intérieur de l’album, et Jimmy Webb, incrédule, lui aussi, du résultat, nous rappelle que la musique dont il incarne le pouvoir visionnaire avait un autre objectif sacré : l’urgence de la musique est celle d’être écoutée par le public. « Je vous presse de découvrir Thelma... le plus prodigieux talent que j’aie jamais rencontré » s’extasie t-il dans les notes de pochette. Glen Campbell n’avait pas tout à fait la même énergie, il faut croire.
Libellés :
°°,
1969,
archive,
élégant,
Funk,
orchestral,
review,
Romantique,
Soul
lundi 28 août 2017
{archive} T. REX - Electric Warrior (1971)
OOO
groovy, attachant, entraînant
rock, glam rock, freak rock
Le physique svelte de Marc Bolan n'en fait pas votre guerrier d'heroic fantasy habituel. Le titre de cet album est comme le titre d'un show d'illusionniste. Bolan, né 23 ans ans plus tôt, pour qui l'art s'apparente aux licornes et aux contes d'elfes et de nains qu'il racontait dans ses albums sous le nom de Tyrannosaurus Rex : une mascarade. Le sujet de Electric Warrior est le rock, mais même s'il joue le macho et expose son désir de bête, les chansons gardent une teneur enfantine. Pourtant, ce nouvel album est ourdi d'une mission : percer sur le marché américain. Quant à l'escalade des guitares vers l'électricité, il s'était donné ce cap, même à travers des disques entièrement enregistrés en acoustique. Les power chords étaient pour lui. Cette façon effrontée de jouer devait dissimuler l'infamie d'un homme qui, si jeune déjà, pense avoir compris l'hypocrisie du music business. Cela le plonge forcément dans un certain désarroi, vu qu'il a choisi d'y consacrer sa vie. Avec l'aide, une fois de plus, de Tony Visconti, il parvient à rester honnête, produisant un album qui ne cache pas tant que ça ses véritables sentiments, dans des chansons certes bravaches mais habitées.
Lui qui a connu si tôt les foules de jeunes filles hystériques, il s'adresse à elles avec un dédain adouci par l'émerveillement de ce qu'il s'imagine être « percer ». Sur Monolith, une chanson dont le titre renvoie à Stanley Kubrick, il évoque une humanité circonscrite dans ses rites d'adoration, et qui butte sur des symboles plutôt que de rechercher le progrès moral et spirituel. "And dressed as you are girl/In your fashions of fate/Baby it's too late," ou "And lost like a lion/In the canyons of smoke/Girl it's no joke. » Le déguisement, l'artifice est bien sûr associé au glam-rock, que Bolan tire d'une science fiction sarcastique, doutant encore de sa propre raison d'être. C'est un an avant que Bowie ne se prenne au jeu jusqu'à faire oublier l'origine goguenarde de cette révolution, et les doutes émis et le guitar hero bouclé sont supplantés, pour le grand plaisir des groupies, par les cheveux raides de la créature Mick Ronson, que Bowie a su arracher au folk-rock de Michael Chapman pour le plonger dans un triomphe de rock gonflé de sa vanité présupposée.
La voix fluette de Bolan est largement compensée par ses trémolos, ses soupirs, ses petits cris de contentement, produisant quelque chose d'aléatoire, d'inattendu sans être vraiment dangereux ou sexuel. Il y avait le gong chinois malicieux de Steve Took sur les premiers albums, désormais il y a Bang a Gong (Get it On), qui semble sauver l'album d'une luxure vite escamotée, celle de Lean Woman Blues. Il faut voir comment l'album alterne les moments apparemment plus tendres et les rock and roll à bongos, au premier rang desquels Jeepster, où Bolan se fait le véhicule, vibrant, jouissant et surtout, dansant dont son public avait tant besoin. « I'm just a vampire for your love and i'm gonna suck you » prévient t-il en toute simplicité. Si l'album est immortel, c'est pour cette simplicité attendrissant autant la jeune fille en quête d'un excitant bandit que le reste d'entre nous. Touchant ainsi à chaque fois que le boogie du groupe rencontre une pointe d’amertume à peine cynique.
Bolan sait se déposséder de lui même, faisant monter la tension d'un dernier cran dans Rip Off. Les bongos signent toujours la continuité depuis les débuts de Tyrannosaurus Rex, et l'expérimentation n'est pas en reste, dès les premières secondes, après un one two three four plein d'abandon, bien différent du même décompte au début de Cosmic Dancer. Le saxophone et la guitare explosent, chaotiques. La suite, slogan décliné jusqu'à l’écœurement, élève Bolan au rang de martyr. Mais la poésie est là. "Missing all the slain/I'm bleeding in the rain.. » Le morceau se fond dans une coda de orchestrée et l'on imagine facilement le rideau tiré sur un jeune homme qui a côtoyé la grandiloquence sans jamais spolier sa sincérité, et a ainsi décidé de survivre à son premier triomphe personnel. Il y aurait dû en avoir beaucoup d'autres.
dimanche 27 août 2017
{archive} TYRANNOSAURUS REX - My people were fair and had sky in their hair... (1968)
OOO
spontané, extravagant, attachant
folk, freak rock
La voix sans compromis de Marc Bolan est à découvrir dans ce premier album de Tyranosaurus Rex. La voix et les bongos : c'est les excentricités qui avaient attiré l'attention du producteur Toni Visconti. Aujourd'hui Devendra Banhart a imité cette extravagance et fondé la scène « freak folk ». Avant le glam rock, Bolan a d'abord fabriqué le « freak rock ».
Avec 400 livres, Visconti enregistrera en 4 jours l'album constitué du répertoire de concert de son nouveau poulain, persuadé dès qu'il l'a vu à Tottenham Court Road que Bolan avait le destin d'une star. La configuration en duo, avec le multi-instrumentiste Steve 'Perigrin' Took, acheva de le convaincre. Il envisagea qu'il serait possible d'enregistrer leur musique pour une somme dérisoire, ce que ces 400 livres représentaient, et cela n'aurait pas été le cas avec un groupe classique de quatre musiciens. Sur scène, ils semblaient vraiment complémentaires : le second tapageur avec les percussions mais aussi habilité à produire des backing vocals bien sentis pour le premier. Ils deviennent de belles harmonies sur Child Star ou Graceful Fat Sheba.
Malheureusement, la qualité sonore médiocre de l'album poussera pendant trop longtemps l'artiste (disparu en 1977) et son producteur à défier quiconque de trouver un intérêt à cet album. Il sera remastérisé avec les dernières technologies, pour ressortir en 2015. Visconti n'y verra ainsi plus un gâchis déprimant, mais le véritable potentiel d'un album transcrivant fidèlement le talent du jeune rockeur. La musique du duo est de nature mi-enfantine mi-folklorique, et joue sur un canevas fantaisiste alliant les fables héroïques, des intrigues entre Amérique du Sud et le Proche-Orient. Un ensemble d'inflorescences charmeuses qui séduisent rapidement un public, notamment de jeunes filles avides de divertissement. Il y a pourtant une ombre au tableau, une gravité, celle d'un artiste hanté.
My people were fair and had sky in their hair... se démarque par l'omniprésence d'une guitare acoustique dans le style acid folk, une dynamique qui voit les vignettes s’enchaîner d'une traite, les passages répétés ne sont pas nombreux. On peut toujours s'accrocher à Child Star ou Wielder of Words pour détecter les prémices du glam-rock que T. Rex développera dans sa prochaine incarnation. Mélange d'onomatopées, de phrases spontanées trempées dans sa propre mythologie, les textes entièrement écrits par Bolan peuvent paraître datés, mais ils sont associés à un son sans espace ni temps ni tempo déterminé. C'est un album dont il ne reviendra jamais, ne regardant désormais plus en arrière, et l'auditeur non plus : à la fin, Frowning Atahuallpa (My Inca Love) offre l'un des moments les plus charmants et dépaysants d'une expérience vraiment transcendantale.
Les dernière quarante secondes n'ont que l'apparence d'une bribe inachevée. Contrairement aux albums de Syd Barrett, pour lesquels il fut impossible d'obtenir satisfaction, une fois le son de ce premier album restauré, il apparaît vraiment achevé, comme premier chapitre d'une destinée marquée par la maîtrise de paradoxes et de pôles contraires, Electric Warrior révélant au grand jour cette bataille à peine fantaisiste entre les forces occultes et les séduction spontanées dans la musique de Bolan. Un clair obscur richement détaillé.
Les dernière quarante secondes n'ont que l'apparence d'une bribe inachevée. Contrairement aux albums de Syd Barrett, pour lesquels il fut impossible d'obtenir satisfaction, une fois le son de ce premier album restauré, il apparaît vraiment achevé, comme premier chapitre d'une destinée marquée par la maîtrise de paradoxes et de pôles contraires, Electric Warrior révélant au grand jour cette bataille à peine fantaisiste entre les forces occultes et les séduction spontanées dans la musique de Bolan. Un clair obscur richement détaillé.
LEE BAINS & THE GLORY FIRES - Youth Detention (2017)
OO
lucide, engagé, entraînant
rock, punk rock
Un album très concret, capable de restaurer cette idée écornée comme quoi le rock serait le son de la rébellion. Et d'autant plus remarquable qu'en 17 chansons, Youth Detention devient une œuvre kaléidoscopique, empruntant à tout ce qu'il y a de plus littéral, de la pop punk des années 90 aux Mountain Goats, au moins vingt cinq ans à trente ans de sensibilités exacerbées à l'usage des ados américains. Quoi de mieux que d'exhorter les jeune génération avec un son rock rénové, et des samples choisis pour leur penchant subversif (les black panthers...).
L'album démarre carrément échevelé avant de s'installer peut à peu avec les chansons les plus détaillées, décrivant les zones suburbaines, où l'expérimentation sociale bat son plein, où il faut concilier les besoins et les craintes, les espoirs et les illusions. Les jeunes Noirs ont envie d'être blancs, les Blancs ne se sentent pas fiers, ils rêvent de reconnaissance, de distinction, dans un pays qui leur offre de n'être que la norme. « I don't want to be a whitewash. I don't want to be an absence. I don't want to be the great silence. I don't want to be nobody. I don't want to be from noplace. Don't want to we out memory. Don't want to fortify a colony. » Pour l'ampleur de la palette émotionnelle, on pense à Titus Andronicus. Pour le retour éternel des mélodies, à REM. Voilà ce qu'il en est de faire partie de l' « ethnie dominante » dans un pays qui refuse parfois de faire une fête de sa diversité, obnubilé par un certain travail à abattre.
Lorsque Lee Bains avoue son désir de vraie liberté, de ne servir les desseins de personne, l'album prend une autre épaisseur. Il ne se contente pas de refuser la passivité en chantant du rock, il fait œuvre minutieuse, plus contrastée qu'un simple manifeste. Underneath the Sheets of White Noise signe l'apogée de ces chansons écrites à la première personne, en réaction au refus d'être instrumentalisé, et la volonté de se réapproprier le territoire, de présenter ses alliés et leurs moyens d'action. Les trois principaux alliés de Bains, ce sont les frères Adam et Blake Williamson à la section rythmique, ainsi que Eric Wallace à la guitare. L'album a été enregistré à Nashville, Tennessee, et mixé en Georgie et dans l'Alabama.
Pièce centrale, Crooked Letters est fameusement traversée du chant d'une classe d'élèves. Ils répètent le mot Mississippi, avec un jeu sur la lettre « S ». La dimension sociale est encore plus forte ici, la chanson offre certaines des pensées les plus abouties de Lee Bains, qui semble avoir trouvé sa place et compris, à ce point de l'album, ce qui changera et ce qui restera, et pourquoi il devra toujours se demander s'il est plutôt noir ou blanc, ce que ça signifie, puis si telle possession, telle fabrication, telle invention est plutôt noire ou blanche, que cette question s'applique à chaque silhouette et chaque empreinte américaine, et que ce qui peut être fait c'est de surprendre en répondant avec d'autre mots, d'autres nuances. « I used to be darker, then I got lighter, then I got dark again », a chanté Bill Callahan. Les chansons de Lee Bains sont fouillées pour cela ; la couleur de son environnement ne dépend pas de présupposés ethniques, mais de la lumière. « Guilt is not a felling, it's a natural fact ».
Il fait entrer la lumière, éclaire les personnes pour les soulager de leur honte, comme d'une tâche portée sur eux. Nail my Feet Down to the Southside of Town est un autre moment particulièrement attentif à une ambiance, comme un tournant de l'histoire encapsulé en chanson, dans un album qui privilégie souvent les autoportraits spontanés (I Can Change, Had to Laugh).
SAVANAH - The Healer (2017)
O
puissant, hypnotique
Stoner rock, doom
Un album où narration et teneur musicale forment une osmose réparatrice, une libération graduelle. Parmi les signes distinctifs de ce jeune groupe, dont c'est le deuxième album : ils sont autrichiens. Ils jouent du rock stoner, ou ce type de metal aride, psychédélique, répétitif, traversé d'explorations le pied sur la pédale fuzz, dont le titre renvoie à une qualité de la musique autant que de la trame narrative, indissociables. The Healer est très patiemment conçu, tout en restant facile à cerner. Après Mind et la chanson titre, qui reprennent une recette dense de metal issu des années 90, l'instrumental Pillars of Creation marque un nouveau départ au cœur de l'album, avec un son plus minimaliste et progressif. Lorsqu'on finit par admettre que cette construction est aussi valable que les deux précédentes, déboule Black Widow, où des intonations doom viennent ajouter une profondeur plus ésotérique à The Healer. De nombreuses transformations dans les guitares, dans les vibrations dégagées par la chanson montre un groupe dévoyant les apparences et surpassant les attentes dans un genre assez stéréotypé. Panoramic View of Stormy Weather propose enfin le vrai moment d'affranchissement au jeu, une évasion pour laisser un goût de revenez-y.
The Healer laisse cette impression d'un groupe capable de manœuvrer ses influences pour produire une expérience comme une tempête au cœur d'un sommeil paradoxal. On en ressort peut être guéri, c'est à dire avec des idées fraîches, avec cette envie d'assujettir la réalité pour la rendre plus conforme à la vision étique puisée au fond de la musique de l'album. The Healer est une inspiration à vivre encore un peu plus lucidement, plus attentif à ce qui de notre nature peut émouvoir et nous plonger au cœur de nous mêmes.
jeudi 10 août 2017
LESLIE MENDELSON - Love and Murder (2017)
O
pénétrant, nocturne
pop, country folk
Originaire de New York, l'une des raisons qui lui ont valu une comparaison avec Carole King, Leslie Mendelson tend parfois vers la tristesse ostentatoire que l'on entend chez certains chanteurs pop dès qu'il jouent des ballades au piano. Elle a la voix facile, une aisance à composer des chansons paraissant vite familières, et est capable de leur insuffler ce petit supplément d'âme qui fait qu'on y revient. Les influences jazz ou country blues, dans la deuxième moitié de l'album, la montrent capable d'une maturité apaisée. Parmi les sept chansons originales, trois reprises montrent aussi les cordes sur lesquelles elle joue, notamment Just Like a Woman. Deux chansons choisies parmi les très nombreuses qu'elle reprend en live.
Elle y est accompagnée de musiciens et de chanteurs pour qui entendre entendre la pop et le jazz dans le piano de Leslie Mendelson apportent une quiétude que l'on soupçonne longtemps attendue. Pour la reprise de Blue Bayou (Roy Orbison), elle s'appuie sur la participation de Bob Weir, le fondateur des Grateful Dead. Leur amitié gravite autour de sessions au sein du studio d'enregistrement maison, en californie. C'est son talent et son sens de l'emphase seule à son instrument, guitare ou piano, qui permet à Leslie Mendelson d'offrir des chansons que l'on ressent intactes. Elle est du type à beaucoup jouer, mais à peu enregistrer, comme si elle avait craint de ne pas avoir suffisamment de matière pour produire Love & Murder. L'aspect sans fioritures est finalement la force du disque. L'aspect lugubre de Jericho ou de Murder Me s'explique en partie par la perte de son compagnon et producteur, mais c'est aussi une recherche d'intensité, et une façon de rendre ses images plus vivaces et obsédantes. Dans la même veine, The Circus is Coming évoque une ballade de Tom Waits.
REAL ESTATE - In Mind (2017)
OO
élégant, apaisé, hypnotique
indie rock
Les membres de ce groupe ont sans doute dans leur vie autant d’événements que la moyenne des gens traversant l'existence dans la banlieue d'une grande ville. Il y a les occasions culturelles et sociales, les naissances, les raisons de se sentir progresser ou au contraire régresser. Même reprendre la vie au stade antérieur est envisagé, comme tout le reste, avec un flegme brillant par Real Estate. « I woke up sunday morning, back where i belong. » chante Matrin Courtney sur Serve the Song avec une léthargie trop familière, tandis que les guitares ondoient dans un gaze puis s'affolent, nous rappelant la promesse du groupe que cet album devait sonner 'différent'. Être père, la belle affaire. Aucun changement, pas même le départ de leur principal guitariste, ne les pousse dans leurs retranchements. Ils gardent leur poste d'observation, au coin de la rue, plus intéressés par les détails anodins et la poésie des silhouettes peuplant coûte que coûte le quotidien. Leur musique irradie d'une forme de chaleur que, parfois, il aimeraient peut-être transformer en menace planant, provoquer une catastrophe et libérer de leur monotonie les formes qui se meuvent mais ne s’arrêtent pas.
Stained Glass leur fait retrouver leur meilleur vivacité, la mélodie comme habituellement découpée, la batterie ultra précise et bien sentie, que le tempo soit enlevé, comme ici, ou plus lent, d'ailleurs. Le producteur de Beck et Julia Holter a très bien su clarifier à l'extrême le son d'un groupe qui refuse de jouer comme les autres, mais cultive toujours une différence devenant fondamentale vers la cinquième écoute de l'album. On se rend à l'évidence de l'agencement des instruments, qui leur donne ampleur et légèreté. Les paroles sont toujours contemplatives et un peu amères, comme dans l'appréhension de ce que pourrait provoquer un vrai événement. After the Moon est une sorte d'exploit sans effort audible, montrant ce rare groupe capable de sublimer la résignation sans élever la voix. « Daydream the whole night through /Trust me, the moon will abandon you ». In Mind est le fruit d'un labeur évident pour parfaire la cohésion d'ensemble.
C'est le son d'un groupe ayant compris l'inutilité de lutter contre la conformité des choses, trouvant son salut dans celle-ci. Chaque chanson contient une lumière pour embraser cette monotonie. Peut-être, finalement, le changement climatique viendra à point nommé, quand le problème aura dépassé les faux débats et les discutions de voisinage en rapport avec la météo, et que les choses commenceront à détériorer sérieusement la qualité des relations qu'entretiennent les gens avec leur quotidien estampillé sans histoire, alors Real Estate aura assez subtilement changé pour continuer de rayonner exactement de la même façon. Ils seront demeurés actifs, comme en atteste la qualité hypnotique de leurs chansons. Ils auront se soucier de la nature humaine sans chercher à la départager du sol ou des objets anodins qui l'entourent ; sans chercher à la différencier vainement du terreau de son fléau. Produire des chansons assez vigilantes pour ne pas se laisser surprendre par le monde extérieur, et continuer éternellement. N'est ce pas le l'idéal de tout groupe ? Real Estate s'est installé depuis trois albums et on attend de vérifier à nouveau vers 2019 ou 2020.
mardi 8 août 2017
DEMON HEAD - Thunder On The Fields (2017)
O
lourd, vintage, sombre
Heavy metal, rock, doom
Des chansons à la précision métronomique du post punk, dont les danois sont fréquemment épris, une imagerie et des riffs heavy metal, des arrangements de rock gothique, une voix et des échappées doom metal, Demon Head porte son romantisme dense et resserré. Claustrophobe à certains endroits, on ressent l’œuvre d'un groupe enregistrant live dans un espace confiné. Ils se démarquent aussi par leur habileté à reprendre des canons du hard rock vintage mais sans paraître vraiment nostalgiques d'une époque, comme insaisissables.
De la pochette à la rigueur des compositions, Thunder on The Fields se veut comme la quintessence d'un groupe signant chaque intro de cordes lugubres, mêlant les sonorités mornes et un sens de la mélodie évocateur. Le chant et les guitares œuvrent comme d'une seule main, produisant une langueur, un condensé de torpeur. Peu à peu, tandis que vient la face B, succédant à une face A millimétrée, se dessine la seule justification possible à la musique du groupe. Il s'agit de produire des faits, de mimer l'angoisse dans un pays où il ne se passe jamais rien. « Nothing happens by itself » chante sur Hic SVNT Dracones. Les doutes existentiels sont sincères, et renvoient à un sentiment de sa propre inutilité dans un monde qui n'a pas besoin de nous pour ne rien produire d'utile ni de marquant. Thunder on the Fields évacue ces sentiments à demi raisonnés parce qu'en groupe, finalement, on peut toujours donner ce sens limite à l'existence. Le plaisir d'être ensemble et de bien jouer triomphe de tout.
https://demonhead.bandcamp.com/album/thunder-on-the-fields
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samedi 5 août 2017
{archive} DUKE ELLINGTON - Duke Ellington's Far East Suite (1966)
OOO
orchestral, élégant, varié
jazz, brass band
Ce disque de Duke Ellington semble nous parler entièrement de sa propre musique, et non pas de ce qu’elle devient combinée avec celle d’autres grands jazzmen, Louis Armstrong, Max Roach... La carrière très sociale du compositeur a laissé beaucoup de collaborations, mais ce qui est fabuleux sur cet album, c’est d’entendre jouer ‘son’ orchestre comme un seul homme. Et de surcroît, avec une densité préparant la fin de sa carrière. A 60 ans, il inclut beaucoup de formes de jazz dans sa musique, mais ne se voue pas à l’improvisation. Elle est au contraire fondée en un bloc de maîtrise grâcieux. Nourrit des inventions et des riffs de piano du jazz tels que façonnés par les plus grands, il les télescope avec son propre imaginaire, et d’une spontanéité ancrée, capable de servir de témoin pour les dérives à venir. Car sa musique est étudiée, reproduite, elle sert d’ADN à des générations de musiciens, comme celle de Louis Armstrong. A l’échelle d’une vie, mais d’une vie musicale, avec les humeurs que cela suppose. Jazz is not dead, it just smells funny, disait Frank Zappa. Il n’y a qu’un écart de sensibilité entre l’auteur de The Grand Wazoo et Duke Ellington. Les meilleurs compositeurs savent toujours placer les règles de leur côté quand leur musique le nécessite.
On oublie facilement que cet album résulte d’une tournée de Duke Ellington et de son orchestre dans les pays du moyen-orient, à l’exception de Ad Lib On Nippon, une longue exploration tonale composée pour la venue du big band au Japon.
Des thèmes langoureux comme Isfahan ont charmé des amoureux de musique dans des clubs du monde entier. Mais la vivacité de cette musique, on l’imagine remonter une rue de la Nouvelle Orléans, ou de New York, quittant son berceau noir américain, sortant de son lit pour éveiller les sensibilités dans tous les recoins des villes endormies.
Mount Harissa est une autre de ces mélodies très imagées, servant de visa sonore pour Duke Ellington, prouvant qu’où qu’il s’aventure c’est bien lui, sa façon d’être au monde, d’orchestrer. On y retrouve l’émotion réarrangée qu’il avait empruntée à Grieg sur son interprétation de Peer Gynt en 1961. Pour parvenir à évoquer la musique des maîtres classiques du XX ème siècle, tels que Stravinsky, les instruments les plus distincts sont ses alliés dans l’expression ; les saxophones, puissants et rigoureux, le trombone charnel, la trompette contemplative, douce, ou la clarinette plus alerte.
Cet album est paru à une époque ou ce type de large ensemble n’était plus populaire. Pourtant, depuis cette œuvre opiniâtre, il est difficile de quantifier l’inspiration suscitée par Ellington, auprès de ceux découvrant en même temps que sa musique le plaisir de la faire vivre là où se crée la société, par le brassage, et dans un souci de toujours porter l’ambiance naturelle des lieux à une joie pure, laissant les règles du sentiment, de la sensation, prendre peu à peu le dessus sur les règlements écrits par Ellington dans sa partition. Quand s’élève la seconde mélodie de Blue Pepper, on a déjà l’illusion du lâcher prise. La batterie propulsive et le tempo enlevé donnent cette impression. Mais ce quand on l’imagine réinterprétée, dérivée, prenant un autre chemin, qu’elle révélera son potentiel évolutif sans limites. Agra, toute en retenue et tension, laisse se dissiper cette impression de facilité.
Libellés :
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1966,
archive,
Brass band,
élégant,
Jazz,
orchestral,
review,
varié
{archive} KIMBERLEY BRIGGS - Passing Clouds (1972)
orchestral, intense, épique
rock, soul
Un album où le rock et la soul sont projetés à plein volume, combinant la densité des émotions, l’audace des arrangements et l’imagination. Les personnes ayant entendu cet album si rare sont restées longtemps parmi les intimes de Kimberley Briggs. La chanteuse, originaire de Nashville, est plus connue pour sa carrière sous le nom de Kim Tolliver, qui enregistrera plus tard une musique un moins échevelée, des ballades chargées de résignation dans la veine de ce qu’elle écrit ici : He’s Still on My Mind et If i Could Work a Miracle.
Un large casting de musiciens produisent une instrumentation tonitruante couvrant presque toute la palette de l’orchestre. La production confiée à Freddie Briggs, alors mari de la chanteuse, parvient encore à faire vivre la subtilité des mélodies malgré l’utilisation de cette pléthore de sons. La présence d’une harpe est révélatrice de cette volonté de profondeur et d’épaisseur musicales. Mais l’intensité de narrations évite Passing Clouds de paraître surproduit. C’est toujours le cas sur le moment le plus extrême de l’album, les neuf minutes de What in This World’s Happening to Love. Kimberley Briggs s’interroge dans l’introduction du morceau, ponctuée de cris stridents et des « hey ! » punchy d’un chœur masculin. La basse rampante, une guitare électrique graisseuse et de l’orgue, créent une atmosphère pleine d’appréhension.
Enfin, Kimberley Briggs introduit son chant le plus mélodieux, de façon théâtrale. Des chœurs en extase font virer l’atmosphère vers une transe spirituelle. La basse, la batterie marquent le tempo, lent et bien funky, tandis que le piano se taille une part des plus importantes dans la mélodie. L’orgue, en exergue, souligne l’exultation d’un chanteur à la voix inquiétante : « Wake up world ! Ouahahahah.... » Le deuxième partie du morceau est l’occasion pour Briggs de hurler presque son message communion. Cette chanson n’est pas la plus évidente à aimer sur l’album : les revirements, et en particulier, les éléments psychédéliques la rendent difficile à saisir. Elle devient au fil des écoutes l’un des moments les plus originaux et intenses de l’album.
La seconde moitié du disque est une suite exaltant la forme narrative. Girl Talk With Parents raconte le début de l’histoire : une jeune femme qui tente d’éloigner son petit ami des excès et des autres femmes. Briggs est autoritaire, sa voix plus grave, un peu rauque, un timbre unique, dans un style parler poussé à son summum. L’orgue, le piano et les bruitages produisent une ambiance de film noir, servant de transition narrative vers la chanson suivante, une version de The Letter très différente de la version plus tardive de Melanie sur Photograph (1976).
Encore une chanson épique, une version possédant bien plus de souffle que celle des Box Tops, qui l’ont popularisée. Le changement de rythme propulse un nouveau groove spatial et laisse s’évanouir la mélancolie si juste du morceau. Mais on la retrouvera sur l’une des plus belles chansons, Leaving on a Jet Plane, dont les notes égrainées à la basse agissent comme un stimulant spirituel.
Une chanson de John Denver, avec une interprète servant sur un plateau sa maturité émotionnelle hors normes.
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