lucide/apaisé
indie rock/garage rock
OO
A son meilleur, la musique de Kurt Vile est un nuage plein d'affect, une gaze de vapeur chaleureuse, dégage une tranquillité imbattable, un confort spacieux, semble se dissoudre, se répandre comme la fumée des machines à fumées sur les scènes de concert, dans un remous circulaire qui ne cesse jamais de se répéter. C'est un univers solitaire, emprunt d'une drôle de tristesse, mais aussi de bien-être, traversé à chaque fois que les notes de guitare scintillent, et émergent de leur enveloppe, d'éclairs de lucidité. Le son délavé est relaxant, déconnecte et donne la même sensation de plénitude que si vous vous promeniez dans les rues désertes, chaudes et silencieuses de Philadelphie un jour de printemps, concentrant votre plaisir sur un petit courant d'air qui fait de la surface de votre peau la seule chose au monde qui compte pour votre propre plaisir. Il faut attendre, patiemment, pour être définitivement captivé, de se rendre compte qu'il y a quelqu'un d'autre dans cette musique, comme un ami, qui avec perspicacité a rassemblé assez de vécu pour enregistrer un double album, donnant aux onze chansons plus de souffle encore qu'en 2011, qu'en 2009. Il avait alors déjà trouvé sa façon unique de les interpréter, répétant les arpèges comme un envoûtement. Il était déjà le plus électrique des indie-rockeurs domestiques, le père de deux filles.
« Life is like a ball of beauty that makes you wanna just cry, then you die » chante t-il avec une voix légèrement plus touchante qu'à son habitude sur Too Hard, peut-être le chef d’œuvre de l'album. Une certaine forme de perfection avait été atteinte avec Smoke Ring for My Halo, en termes de déteinte, de façon de délivrer les messages personnels – sur On Tour et Ghost Town particulièrement. (« Je pense que je ne vais plus jamais quitter mon chez-moi/car quand je sors je ne vis que dans ma tête. ») Waking on a Pretty Daze élargit le champ des émotions, semble avoir l'ambition de couvrir toutes celles qui peuvent traverser un jeune père de trente-trois ans, aussi déterminé que rêveur, au cours d'une journée où chaque détail a une importance. Les meilleures chansons sont celles qui prolongent le plus intimement les interrogations dérivées des mystères de la vie quotidienne, qui sous couvert d'atermoiements révèlent en réalité l'assurance de Kurt Vile à remplir son rôle, en décalage avec la pop, avec le paraître, avec la culture dominante fondée sur l'interaction. S'il a semblé jouer de la guitare pour lui-même, c'est que Kurt Vile a bien compris que les choses qui méritent vraiment notre admiration sont celles qui se révèlent le plus lentement, sans agressivité inutile. Au fil des écoutes, des aspérités se créent dans cet album fleuve et l'aspect touchant de chaque parole laconique devient évident.
Sur Too Hard : « Prends ton temps/c'est ce qu'il ont dit et c'est la meilleure façon de vivre/mais est-ce possible pour les pères et leurs petites filles ?/Je promets de faire de mon mieux, de remplir ma mission/pour Dieu et mon pays. » L'humour ne fait pas exception, il bénéficie d'un traitement spécial : à l'image des chansons, plutôt que de donner un jugement, il nous amène à l'étape suivante, Vile se détournant toujours de sa dernière grande pensée poignante pour suggérer que l'essentiel est ailleurs, jusqu'à ce que vous vous rendiez compte que vous avez été renversé.
Alors qu'à sa première diffusion, la chanson d'ouverture, Waking on a Pretty Day semblait contenir, en neuf minutes, la quintessence de Kurt Vile, avec sa mélodie qui se développe lentement et son apparente simplicité révélant dans le fond des richesses sonores capables de souligner au mieux son introspection , on se rend compte de notre erreur. L'album va plus loin avec le ressentiment nostalgique de Girl Called Alex, dont les arpèges sont parmi ceux des plus définitifs que Vile ait jamais joués ; la frustration mise à nu sur Shame Shamber ; le fantasme que la drogue fournisse un échappatoire trop poétique pour être vraie sur Snowflakes are Dancing. Ils se décrit « chilling on a pillowy cloud » d'un ton irrésistiblement relaxant. Une phrase de cette chanson, « There is but one true love/within my heart » détourne de façon très consciente, l'une des paroles les plus mémorables du précédent album, sur Baby's Arms, « There has been but one true love/in my baby's arms. » Cela laisse imaginer ce qu'aurait pu signifier « il n'y a jamais eu qu'un seul amour/dans le creux de mon bras », ce que par chance Vile a évité de chanter. Des lignes telles que « chilling on a pillowy cloud » sont étrangement satisfaisantes. Il a vendu la licence de Baby'sArms pour une publicité, s'attirant les foudres de ses fans. Il souhaitait seulement vivre de sa musique...
Enfin, Goldtone raconte le désir de se fixer sa pensée plutôt que de refuser de penser, de ne plus fuir dans des mondes interlopes et d'emprisonner les douleurs plutôt que de chercher à les atténuer : « I might be adrift but I'm still alert/ Concentrate my hurt into a gold tone."
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