Parution : mars 2012
Genre : Americana
A écouter : New York Banker, In Between Jobs, Brenda
OO
Qualités : engagé
En quelques albums, Todd Snider s’est taillé une réputation d’élément perturbateur de la musique blues-folk. Il prêche plutôt en terrain converti pourtant. En effet, dès lors qu’on parle de musique folk, ou de musique blues, les personnes susceptibles de s’intéresser à un tel disque sont déjà des gens aux idées de gauche, sensibles aux artistes et à leurs poignantes batailles sociales, attentifs aux injustices qu’ils peuvent ressentir, même s’ils (les artistes) ne les subissent pas eux-mêmes, appréciateurs de leur absence de cynisme doublée d’un humour noir qui peut être féroce ou plus doux (pour ce qui est de l’humour, ces artistes ont pris les devants sur tout le monde en prévoyant que la campagne devienne vraiment pénible et agressive). Le fait qu’un trublion tel que Snider soit signé sur une major et vende des disques est une bonne nouvelle. J’ai aussi une pensée pour Ry Cooder, et côté public, à tous ceux qui se préparent à voter, en pensée, lors des prochaines élections américaines. Ry Cooder ne va pas sauver l’arctique, mais ses attaques contre le parti républicain, déguisées en chansons enthousiastes, font mouche à chaque fois, et c’est un des meilleurs guitaristes au monde (voir Election Special, 2012).
Todd Snider n’est pas mauvais non plus : guitare électrique, acoustique, harmonica, et un bagout d’enfer. Il a enregistré un album qui commence par un monologue incendiaire contre la religion organisée et son rôle historique dans l’inégalité des classes sociales américaines (avant qu’un refrain mélodique ne prenne le relais : « Who you gonna trust /If you can’t trust me » ; et qui se termine dans une certaine sensualité instrumentale. Dans l’entre-temps, la violoniste Amanda Shire a fait des merveilles sur 10 chansons à la fois brutes et séduisantes, envahies d’urgence salutaire autant que caressantes. Shire chante aussi derrière Snider, participant de ce sentiment à la fois nonchalant, enthousiaste, puissant, habile qui fait de l’album une réussite particulière. La présence d’un groupe est chose nouvelle pour le songwriter ; un jour, en voyant Jerry Jeff Walker (auquel il a récemment consacré un disque de reprises) dans un bar du Texas, il imagina qu’il pourrait se passer de musiciens et se débrouiller seul. Revenu à Memphis depuis quelques longtemps, il a changé d’avis pour Agnostic Hymns & Other Stoner Fables.
In The Beginning est donc un sermon parfaitement ajusté, sur le thème de : “And ain't it a son of a bitch/To think that we would still need religion/To keep the poor from killin' the rich." Non, Todd, la vraie honte est de ne pas avoir inclus les paroles de tes chansons dans le livret de ton disque. New York Banker aligne les « Good things happens to bad people » sur un refrain facile à reprendre, et dans une tonalité approximative. C’est une chanson anti-Goldman Sachs qui n’a pas besoin de sous-titres ; les 2 chansons suivantes sont moins immédiates, mais ont fait couler autant d’encre. Sa façon de s’adresser à la plus jeune génération sur Precious Little Miracles, chanson aussi frappante que dépouillée, est sans détour. “ So your school is a joke, and you’ll always be poor/And your pleas to the rich have been heard and ignored/Is that what all you crazy kids are so upset for?” assène t-il d’un ton paternaliste autant que grinçant. Après une chanson en forme d’intermède sur le thème de: ‘cette fois–ci c’est vraiment la dernière fois que tu me brises le cœur’, Snider revient au fantasme de vengeance non-violente avec In Between Jobs, blues chaotique au message finalement assez positif : “We’ve gotta try and find some kind of way to cope/ It ain’t the despair that gets you/ It’s the hope.”
Brenda rappelle l’ambiance de l’album de Ry Cooder, Chavez Ravine (2005) ; une chanson généreuse et plus apaisée, faisat hommage à des lieux et à des gens, et débattant du ‘véritable amour’ ; Mick Jagger et Keith Richards y sont cités. Too Soon To Tell a un coté plus dramatique (“"I wish I could show you how you hurt me in a way that wouldn't hurt you too." “), et évoque quand à elle l’album The King of in Between de Garland Jeffreys, avec son intransigeance en embuscade : “They say that living well is the best revenge/ I say bullshit, revenge is the best revenge,” Digger Dave’s Crazy Woman Blues et Big Finish sont aussi prometeurs que le laisse présager leurs titres – la première des deux sonnant vraiment, avec un tel patronyme, comme un mélange Grinderman/country blues. Snider est assez soucieux du détail pour nous tenir en haleine jusqu’au bout. “Some people won’t take no for an answer/ Hell, some people won’t take yes for an answer.”
On a autant de plaisir à commenter Todd Snider et ses disques que ses influences Randy Newman ou Garland Jeffreys. Il a beaucoup changé depuis ses premiers albums inspirés par John Prine, est devenu après The Devil You Know (2006) plus féroce, sardonique, dans le but d’éveiller les consciences. Là ou The Excitement Plan, son précédent disque avait déjà mis les pied dans le plat politique, Agnostic Hymns est un mélange de recul, de déception, d’agressivité, d’humour à l’emporte-pièce qui ne peut venir que d’un homme qui se sentant profondément bafoué, démoralisé par moment devant l’état du monde, mais dont le souhait est de toujours se donner une nouvelle chance de repartir sur de bonnes bases. Cet album révèle tout le talent de Snider non seulement pour le pamphlet, mais comme raconteur d’histoires, de relations, comme puits inattendu d’affection et de dérision mêlées. Snider a le don de transformer l’injustice du monde en arme pour avancer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire