Traduit du quotidien britannique The Guardian.uk
A l’approche des élections, la scène artistique américaine semble plutôt molle et complaisante. Tandis que l’on célèbre le centenaire de la naissance du protest singer Woody Guthrie, Cooder montre qu’on peut vivre en 2012 et partager l’intransigeance et la ferveur d’avant l’avènement des styles de vie, des médias sociaux et des autres machines à tourner en rond. "Est-ce vraiment possible ? Oui, ça l'est, il suffit de le voir de cette façon", affirme un grand guitariste au grand coeur de la musique américaine.
Devrait t-on penser que Mitt Romney est le moins pire des candidats dans les rangs Républicains ?
Non. Romney est aussi mauvais qu’on puisse l’être. C’est un homme dangereux. C’est un homme cruel. [Cooder justifie cette cruauté dans sa chanson Mutt Romney Blues, où il raconte que le candidat a attaché son chien dans un cage sur le toit de sa voiture et l(y a alaissé pendant 12 heures de voyage]. C’est la parfaite créature qui incarne tout ce qu’est le parti républicain. C'est-à-dire, un capitaliste rapace. Quiconque a été à la tête de Bain Capital (une firme de capital-investissement qui a racheté des centaines d’entreprises avant de les spolier) ne peut être bon. Tout ce qu’ils font c’est violer et piller le territoire. C’est ce qu’il a fait à la tête de Bain Capital et c’est ce qu’il continuera de faire. Le comble c’est qu’il puisse promener tout le monde en faisant croire que c’est un bon businessman. Et son visage - ce grand sourire – est jovial mais vide. Les gens sont tellement désespérés. Ils n’ont pas le temps de faire des recherches et remonter l’histoire de cet homme. Et les républicains le savent. Ce que j’essaie de faire avec les chansons que j’écris, c’est : donnons un autre regard de la situation. Je n’écris pas de livres ni ne donne de discours, mais avec une chanson de quatre minutes tu utilises un allégorie et d’autres moyens pour suggérer un point de vue différent.
C’est comme regarder au coin de la rue, c’est ce que les chansons font parvois. Elles vous frappent d’une nouvelle pensée. Par exemple, j’aime l’idée que les Kock Brothers [propriétaires de Koch insdutries, la seconde plus importante entreprise des Etats Unis, et de groupe de droit conservateurs] aient fait un pacte avec Satan à un croisement de route. C’est frappant car tout le monde a cette image du démon à un croisement de route – certaines de ces chansons en évoquent d’autres.
C’est un peu différent des protest songs des années 60. Pensez-vous que ces chansons n'ont jamais été vraiment efficaces ou est-ce que les temps changent ?
Eh bien, je ne sais pas écrire de la musique de cette façon là. Ce sont des 'soldier songs' pour encourager les gens à aller protester sur la ligne de front. We Shall Overcome, etc. Et on a besoin de ce genre de chansons. Surtout dans l'Occupy Movement [mouvement international contre l'inégalité économique et sociale]. Je pense qu'ils vont avoir besoin de chansons telles que celles-ci, que ça leur sera utile. Ce n'est pas la même pensée musicale. Ce que je vise, ce sont des narrations qui vous introduisent à un personnage, un personnage qui raconte une histoire. Les chansons irlandaises fonctionnent de cette manière. Ou le vieille musique country. Ce n'est pas aussi direct que les protest songs.
Mais vous trouvez tout de même quelque chose d'inspirant dans l'idée de Woody Guthrie et de sa guitare avec le slogan 'cette machine tue les fascistes' écrit dessus ?
Bien sûr. C'était un grand raconteur d'hstoires. Il était parfait. Il avait une forte imagination, et ces chansons... vous pouviez les faire vivre dans votre tête. Il avait un don pour tirer des chansons de toute chose. Il lui arriva de voir le film Les Raisns de la Colère [1940], et il écrivit Tom Joad dans la nuit, cette chanson épique avec tant de couplets. Parce qu'il l'avait vu, il savait comment écrire cette chanson, je suppose. Il a traversé la Dépression et le Dustbowl [période de forte tempêtes dans les années 1930 qui causèrent des dommages importants dans les campagnes américaines et canadiennes] et ça l'a inspiré. C'est toujours bon de l'écouter. A présent, nous l'écoutons de nouveau, au 100 ème anniversaire de sa naissance.
Est-ce une chose qui a été perdue dans l'écriture ? Je me souviens d'une chose qu'a dite Bob Dylan à propos du naufrage du Titanic : dans les mois qui ont suivit, des dizaines de chansons on été écrites pour réconter l'histoire selon différentes perspectives. Aujourd'hui les gens n'attendent pas ça de la musique, ils regardent la télévision.
Je sais. Nos modes de vie ont tout corrompu. Ainsi si vous voulez être musicien vous devez vous présenter comme un démonstrateur d'une sorte de style de vie qui est utile à ceux qui ont besoin de faire la preuve de nos différents styles de vie : pour vendre des fringues, de l'alcool, ou autre chose. Disney a engendré ça. Le vocabulaire de la musique s'en est retrouvé modifié dans les années 1970, et jusqu'à aujourd'hui. Il est davantage question de la personne et ce qu'elle paraît plutôt que ce qu'elle pense ou de quelles sont ses expériences.
Mais malgré cette vitrine commerciale, on commence à voir de plus en plus de personnes qui se remettent à jouer pour exprimer quelque chose. Il leur faut retrouver la manière de s'y prendre, aux jeunes gens. Ils semblent le vouloir de nouveau.
Les médias sociaux ont t-ils un rôle quant à ça ?
Je ne crois pas aux réseaux sociaux - ce n'est qu'une grosse arnaque. C'est une manoeuvre. C'est Orwéllien. Ce petit écran vous hypnotise. Tu vas faire ce qu'il veut que tu fasses. Et que veut t-il que tu fasses ? Que tu envoie des messages à tes amis. Pour dire quoi ? "Hey ! je suis dans le coin !" - et l'autre répond "Je suis dans l'autre coin !" C'est ce que vous écrivez... mais que pensez-vous ? Attendez. Vous ne savez même pas ce à quoi vous pensez et ce que vous ressentez, si ce comportement est votre quotidien.
Ces réseaux sont au crochet de transactions, et ils livrent cette audience massive - à qui ? Je n'ai pas confiance.
Les réseaux ont célébré le Prinptemps Arabe. Au final, les militaires ont pris l'Egypte de toute façon. Qui a dit qu'ils avaient eu une révolution ? Ces militaires néfastes ont débarqué comme ils l'ont toujours fait.
Et la génération à laquelle vous apparttenez... Quand vous regardez en arrière, qu'ont t-ils changé ?
L'idée de changement est sur-estimée. Un vrai changement ça a été Lyndon Johnson proposant le Voting Rights Act. La plupart y était hostile. Les Démocrates n'en voulaient pas, sans parler des Républicains. Ni Eisenhower, ni Kennedy n'en voulaient - mais il fallait qu'ils le fassent. Aujourd'hui, on a des choses du calibre des lois dites de légitime défense - qui sont reponsables de l'assassinat de 80 afro-américains. On revient au lynchage. On reprend Jim Crow et on recommence. Est-ce vraiment possible ? Oui, ça l'est, il suffit de le voir de cette façon. C'est ainsi que je vois les choses. C'est ce que j'essaierai de dénoncer dans mes chansons, jusqu'à ma mort. Ce sont aussi des faits.
Sur le nouvel album, la chanson Cold Cold Feeling représente le président Obama déambulant dans le bureau ovale, dans le noir. Est-ce un homme bon dans une situation impossible ?
Oui, à 110 %. Ils est entouré de chiens. On l'empêche d'agir car les républicains se sont assurés qu'aucun président, ce qui inclut les Démocrates, ne puisse faire le bien. C'est pour cela que Bush a été envoyé, lui aussi : détruire la présidence, et c'est, je pense, ce qu'il a fait. Comment en revenir ? Comment redorer la présidence après ça ? Ils parlent de bipartisme mais c'est un mot creux. Qu'est-ce qu'Obama est censé faire ? Comment peut-il opérer ? Cette histoire de sécurité sociale, c'est vraiment une chose. Ils vont passer derrière et essayer de tout détruire, c'est le plus gros effort de parti Républicain à présent, de couler le Titanic !
Je pense qu'Obama un homme bon, avisé. Il comprend la constitution, et a toutes les chances de la respecter. Pas eux.
Ce disque est t-il né d'un sens du devoir - car il faut bien que quelqu'un réagisse et dénonce - ou d'un besoin de thérapie, pour apaiser votre colère ?
Un peu des deux. J'ai envie de m'exprimer car je pense que vous le feriez si vous le pouviez. C'est un challenge mais c'est aussi amusant. Je prends du plaisir à écrire ces chansons. Sinon, que pouvons nous faire, à part abattre notre poing sur la table ? La colère n'est pas une bonne chose. Ils gagnent beaucoup de temps en vous mettant en rogne. La musique est ma voie. C'est ce que j'ai.
Ressentez vous parfois une lassitude - Y-a t-il la tentation de faire autre chose, comme un disque avec l'équipe du Buena Vista Social Club ?
Premièrement, les old-timers nous ont quitté [plusieurs membres de cette formation cubaine, déjà agés en 1999, sont désormais décédés], ou alors ils sont dans des endroits où je ne peux plus les trouver. Nous sommes en 2012 !
Et la particularité de la musique, c'est que je ne sais jamais d'où va venir la prochaine impulsion. Etant donné que nous sommes cernés de problèmes, dans ces temps instables.... La dynamique c'est d'écrire selon ce qui se présente.
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