Parution | juillet 2012 |
Label | Misra Records |
Genre | Americana |
A écouter | Portsmouth, Ohio |
° | |
Qualités | pénétrant |
En 2010, Tony Joe White sortait un disque de 10 chansons aussi puissantes qu’elles étaient minimalistes. Sur l’une des meilleures, Tell Me Why, il chantait ces lignes : « Tu essaies de transmettre au batteur ce que tu ressens/Tout revient à la chanson, il faut la garder simple/Il faut de la passion, et il faut de l’âme. » La voix de Jerry DeCicca, sur Occasion for Song, est souvent très proche de celle de White ; à peine plus d’un filet, voilée, comme à bout de souffle ; et le timbre est presque le même ! Ils n’ont pourtant pas le même âge ; l’un sortait un disque au crépuscule de sa carrière et se permettait de capter la plus valeureuse des poésies de la résignation, mettant sur bandes un peu de la poésie visuelle alentour, comme un testament ; tandis que pour le jeune groupe The Black Swans, il ne s’agit que du 5ème album, ce qui sous-tend encore un désir d’exploration musicale. D’autres similitudes intriguent : ainsi l’utilisation minimaliste et pourtant centrale d’un orgue électrique, et l’ambiance générale, au dépouillement. Jerry Decicca n’a effectivement presque que son batteur pour essayer de partager ce qu’il ressent. Ce ne sera plus avec le violoniste, et fondateur du groupe, en tout cas : Noel Sayre, décédé d’une crise cardiaque à mi-chemin entre le plongeoir et la surface de l’eau de cette piscine qui figure sur la jaquette de Occasion for Song. Quatre après sa mort, et alors que Don’t Blame The Stars (2011), le disque précédent, avait été interrompu brutalement et achevé avec le poids non résolu de son absence, le groupe a décidé cette fois d’adresser Sayre et le drame de son décès une bonne fois pour toutes. Là ou Don’t Blame the Stars constituait notre dernière chance d’entendre le travail virtuose de Sayre au violon, un élément important dans le son du groupe, sur Occasion for Song l’instrument est bien entendu absent, et non remplacé : c’est sur Basket of Light ou Daily Affirmation que banjo, guitare et orgue tentent le mieux de combler le trou béant causé par cet élément manquant.
Ce choix d’ascétisme permet de mettre en valeur la teneur des chansons : élusives, à peine formées, déterminées sans être fortes. A la fin de chacune d’entre elles, on espère que le détachement qui les caractérise s’envolera à la suivante. A sa place, une délicatesse sans cesse renouvelée nous informe que c’est impossible, que c’est au-dessus des possibilités de DeCicca et du groupe. Le travail de Chris Forbes, à la guitare, est révélateur ; il suggère souvent plus qu’il n’entre dans le vif du sujet, donne une forme aux chansons tout en en gardant les contours flous, ouverts, de telle manière à faire du disque un flot continu, calme, lent ; un murmure. Un harmonica transparaît ici ou là, plus morne que lorsque le guitariste canadien Neil Young pleurait le décès de son ami Danny Whitten. Si c’est de l’americana, c’est à un monde de Robert Earl Keen et de tous ceux qui ont l’intention de faire danser leur public. C’est même difficile d’imaginer cette musique jouée en concert.
La force de l’album est sous la surface, dans son origine, dans son sens. Ainsi, non seulement il n’y a pas d’artifices pour faire ressortir la nostalgie ambiante, mais il n’y a même pas de nostalgie tout court. Réminiscences, souvenirs auxquels il est impossible d’échapper ; les chansons viennent à l’esprit des Black Swans inéluctablement, sans donner l’impression d’avoir été écrites – ce qui peut sembler pénible pour eux mais devient le signe d’un abandon qui conduit au plaisir. Passant du détail triste aux prémices de l’amusement ou à l’étrangeté, DeCicca reste détaché. Sur Portsmouth, Ohio, chanson qui détaille le jour du drame ; “No one’s supposed to die three days before the 4th of July” Sa voix est suffisamment effacée pour ne pas faire signe d’accablement. Le chanteur fait face à la réalité de façon implacable, désosse le mythe d’une terre promise en même temps qu’il étudie, en filigrane, sa propre mortalité. Sur Fickle and Faded, DeCicca se souvient – ou invente – une rencontre avec Ramblin Jack Elliott qui lui dit : "Kid, there's no such thing as a promised land." Avec la suggestion de son propre suicide dès la première chanson, c’est un disque qui ne prend pas la peine de dissimuler les sensations telles qu’elles viennent, même les plus défaitistes, et il en va de même des désirs soudains, capables de perdre leur sens aussitôt qu’ils sont révélés : « Where are you tonight my dear friend, I thought I’d see you again.” Qu’est-ce qu’une ‘occasion for song’, finalement ? Les regrets, l’attente, la colère, la tristesse, la peine, et bien sûr l’espoir ou la joie. Ici, ce ne sont au contraire que vérités fugaces, que mauvaises raisons rendues touchantes. Sur la chanson qui termine le disque, Bad Dream : “Sometimes the occasion for song is filled with reasons that are all wrong”. C’est peut-être l’album le plus convaincant qui soit par un groupe qui n’a jamais désiré l’écrire ni l’enregistrer un jour.
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