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mercredi 8 mai 2013

EELS - Concert à Paris le jeudi 25 avril 2013 : « You Little Punks Think You Own This Town »...



Le dixième album de Mark « E » Everett apparaît, dans sa discographie quasi irréprochable, comme l'un des plus aboutis, autant du point de vue de paroles dont on sent qu'elles comptent plus que jamais (« bombs away/i will be heard ») et parviennent à laisser un sentiment, que de la musique. Un nouveau sommet de carrière est atteint en la matière avec la partie centrale de l'album  : la puissance et la primeur de Peach Blossom, le charme idéal de On The Ropes, le tournant plus dramatique pris par The Turnaround, qui hisse cet album de 50 minutes à un autre niveau, et propose la plus belle fin qu'une chanson de Eels puisse posséder, captant l'image assez vraie de l'homme des bois surgissant au détour d'une colline de Los Angeles (« 6 bucks in my pocket and these shoes on my feet/The first step is out the door and onto the street”) ; et enfin, New Alphabet, la nouvelle épiphanie des chansons type « fresh start» dans le répertoire du Californien. Pour un américain, quoi de mieux qu'une tournée européenne pour faire l'effet d'un soin de jouvence ?
 
Rien sur Wonderful Glorious ne fait office de faire-valoir, de recyclage inutile ; tout est sentimentalement juste, épars sans cesser de coïncider parfaitement avec l'image que l'on a de Eels : le meilleur projet musical américain qui soit à la fois rock expérimental, mélodique et aussi largement autobiographique. Il maîtrise tout cela mieux que jamais. Wonderful Glorious est un disque libéré dans le répertoire d'un homme obsédé par les thèmes, les fils narratifs. Il faut remonter à Shootenanny ! (2003) pour trouver un album de Eels qui fasse aussi visiblement peau neuve, et le résultat est plus convaincant sur Wonderful Glorious. Peach Blossom, The Turnaround, New Alphabet : ces chansons cimenteront le concert au Trianon (18 ème arrondissement). Elles ont le souffle nécessaire pour être touchantes en acoustique à la National Public Radio et fun à Paris, dans une salle dont la côte grimpe sans cesse, avec en février 2013 un concert de Nick Cave largement commenté.

Concert à Paris le jeudi 25 avril 2013 : « You Little
Punks Think You Own This Town »...

Les récents concerts donnent une nouvelle cohésion à toute une partie du répertoire de Eels. Le concert démarre avec Prizefighter, la chanson qui ouvrait l’album Hombre Lobo : 12 Songs About Desire (2009). Un album qu’Everett a depuis qualifié de préquel au sein de la trilogie qui continuait avec End Times (2010) et se concluait avec Tomorrow Morning (2010), peut-être son album le moins réussi à ce jour. Ces deux derniers albums conceptuels – l’un sur la fin d’une relation amoureuse, l’autre sur les possibilités de refleurissement que permettait une disponibilité affective nouvelle - seront absents ce soir. Everett va à l'os, à la quintessence de son groupe. Hombre Lobo est une étape importante de sa discographie, celle où, après tant d'années passées à remuer son passé familial, Everett exprime enfin exclusivement sa dévotion amoureuse en termes sentimentaux et charnels et s'invente, avec un détachement nouveau, des filiations avec l'histoire de rock. Dans une relation de tandem typique de cet album, il va enchaîner le blues tempétueux de Tremendous Dynamite et une de ses toutes meilleures litanies en quatre accords, That Look You Give That Guy.
 
L'ambiance est enjouée ce soir, heureuse, ce qui n’empêche Mark Everett de chanter sa propre vie, mais en mode plus baroudeur que jamais, aviateur à la voix voilée, larguant les bombes de l’humour et de la tendresse sur son répertoire et sur son propre groupe. Trois guitares et la batterie placée à l’avant scène garantissent que le concert soit rock n’roll. Les musiciens sont à égalité. C’est le message principal de la soirée : Everett aime ses gars. On fête l’anniversaire de l’un d’eux, offre une cérémonie « à la française » à un autre parce qu’on n’a pas joué ensemble depuis dix ans, avec accordéon donc, et les embrassades se multiplient. Wonderful, Glorious est un album inhabituellement collaboratif pour Everett, avec certaines chansons composées à quatre mains. Il commente pour le site Popmatters : « J'ai toujours été ouvert à tous ceux qui travaillaient avec moi quand j'enregistrais. Mais si ça me paraissait de mauvaises idées, j'étais plus enclin à dire 'Non, on ne va même pas essayer.' Mais cette fois, même si ça ressemblait à de mauvaises idées, je disais, 'ok, on essaie. Et souvent, je devais reconnaître mon erreur. Ce qui ressemblait à des idées terribles était en réalité de super idées. »

« Le premier jour d'enregistrement a été difficile, car rien ne cliquait jusqu'à la moitié de ce jour. Et soudain tout d'un coup, ça a commencé à fonctionner, et ça n'a pas cessé pendant un mois. Il y a une part de chance. De bon timing. Nous nous sommes éloignés pendant un moment, puis sommes revenus brancher nos instruments et nous sentions que nous étions à notre place pour donner le meilleur de nous-mêmes», raconte Everett, qui a eu 50 ans en avril 2013. Et le disque prend un nouvel essor sur scène. Les meilleurs moments de Souljacker (2001), Hombre Lobo et Wonderful Glorious s’enchainent à un volume indécent, comme le set le plus évident du monde. D’où l’avantage d’avoir si peu changé de méthodes de composition en vingt ans de musique. « C'est comme de faire du vélo ou de faire l'amour. Une fois qu'on sait, on n'oublie plus. Et comme le vélo et l'amour, il faut trouver des variantes pour maintenir l'intérêt de la chose au fil du temps qui passe. Surtout en ce qui concerne le vélo», s'amuse Everett, La fraîcheur et l'accord parfait entre musique et textes sur Wondeful Glorious s'explique aussi : « Pendant un mois, je n'ai pas cessé. Travailler sur la musique et les paroles simultanément, c'est fatiguant mais c'est une façon excitante de le faire car les paroles ont cette spontanéité en regard de la musique qui vient juste d'être écrite alors que vous êtes assis là, avec votre stylo et votre feuille.

Si en studio, on a pu sentir une certaine répétition dans l’œuvre de Eels, on est obligé de constater qu’aucune des chansons jouées ce soir n’était présente, par exemple, sur le premier album live officiel de Eels, Oh What A Beautiful Morning, paru en 2000. Ce document signait la fin d’une époque qui a pourtant trouvé une suite inattendue et expansive à travers le double album Blinking Lights and Others Revelations (2005), tourné vers le passé à plusieurs égards. Un passé qui définit largement l’œuvre de Mr E - il a perdu sa sœur, son père et sa mère en l’espace de quelques années. Souljacker (2001), enregistré avec John Parish (PJ Harvey) dans un esprit de confrontation (il était sous titré « You little punks think you own this town ») dressait le portrait de personnages fictifs et franchissait de nouvelles frontières en termes d'autarcie. Ce soir, Fresh Feeling (l'archétype des chansons « fresh start ») rayonne toujours de délicatesse, contrebalançant l'opacité moite de Dog Faced Boy et de Souljacker Part I. Dog Faced Boy, entre Kinda Fuzzy et une reprise de Fleetwood Mac, Oh Well, provoque un effet puissant et dont le souvenir, à la fin du concert, est à ajouter dans le cahier d'une improbable histoire musicale personnelle : « 25 janvier : trois ans après avoir écrit quelques pages concernant Eels dans mon fanzine, trois mois après avoir jeté une oreille distraite au nouvel album pour la première fois, et quinze jours après que Mr E ait fêté (comme il se doit on l'espère) son demi-siècle, 'i'm falling in love again' »

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