OO
rugueux, élégant
blues, country, rock
Grayson Capps est un homme capable de changer votre vision de la musique populaire, ou de réaffirmer votre désir de rester hors des sentiers battus. The Lost Cause Minstrels renforcera votre goût pour une musique américaine typée autant que pour des chansons fuyant tout cliché - Capps avoue ne pas se fier au genre « garçon rencontre fille et l’emmène danser », préférant se consacrer avec justesse aux tragédies et aux ironies de vies menées dans une flamboyante discrétion par tous ces personnages qui sont le malt de la poésie de bohème.
La musique de cet album, conçue en osmose avec sa compagne Trina Shoemaker (productrice chez Brandi Carlile, les Throwing Muses, James Otto, les Indigo Girls…) et son groupe totalement reconstitué pour l’occasion, a cette capacité à déborder des genres dans laquelle elle est établie – le blues, la country, le Dixieland et de façon plus singulière le classic rock des années 70 – pour se rendre accessible au plus large nombre. Et ce en dépit d’une attitude évoquant les rebelles chevelus Charlie Daniels, Lynyrd Skynyrd, Waylon Jennings ou David Allan Coe, dont on ne sait jamais si ils vont vous mettre un couteau sous la gorge ou vous chanter une chanson. Peut-être le fait de vivre à parts égales entre deux territoires, la Louisiane et l’Alabama, sa terre natale, ainsi que des études de philosophie ont pourvu Grayson Capps d’une capacité de réflexion qui s’illustre bien en interview.
C'est cette ambivalence qui fait de Grayson Capps l’un des musiciens roots américains les plus intéressants aujourd’hui. D’autant plus que The Lost Cause Minstrels est son meilleur album, celui sur lequel joue de ses forces avec un discernement renouvelé, et assemble un set d’une grande cohérence. C’est un album de guitare avant tout, dépeignant successivement, et avec subtilité les humeurs habituellement associées à ceux qui se jouent des ténèbres ; on pense au troubadour Townes Van Zandt, au blues du bayou de Howlin’Wolf, on y trouve les échos de la quiétude ténébreuse des chansons d’Hank Williams ou de Robert Johnson. Un sens du danger, une tension enivrante traversent HIghway 42 ou John The Dagger. C’est comme lorsqu’on se retrouve, au saloon, face à cet étranger couvert de poussière, sans savoir s’il va dégainer ou vous raconter sa vie pathétique et vous transmettre sa passion et sa sagesse d’homme itinérant. Avant que l’émotion ne nous rattrape avec Yes You Are, une belle leçon qui nous demande d’accepter ce que la vie ne nous a pas donné.
The Lost Cause Minstrels n’est pas un album trop rude : Capps se souvient de l’idéalisme de certaines de ses influences, des plaisirs imprévus et des expériences charnelles venues contrebalancer le fond spirituel que mérite toute chanson et qu’il a, pour sa part, hérité d’un père pasteur. No Depression enchaîne les improvisations torrides et évoque… Foxy Lady, de Jimi Hendrix.
On mélange saveurs amères et sucrées, comme dans un gumbo, ce mélange culinaire typique de la Nouvelle-Orléans, que l’on aurait transformé en frustration et en fantasme. La Nouvelle-Orléans est bien présente à travers les rythmes de second line et quelques floraisons de cuivres authentiques. L’apparition régulière d’harmonies vocales féminines d’une grande élégance renforce l’esprit de cohérence.
La chanson Coconut Moonshine évoque un certain Mr. Jim, qui est là chaque fois que Capps joue au club The Shad à Ocean Springs. C’est l’âme du lieu, toujours en train de siroter un cocktail maison qui ‘brûle les entrailles’. La musique abat la moitié du travail, avec le concours de cuivres inattendus, la voix un bon tiers, et cette histoire un peu indulgente de pilier de comptoir sur fond de lune évoquant une grosse noix de coco fait écho aux accents hobo de Blue Valentine (1978), l’album de Tom Waits, dans une ambiance transposée. De quoi éprouver une profonde satisfaction.
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