Parution | juin 2011 |
Label | Box of Cedar |
Genre | Folk, dream folk |
A écouter | The Sun Always Reminds me of You, Baby, I Will Leave You in The Morning, Puppet Master |
/10 | 7.50 |
Qualités | envoûtant, pénétrant, sensuel |
Marissa Nadler est de ces très bons auteurs de chansons embarqués de toute leur foi dans un long voyage émotionnel où peu de gens les ont suivis – ou même les personnages fantasmés de leurs chansons ne peuvent plus que les voir partir, sans une chance de goûter longtemps à leur présence. Son cinquième album est encore profond et ambigu et s’écoutera, l’air de rien, pendant les vacances, dans tout autre fraction de temps suspendu ou dans tout lieu de fuite. « J’aime la musique qui crée une atmosphère et un endroit vers lequel s’échapper », révélait Nadler interviewée par le web fanzine américain Minor Progression. « Je crois que je ressentais un besoin particulièrement fort de m’échapper pendant la création de Little Hells, et j’ai créé une atmosphère dense comme une forêt pour y exister ». Little Hells (2009), le précédent album de Nadler, montrait une artiste toujours aussi farouchement indépendante, toujours en expansion entre ses racines folk minimalistes, la présence d’un quartet ou de synthétiseurs pour rehausser la magie dans sa voix languissante. Puis, malgré le succès critique, elle se fera mettre à la porte par son label et se verra obligée de lancer une campagne depuis la plateforme Kickstarter pour rassembler les fonds qui lui permettront de produire ce nouveau disque éponyme, le plus luxuriant, voire chaleureux, de sa très belle carrière débutée voici une dizaine d’années, et jamais interrompue. « Je suis le genre de personne qui ressent une immense quantité de culpabilité si je n’accomplis pas quelque chose de créatif chaque jour ».
Ce qui frappe c’est l’homogénéité de cette collection de onze chansons. Elles sont empruntes d’un psychédélisme tout californien, à la fois nostalgique et accueillant, avec ses bouquets de cymbales, son Rhodes et cette sensation que les instruments – pedal steel, harpe…-, sont là pour caresser. Une chanson comme Alabaster Queen est partagée entre romantisme et érotisme, sans trop de rapport avec la pop des années 1960, suggérant un mystère plus ancien. Si Nadler n’avait été que l’interprète de ces chansons, elle aurait déjà été une artiste fascinante et unique ; elle semble capable de faire venir à elle les notes plutôt que d’aller les chercher, se contentant apparemment d’ouvrir la bouche et de les laisser couler. Mais elle est aussi très bonne guitariste : son secret le mieux gardé est au bout de ses doigts ; un jeu rythmique et plein d’un balancement qui devient soudainement étrange au détour d’un vers. « Je joue du banjo, de l’ukulélé, du dulcimer, de la guitare douze cordes. Je suis assez rudimentaire au piano, mais ça a toujours été l’instrument des mes rêves ». On pourra d’ailleurs qualifier de cette musique de dream folk ; cet album en particulier a la mystique d’un enregistrement par Mazzy Star, un groupe que Nadler apprécie, sans surprise. « En ajoutant davantage d’instruments, c’est difficile de ne pas perdre en intimité. L’intimité est quelque chose que je veux garder», répond t-elle pour commenter ce qui distingue ce disque du précédent : un meilleur équilibre.
Nadler est aussi responsable de textes au fort pouvoir d’attraction, écrits surtout, depuis quelque temps, à la première personne. On ne cesse pourtant de questionner leur valeur autobiographique, tant il semble plus facile pour elle de parler de pertes, de chagrins, d’amours brisées ou de transgression en créant des personnages dont elle peut se déposséder, qu’elle peut abandonner. Cette admiratrice de Kate Bush veut montrer de quelle façon elle considère que chanter est « la forme d’art la plus pure », par rapport au « monde élitiste » de l’art contemporain auquel elle s’est frottée. « Je voulais écouter Hank Williams et entendre son blues solitaire plutôt que de voir des carcasses d’animaux collées sur des canevas», commente t-elle. Une chanson comme In Your Lair, Bear montre pourquoi ; elle y fait preuve d’une patience, d’un soin remarquables, habite avec succès le petit univers qu’elle crée pendant six minutes. Elle aime subvertir doucement les formes, et à la fin de cette chanson elle prend, pour changer, le rôle castrateur. « I took you home, and i crashed you ». C’est sauvage, un peu sale, vivant, finalement personnel. Pour maintenir l’excitation, Nadler se débarrasse ensuite de ce cadre et en pénètre un autre. Elle reconnaît son pouvoir seulement pour admettre qu’elle en a abusé, et disparaît après qu’un paroxysme ait été atteint. “Je suis plutôt du matin” confie t-elle en interview. Est-ce la raison de Baby, I Will Leave You in The Morning ? Le personnage joué par Nadler demande pardon pour devoir « te quitter le matin venu » avant d’aller boire jusqu’à perdre conscience dans les bras d’un autre amant.
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