Attention, ceci n'est pas la chanson tirée de l'album, mais une version 8 fois plus lente.
O
poignant, orchestral, onirique
indie rock, soul jazz ?
Le succès de Radiohead tient à leur
attitude ingénue, qui se traduit par un talent à aborder la musique
posément, à être à l'aise quelle que soit leur conformation. Ils
sont captivants en duo – Jonny Greenwood et Thom Yorke – comme
avec deux batteurs – avec Clive Deamer, de Portishead, en concert
-, toujours prompts à expérimenter, à s'amuser, à explorer. Yorke
et Greenwood, en particulier, seront surpris dans un magasin de
synthés vintage d'Austin avant leur concert en tête d'affiche le 30
septembre 2016 au festival Austin City Limits. Ils échangeront
pendant un heure avec un fan sidéré, accosté par Yorke et
passionné comme lui par les subtilités du matériel électronique.
Ils ont transformé d' étranges
situations de rencontres fortuites et gardé la tête froide par leur
pratique, en maintenant une fraîcheur harmonique plus détachée, comme la voix de leur chanteur, puis en utilisant des astuces
concrètes pour garder les pieds sur terre, en provenance du jazz, de
musiciens à priori plus créatifs qu'eux, et en y combinant leurs formes personnelles d'improvisation. C'est par exemple ce qu'on
redécouvre sur Present Tense. Très peu de choses sont nécessaires
pour la faire fonctionner, et pourtant un groupe entier perdure,
dévoué plutôt à parfaire l'écrin sur lequel viendra se poser la
voix de Thom Yorke – l'élément qui porte le groupe, depuis 20
ans, au delà de ceux à qui ils doivent leurs idées musicales et de
leur contenance.
La spontanéité et la réutilisation
de leur patrimoine harmonique commun, mais surtout un grand soin, au
sens de délicatesse, constituent cet album. Plutôt que le plaisir
de jouer, c'est leur prévenance qui fait détonner cette œuvre géosynclinale. Leur manière singulière de chanter les chœurs, de jouer
les instruments, est devenue progressivement un artisanat. Sur
l'album ou en concert, c'est un groupe que l'on imagine dans un
atelier. Ce qui les rends excitants, l'instant d'un morceau ou d'une
soirée, c'est qu'ils nous donnent l'impression d'entrer directement
dans les coulisses de leur création, et à travers leurs chansons,
semblent nous donner à voir leurs méthodes et leur inspiration.
Que ce soit la limpidité folk de
Desert Island Disk ou la dérive électronique de Ful Stop, on pénètre un univers musical en formation, en structuration, comme la
fabrication de prototypes plutôt que d'archétypes. Des éléments
épars se rassemblent avec un abandon presque erratique sur
Identikit. La batterie, celle des shuffles jazz, est là pour garder
le morceau dans le jalon. Les accords utilisés démontrent qu'on est en jazz, plutôt qu'en innovation totale :
riches et en mode mineur. Les cordes ondoient se font souveraines et
nous rappellent toujours au pouvoir ensorcelant de vrais instruments.
C'est particulièrement vrai de Glass Eyes.
Le groupe est le mieux employé quand
il explore les friches au dehors de ses instruments originels ;
pas de batterie, pas de guitare, pas de basse. Pour parvenir à cet
instant gracieux et paradoxal, il faut croire en la magie, en la
curiosité que peut susciter la musique. Même
s'il n'y a plus une chanson qui vaille There There, on sort sidéré
d'avoir aussi agréablement attendu.
The Numbers est une apogée tardive et
ésotérique de l'album, quand Daydreaming était son sommet formel.
True Love Waits est une sorte de compendium ; le façon dont a
été enregistrée cette chanson ancienne est révélatrice du reste,
et fait écho surtout à l'intensité mutique de Daydreaming.
Méticuleusement harmonisées, elles signent un temps où les
tonalités arrivent comme en décalage, jouant de notre vanité à
vouloir saisir le disque. Le pouvoir des chansons de Thom Yorke est
au-delà des mots, dans les sensations.
D'abord tu te dis que si tu ne l'apprécies pas à sa juste valeur c'est que l'album est sorti
trop vite, avant de réaliser ce que signifie son épitaphe :
« Le véritable amour sait patienter. » Tu ne le
rattraperas jamais vraiment. A Moon Shaped Pool est un album que tu
pourras écouter longtemps, de loin en loin, avec le même
émerveillement, parce que tu ne l'as pas encore compris, ni complètement appris à l'aimer. Tu mourras
candide, et Daydreaming sera la musique de ta cérémonie. Les gens
hocheront lentement la tête, se souvenant, rêveurs, de cette
chanson d'un groupe qui s’appelait Radiohead. Ils auront l'illusion
que, s'il l'avaient écoutée davantage, ils auraient été préparés
à ce qui les rend inconsolables dans de telles situations ;
leur côté inattendu. Cette chanson te fait tout accepter avec plus
de franchise, au delà de n'être plus rien qu'un courant d'air.
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