OOO
élégant, groovy, apaisé
Rock minimaliste, folk, jazz
Le plus fort sera le lien et l'enrichissement mutuel entre country folk britanniques et américaines, élargies à une sensibilité mondiale, et mieux cette scène se portera. Une scène dont il est inutile de vouloir localiser un point d'apparition : ce point demeure toujours à l'horizon, la musique se défile, se fond en atermoiements, nous subjugue. Steve Gunn produit Michael Chapman pour un album à paraître le 1er janvier 2017. C'est une preuve d'admiration sincère pour le voyageur qui, originaire de Philadelphie et localisé à New York, s'est demandé un temps ce qu'il faisait en Angleterre, ce pays imbu de lui même, arrêté dans un relais routier déprimant, avec des camionneurs. En repartant, il s'est focalisé sur les lignes du bord de la route. Une virée dans la campagne anglaise, devait le faire rencontrer Chapman chez lui, et découvrir, loin des lois, quelqu'un que le temps et la musique ont peaufiné, et qui ont laissé leur empreinte profonde entre quatre vénérables murs. Un sens de la résidence existant, mais en creux, chez Steve Gunn. Dans son cas, le lieu de ses rêves n'est peut-être pas son appartement New Yorkais, mais le parage indésigné où il pourra se reposer et faire consigner son inspiration. Chapman, 76 ans, est une légende du folk radical, adulé des deux côtés de l’atlantique, sans doute le mieux par ceux qui comprennent ce que le folk peut être chantant à l'esprit libre : les guitaristes puisant dans un minimalisme effronté.
Cela fait plus de 10 ans que Steve Gunn enregistre de la musique, et c'est bon de noter qu'il est désormais une signature de la scène americana et rock indé minimaliste, ayant accompagné Kurt Vile, créé un album, Golden Gunn (2013) avec MC Taylor (Hiss Golden Messenger) et accompagné le poète et chanteur Ed Askew pour des concerts, entre autres collaborations. Les conditions de plus en plus sophistiquées de ses enregistrements lui permettent de réconcilier le noyau folk incorruptible avec des aspirations de jazz et de musique du monde. Ce qu'il cherche à exprimer est au croisement du personnel et de l'universel : il tente de faire tourner son univers en suspends, aux sons de guitares mélodieuses, multiples, décontractées.
Comment ne pas aimer, en 2016, un personnage aux airs de anti-héros Dylanien, citadin médusé par son penchant à isoler une part de lui même à la laisser divaguer. Sans avoir à se justifier, car Steve Gunn n'aura pas le succès historique de Dylan.
Tant est exprimé dans l'élégante musique de Eyes On The Lines qu'on n'attend plus grand chose du concepteur de cet album. Certains apprécieront qu'il puisse sublimer la moindre virée en moto pour lui donner des airs de méditation. Le cinéma asiatique nous a donné en 2016 Kaili Blues, le premier film d'un réalisateur chinois né en 1989, où l'on suit un homme à la recherche de son neuve, qui aurait été vendu par son frère, un père négligent. On trouve là un plan séquence sidérant de 40 minutes. Steve Gunn est comme Chen, qui poursuit son but en dépit de la nature bien erratique de son voyage, se laisse dérouter par les contretemps des rencontres, change de moyen de transport, sonde la bienveillance de ceux qui l'entourent, et attend patiemment le moment de sa prochaine solitude. On s'attache à lui car sa quête, dont on se dit qu'elle n'a aucune chance d'aboutir, trouve sa résolution là où on ne l'attendait pas. Steve Gunn, narrateur de sa propre virée partagée sur Eyes on The Lines, irradie d'une assurance sereine qui le pousse à trouver des fins personnelles à sa recherche, aussi invraisemblables soient t-elles. Comme de finir par jouer Conditions Wild à un ours, au fond de la forêt, dans la belle vidéo conçue pour ce morceau par Brandon Herman.
Eyes on The Lines était l'occasion pour le musicien de créer des morceaux plus distincts que jamais, même si l'album peut paraître tout dans le même ton. Il faut prêter attention aux éléments se mettant en place avec les deux première chansons, et ne nous lâchent plus lorsque nous comprenons la liberté qu 'embrasse Gunn dans les paroles de The Drop. Il prend le temps de rêver, de traîner en route, quitte à rater l'opportunité de rentrer chez lui. Il y a toujours quelque chose de gagné à ce qui peu paraître, au premier abord, un périple ennuyeux. Une obligation, une contrainte, peut se transformer en une occasion de se retaper. Dès lors, Eyes on The Lines et un album qui peut résonner en soi bien après qu'on l'ai écouté la première fois ; au cours d'une digression imprévue, cette musique nous aide à aller de l'avant. C'est le grand va tout de la musique des années 70, que les drogues ont parfois symbolisé : obligés de progresser, on doit construire en temps réel, comme on peut, notre propre positivisme au monde, et ne pas prendre pour comptant celui des influences néfastes, de la civilisation marchande. Écouter de la musique est un moyen plus sain que d'autres. Elle crée une véritable et fiable expansion.
Eyes on the Lines fait plus d'une foulée dans cette voie, et nous avec. Conditions Wild fait culminer l'album dans une délicieuse cascade de note cristallines. Puis l'album ne cesse de se déployer, Heavy Sails délivrant une partie de guitare hypnotique sur une rythmique jazzy, un groove sans basse Le secret de cet album est de reposer presque uniquement sur cette batterie décontractée et inventive et une pléiade de guitares s'entrecroisant pour suggérer des vagabondages mélodiques, les dynamiques amenées par une sonorité plus saturée, quand elles ne sont pas suggérées, à l'arrière plan, par une sérénade électro acoustique en plein nomadisme. L'altérité de Park Bench Smile, puis la langueur enveloppante de Ark nous laissent avec la sensation que Steve Gunn a déployé des trésors d’hospitalité, surpassant même en nombre d'étoiles le rade de Kurt Vile. Le prochain week end, ne réfléchissez pas à deux fois ; partez vous égarer avec Eyes on The Lines dans les oreilles, votre route se coalisera et deviendra le lieu de contemplation idéal, en rétrospective, de tous les lieux que vous avez déjà visités par le passé.