“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

dimanche 2 septembre 2018

BRIGID MAE POWER - The Two Worlds (2018)





Au tournant de l'album, l’intrigante Down in The Ground décrit le tiraillement de la chanteuse entre intensité et besoin de flotter, la tête dans les nuages, égarée dans les saisons. Elle chante de trouver cet équilibre entre ciel et terre, entre félicité légère et conscience aiguë d'une condition qu'elle ne peut outrepasser. Elle ne sait pas, ne veut pas marcher sur la terre dans cette forme, par fantaisie ou par urgence de trouver ailleurs autre chose. Et tout son background musical est à l'avenant : dans la première seconde du morceau, ils sont confiés à une élévation, une légèreté et toute a chanson va se délivrer avec abandon. Brigid Mae Power est sans fardeau. La voix, comme la guitare acoustique amplifiée, est un instrument qui prolonge les notes et enroule les mots, allège les syllabes d'une langue irlandaise que l'on a entendue chez d'autres scandée ou ostensiblement articulée. Brigid Mae Power ne l'a pas réalisé jusqu'à ce qu'on lui décrive : les mots s'effilochaient, dans un temps qui ne lui paraissait pas si long, un feeling naturel, provenant de cette sensation agréable de ne pas toucher terre, éviter la trivialité.

On peut trouver de la spiritualité à ces mantras de guitare, de piano, d'orgue et de percussions, ou simplement de merveilleuses mélodies qui se déroulent au rythme de la marche, du rêve, une cadence si sereine qu'elle suscite une acuité spéciale. A l'heure où on nous incite à utiliser notre temps de sommeil pour faire de la méditation ou du yoga plutôt (ce que Brigid Mae Power pratique elle-même), son album vient sublimer les sens de l'esprit bien reposé qui l'écoute attentivement. Personne ne semble plus s'intéresser aux bénéfices d'un cerveau restauré. Pouvoir impliquer sa concentration, et sa mémoire, dans une cette écoute aux réminiscences si profondes, aux sensations si changeantes, troublantes, est un régal. Brigid Mae Power est en marche elle aussi, et reporte avec un regard profond et un sourire léger pourquoi cet état de rêve éveillé s'est emparé d'elle, quelles sont les obligations et les cas de conscience qui l'on laissée les sens en alerte mais le sommeil dur à venir. Le harcèlement, le regret de ne pas avoir fait taire un importun, même à l'intérieur de sa famille, quand des paroles devaient la marquer. Trop tard. Ici, fini les mots qui frappent, les mots faciles lâchés pour blesser, ou pour s'en tirer à bon compte. Les mots chantés réparent ces situations d'inconséquence.

Avec cet album, Brigid Mae Power dépasse les genres, nous envoie des signaux depuis les tréfonds de son univers personnel et y parvient tellement bien qu'elle en fait une œuvre sans comparaison. Les artistes contemplatifs ne manquent pas, ou ceux qui ont utilisé des formes familières, le folk la country, pour faire le jeu de leur sentiments vertigineux, s'élevant au détour d'une chanson au dessus de leur musique, comme une âme qui aurait enfin la capacité de veiller furtivement sur l'artiste. Chez Power, cet état n'est pas furtif, il est pleinement assumé.

Is My Presence in the Room Enough for You? suscite une impression d'isolation, chantée comme depuis le fond de la mer. Les chansons au piano nous font retourner aux origines de Brigid Mae Power, dans ses premières chansons, déambulations où son passé et son présent se rencontrent, les choses qu'elle ne maîtrisait pas à ses débuts toujours laissées à ce stade d'incertitude. How's is Your New Home est une promenade sous les arbres dans un parc secret, un tour du propriétaire venu du fond des âges.

Peter Broderick, musicien prolifique dont les albums produisent aussi ce sentiment d 'isolation transcendantale, joue les instruments qui ne sont pas pris en main par sa compagne.

dimanche 26 août 2018

SPEEDY ORTIZ - Twerp Verse (2018)






Les chansons prennent la descente dans un mouvement irrépressible, délivrant souvent au délà de la formule couplet/refrain, un élan psychique qui nous élève ou nous confond un peu – selon si on est familier ou non avec le groupe. Avec les écoutes répétées de Twerp Verse comme des précédents Major Arcana et Foil Deer, tout se met en place, révélant un groupe qui surpasse ce que l'on croyait connaître du rock à guitares. Leur musique devient jouvence et plongeon sans qu'il soit besoin d’idolâtrer Sadie Dupuis. Nirvana allait avec Kurt Cobain, et les performances physiques de sa section rythmique. Mais ils se sont détruits. Sadie Dupuis est à l'opposé, elle n'a pas le désir que les choses convergent vers le groupe. Au mieux, celui-ci reste insaisissable, rien de tangible, et pourtant les performances sont parfaites. Voilà groupe qui ne fonde pas sa gloire sur la performance mais sur une certaine souplesse de corps et d'esprit.

La production y est pour quelque chose. La voix de Dupuis est multiple lorsque la formule s'éloigne le plus du collège rock qui intimait leurs débuts. Et sur Lucky 88, ils réussissent à produire une pop non agressive. Accro au travail, Speedy Ortiz reconstruit toujours mieux le monde. « C'est d'important d'honorer ses propres sentiments et la tristesse qu'on ressent », reconnaît-elle. Mais sa façon de concevoir le groupe, tout en synergies positives, l'éloigne de la spirale de l'enfermement. Que reste t-il de commun avec les fleurons du rock d'avant les années 2000 ? Sadie Dupuis et son groupe se battent aussi contre les vieilles idées réactionnaires, le puritanisme etc., mais avec un activisme contemporain soucieux de montrer des idées neuves et de les faire circuler jusqu'à nous dans l'équivalent d'un toboggan, un conduit lisse. Dupuis en tournée pour défendre son album solo en 2016, avec son groupe féminin et lesbien sait une chose de cette rectitude mâle tapie dans les stations service et dans les parages de chaque concert.

Twerp Verse s'apparente à plonger dans un pool, où des poissons de toutes formes ne sont jamais ce qu'ils semblent être, mais des allégories. Sadie Dupuis est fan de Guilermo Del Toro et de sa forme de l'Eau, parce qu'il s'en prend au fascisme avec ce penchant vaste, réaliste qui joue à armes égales dans un monde technologiquement avancé et en quête de cohésion. C'est comme la bande originale de Black Mirror, par Max Richter, et sa palette austère, capable d'empêcher le monde de se réduire en miettes. Un certain sens de ce qui maintient les choses ensemble, de ce qui illumine l'être humain. Comme aussi pour maintenir des chansons d'époques disparates, écrites entre 2014 et 2017.

La clairvoyance pousse Sadie Dupuis vers toujours plus de clarté dans sa vision. Speedy Ortiz a réussi, par caractère à aller bien au delà des histoires de fac et des histoires de boy meets girl qui peuvent faire le cliché de la musique grunge originaire des années 90. Il en émane désormais comme une onde soyeuse sous les guitares, capable de baigner toute la société américaine et au-delà.


Essayer de creuser l'essence de Speedy Ortiz ne débouche pas sur grand-chose. L'origine du nom (une référence à un personnage de fiction qui disparaît et comment ceux qui le connaissent survivent son souvenir) nous laisse en dehors de son univers. Toutes les tentatives de s'y plonger sont frustrantes, en dehors du plaisir musical qui lui nous incite à revenir à cet âge au milieu de la vingtaine où la vie ne s'organise qu'autour d’événements successifs. L'âge où il n'y a pas d'urgence à devenir. C'est le souvenir de ces événements, dans une écriture qui utilise la mélancolie pour comprendre ses relations présentes et tangibles, que Dupuis secoue à renfort de riffs et de mélodies. Le groupe le fait avec un sens de la reconstruction permanente, réussissant l'exploit de détourner autant les mélodies et les rythmes que Dupuis le fait en changeant la rime attendue d'une phrase. « One more time with reeling/You siphoned out the feeling. » Alors que d'autres groupes habitués à dérouter adoptent un son plus dur, une façade plus intimidante, Speedy Ortiz nous convie de plus en plus, nous laisse oublier notre condition de non américains confrontés au microcosme du tout-américain. L'excitation de créer et de différer des règles établies par des décennies de rock, réunissent des cultures.

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